Jurisprudence : TA Dijon, du 11-05-2023, n° 2203277

TA Dijon, du 11-05-2023, n° 2203277

A15319UA

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Abstract

► Doit être suspendue l'autorisation de fermeture différée accordée à certains bars d'une commune en raison de troubles à l'ordre public.



TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE DIJON
No 2203277
___________
UNION DES MÉTIERS ET DES INDUSTRIES
DE L'HÔTELLERIE DE CÔTE D'OR
et autres
___________
Mme Océane Viotti
Rapporteure
___________
Mme Nelly Ach
Rapporteure publique
___________
Audience du 13 avril 2023
Décision du 11 mai 2023
___________
49-04-03-01
C
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le tribunal administratif de Dijon
(1ère chambre)

Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 16 décembre 2022 et 17 mars
2023,
l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie de Côte-d'Or (UMIH 21),
la société Le Beverly, l'entreprise unipersonnelle Samunath, la société La
Jamaïque,
la société STL et la société Le Smart, représentées par Me Corneloup,
demandent au tribunal :
1°) d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2022 par lequel le préfet de la Côte-d'Or
a
suspendu les dérogations à l'horaire de fermeture prévu par l'arrêté du 23
octobre 2021
portant réglementation de la police des débits de boissons dans le département
qui avaient été
accordées aux établissements Le Smart, Le Beverly, La Belle Epoque et Aa
Ab
le 8 juillet 2022 ainsi qu'à l'établissement Rhumerie La Jamaïque le 7
septembre 2022 pour
leur permettre de rester ouverts jusqu'à 5 heures du matin tous les jours ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au
titre
des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elles soutiennent que :
- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;
- il n'a pas été précédé d'une procédure contradictoire, dès lors qu'elles
n'ont pas été
en mesure de prendre connaissance du rapport établi le 21 novembre 2022 par la
direction
départementale de la sécurité publique de la Côte-d'Or ;
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- cet arrêté est entaché d'une erreur de fait, le lien entre leur activité et
les infractions
relevées n'étant pas justifié ;
- il procède d'une erreur manifeste d'appréciation dans la mesure où
l'atteinte portée à
la liberté du commerce et de l'industrie ainsi qu'au droit à l'emploi des
personnels des
établissements concernés ne trouve aucune justification dans les nécessités de
l'ordre public,
alors en outre qu'il n'est pas démontré que les troubles constatés leur sont
imputables.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 février 2023, le préfet de la
Côte-d'Or
conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués n'est fondé.
Par une ordonnance du 20 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée
au 6 avril 2023.
Un mémoire en défense a été enregistré le 6 avril 2023 pour le préfet de la
Côte-d'Or
et, dépourvu d'éléments nouveaux, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Viotti, conseillère,
- les conclusions de Mme Ach, rapporteure publique,
- les observations de Me Corneloup, représentant les requérants et celles de
Mme
Ac et M. Ad, représentant le préfet de la Côte-d'Or.
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 23 octobre 2021, le préfet de la Côte-d'Or a réglementé, à
l'échelle
du département, les horaires d'ouverture des débits de boissons à consommer
sur place et
ainsi fixé à 2 heures du matin, chaque jour de la semaine, leur heure de
fermeture.
L'article 4 de cet arrêté prévoit néanmoins la possibilité de délivrer
individuellement à ces
établissements, de plein droit à l'occasion de certaines fêtes ou à titre
exceptionnel, des
dérogations leur permettant de rester ouverts à des heures nocturnes plus
tardives. Cette
disposition prévoit notamment l'octroi de telles dérogations exceptionnelles,
sur demande et
pour une durée maximale d'un an, aux « établissements de nuit ou assimilés qui
contribuent
par leur activité ou les animations qu'ils produisent, à l'attractivité, à
l'animation ou au
prestige de la ville ». Ont bénéficié d'une dérogation de cette nature, en
dernier lieu par
arrêtés des 8 juillet et 7 septembre 2022, les établissements dénommés Le
Smart, Le Beverly,
La Belle Epoque, Aa Ab et La Jamaïque, tous implantés dans le périmètre
ou au
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voisinage immédiat de la place de la République à Dijon. Cependant, par
l'arrêté en litige
du 6 décembre 2022, le préfet de la Côte-d'Or a suspendu ces dérogations pour
une durée de
six mois en raison du climat d'insécurité nocturne observé dans le quartier et
imputé à l'excès
de consommation d'alcool. Par la présente requête, l'Union des métiers et des
industries de
l'hôtellerie de Côte-d'Or (UMIH 21) et les sociétés propriétaires des cinq
établissements
concernés en demandent l'annulation.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2212-2 du code
général des
collectivités territoriales : « La police municipale a pour objet d'assurer le
bon ordre, la
sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : / 1°
Tout ce qui
intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et
voies
publiques ( ) / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité
publique telles que les
rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité
dans les lieux
d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de
voisinage, les
rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de
nature à
compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les
endroits où il
se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés,
réjouissances et
cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics
; ( ) ». Aux
termes de l'article L. 2215-1 de ce code : « La police municipale est assurée
par le
maire, toutefois : ( ) 3° Le représentant de l'Etat dans le département est
seul compétent
pour prendre les mesures relatives à l'ordre, à la sûreté, à la sécurité et à
la salubrité
publiques, dont le champ d'application excède le territoire d'une commune ; (
) ».
