Jurisprudence : TA Nice, du 09-04-2024, n° 2103126


Références

Tribunal Administratif de Nice

N° 2103126

Magistrat M. PASCAL
lecture du 09 avril 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1602244 du 21 novembre 2017, le tribunal administratif de Nice a condamné la SARL Westmead Production à évacuer hors du domaine public maritime les installations et ouvrages visés dans le procès-verbal du 2 février 2016 dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et a autorisé l'administration à y procéder d'office, en cas d'inexécution de la société dans ce délai.

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 juin 2021 et 15 mars 2024, le préfet des Alpes-Maritimes demande au tribunal de liquider l'astreinte fixée par le jugement du 21 novembre, à la somme de 318 600 euros pour la période du 3 juillet 2018 au 31 mai 2021 (1062 jours) et à celle de 301 200 euros pour la période du 1er juin 2021 au 1er mars 2024 (1004 jours).

Il soutient que :

- depuis l'expiration du délai de six mois à compter de la signification du jugement, soit depuis le 4 juillet 2018, les ouvrages en infraction composés d'un escalier d'accès à la mer, d'une terrasse et d'un appontement situé sous la terrasse, existent toujours comme cela ressort des constats d'agents assermentés de la direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes, en date du 26 septembre 2018, du 31 août 2021 et du 12 juillet 2023 ;

- aucune erreur n'est commise dans le calcul des astreintes ;

- le moyen tiré d'une prétendue inaction de l'Etat quant à la démolition des ouvrages litigieux est inopérant et infondé ; aucun intérêt général ni requête en tierce opposition ne peut justifier une dispense à retirer les ouvrages ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 août 2021 et 13 mars 2024, la SARL Westmead Production, prise en la personne de son gérant en exercice, représentée par Me Msellati, puis par Me Haddad, conclut au rejet de la demande de liquidation d'astreinte et à ce que soit mis à la charge de l'Etat la somme 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- la demande de liquidation d'astreinte est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun constat de l'inexécution postérieure à l'arrêt n°s 18MA00263, 18MA00639 de la cour administrative d'appel de Marseille du 16 novembre 2018 ;

- l'astreinte ne court qu'à compter de la décision de la cour, soit le 16 novembre 2018 ;

- elle constitue un abus de procédure dès lors qu'elle n'est justifiée ni par une atteinte à l'intérêt général, ni par un danger pour la sécurité des personnes ou des biens ; le préfet s'est abstenu de toute procédure d'exécution, du 4 juillet 2018 au 8 juin 2021 et avait annoncé mettre en œuvre la démolition à partir du 31 août 2021 ; le syndicat des copropriétaires de La Joie de Vivre, propriétaire du terrain et des équipements sur lesquels sont ancrés les ouvrages visés par le procès-verbal de grande voirie, s'oppose, en s'appuyant sur le rapport d'un expert judiciaire, aux travaux de démolition et a saisi la cour européenne des droits de l'homme ;

- l'exécution est impossible, l'astreinte ne peut être liquidée ; l'expert a conclu, en effet, que le mur deviendra instable si le jardin suspendu est démoli : elle ne peut techniquement stabiliser le mur alors qu'elle n'a pas reçu l'autorisation de l'assemblée générale des propriétaires.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Pascal, vice-président, en application de l'article L. 774-1 du code de justice administrative🏛.

Les parties ont été régulièrement averties du jour et de l'objet de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 19 mars 2024 :

- le rapport de M. Pascal, magistrat désigné,

- les conclusions de Mme Moutry, rapporteure publique ;

- les observations de Me Dolciani pour la société Westmead Production.

