Jurisprudence : CE 9/8 SSR, 23-11-1998, n° 159131

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 159131

M. MICHEL

Lecture du 23 Novembre 1998

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 9ème et 8ème sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 9ème sous-section, de la Section du Contentieux,

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 7 octobre 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Paul MICHEL, demeurant 20, Grande Rue, à Cuis (51200) ; M. MICHEL demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler l'arrêt du 7 avril 1994 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté l'appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Châlonssur-Marne du 16 juin 1992 qui n'avait fait que partiellement droit à sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1982, 1983 et 1984, et, faisant droit aux conclusions de l'appel incident du ministre du budget, l'a rétabli aux rôles de l'impôt sur le revenu sur des bases fixées, respectivement, à 3 894 F, 19 311 F et 20 666 F, pour 1982, 1983 et 1984 ; 2°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 11 000 F, au titre des frais irrépétibles ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu la loi n° 62-933 du 8 ao–t 1962 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Dulong, Conseiller d'Etat, - les observations de Me Blondel, avocat de M. MICHEL, - les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de sa comptabilité ayant porté sur les années 1982, 1983 et 1984, M. MICHEL, viticulteur à Cuis (Marne), s'est vu notifier des redressements qui ont consisté, de la part de l'administration, à rehausser les bénéfices agricoles, imposables selon le régime du bénéfice réel, qu'il avait déclarés au titre des années ci-dessus indiquées, de sommes correspondant, en premier lieu, à l'insuffisance, au regard des usages en vigueur en Champagne, des fermages stipulés dans les baux par lesquels il avait donné en location des terres à vignes lui appartenant à ses trois fils, qui exercent aussi la profession de viticulteur, en deuxième lieu, à la valeur locative des caves de stockage et des cuves de vinification qu'il avait mises aussi, mais gratuitement, à la disposition de ses fils, enfin, à une fraction des amortissements qu'il avait pratiqués sur ses installations de stockage et de vinification ; que M. MICHEL se pourvoit contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nancy, saisie de l'appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne qui n'avait que partiellement fait droit à sa demande en décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti en conséquence des redressements ci-dessus décrits, a, d'une part, admis le bien-fondé de ses conclusions portant sur celui de ces redressements qui avait trait à la mise à disposition de ses fils de cuves de vinification, mais, d'autre part, fait droit aux conclusions de l'appel incident du ministre du budget dirigé contre le même jugement, qui tendaient au rétablissement de l'imposition des excédents d'amortissement pratiqués par M. MICHEL, dont le tribunal administratif avait prononcé la décharge ; que les bases de cette dernière imposition étant supérieures à celles de l'imposition de la valeur locative des cuves de vinification, la cour administrative d'appel a remis à la charge de M. MICHEL l'imposition correspondant à l'écart entre ces deux bases et rejeté, en conséquence, sa requête ;

Considérant qu'aux termes des premier et troisième alinéas de l'article 20 de la loi n° 62-933 du 8 ao–t 1962, complémentaire à la loi d'orientation agricole : "L'entraide est réalisée entre agriculteurs par des échanges de services en travail et en moyens d'exploitation... L'entraide est un contrat gratuit, même lorsque le bénéficiaire rembourse au prestataire tout ou partie des frais engagés par ce dernier" ; qu'en vertu de ces dispositions, le contrat d'aide peut avoir pour objet de mettre à la disposition d'un agriculteur des moyens d'exploitation ayant la nature de biens immobiliers ; que, par suite, en jugeant que la renonciation par M. MICHEL à une partie des fermages que la location d'une partie de ses terres à vignes aurait pu lui procurer, ainsi qu'à tout loyer en contrepartie de la mise à la disposition de ses fils d'une partie de ses caves de stockage n'entrait pas dans les prévisions des dispositions législatives précitées, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;