3. Aux termes de l'article 2 de l'arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 23
octobre 2021
portant réglementation de la police des débits de boissons dans le département
de
la Côte-d'Or : « Etablissements concernés / Sont soumis aux dispositions du
présent arrêté,
les débits de boissons recevant du public tels que les cafés, restaurants,
brasseries, bar,
cabarets, discothèques, bals, piano-bars, bowlings, et autres débits de
boissons à consommer
sur place, titulaires d'une licence permanente ou d'une licence restaurant ( )
». L'article 3
de cet arrêté fixe l'heure d'ouverture de ces établissements à 5 heures du
matin et l'heure de
fermeture à 2 heures du matin du lundi au dimanche inclus pour tous les débits
de boissons à
consommer sur place, à l'exception « des débits de boissons ayant pour objet
principal
l'exploitation d'une piste de danse (discothèques, dancing) pour lesquels
l'heure limite de
fermeture est fixée à 7 heures du matin. Pour ces débits de boissons, la vente
de boissons
alcooliques est interdite dans l'heure et demie précédant la fermeture ».
Selon l'article 4 de
ce même arrêté, relatif aux dérogations de plein droit et exceptionnelles, les
établissements
concernés pourront rester ouverts la nuit entière sans autorisation spéciale «
à l'occasion de la
fête de la musique du 21 juin, de la fête nationale du 14 juillet, des fêtes
de Noël et du jour de
l'an ». En outre, des « dérogations aux horaires définis à l'article 3 du
présent arrêté peuvent
être accordées aux exploitants de débits de boissons, hors discothèques et
dancings, dont la
fermeture tardive présente un intérêt particulier pour l'animation locale ou à
certains
établissements et activités si leurs responsables en font expressément la
demande. Parmi les
éléments d'appréciation de la demande, l'autorité administrative tiendra
notamment compte
de la signature et de la mise en œuvre par l'exploitant du débit de boissons
de la charte
déontologique. / Les établissements susceptibles de bénéficier de dérogations
à l'horaire de
fermeture sont : / - les établissements de nuit ou assimilés qui contribuent
par leur activité ou
les animations qu'ils produisent à l'attractivité, à l'animation et au
prestige de la ville ; / - les
débits de boissons à consommer sur place situés à proximité immédiate des
gares de Beaune,
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Montbard, et pour la gare de Dijon à une distance de 100 m calculée à partir
du point
d'intersection des axes de circulation et en suivant l'axe des voies dénommées
rue Guillaume
Tell, rue Dr Albert Rémy et avenue Foch ; / - les débits de boissons et
restaurants recevant les
transporteurs routiers à proximité des aérodromes et des autoroutes. / Ils
pourront être
autorisés à fermer à 5 heures du matin, la dérogation pouvant être limitée à
certains jours de
la semaine. Ces dérogations sont délivrées à titre nominatif. Elles présentent
un caractère
précaire et révocable et sont limitées dans le temps (durée maximale de 1 an
pour un
renouvellement et de 3 mois à titre probatoire pour une première demande). /
Elles pourront
être retirées à tout moment notamment si : / - les conditions d'exploitation
ne sont pas
conformes aux dispositions législatives et réglementaires applicables en la
matière ; / -
l'activité nocturne de l'établissement bénéficiaire constitue une gêne pour le
voisinage ou
provoque des troubles à l'ordre public ; / les spécificités d'animations ou de
spectacles ne
sont pas avérées. ( ) ».
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre
le public
et l'administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être
informées sans
délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui
les
concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1°
Restreignent l'exercice
des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de
police ; ( ) ». Aux
termes de l'article L. 211-5 de ce code : « La motivation exigée par le
présent chapitre doit
être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui
constituent le
fondement de la décision ».