Considérant ce qui suit :

Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense :

1. La SARL WestMead Production soutient que la demande de liquidation d'astreinte du préfet des Alpes-Maritimes est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun constat de l'inexécution du jugement postérieure à l'arrêt n°s 18MA00263, 18MA00639 de la cour administrative d'appel de Marseille du 16 novembre 2018. Dans son jugement du 21 novembre 2017, par les articles 3 et 4 de ce jugement, le tribunal administratif de Nice a condamné la SARL Westmead Production à évacuer hors du domaine public maritime les installations et ouvrages visés dans le procès-verbal du 2 février 2016 dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 300 euros par jour de retard et a autorisé l'administration à y procéder d'office en cas d'inexécution de la société dans ce délai. Ce jugement, en application de l'article 11 du code de justice administrative🏛, est exécutoire et le recours en appel formé par la société requérante contre le jugement du 21 novembre 2017 n'a pas d'effet suspensif. La cour administrative d'appel de Marseille, par son arrêt du 16 novembre 2018, a annulé l'article 3 du jugement du 21 novembre 2017 en tant uniquement qu'il condamne la société Westmead Production et M. A à démolir la portion d'embarcadère débordant de l'emprise de la terrasse, d'une superficie de 1,92 m². Il résulte également de l'instruction que par une décision n° 474211 du 13 novembre 2023, le Conseil d'Etat⚖️ a définitivement rejeté la tierce opposition formée par le syndicat de la copropriété La Joie de Vivre en vue de demander à la cour administrative d'appel de Marseille de déclarer non avenu l'arrêt du 16 novembre 2018 précité. Enfin, il ressort des constats d'agents assermentés de la direction départementale des territoires et de la mer des Alpes-Maritimes des 31 août 2021 et 12 juillet 2023 que les ouvrages en litige sont toujours situés sur le domaine public maritime. La société Westmead est, dès lors, tenue d'évacuer hors du domaine public, dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement du 21 novembre 2017 et sous astreinte de 300 euros par jour de retard passé ce délai, un escalier d'accès à la mer en béton construit sur les roches existantes comprenant deux volées de marches entrecoupées par un palier intermédiaire et un palier supérieur, un appontement situé sous la terrasse et une terrasse en béton armée arasée à la côte + 8,50 mètres, construite sur cinq piliers fondés sur la roche naturelle. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête en liquidation de l'astreinte en l'absence de constat de l'inexécution postérieure à l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille ne peut qu'être écartée.

Sur la liquidation de l'astreinte :

2. Aux termes de l'article L. 911-7 du code de justice administrative🏛 : " En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. / Sauf s'il est établi que l'inexécution de la décision provient d'un cas fortuit ou de force majeure, la juridiction ne peut modifier le taux de l'astreinte définitive lors de sa liquidation. / Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée ". Lorsqu'il qualifie de contravention de grande voirie des faits d'occupation irrégulière d'une dépendance du domaine public, il appartient au juge administratif, saisi d'un procès-verbal accompagné ou non de conclusions de l'administration tendant à l'évacuation de cette dépendance, d'enjoindre au contrevenant de libérer sans délai le domaine public et, s'il l'estime nécessaire et au besoin d'office, de prononcer une astreinte. Lorsqu'il a prononcé une astreinte dont il a fixé le point de départ, le juge administratif doit se prononcer sur la liquidation de l'astreinte, en cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive. Il peut, le cas échéant, modérer l'astreinte provisoire ou la supprimer, même en cas d'inexécution de la décision juridictionnelle. Il peut notamment la supprimer pour le passé et l'avenir, lorsque la personne qui a obtenu le bénéfice de l'astreinte n'a pas pris de mesure en vue de faire exécuter la décision d'injonction et ne manifeste pas l'intention de la faire exécuter ou lorsque les parties se sont engagées dans une démarche contractuelle révélant que la partie bénéficiaire de l'astreinte n'entend pas poursuivre l'exécution de la décision juridictionnelle, sous réserve qu'il ne ressorte pas des pièces du dossier qui lui est soumis qu'à la date de sa décision, la situation que l'injonction et l'astreinte avaient pour objet de faire cesser porterait gravement atteinte à un intérêt public ou ferait peser un danger sur la sécurité des personnes ou des biens (CE, Nos 338746, Voies Navigables De France, 15 octobre 2014, récemment CAA Marseille 23MA00242 du 8/12/2023⚖️)).

