TA Paris, du 27-11-2023, n° 2205722
A816114Z
Référence
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 mars 2022 et 1er juin 2023, Mme E B, veuve C, M. G C, Mme F C, et la société civile immobilière Honnors, représentés par Me Jorion, demandent au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 27 janvier 2022 par laquelle la maire de Paris a décidé de préempter un immeuble situé 24, place du marché Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement de Paris, cadastré AZ 84, au prix de 7 680 000 euros en valeur occupée ;
2°) d'enjoindre à la ville de Paris de proposer d'acquérir le bien préempté aux vendeurs, puis à l'acquéreur évincé, au prix auquel elle l'aura elle-même acquis, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, un mois après notification de la décision juridictionnelle à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- la décision a été prise par une autorité incompétente dès lors, d'une part, qu'elle a été signée par une autorité incompétente et, d'autre part, que la subdélégation du 15 février 2021 donnée à la secrétaire générale de la ville de Paris est trop imprécise ;
- il n'est pas établi que l'avis du service des domaines a été reçu préalablement à la décision contestée ;
- la décision est insuffisamment motivée en ce qu'elle ne fait pas suffisamment apparaître la nature du projet poursuivi ;
- il devra être établi que le droit de préemption a été régulièrement institué par la ville de Paris ;
- la décision n'a pas été transmise au contrôle de légalité ;
- elle ne correspond à aucun projet réel de la ville de Paris sur le bien en cause.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2023, la ville de Paris conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par Mme B, veuve C, et autres ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 1er juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 22 juin 2023.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- l'arrêté du 5 décembre 2016 relatif aux opérations d'acquisitions et de prises en location immobilières poursuivies par les collectivités publiques et divers organismes modifié ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Berland,
- les conclusions de Mme Alidière, rapporteure publique,
- et les observations de Me Jorion, représentant Mme B, veuve C, et autres.
1. Le 29 novembre 2021, Mme E B, veuve C, a adressé à la mairie de Paris une déclaration d'intention d'aliéner un immeuble situé 24, place du marché Saint-Honoré, dans le 1er arrondissement de Paris, dont elle est propriétaire, au profit de la société civile immobilière Honnors. Par une décision du 27 janvier 2022, la maire de Paris a décidé d'exercer le droit de préemption urbain sur cet immeuble, en vue de réaliser environ 14 logements locatifs sociaux et deux commerces, au prix de 7 680 000 euros en valeur occupée. Par la présente requête, Mme B, veuve C, et autres demandent au tribunal l'annulation de cette décision.
Sur la compétence du signataire de l'acte attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales🏛 dans sa version alors applicable : " Le maire peut, en outre, par délégation du conseil municipal, être chargé, en tout ou partie, et pour la durée de son mandat : () 15° D'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme, que la commune en soit titulaire ou délégataire, de déléguer l'exercice de ces droits à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 de ce même code dans les conditions que fixe le conseil municipal ; (). ". Aux termes de l'article L. 2131-1 de ce code : " I.- Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'ils ont été portés à la connaissance des intéressés dans les conditions prévues au présent article et, pour les actes mentionnés à l'article L. 2131-2, qu'il a été procédé à la transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement prévue par cet article. (). / III.- Les actes réglementaires et les décisions ne présentant ni un caractère réglementaire, ni un caractère individuel font l'objet d'une publication sous forme électronique, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, de nature à garantir leur authenticité et à assurer leur mise à disposition du public de manière permanente et gratuite. " Enfin, aux termes de l'article L. 2511-27 du même code🏛 : " Le maire de la commune ou le maire de Paris peut donner sous sa surveillance et sa responsabilité, par arrêté, délégation de signature au directeur général des services de la mairie ou de la Ville de Paris et aux responsables de services communaux. ".
3. D'une part, il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 3 juillet 2020, le conseil de Paris a consenti à la maire de Paris, pendant la durée de son mandat, une délégation de compétence portant sur l'exercice du droit de préemption urbain. Cette délibération précise que la maire de Paris peut consentir des délégations de signature en cette matière aux responsables de service de la ville de Paris dans les conditions fixées par l'article L. 2511-27 du code général des collectivités territoriales. Cette délibération a été publiée au bulletin officiel municipal de la ville de Paris du 10 juillet 2020 et le tampon du 3 juillet 2020 figurant sur la délibération atteste de la réception de cette délibération par les services de la préfecture à cette date.
4. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que par arrêté du 15 février 2021 régulièrement publié au bulletin officiel municipal de la ville de Paris du 23 février 2021 et transmis au représentant de l'Etat le 15 février 2021, ainsi qu'en atteste le tampon figurant sur l'arrêté, la maire de Paris a délégué sa signature à Mme A D, signataire de la décision litigieuse, responsable de service communal en sa qualité de secrétaire général de la ville de Paris, pour signer les décisions de préemption.
