COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'
article 945-1 du Code de procédure civile🏛, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 16 Mars 2023 sans opposition des parties devant Madame DE BRIER, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme WERNER, Greffière
DEBATS :
A l'audience publique du 16 Mars 2023, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Mai 2023, prorogé au 26 Mai 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 26 Mai 2023, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du Code de procédure civile🏛,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par M. CABRELLI, Greffier.
* * *
MOTIFS DE L'ARRÊT :
I. Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de l'association
Mme [X] fait valoir que le conseil de prud'hommes saisi du litige l'opposant à son employeur n'est pas tenu par la décision rendue en matière de sécurité sociale, de sorte que le sursis à statuer ordonné par la juridiction prud'homale ne peut justifier l'intervention volontaire de l'association à la présente instance. Elle soutient que cette intervention est d'autant moins possible que la jurisprudence tend à renforcer le principe d'ordre public de l'indépendance des rapports entre la caisse et son assuré, et entre la caisse et l'employeur. Elle ajoute qu'admettre l'intervention volontaire de l'association reviendrait à méconnaître le principe d'égalité, puisque l'assuré ne peut intervenir volontairement dans une procédure tendant à l'inopposabilité à l'employeur d'une décision de la caisse.
La caisse ne développe aucun moyen sur ce sujet.
L'association fait valoir qu'en juillet 2018 Mme [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Bernay de diverses demandes dont la reconnaissance de l'origine professionnelle de son inaptitude, et que cette juridiction a décidé de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du pôle social concernant le caractère professionnel de l'évènement du 17 novembre 2016, ce dont il résulte qu'il a l'intention de tenir compte de la décision prise en matière de sécurité sociale pour statuer. Elle en déduit, au visa des
articles 325, 328 et 330 du code de procédure civile🏛🏛🏛, que son intervention, qui tend à appuyer les prétentions de la caisse et à préserver ses propres droits dans le cadre du litige prud'homal, est recevable.
Sur ce :
En vertu des articles 325 et 330 du code de procédure civile, l'intervention volontaire accessoire, qui appuie les prétentions d'une partie, n'est recevable que si elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant et si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.
Du fait de l'indépendance des rapports caisse/salarié, caisse/employeur et employeur/salarié, et dans la mesure où l'association a reçu notification d'une décision de refus de prise en charge de l'accident litigieux, devenue définitive dans ses rapports avec la caisse, elle n'a aucun intérêt à intervenir à l'instance en reconnaissance d'un accident du travail opposant la caisse à la salariée.
En outre, du fait de l'autonomie du droit du travail par rapport au droit de la sécurité sociale, l'application du régime protecteur des victimes d'AT/MP prévu aux
articles L. 1226-6 et suivants du code du travail🏛 n'est pas liée à la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident par l'organisme de sécurité sociale. Il appartient au juge prud'homal d'apprécier par lui-même l'existence ' ou non - d'un lien de causalité entre l'inaptitude et l'accident litigieux.
Le fait que le conseil de prud'hommes de Bernay ait sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction de sécurité sociale ne saurait remettre en cause l'autonomie des droits du travail et de la sécurité sociale. Quelle que soit la décision prise par la présente juridiction, salariée et employeur conservent le droit de débattre de l'origine professionnelle de l'inaptitude, selon les règles du droit du travail, et le conseil de prud'homme conserve son appréciation souveraine.
Dès lors, la présente instance est sans intérêt pour la conservation des droits de l'employeur, qui est donc irrecevable en son intervention volontaire. Le jugement est infirmé en ce sens.
II. Sur la demande de reconnaissance d'un accident du travail
Mme [X] expose avoir eu un entretien avec le président et la vice-présidente de la structure, lors de sa reprise du travail après un arrêt maladie intervenu dans le contexte du décès de son époux. Elle soutient que lors de cet entretien, l'employeur n'a eu de cesse de multiplier les reproches et les pressions ; qu'il est résulté de cet entretien au temps et au lieu du travail une lésion, en l'espèce un choc psychologique. Elle estime que la caisse fait preuve de mauvaise foi dans l'analyse des témoignages recueillis, que le caractère anormal du comportement de l'employeur importe peu, de même que l'existence de difficultés antérieures avec son employeur, dès lors qu'elle n'avait alors pas développé de lésions. Elle ajoute que la caisse ne rapporte pas la preuve d'une cause totalement étrangère au travail.
