Jurisprudence : Cass. civ. 1, 29-03-2023, n° 22-11.039, F-D, Rejet

Cass. civ. 1, 29-03-2023, n° 22-11.039, F-D, Rejet

A02729MZ

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Cass. civ. 1, 29-03-2023, n° 22-11.039, F-D, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/94761860-cass-civ-1-29032023-n-2211039-fd-rejet
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Abstract

► Aux termes de l'article 1386-4, alinéas 1er et 2, devenu 1245-3, alinéas 1er et 2, du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et dans l'appréciation de celle-ci, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ; abstraction faite de la modification ultérieure de la notice de l'Amiadarone, la mention " problèmes respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) " est insuffisante et le médicament n'offre ainsi pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre et est dès lors défectueux.


CIV. 1

MY1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 29 mars 2023


Rejet


Mme DUVAL-ARNOULD, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 218 F-D

Pourvoi n° D 22-11.039


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 29 MARS 2023


La société Biogaran, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° D 22-11.039 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [D] [B], domicilié [… …], pris tant en son nom propre qu'en qualité d'ayant droit de [N] [B] et d'[O] [A], décédés,

2°/ à Mme [Aa] [B], domiciliée [Adresse 4], représentée par son frère M. [D] [B] selon mandat du 12 Août 2015,

3°/ à M. [F] [B], domicilié [… …],

4°/ à Mme [S] [B], domiciliée [Adresse 7],

5°/ à M. [Ab] [Ac], domicilié … […], [Adresse 6],

6°/ à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), établissement public à caractère administratif, dont le siège est [Adresse 10],

7°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de Bayonne, dont le siège est [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

M. [Ac] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

M. [D] [B] tant en son nom personnel, qu'ès qualités, M. [F] [B] et Ad [Aa] et [S] [B] ont formé un pourvoi incident éventuel.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation.

Les demandeurs aux pourvois incident et incident éventuel invoquent chacun, à l'appui de leur recours, un moyen unique de cassation.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bacache-Gibeili, conseiller, les observations de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société Biogaran, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de M. [D] [B], tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayants droit, de M. [F] [B] et de Ad [Aa] et [S] [B], de la SCP Richard, avocat de M. [Ac], de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, après débats en l'audience publique du 14 février 2023 où étaient présents Mme Duval-Arnould, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bacache-Gibeili, conseiller rapporteur, M. Jessel, conseiller, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.



Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 novembre 2021), [N] [B] a été traité du 12 mars 2009 au 12 août 2009, en raison d'une fibrillation auriculaire, avec de l'Amiadarone, principe actif de la Cordarone, utilisé dans la prévention et la correction des troubles du rythme cardiaque, prescrit par M. [Ac], cardiologue (le cardiologue) et commercialisé par la société Biogaran.

2. Il a, ensuite, consulté un pneumologue, en raison d'une hypoxie sévère et d'une pneumopathie interstitielle diffuse et été hospitalisé pour une dyspnée et ce traitement a été arrêté. Le 26 juin 2010, après une dégradation de son état de santé et l'apparition d'une fibrose pulmonaire, il est décédé.

3. Après avoir obtenu une expertise médicale et appelé en intervention forcée l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l'ONIAM), M. [D] [B], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'ayant droit de [N] [B] et d'[O] [B], Ad [Aa] et [S] [B] et M. [F] [B] (les consorts [B]) ont sollicité la condamnation solidaire de la société Biogaran, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, et du cardiologue, au titre de fautes dans la prise en charge de [N] [B], au paiement de différentes sommes en réparation des préjudices consécutifs à son décès.


Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses sixième et septième branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

5. La société Biogaran fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité et de la condamner à payer différentes indemnités aux consorts [Ae], alors :