5. Après avoir visé le code général des collectivités territoriales et
l'arrêté préfectoral
du 23 octobre 2021 portant réglementation de la police des débits de boissons
dans le
département de la Côte-d'Or, qui permet d'accorder, aux établissements de nuit
ou assimilés,
des dérogations exceptionnelles aux horaires d'ouverture et de fermeture qu'il
fixe, l'arrêté
attaqué rappelle que ces dérogations peuvent être retirées à tout moment,
notamment si
l'activité nocturne de l'établissement bénéficiaire constitue une gêne pour le
voisinage ou
provoque des troubles à l'ordre public. Il expose ensuite qu'une situation
d'insécurité persiste
depuis plusieurs mois aux abords de la place de la République à Dijon et que
les nombreux
faits de violences, tels que constatés dans un rapport de la direction
départementale de sécurité
publique de la Côte-d'Or du 21 novembre 2022, sont majoritairement commis à
des heures
tardives par des individus en état d'ivresse après avoir fréquenté les
établissements de débits
de boissons sur la place de la République et à ses abords. L'arrêté relève, en
conséquence,
qu'il est nécessaire de lutter contre les facteurs à l'origine de ces faits,
et, qu'à ce titre, la
vente et la consommation d'alcool dans ce secteur est de nature à provoquer ou
aggraver la
survenance de ces troubles récurrents puisqu'elles donnent lieu à des
rassemblements de
personnes ivres à l'origine de rixes, tapages nocturnes, dégradations et
violences. Le préfet de
la Côte-d'Or en conclut qu'il est nécessaire de suspendre, pour la durée
nécessaire au
rétablissement de l'ordre public, les autorisations de dérogations aux heures
d'ouverture et de
fermeture à 5 heures au lieu de 2 heures, accordées à titre précaire et
révocable aux débits de
boissons Le Smart, le Beverly, La Belle Epoque, Aa Ab et La Jamaïque,
lesquels sont
tous situés dans ce quartier. Ainsi, et alors que le préfet de la Côte-d'Or
n'était pas tenu de
détailler l'ensemble des infractions relevées dans le rapport du 21 novembre
2022, cette
motivation était suffisante pour permettre aux établissements concernés de
connaître les
raisons pour lesquelles le préfet de la Côte-d'Or a procédé à la suspension de
leurs
dérogations respectives et d'en contester utilement les motifs.
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6. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations
entre le
public et l'administration : « Exception faite des cas où il est statué sur
une demande, les
décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article
L. 211-2, ainsi
que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en
considération de
la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable
». Aux
termes de l'article L. 122-1 de ce code : « Les décisions mentionnées à
l'article L. 211-2
n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de
présenter des
observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations
orales. Cette
personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un
mandataire de son
choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes
d'audition abusives,
notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ».
7. Il ressort des pièces du dossier que par courriers du 24 novembre 2022, le
préfet de
la Côte-d'Or a informé les établissements Le Smart, le Beverly, La Belle
Epoque, Aa Ab
et La Jamaïque de son intention de suspendre temporairement la dérogation
horaire qui leur
avait été accordée, cela en raison d'un nombre important de violences commises
dans le
quartier de la place de la République, et les a invités à présenter leurs
observations dans un
délai de huit jours. Les établissements Le Smart, le Beverly, Ae Ab et
La Jamaïque ont
présenté des observations par courriers des 1er et 2 décembre 2022.
Contrairement à ce que
soutiennent les requérants, il ne résulte pas des dispositions précitées du
code des relations
entre le public et l'administration ni d'aucun principe que l'administration
aurait eu
l'obligation de leur communiquer à cette occasion le rapport établi le 21
novembre 2022 par
la direction départementale de sécurité publique de la Côte-d'Or, sur lequel
s'est fondé le
préfet pour prendre l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de la
méconnaissance du
principe du contradictoire doit être écarté.
8. En troisième lieu, si l'UMIH 21 et autres soulèvent un moyen désigné comme
tenant à « l'erreur de fait » dont serait entaché l'arrêté attaqué, ils
indiquent eux-mêmes
expressément qu'ils « n'entendent pas contester la matérialité des infractions
constatées »,
mais seulement « le lien direct fait avec leur activité ». Ainsi, et comme le
relève à juste titre
le préfet de la Côte-d'Or dans son mémoire en défense, ce moyen ne se
distingue pas, en
réalité, de celui tiré de l'erreur d'appréciation.