Considérant qu'aux termes de l'article 31 de l'annexe II au code général des impôts, relatif à l'amortissement des biens donnés en location : "Si la location est consentie... par une personne physique, le montant de l'amortissement ne peut excéder le montant du loyer perçu pendant l'exercice considéré, diminué du montant des autres charges afférentes au bien donné en location" ; qu'il résulte du texte même de cette disposition qu'elle n'est applicable qu'à l'amortissement de biens ayant fait l'objet d'un contrat de location ; que, par suite, en jugeant que, bien que M. MICHEL n'ait demandé, ni perçu aucun loyer en contrepartie de la mise à la disposition de ses fils d'une partie de ses caves de stockage et de ses cuves de vinification, l'administration avait pu refuser, sur le fondement de l'article 31 de l'annexe II au code général des impôts, d'admettre la déduction de la fraction des amortissements pratiqués par M. MICHEL sur ces installations, qui excédait la valeur locative estimée de leur mise à disposition, la cour administrative d'appel a commis aussi une erreur de droit ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que son arrêt doit être annulé, en tant qu'il a maintenu ou remis à la charge de M. MICHEL la partie des impositions auxquelles il a été assujetti, en conséquence des redressements ayant porté sur le loyer des terres à vignes et sur la valeur locative des caves de stockage mises à la disposition de ses fils ainsi que sur les amortissements de ses installations de stockage et de vinification ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond, dans les limites des conclusions présentées par les parties devant le Conseil d'Etat, dans l'hypothèse où celui-ci procéderait à ce règlement ; En ce qui concerne la location des terres à vignes :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : "L'administration adresse au contribuable une notification de redressements qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation..." ; que, dans la partie de la notification de redressements datée du 24 juillet 1986, par laquelle il a informé M. MICHEL de son intention de réintégrer dans ses bénéfices agricoles imposables des sommes correspondant, selon ses estimations, à l'insuffisancedes loyers stipulés dans les baux à ferme conclus avec ses trois fils, le vérificateur s'est borné, après avoir fait état de ce que, si les terres à vignes sur lesquelles portaient ces baux, avaient été louées en métayage "1/3 franc", le loyer normal eut été fixé à 2 500 kg de raisin par hectare, à indiquer à l'intéressé qu'il se proposait de retenir le chiffre de 2 000 kg de raisin par hectare, au lieu de celui de 500 kg qui figurait dans les baux, jugé trop faible par rapport aux conditions couramment pratiquées dans les transactions similaires conclues entre personnes sans lien familial, sans lui donner aucune précision sur les méthodes de calcul et sur les termes de comparaison utilisés pour procéder à ce redressement ; qu'ainsi, l'administration n'a pas respecté les dispositions précitées de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête qui ont trait au chef de litige né du rehaussement des loyers afférents à ses terres à vignes, M. MICHEL est fondé à soutenir que la procédure d'imposition a été, sur ce point, irrégulière et que c'est donc à tort que, par son jugement du 16 juin 1992, le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a rejeté, sur le même point, les conclusions de sa demande en décharge ; En ce qui concerne la mise à disposition gratuite de caves de stockage :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, d'une part, que M. MICHEL a mis une partie de ses caves de stockage à la disposition de ses trois fils en contrepartie de la fourniturede prestations de services consistant en journées de travail et, d'autre part, que la valeur des services qui lui ont été effectivement rendus par ses fils sous cette forme a été d'un montant au moins équivalent à celui du loyer qu'il aurait pu retirer de la location de ses caves, ainsi d'ailleurs, que de ses cuves de vinification ; que, par suite et même en l'absence de production d'un carnet d'entraide, M. MICHEL fait valoir à juste titre qu'il a mis ses caves de stockage à la disposition de ses fils en exécution d'un contrat d'entraide, de sorte que l'administration n'était pas en droit de qualifier cette opération d'acte anormal de gestion ; que M. MICHEL est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement, déjà cité, du 16 juin 1992, le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a rejeté les conclusions de sa demande ayant trait à ce chef de litige ; En ce qui concerne les amortissements : Considérant, ainsi qu'il vient d'être dit, que les installations de stockage et de vinification que M. MICHEL a mises à la disposition de ses fils ont fait l'objet, non d'un contrat de location, mais d'un contrat d'entraide agricole ; que, par suite, le ministre du budget n'est pas fondé à soutenir que le montant des amortissements pratiqués par M. MICHEL sur ces installations ne pouvait excéder celui du loyer "normal" qu'il aurait perçu s'il les avait données à bail ; que, dès lors, les conclusions de son appel incident, qui tendent à ce que l'imposition des sommes correspondant à l'amortissement pratiqué au-delà de cette limite par M. MICHEL soit remise à sa charge, doivent être rejetées ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner l'Etat, par application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, à payer à M. MICHEL la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nancy du 7 avril 1994 sont annulés, en tant, d'une part, qu'il rejette les conclusions de la requête de M. MICHEL portant sur les chefs de litige ayant trait aux loyers des terres à vignes données à bail à ses fils et à la mise à la disposition de ceux-ci de caves de stockage lui appartenant, d'autre part, qu'il fait droit aux conclusions de l'appel incident du ministre du budget ayant trait aux amortissements des installations de stockage et de vinification de M. MICHEL, et réforme, sur ce dernierpoint, le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne du 16 juin 1992.

Article 2 : Les conclusions du recours incident présenté par le ministre du budget devant la cour administrative d'appel de Nancy, ayant trait à l'amortissement des installations de stockage et de vinification de M. MICHEL, sont rejetées.

Article 3 : M. MICHEL est déchargé de la fraction des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti, au titre des années 1982, 1983 et 1984, en conséquence des redressements ayant porté sur les loyers des terres à vignes données à bail à ses fils, sur la mise à la disposition de ces derniers de caves de stockage lui appartenant et sur l'amortissement de ses installations de stockage et de vinification.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne du 16 juin 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 3 ci-dessus.

Article 5 : L'Etat paiera à M. MICHEL une somme de 11 000 F au titre de l'article 75-I de laloi du 10 juillet 1991.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Paul MICHEL et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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