« 5°/ que le producteur d'un médicament n'a pas l'obligation de reproduire à l'identique dans la notice le contenu du résumé des caractéristiques du produit, mais doit rédiger cette notice de manière claire et compréhensible pour le patient, afin de lui permettre d'agir de manière appropriée en cas d'effets indésirables ; qu'en conséquence, dès lors que la notice fait apparaitre des informations suffisamment précises en ce qui concerne tant les manifestations dont il convient de surveiller l'apparition que la marche à suivre en cas de survenue de ces symptômes, le médicament offre la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, peu important que les termes médicaux permettant de qualifier les symptômes en cause n'aient pas été utilisés ; qu'en l'espèce, ainsi que la cour d'appel l'a elle-même constaté, « à la date de consommation de la Cordarone par [N] [B], la notice mentionnait notamment au titre des effets indésirables l'existence de « troubles respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) ». Cette notice, mise à jour le 4 novembre 2003, précisait également qu' « en cas d'apparition d'un essoufflement inhabituel, d'une toux, d'une fatigue ou d'une fièvre, prolongées ou inexpliquées, d'une diarrhée, d'un amaigrissement ou en cas de réapparition d'un rythme du coeur trop rapide, prévenez votre médecin traitant » » ; qu'en retenant cependant, pour décider que « l'information fournie dans la notice du médicament était insuffisante et ne satisfaisait pas à l'exigence de sécurité des produits de santé », qu'il n'y était pas fait mention du risque de survenue d'une pneumopathie pouvant évoluer en fibrose pulmonaire mais, seulement de « troubles respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) », cependant que ces éléments, qui traduisaient en langage courant le risque de manifestations pulmonaires comme la fibrose pulmonaire, associés à la mise en garde expresse faite au patient en cas d'apparition « d'un essoufflement inhabituel, d'une toux, d'une fatigue ou d'une fièvre, prolongées ou inexpliquées », suffisaient à l'informer des risques encouruset à lui permettre d'agir de manière appropriée en cas d'effets indésirables, la cour d'appel a violé les articles R. 5121-148 et R. 5121-149 du code de la santé publique🏛🏛, ensemble l'article 1386-4, devenu 1245-3, du code civil🏛 ;

6°/ que le juge ne saurait se déterminer, pour caractériser le défaut d'un produit de santé, au regard de l'ajout, postérieurement à la prescription de celui-ci au patient, de précisions sur les risques et effets indésirables dans la notice ; qu'en énonçant, pour retenir l'existence d'un défaut de l'Amiodarone Biogaran, que « postérieurement à 2009, la notice d'utilisation du médicament a évolué dans l'information donnée aux patients » et notamment que « lors de la mise à jour de 2015, les problèmes respiratoires sont notés comme pouvant être graves », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, a violé l'article 1386-4, devenu 1245-3, du code civil. »


Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 1386-4, alinéas 1er et 2, devenu 1245-3, alinéas 1er et 2, du code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et dans l'appréciation de celle-ci, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

7. La cour d'appel a relevé que, si le résumé des caractéristiques du produit (RCP) et le Vidal, à destination des professionnels de santé, concernant l'Amiadarone, mentionnaient au chapitre des effets indésirables et au titre des manifestations pulmonaires des cas de pneumopathies interstitielles et alvéolaires diffuses et de broncholite oblitérante organisée pouvant évoluer en fibrose pulmonaire, la notice du médicament n'en faisait pas état mais mentionnait seulement des « problèmes respiratoires (essoufflement, fièvre, toux). »

8. Abstraction faite du motif surabondant tenant à la modification ultérieure de la notice de l'Amiadarone, elle a pu en déduire, que cette information était insuffisante et que ce médicament n'offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s'attendre et était dès lors défectueux.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.


Et sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première, deuxième, troisième, quatrième et septième branches

Enoncé du moyen

10. La société Biogaran fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que la responsabilité du fait d'un produit de santé suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'administration du produit ; que l'imputabilité exclusive des dommages à un produit de santé ne peut être établie lorsque le patient a successivement été traité, dans les mois ayant précédé son décès du fait d'une fibrose pulmonaire, par deux produits présentant exactement les mêmes risques d'apparition et de développement de la maladie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'après avoir été traité par Amiodarone Biogaran 200mg jusqu'au 12 août 2009, date à laquelle a été diagnostiquée une fibrose pulmonaire, [N] [B] « s'est vu administrer de la Flécaïne 100 LP à compter de son hospitalisation à la clinique [9], en août 2009 » et qu'à la date du 11 septembre 2009 « la prescription a (…) été renouvelée » pour de la Flécaïne LP 200 ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que « l'imputabilité du décès à la prise de Cordarone est établie » et que la Flécaïne n'avait pu avoir « une quelconque influence sur (ce) décès », qu'il « n'est donc pas établi (…) que [N] [B] ait suivi un traitement de Flécaïne sur plusieurs mois », sans rechercher si le traitement par Flécaïne suivi pendant au moins deux mois après l'apparition de la fibrose pulmonaire n'avait pas pu avoir une incidence sur l'état de santé de [N] [B] et sur son décès, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1386-9, devenu 1245-8, du code civil🏛 ;