9. En quatrième lieu, une mesure de police n'est légale que si elle est
nécessaire au
regard de la situation de fait existant à la date à laquelle elle a été prise,
éclairée au besoin par
des éléments d'information connus ultérieurement. Toutefois, lorsqu'il ressort
d'éléments
sérieux portés à sa connaissance qu'il existe un danger à la fois grave et
imminent exigeant
une intervention urgente qui ne peut être différée, l'autorité de police ne
commet pas
d'illégalité en prenant les mesures qui paraissent nécessaires au vu des
informations dont elle
dispose à la date de sa décision. La circonstance que ces mesures se révèlent
ensuite inutiles
est sans incidence sur leur légalité mais entraîne l'obligation de les abroger
ou de les adapter.
10. Par ailleurs, lorsque l'exercice de pouvoirs de police administrative est
susceptible
d'affecter des activités de production, de distribution ou de services, la
circonstance que les
mesures envisagées aient pour objectif la protection de l'ordre ou de la
sécurité publique
n'exonère pas l'autorité compétente de l'obligation de prendre en compte
également la liberté
du commerce et de l'industrie et les règles de concurrence. Il appartient dès
lors au juge de
l'excès de pouvoir d'apprécier la légalité de ces mesures en recherchant si
elles ont été prises
en tenant compte de l'ensemble de ces objectifs et de ces règles et si elles
en ont fait, en les
combinant, une exacte application.
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11. Il ressort des pièces du dossier que le secteur de la place de la
République, à Dijon,
enregistre une délinquance anormalement élevée par rapport aux quartiers
avoisinants, qui
s'est significativement aggravée à compter de l'été 2022. Ainsi, un rapport
du chef de la
sûreté départementale daté du 21 novembre 2022, adressé au préfet de la
Côte-d'Or, recense,
depuis le 1er juillet 2022, un total de cent cinquante-huit faits de
délinquance, dont plus du
tiers sont commis entre minuit et 6 heures du matin. Ce document précise qu'un
quart d'entre
eux concerne des agressions physiques, que les rixes, en particulier, revêtent
un caractère de
plus en plus violent compliquant la mobilisation et l'intervention des forces
de l'ordre, et que
la « consommation d'alcool est un facteur récurrent dans les faits constatés,
soit par l'auteur,
soit par la victime ou les deux ». Le chef de la sûreté départementale note
encore dans ce
rapport que, si « les lieux de consommation sont multiples », puisque les «
personnes
s'alcoolisent à leur domicile puis se rendent dans les établissements de nuit,
consomment sur
la voie publique ou dans leur véhicule aux abords de la place ou dans les
établissements », « l'alcoolisation croît à mesure que la nuit avance » et, en
fin de nuit,
certains individus deviennent « des proies faciles pour les délinquants ». Le
rapport relève à
cet égard que la stagnation des clients, souvent ivres, à la sortie des
établissements de nuit et
aux abords des « fast-foods » crée des « tensions qui dégénèrent parfois en
rixe ». Outre de
nombreux faits impliquant des individus alcoolisés, certains commis dans ou à
l'entrée d'un
établissement de nuit du quartier de la République tels que Le Smart et la
Aa Ab, le
rapport cite, en particulier, la violente agression filmée de deux étudiants
par une dizaine
d'individus commise le 11 septembre 2022 vers 4 heures 30, alors que les
victimes se
restauraient sur la place de la République après être sorties de
l'établissement Le Beverly,
l'agression sexuelle d'une cliente de l'établissement La Jamaïque le 23
octobre 2022
vers 3 heures ou encore les brutalités infligées le 29 octobre 2022 aux
alentours
de 5 heures 30 à deux hommes, dont l'un sortait d'un établissement de nuit,
par
cinq individus, certains d'entre eux étant sous l'empire de l'alcool. Dans un
document
intitulé « proposition de plan d'action et de reconquête de la place de la
République » et daté
du 12 novembre 2022, le directeur départemental de la sécurité publique de la
Côte-d'Or
dresse de même la typologie, par natures d'infraction et par tranches
horaires, de la
délinquance constatée dans le quartier considéré, relevant à cet égard que si,
dans leur
majorité, les faits délictueux survenus le jour concernent la tranquillité et
la salubrité
publiques, la délinquance nocturne se caractérise par une « dominante de
violences
crapuleuses ou non », le plus souvent sous alcoolisation excessive.