5. Enfin, il ressort des pièces du dossier que, par la délégation de signature, suffisamment précise, consentie à Mme A D par arrêté du 15 février 2021, la maire de Paris n'a pas entendu déléguer l'exercice des droits de préemption à l'occasion de l'aliénation d'un bien selon les dispositions prévues à l'article L. 211-2 ou au premier alinéa de l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme🏛.
6. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision en litige a été prise par une autorité incompétente.
Sur la motivation de la décision contestée :
7. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme🏛 dans sa version alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. () Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. Toutefois, lorsque le droit de préemption est exercé à des fins de réserves foncières dans le cadre d'une zone d'aménagement différé, la décision peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l'acte créant la zone. / Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat ou, en l'absence de programme local de l'habitat, lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en œuvre pour mener à bien un programme de construction de logements locatifs sociaux, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération. Il en est de même lorsque la commune a délibéré pour délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d'intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine. ".
8. Les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme🏛, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. Lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l'habitat, les exigences résultant de l'article L. 210-1 doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption. A cette fin, la collectivité peut soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe, soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.
9. La décision en litige se réfère au programme local de l'habitat approuvé par délibération du conseil de Paris des 28, 29, et 30 mars 2011 et modifié par délibération du conseil de Paris des 9 et 10 février 2015 et indique que la décision de préemption participe à l'accroissement du nombre de logements sociaux, qui constitue l'une des actions du programme local de l'habitat dans le 1er arrondissement, afin de se rapprocher du seuil de 25 % fixé par l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation🏛. La lecture de cette décision permet ainsi d'identifier la nature de l'action du programme local de l'habitat que la ville de Paris entendait mener au moyen de la préemption. Ainsi, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision litigieuse est insuffisamment motivée.
Sur l'avis du service des domaines :
10. Aux termes de l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme🏛 : " Le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition dès lors que le prix ou l'estimation figurant dans la déclaration d'intention d'aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l'arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques🏛. ". En outre, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 5 décembre 2016🏛 précédemment visé : " Les montants prévus () à l'article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques () sont fixés à 180 000 euros. "
11. Il résulte de ces dispositions que le titulaire du droit de préemption doit avoir connaissance de l'avis du service des domaines, émis dans les conditions de délai précitées, avant d'exercer ce droit.
12. Il ressort des pièces du dossier que la déclaration d'intention d'aliéner a été transmise au service des domaines le 14 décembre 2021 et que ce dernier a émis un avis le 14 janvier 2022, qui a été reçu le jour-même par la ville de Paris. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision est entachée d'irrégularité faute de réception préalable de l'avis du service des domaines.
Sur le caractère exécutoire de la délibération instituant le droit de préemption urbain :
13. D'une part, aux termes de l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme🏛 : " La délibération par laquelle le conseil municipal ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent décide, en application de l'article L. 211-1, d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application est affichée en mairie pendant un mois. Mention en est insérée dans deux journaux diffusés dans le département. Les effets juridiques attachés à la délibération mentionnée au premier alinéa ont pour point de départ l'exécution de l'ensemble des formalités de publicité mentionnées audit alinéa. Pour l'application du présent alinéa, la date à prendre en considération pour l'affichage en mairie est celle du premier jour où il est effectué. ". En outre, aux termes de l'article R. 211-3 de ce code : " Le maire ou, le cas échéant, le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent adresse sans délai au directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques, à la chambre départementale des notaires, aux barreaux constitués près les tribunaux judiciaires dans le ressort desquels est institué le droit de préemption urbain et au greffe des mêmes tribunaux copie des actes ayant pour effet d'instituer ou de supprimer le droit de préemption urbain ou d'en modifier le champ d'application. Cette copie est accompagnée, s'il y a lieu, d'un plan précisant le champ d'application du droit de préemption urbain ".
14. Les obligations d'affichage et de publication par voie de presse de la délibération instaurant le droit de préemption urbain prévues à l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme constituent des formalités nécessaires à l'entrée en vigueur d'une telle délibération. En revanche, les formalités de transmission d'une copie de la délibération aux personnes mentionnées à l'article R. 211-3, qui ont pour seul objet d'informer ces personnes, sont sans incidence sur le caractère exécutoire de cette délibération.