2°/ que la responsabilité du fait d'un produit de santé suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'administration du produit ; que l'imputabilité exclusive des dommages à un produit de santé ne peut être établie lorsque le patient a successivement été traité, dans les mois ayant précédé son décès du fait d'une fibrose pulmonaire, par deux produits présentant exactement les mêmes risques d'apparition et de développement de la maladie ; qu'en énonçant en l'espèce, pour retenir que la Flécaïne n'avait pu avoir « une quelconque influence sur (le) décès » de [N] [B], la courd'appel a énoncé que « le fait que l'état de santé de [N] [B] se soit amélioré au cours de son hospitalisation entre le 21 août et le 11 septembre 2009, avant de se dégrader à nouveau par la suite malgré l'arrêt de la Cordarone ne saurait être interprété comme la preuve de l'imputabilité du décès à la seule Flécaïne » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à exclure que le décès de [N] [B] ait été au moins en partie imputable au traitement par Flécaïne qui lui a été administré à compter du mois d'août 2009, à la suite de l'arrêt de l'Amiodarone Biogaran, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de de l'article 1386-9, devenu 1245-8, du code civil ;

3°/ que la responsabilité du fait d'un produit de santé suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'administration du produit ; que l'imputabilité exclusive des dommages à un produit de santé ne peut être établie lorsque le patient a successivement été traité, dans les mois ayant précédé son décès du fait d'une fibrose pulmonaire, par deux produits présentant exactement les mêmes risques d'apparition et de développement de la maladie ; qu'en l'espèce, la société Biogaran faisait expressément valoir que, nonobstant l'absence de pièces médicales disponibles entre septembre 2009 et janvier 2010, la pathologie cardiaque dont [N] [B] souffrait « nécessitait impérativement une prise en charge du fait du risque mortel d'AVC » et qu'en conséquence, le traitement du patient par Flécaïne ne pouvait qu'avoir été maintenu ou « remplacé par un autre traitement à visée identique, eu égard à la gravité du risque encouru » ; qu'en se bornant à énoncer, après avoir constaté que [N] [B] « s'est vu administrer de la Flécaïne 100 LP à compter de son hospitalisation à la clinique [9], en août 2009 » et qu'à la date du 11 septembre 2009 « la prescription a (…) été renouvelée » pour de la Flécaïne LP 200, qu' « il ne résulte d'aucune pièce que [N] [B] ait continué à prendre de la Flécaïne », sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par la société exposante, si la pathologie cardiaque dont souffrait [N] [B] n'excluait pas l'arrêt de tout traitement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1386-9, devenu 1245-8, du code civil ;

4°/ que la responsabilité du fait d'un produit de santé suppose que la preuve de l'imputabilité des dommages allégués à l'administration du produit soit rapportée par le demandeur ; qu'en l'espèce, il appartenait aux consorts [B] de rapporter la preuve de l'imputabilité du décès de [N] [B] à la prise de l'Amiodarone Biogaran, ce qui supposait d'établir, pour démontrer une imputabilité exclusive, que ce dernier n'avait pas été traité, entre l'arrêt de ce médicament et son décès, par un autre produit présentant les mêmesrisques en termes d'apparition et de développement d'une fibrosepulmonaire ; qu'en retenant cependant, après avoir constaté que [N] [B] « s'est vu administrer de la Flécaïne 100 LP à compter de son hospitalisation à la clinique [9], en août 2009 » et qu'à la date du 11 septembre 2009 « la prescription a (…) été renouvelée » pour de la Flécaïne LP 200, qu' « il ne résulte d'aucune pièce que [N] [B] ait continué à prendre de la Flécaïne », cependant qu'il appartenait au contraire aux consorts [B] de rapporter la preuve de l'arrêt de ce traitement, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1353 du Code civil🏛, ensemble l'article 1386-9, devenu 1245-8, du même code ;