12. Cette aggravation préoccupante des infractions aux abords de la place de
la République a conduit dans un premier temps le préfet de la Côte-d'Or à y
interdire
temporairement, par arrêté du 22 juillet 2022, la consommation d'alcool dès le
23 juillet 2022
et ce jusqu'au 31 décembre 2022 de 14 heures à 6 heures du matin. Puis, à
compter
d'août 2022, le dispositif policier a été considérablement renforcé, avec la
mise en place,
notamment, d'opérations régulières de contrôle en fin de semaine et la
présence systématique
d'équipes de police en dynamique ou en statique durant les nuits de jeudi,
vendredi et samedi
entre 2 heures et 6 heures afin d'assurer la sortie des établissements de
nuit, de sorte que,
selon le rapport de la direction centrale de la sécurité publique de la
Côte-d'Or
du 30 décembre 2022, l' « essentiel du potentiel opérationnel de la
circonscription a été
régulièrement positionné aux abords de la place ». Le maire de Dijon a ensuite
interdit la
vente à emporter de boissons alcoolisées en soirée et durant la nuit par
arrêté
du 2 septembre 2022, avant d'imposer, le 18 novembre 2022, la fermeture des
épiceries de
nuit et établissements assimilés entre minuit et 6 heures du matin, du fait
des plaintes
récurrentes de riverains et de l'intervention régulière des services de
police. Par ailleurs, le
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plan d'action et de reconquête de la place de la République, élaboré le 12
novembre 2022 par
la direction départementale de la sécurité publique de la Côte-d'Or,
préconise, notamment, de
revoir l'amplitude horaire de fermeture des établissements de nuit, laquelle
est « trop
importante, ce qui se traduit par une consommation excessive d'alcool », de
même que celle
des établissements de restauration rapide, qui incitent les consommateurs à
rester sur place
plutôt qu'à rentrer chez eux, devenant des cibles pour les agresseurs. Le
maire de Dijon a dès
lors, par arrêté du 6 décembre 2022, également restreint les horaires des
établissements de
restauration rapide, qui doivent, à compter du 6 décembre 2022 jusqu'au 5 mai
2023, fermer
entre 1 heure et 7 heures du matin. L'arrêté attaqué du 6 décembre 2022, qui
suspend la
dérogation horaire des établissements Le Smart, Le Beverly, La Belle Epoque,
Aa Ab et
La Jamaïque, s'inscrit dès lors dans un dispositif global visant à sécuriser
la place de la
République, mené de façon concertée entre les services de l'Etat et la commune
de Dijon.
13. S'il est vrai que, à quelques exceptions près, les faits de délinquance
ainsi recensés
par les services de la police nationale n'ont pas été spécifiquement rapportés
à une
consommation excessive d'alcool dans l'un ou l'autre des cinq établissements
visés par
l'arrêté attaqué, l'objet de ce dernier, qui a été pris sur le fondement des
dispositions précitées
du code général des collectivités territoriales et non au titre de la police
spéciale des débits de
boisson, ne vise pas à sanctionner un éventuel manquement des exploitants de
ces
établissements aux obligations découlant de leur licence, mais à réduire
l'effet attractif que
crée localement, pour les fauteurs de trouble, leur ouverture durant la
seconde partie de la nuit
et leur concentration au sein d'un même secteur géographique. Si les
requérantes font valoir, à
juste titre, que la place de la République constitue un lieu de rencontre
privilégié à Dijon et un
point central d'accès au service nocturne de transports en commun, ces seules
circonstances
ne suffisent pas, à elles seules, à expliquer la recrudescence de la
délinquance dans ce
quartier. Par leurs seules allégations, l'UMIH 21 et autres ne démontrent pas
l'absence de tout
lien entre les troubles à l'ordre public constatés et l'ouverture tardive des
établissements
concernés par l'arrêté attaqué, alors qu'il ressort au contraire de l'ensemble
des rapports de la
direction départementale de sécurité publique de la Côte-d'Or que les causes
de la
délinquance sont multiples et qu'il est nécessaire d'agir de façon simultanée
sur l'ensemble de
ces facteurs, dont fait partie l'exploitation tardive des établissements de
nuit, laquelle favorise
tant la consommation d'alcool des victimes potentielles et des agresseurs que
la stagnation de
personnes dans le périmètre de la place de la République à une heure avancée
de la nuit.