La caisse soutient que Mme [X] ne démontre pas la réalisation d'un fait accidentel survenu le 17 novembre 2016 en soulignant que la réunion incriminée n'était pas soudaine puisqu'elle avait été organisée, qu'elle s'est déroulée normalement, sans propos humiliant ou vexatoire, et que cette démarche est inhérente au pouvoir de direction de l'employeur. Elle ajoute que Mme [X] ne rapporte pas non plus la preuve d'un lien entre le fait allégué et une altération brutale de ses facultés mentales, et qu'il semble que la lésion psychologique dont elle souffre soit apparue progressivement à la suite d'une accumulation de faits répétés qui pris séparément ne peuvent constituer des évènements datés et précis mais qui ont, de manière progressive, engendré du stress, et ont atteint leur paroxysme le 17 novembre 2016 ; qu'il semble que la notion de maladie, éventuellement à titre professionnel, soit mieux adaptée.
Sur ce,
Aux termes de l'
article L. 411-1 du code de la sécurité sociale🏛, est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.
Sur le fondement de cet article, il est admis que constitue un accident du travail tout fait précis survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail et qui est à l'origine d'une lésion corporelle, ce qui recouvre les lésions psychologiques.
En l'espèce, il est constant que Mme [Aa] a eu un entretien avec ses supérieurs hiérarchiques dans la matinée du 17 novembre 2016. Il ressort des éléments versés aux débats, notamment de l'enquête de la caisse, qu'elle s'est rendue ensuite en pleurs dans le bureau de Mme [V] (conseillère en insertion professionnelle), bureau le plus proche du sien, disant que cela s'était mal passé avec la Présidence, qu'elle était sous pression et en souffrance ; que M. [T] (président d'Iteraction) et Mme [H] (vice-présidente), environ une heure après la réunion tenue avec Mme [X], l'ont vue sortir « en émoi » ; que Mme [V] l'a conduite aux urgences de l'hôpital de [Localité 5] vers 10h30.
Le fait que la réunion ait été organisée, Mme [X] y ayant été conviée par un courriel adressé la veille, n'est pas susceptible d'exclure le caractère soudain d'un éventuel accident survenu l'occasion de ladite réunion.
Par le certificat médical initial, le médecin atteste d'un état de choc psychologique dans les suites immédiates de l'entretien incriminé. Le fait ' non contesté ' que le médecin des urgences ait d'abord établi un arrêt de travail pour maladie simple avant de rédiger cet arrêt de travail sur un formulaire AT/MP, est sans incidence sur le diagnostic posé. De même, le fait, non contesté, que Mme [X] soit revenue après son passage aux urgences sur son lieu de travail où elle a déjeuné avant d'emporter son agenda, son ordinateur et ses affaires et dossiers en cours, et d'être ramenée chez elle par Mme [V], ne peut remettre en cause le constat médical d'un choc psychologique.
Certes, d'autres éléments versés aux débats établissent une tension dans l'entreprise et des reproches formulés depuis quelques mois à l'encontre de Mme [X] à propos de son comportement dans le cadre professionnel ou de la qualité de son travail. Elle-même l'admet d'ailleurs dans son résumé des faits à destination de la caisse. Il est par ailleurs constant que son époux était décédé un mois plus tôt et qu'elle revenait tout juste d'un arrêt de travail dans de contexte. Mais la possible fragilité particulière de Mme [Aa] à cette période de sa vie au regard des circonstances personnelles et professionnelles décrites ne peut éluder que son arrêt de travail est justifié par un « choc » psychologique et a été décidé dans les suites immédiates d'un entretien professionnel, ce qui atteste d'un évènement soudain.
Il est par ailleurs indifférent que les propos tenus aient pu s'inscrire, le cas échéant, dans le simple exercice de son pouvoir de direction par l'employeur ou qu'ils aient revêtu un caractère anormal, leur teneur n'ayant aucune incidence sur l'établissement ou non d'une présomption d'imputabilité au travail et la juridiction n'ayant pas à rechercher une quelconque responsabilité de l'employeur à ce stade.
Il est établi que, de fait, Mme [X] a subi un choc au temps et au lieu du travail, qui a généré une lésion caractérisée par un état psychologique dégradé au point de conduire à un arrêt de travail.
Ce seul fait entraîne une présomption d'accident du travail,
L'employeur, qui n'apporte pas d'élément susceptible d'établir que l'état dégradé de Mme [X] aurait une cause totalement étrangère au travail, ne renverse pas la présomption.
Il convient dès lors d'infirmer le jugement et de reconnaître le caractère professionnel de l'accident survenu à la salariée le 17 novembre 2016.
III. Sur les frais du procès
La caisse et l'association, parties perdantes, sont condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel.
Par suite, la caisse est condamnée à payer à Mme [X] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'association est quant à elle condamnée à lui payer la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et se trouve déboutée de sa propre demande à ce titre.