7°/ subsidiairement que l'implication du produit dans la réalisation du dommage et son défaut, tenant à une information potentiellement insuffisante pour lui conférer la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, ne suffisent pas à établir le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ; que cette condition doit impérativement être également prouvée, au moyen de présomptions graves, précises et concordantes ; qu'en l'espèce, la société Biogaran faisait valoir qu'aucun lien de causalité ne pouvait être établi entre le décès de [N] [B] et un éventuel défaut d'information dans la notice de l'Amiodarone Biogaran, dès lors qu'il n'existait pour ce patient aucune alternative thérapeutique lui permettant d'échapper au risque de fibrose pulmonaire ; qu'en se bornant à énoncer en l'espèce, pour affirmer péremptoirement, par motifs adoptés des premiers juges, que « le rapport de causalité entre le dommage (fibrose pulmonaire et décès de [N] [B]) et le défaut du produit est établi, ce défaut étant responsable de l'ensemble du dommage », que le produit litigieux était impliqué dans le dommage et présentait un caractère défectueux en raison de l'insuffisance de l'information fournie au patient dans la notice du médicament, sans rechercher, ainsi qu'elle y était pourtant expressément invitée par les conclusions d'appel de la société exposante, si l'absence de toute alternative thérapeutique permettant au patient d'échapper au risque de fibrose pulmonaire n'excluait pas tout lien de causalité entre les dommages subis et l'éventuelle insuffisance d'information de la notice caractérisant le défaut du produit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1386-9, devenu 1245-8, du code civil ».


Réponse de la Cour

11. Aux termes de l'article 1386-9, devenu 1245-8 du code civil, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

12. Il en résulte que lorsque ces preuves sont apportées, une réparation intégrale du dommage corporel subi est alors due au demandeur.

13. La cour d'appel a retenu, par motifs adoptés et propres, que l'expert avait estimé que la fibrose était en lien direct et certain avec la prise de Cordarone et précisé que les conséquences de l'arrêt de la Cordarone n'avait pas fait disparaître la fibrose pulmonaire qui était installée et avait progressé et abouti au décès, que, s'il avait été prescrit de la Flécaïne à [N] [B] lors de son hospitalisation qui avait été renouvelé à sa sortie, il n'était pas prouvé qu'il avait ensuite continué à prendre ce médicament, que le fait que son état de santé se soit amélioré au cours de son hospitalisation avant de se dégrader à nouveau malgré l'arrêt de la Cordarone ne saurait être interprété comme la preuve de l'imputabilité du décès à la Flecaïne et qu'il n'était établi ni que le patient avait suivi ce traitement sur plusieurs mois, ni que ce médicament ait pu avoir une quelconque influence sur son décès.

14. Ayant ainsi procédé à la recherche prétendument omise invoquée par la première branche, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à la recherche invoquée par la septième branche, la cour d'appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que le décès de [N] [B] était imputable à la prise de Cordarone et condamner la société Biogaran à réparer intégralement le dommage subi par les consorts [Ae].

15. Le moyen n'est donc pas fondé.


Sur le moyen du pourvoi incident, pris en ses cinq premières branches

Enoncé du moyen

16. M. [Ac] fait grief à l'arrêt de dire qu'il a manqué à son devoir d'information, de le condamner à payer à Monsieur [D] [B], en sa qualité d'ayant droit de [N] [B], la somme de 1 000 euros en réparation du préjudice d'impréparation, de dire que cette faute est à l'origine d'une perte de chance de survie de 50 %, de le condamner in solidum avec la société Biogaran au paiement de différentes sommes aux consorts [B] en réparation des autres préjudices et de dire qu'il devra supporter la moitié des sommes allouées à ceux-ci, alors :

« 1°/ que la responsabilité du médecin du fait d'un manquement à son obligation d'information suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'acte médical sur lequel l'information devait porter ; que l'imputabilité exclusive des dommages à une prescription médicale ne peut être établie, lorsque le patient a successivement été traité, dans les mois ayant précédé son décès du fait d'une fibrose pulmonaire, par deux produits présentant exactement les mêmes risques d'apparition et de développement de la maladie ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'après avoir été traité, sur prescription du cardiologue, par Amiodarone Biogaran 200mg jusqu'au 12 août 2009, date à laquelle a été diagnostiquée une fibrose pulmonaire, [N] [B] « s'est vu administrer de la Flécaïne 100 LP à compter de son hospitalisation à la clinique [9], en août 2009 » et qu'à la date du 11 septembre 2009 « la prescription a (…) été renouvelée » pour de la Flécaïne LP 200 ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que « l'imputabilité du décès à la prise de Cordarone est établie » et que la Flécaïne n'avait pu avoir « une quelconque influence sur (ce) décès », qu'il « n'est donc pas établi (…) que [N] [B] ait suivi un traitement de Flécaïne sur plusieurs mois », sans rechercher si le traitement par Flécaïne suivi pendant au moins deux mois après l'apparition de la fibrose pulmonaire n'avait pas pu avoir une incidence sur l'état de santé de [N] [B] et sur son décès, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique🏛 ;