14. Compte tenu de l'ensemble des éléments dont il disposait à la date de sa
décision,
tels que retracés aux points 11 à 13 ci-dessus, lesquels font apparaître
l'existence d'un lien
entre l'attraction résultant, à l'échelle du quartier, de l'ouverture nocturne
des établissements
des sociétés requérantes et la forte proportion de troubles occasionnés par la
consommation
d'alcool, le préfet a pu valablement considérer que les nécessités de l'ordre
public étaient de
nature à justifier la mesure prise, quand bien même avait déjà été décidée
quelques mois plus
tôt, par arrêté du préfet de la Côte-d'Or du 22 juillet 2022, l'interdiction
de la consommation
de boissons alcoolisées sur la place de la République à Dijon, jusqu'au 31
décembre 2022
de 14 heures à 6 heures du matin. Les deux mesures, au demeurant, si elles
poursuivent la
même finalité, en l'occurrence réduire la fréquentation nocturne de la place
de la République
par les personnes excessivement alcoolisées et, par suite, la délinquance
provoquée par une
telle fréquentation, sont complémentaires et non concurrentes. Par ailleurs,
en se bornant à
faire valoir que la fermeture des cinq établissements concernés par l'arrêté
attaqué à 2 heures
du matin est susceptible de diriger leurs clients vers une discothèque située
Af Ag qui
conserve le bénéfice de la dérogation à l'horaire de fermeture prévu par
l'arrêté
du 23 octobre 2021, l'UMIH 21 et autres ne démontrent pas qu'il en résulterait
un risque de
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trouble à l'ordre public tel que l'efficacité de la mesure contestée s'en
trouverait sensiblement
amoindrie. L'allégation selon laquelle cette mesure, en outre, aurait pour
conséquence
d'encourager, d'une part, la consommation d'alcool dans les lieux privés, sans
limitation ni
contrôle, d'autre part, le déplacement de la clientèle vers d'autres
agglomérations, au risque
de multiplier les risques d'accidents de la route, n'est corroborée par aucun
commencement
sérieux de démonstration. Compte tenu de la persistance des troubles à l'ordre
public et de
l'insuffisante efficacité des mesures antérieurement mises en œuvre tant par
le préfet de la
Côte-d'Or que le maire de Dijon pour remédier aux violences et incivilités
constatées, qui ont
atteint un paroxysme entre septembre et novembre 2022, l'arrêté attaqué
n'apparaît pas
inadapté au but poursuivi, ni injustifié. Si les requérants soutiennent de
surcroît que la mise en
œuvre de l'arrêté en litige n'a pas significativement diminué le nombre de
rixes ou de
personnes en état d'ivresse sur la voie publique au cours des mois de janvier
et de février
2023, alors au demeurant que le rapport de la direction départementale de la
sécurité publique
de la Côte-d'Or du 16 février 2023 note une diminution des infractions sur le
secteur de la
place de la République, une dispersion plus rapide des groupes et l'absence de
faits graves tels
qu'ils ont pu se produire au second semestre de l'année 2022, une telle
circonstance est, ainsi
qu'il a été dit au point 9, sans incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué
mais serait
seulement susceptible, le cas échéant, d'entraîner l'obligation de l'abroger
ou de l'adapter.
15. Enfin, l'arrêté en litige n'abroge pas la dérogation à l'horaire
départemental de
fermeture fixé par l'arrêté préfectoral du 23 octobre 2021 dont jouissaient
ces cinq
établissements, mais se borne à la suspendre pour une durée de six mois, afin
de remédier
dans l'immédiat aux troubles constatés, le préfet de la Côte-d'Or s'étant
engagé à réévaluer la
situation au terme de cette période. Ainsi, une telle mesure, justifiée par la
nécessité de
prévenir les troubles graves à l'ordre public exposés au point 11, ne porte
pas une atteinte
disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie des cinq
établissements concernés,
ni au droit à l'emploi des étudiants recrutés par ces établissements pour y
travailler durant la
nuit.
16. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'UMIH 21 et autres ne
sont pas
fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2022.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
font
obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente
instance, verse
quelque somme que ce soit aux requérantes au titre des frais exposés et non
compris dans les
dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de l'UMIH 21 et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à l'Union des métiers et des
industries de
l'hôtellerie de la Côte-d'Or, désignée représentante unique en application de
l'article R. 411-5
du code de justice administrative🏛
et au préfet de la Côte-d'Or.
N
o
2203277 9

Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, à laquelle siégeaient :
M. Olivier Rousset, président,
Mme Marie-Eve Laurent, première conseillère,
Mme Océane Viotti, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 mai 2023.
La rapporteure,
O. Viotti
Le président,
O. Rousset
La greffière,
C. Ah
La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le
concerne et à tous
commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit
commun contre les
parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,

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