3. La SARL Westmead Production ne justifie pas, à la date du présent jugement, avoir exécuté l'article 3 du jugement du 21 novembre 2017 l'enjoignant à évacuer hors du domaine public maritimes les installations et ouvrages visés dans le procès-verbal du 2 février 2016, excepté la portion d'embarcadère débordant de l'emprise de la terrasse, d'une superficie de 1,92 m² ainsi qu'il a été dit au point 1.

4. Si la société Westmead soutient que le préfet des Alpes-Maritimes commet un abus de procédure, que la liquidation de l'astreinte n'est pas justifiée par l'intérêt public ni par le danger pour la sécurité des personnes et des biens et que cette demande de liquidation méconnait les droits des copropriétaires du syndicat La Joie de Vivre, de tels moyens sont inopérants à l'encontre de la demande de liquidation dès lors que le jugement du tribunal en date du 21 novembre 2017, confirmé par la cour administrative de Marseille le 16 novembre 2018, constatant l'existence d'une contravention de grande voirie à son encontre, est devenu définitif et doit être exécuté. De même, l'autorité absolue de la chose jugée dont est revêtu le jugement du 21 novembre 2017 s'impose tant à l'administration qu'au juge chargé de la liquidation de l'astreinte et s'oppose à ce que soit remise en cause par la société requérante, à l'occasion de la présente instance, sa condamnation par la juridiction administrative à évacuer les installations implantées sans autorisation sur le domaine public maritime. Par suite, la société contrevenante ne peut pas utilement se prévaloir des conclusions d'une expertise géotechnique du 29 juillet 2021 sur les conséquences de la démolition desdites installations.

5. Le jugement du 21 novembre 2017 a été signifié à la société contrevenante le 3 janvier 2018, le délai de 6 mois dont disposait celle-ci pour démolir les ouvrages situés sur le domaine public maritime a donc pris fin le 4 juillet 2018. Il est constant que la société requérante n'a pas exécuté ce jugement et n'allègue pas avoir pris des mesures en vue de permettre cette exécution. En revanche, le préfet a pris des mesure en vue de faire exécuter la décision d'injonction. Il résulte de l'instruction que par un arrêté du 29 novembre 2021, le préfet des Alpes-Maritimes, après deux réunions sur site les 28 mai et 7 juillet 2021 en présence du gérant de la société Westmead, a autorisé, au cours de la période du 13 décembre 2021 au 30 avril 2022, les agents de la direction départementale des territoires et de la mer à pénétrer dans les propriétés privées de la société Westmead et de la copropriété La Joie de Vivre pour la réalisation des opérations préalables, nécessaires à l'étude du projet de travaux publics de démolition de la terrasse de la villa dénommée " Le Jardin de la Mer ". Il y a lieu, par suite, de procéder au bénéfice de l'Etat à la liquidation provisoire de l'astreinte, pour la période commençant à compter de la date du 4 juillet 2018 au 1er mars 2024 et de réduire la charge manifestement excessive pour la société contrevenante que représenterait la liquidation de l'astreinte au taux initialement fixé de 300 euros par jour, en la liquidant à la somme de 300 000 euros.

Sur les frais d'instance :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société requérante la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La SARL Westmead Production est condamnée à verser à l'Etat la somme de 300 000 euros au titre de l'astreinte due pour la période du 4 juillet 2018 au 1er mars 2024.

Article 2 : Les conclusions de la société Westmead Production tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au préfet des Alpes-Maritimes pour notification à la société Westmead Production dans les conditions prévues à l'article L. 774-6 du code de justice administrative🏛.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

Le magistrat désigné,

signé

F. Pascal

La République mande et ordonne au préfet des Alpes-Maritimes en ce qui le concerne

ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun,

contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

Ou par délégation le greffier,

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