15. Par délibération des 16 et 17 octobre 2006, le conseil de Paris a institué, en application de l'article L. 211-1 du code de l'urbanisme🏛, le droit de préemption urbain sur les zones U du plan local d'urbanisme approuvé et sur les périmètres des plans de sauvegarde et de mise en valeur du Marais et du 7ème arrondissement. Cette délibération transmise au contrôle de légalité le 19 octobre 2006 a fait l'objet d'un affichage durant deux mois en mairie à compter du 19 octobre 2006, d'une publication au bulletin municipal officiel de la ville de Paris le 28 novembre 2006 et d'une insertion le 20 octobre 2006 dans les journaux " Le Parisien " et " Libération " qui, s'il est un journal national, n'en est pas moins largement diffusé à Paris. En outre, il résulte de ce qui a été dit au point 14 que la circonstance alléguée qu'une copie de cette délibération n'aurait pas été adressée aux personnes mentionnées à l'article R. 211-3 du code de l'urbanisme🏛 est sans incidence sur le caractère exécutoire de cette délibération. Il s'ensuit que la délibération des 16 et 17 octobre 2006 instituant le droit de préemption urbain a reçu la publicité requise par les dispositions de l'article R. 211-2 du code de l'urbanisme et est devenue exécutoire le 20 octobre 2006.
16. D'autre part, l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a pour base légale le premier acte ou été prise pour son application. En outre, s'agissant d'un acte non réglementaire, l'exception n'est recevable que si l'acte n'est pas devenu définitif à la date à laquelle elle est invoquée, sauf dans le cas où, l'acte et la décision ultérieure constituant les éléments d'une même opération complexe, l'illégalité dont l'acte serait entaché peut être invoquée en dépit du caractère définitif de cet acte.
17. L'illégalité de l'acte instituant un droit de préemption urbain peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision de préemption. Toutefois, cet acte, qui se borne à rendre applicables dans la zone qu'il délimite les dispositions législatives et réglementaires régissant l'exercice de ce droit, sans comporter lui-même aucune disposition normative nouvelle, ne revêt pas un caractère réglementaire et ne forme pas avec les décisions individuelles de préemption prises dans la zone une opération administrative unique comportant un lien tel qu'un requérant serait encore recevable à invoquer par la voie de l'exception les illégalités qui l'affecteraient, alors qu'il aurait acquis un caractère définitif.
18. Si la ville de Paris n'établit pas, en fournissant des accusés de réception datés du 3 mars 2014, que les élus du conseil de Paris ont été convoqués régulièrement cinq jours avant la séance des 16 et 17 octobre 2006, il résulte de ce qui a été dit aux points 16 et 17 que les requérants ne sont pas recevables à soulever, à l'appui de leur requête dirigée contre la décision de préemption du 27 janvier 2022, l'illégalité de la délibération des 16 et 17 octobre 2006 instituant le droit de préemption urbain sur les zones U du plan local d'urbanisme de la ville de Paris, régulièrement publiée dans les conditions prévues par les articles R. 211-2 et R. 211-4 du code de l'urbanisme🏛, dès lors que cette délibération est devenue définitive.
19. Par suite, le moyen selon lequel la décision de préemption litigieuse serait dépourvue de base légale ne peut qu'être écarté.
Sur la prise de la décision contestée et sa transmission au représentant de l'Etat dans les délais légaux :
20. Aux termes de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme🏛 : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée ou, en cas d'adjudication, l'estimation du bien ou sa mise à prix, ainsi que les informations dues au titre de l'article L. 514-20 du code de l'environnement🏛. Le titulaire du droit de préemption peut, dans le délai de deux mois prévu au troisième alinéa du présent article, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière. La liste des documents susceptibles d'être demandés est fixée limitativement par décret en Conseil d'Etat. La déclaration d'intention d'aliéner peut être dématérialisée. Le cas échéant, cette déclaration comporte également les informations dues au titre des articles L. 303-2 et L. 741-1 du code de la construction et de l'habitation🏛🏛. () Le silence du titulaire du droit de préemption pendant deux mois à compter de la réception de la déclaration mentionnée au premier alinéa vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. Le délai est suspendu à compter de la réception de la demande mentionnée au premier alinéa ou de la demande de visite du bien. Il reprend à compter de la réception des documents par le titulaire du droit de préemption, du refus par le propriétaire de la visite du bien ou de la visite du bien par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d'un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l'exercice du droit de préemption. Lorsqu'il envisage d'acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d'intention d'aliéner au responsable départemental des services fiscaux. La décision du titulaire fait l'objet d'une publication. Elle est notifiée au vendeur, au notaire et, le cas échéant, à la personne mentionnée dans la déclaration d'intention d'aliéner qui avait l'intention d'acquérir le bien. Le notaire la transmet aux titulaires de droits d'emphytéose, d'habitation ou d'usage, aux personnes bénéficiaires de servitudes, aux fermiers et aux locataires mentionnés dans la déclaration d'intention d'aliéner. ".
21. Il résulte des dispositions de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doivent savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise. Dans le cas où le titulaire du droit de préemption décide de l'exercer, les mêmes dispositions, combinées avec celles des articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales🏛🏛, imposent que la décision de préemption soit exécutoire au terme du délai de deux mois, c'est-à-dire non seulement prise mais également notifiée au propriétaire intéressé et transmise au représentant de l'Etat. La réception de la décision par le propriétaire intéressé et le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois, à la suite respectivement de sa notification et de sa transmission, constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption.
22. Il ressort des pièces du dossier que la déclaration d'intention d'aliéner a été reçue le 29 novembre 2021 par la ville de Paris, et que la décision en litige a été prise le 27 janvier 2022, notifiée le jour même au notaire du vendeur par exploit d'huissier, et transmise ce même jour au représentant de l'Etat ainsi que cela ressort de l'accusé de notification Fast produit en défense. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée n'aurait pas été reçue par le représentant de l'Etat dans le délai de deux mois à compter de la prise de la décision contestée doit être écarté comme manquant en fait.
Sur la réalité d'un projet d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme :
23. Aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme dans sa version alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, à préserver la qualité de la ressource en eau et à permettre l'adaptation des territoires au recul du trait de côte, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. " . En outre, aux termes de l'article L. 300-1 de ce code dans sa version alors applicable : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en œuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser la mutation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels, notamment en recherchant l'optimisation de l'utilisation des espaces urbanisés et à urbaniser. / L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. ".
24. Les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date. Par ailleurs, il résulte de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme que la mise en œuvre du droit de préemption urbain doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l'objet de l'opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre tant aux finalités mentionnées à l'article L. 300-1 du même code qu'à un intérêt général suffisant. Si le montant auquel le titulaire du droit de préemption se propose d'acquérir un bien préempté peut constituer l'un des éléments permettant d'apprécier si la préemption répond à de telles finalités ou à un intérêt général suffisant, le caractère insuffisant ou excessif du prix de ce bien au regard du marché est, par lui-même, sans incidence sur cette légalité.
25. En premier lieu, le programme local de l'habitat adopté par délibération du conseil de Paris des 28 et 29 mars 2011 et modifié par délibération du Conseil de Paris des 9 et 10 février 2015, fixe au nombre de ses actions le développement du logement social en secteur diffus et identifie l'exercice du droit de préemption urbain comme l'un des outils au service de cette action. Il relève que " avec 8,6% de logements sociaux (soit 848 logements sociaux SRU au 1er janvier 2013), le 1er arrondissement est encore largement déficitaire ", et que " La quasi-totalité de l'arrondissement se trouve donc dans la zone de déficit en logement social ". Il indique par ailleurs que " () L'objectif de production doit néanmoins être poursuivi pour résorber le déficit en logement social de l'arrondissement et contribuer à mieux équilibrer l'implantation des logements sociaux sur le territoire parisien. Compte tenu des faibles ressources foncières encore mobilisables dans l'arrondissement, toutes les voies permettant de créer des logements sociaux seront exploitées et notamment l'usage du droit de préemption urbain qui permet l'acquisition de terrains, d'immeubles existant à usage d'habitation ou à usage mixte d'activité-habitation, en vue de la réalisation d'opérations d'acquisition-conventionnement ou d'acquisition-amélioration, ainsi que d'immeubles à usage d'activités, des bureaux notamment, pour des opérations de transformation en logement social par changement de destination ". Si les requérants font valoir que la ville de Paris n'a pas signé d'accord avec un bailleur social pour le projet litigieux, qu'elle n'a pas réalisé d'étude sur les locataires actuels et potentiels, et que le zonage du programme local de l'habitat par arrondissement n'est pas pertinent, de telles circonstances sont sans incidence sur la qualification d'action ou d'opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme.
26. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'une étude de faisabilité du projet a été réalisée le 7 janvier 2022 par la direction du logement et de l'habitat de la ville de Paris. Cette étude présente l'état d'occupation du bien, le statut locatif, constate la vétusté de l'état général des réseaux, l'absence d'isolation thermique ainsi que l'affaissement des planchers sur toute une travée de fenêtres, qui nécessiteront des diagnostics ainsi qu'une probable reprise de structure, et évalue le coût total de la réhabilitation à 2 567 400 euros. Dans ces conditions, et alors que le projet s'inscrit dans la politique locale de la ville de Paris consacrée par son programme local de l'habitat, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la réalité du projet n'est pas établie.
27. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de Mme B, veuve C, et autres tendant à l'annulation de la décision de préemption du 27 janvier 2022 doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction, et celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La requête de Mme B, veuve C, et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme E B, veuve C, à M. G C, à Mme F C, à la société Honnors et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 13 novembre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Le Roux, présidente,
Mme Barruel, première conseillère,
Mme Berland, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 novembre 2023.
La rapporteure,
F. BERLAND
La présidente,
M.-O. LE ROUXLa greffière,
F. RAJAOBELISON
La République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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