2°/ que la responsabilité du médecin du fait d'un manquement à son obligation d'information suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'acte médical sur lequel l'information devait porter ; que l'imputabilité exclusive des dommages à une prescription médicale ne peut être établie, lorsque le patient a successivement été traité, dans les mois ayant précédé son décès du fait d'une fibrose pulmonaire, par deux produits présentant exactement les mêmes risques d'apparition et de développement de la maladie ; que, pour retenir que la Flécaïne n'avait pu avoir « une quelconque influence sur (le) décès » de [N] [B], la Cour d'appel a énoncé que « le fait que l'état de santé de [N] [B] se soit amélioré au cours de son hospitalisation entre le 21 août et le 11 septembre 2009, avant de se dégrader à nouveau par la suite malgré l'arrêt de la Cordarone ne saurait être interprété comme la preuve de l'imputabilité du décès à la seule Flécaïne » ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à exclure que le décès de [N] [B] ait été au moins en partie imputable au traitement par Flécaïne qui lui a été administré à compter du mois d'août 2009, à la suite de l'arrêt de l'Amiodarone Biogaran, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique ;

3°/ que la responsabilité du médecin du fait d'un manquement à son obligation d'information suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'acte médical sur lequel l'information devait porter ; que l'imputabilité exclusive des dommages à une prescription médicale ne peut être établie, lorsque le patient a successivement été traité, dans les mois ayant précédé son décès du fait d'une fibrose pulmonaire, par deux produits présentant exactement les mêmes risques d'apparition et de développement de la maladie ; qu'en l'espèce, le cardiologue faisait valoir qu'à la date du décès, [N] [B], qui ne le consultait plus,avait cessé de prendre l'Amiodarone Biogaran qu'il lui avait prescrite et s'était vu prescrire à la place de la Flécaïne ; qu'en se bornant à énoncer, après avoir constaté que [N] [B] « s'est vu administrer de la Flécaïne 100 LP à compter de son hospitalisation à la clinique [9], en août 2009 » et qu'à la date du 11 septembre 2009 « la prescription a (…) été renouvelée » pour de la Flécaïne LP 200, qu' « il ne résulte d'aucune pièce que [N] [B] ait continué à prendre de la Flécaïne », sans rechercher si la pathologie cardiaque dont souffrait [N] [B] n'excluait pas l'arrêt de tout traitement, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique ;

4°/ que la responsabilité du médecin du fait d'un manquement à son obligation d'information suppose que la preuve soit rapportée de l'imputabilité des dommages allégués à l'acte médical sur lequel l'information devait porter ; qu'en l'espèce, il appartenait aux consorts [B] de rapporter la preuve de l'imputabilité du décès de [N] [B] à la prise de l'Amiodarone Biogaran, prescrite par le cardiologue, ce qui supposait d'établir, pour démontrer une imputabilité exclusive, que ce dernier n'avait pas été traité, entre l'arrêt de ce médicament et son décès, par un autre produit présentant les mêmes risques en termes d'apparition et de développement d'une fibrose pulmonaire ; qu'en retenant cependant, après avoir constaté que [N] [B] « s'est vu administrer de la Flécaïne 100 LP à compterde son hospitalisation à la clinique [9], en août 2009 » et qu'à la date du 11 septembre 2009 « la prescription a (…) été renouvelée » pour de la Flécaïne LP 200, qu' « il ne résulte d'aucune pièce que [N] [B] ait continué à prendre de la Flécaïne », cependant qu'il appartenait au contraire aux consorts [B] de rapporter la preuve de l'arrêt de ce traitement, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1353 du Code civil, l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique ;

5°/ que le patient est suffisamment informé des effets indésirables du produit prescrit, lorsque la notice de celui-ci est rédigée de manière claire et compréhensible, afin de permettre au patient d'agir de manière appropriée en cas d'effets indésirables ; qu'en conséquence, dès lors que la notice fait apparaitre des informations suffisamment précises en ce qui concerne tant les manifestations dont il convient de surveiller l'apparition que la marche à suivre en cas de survenue de ces symptômes, le patient est suffisamment informé, peu important que les termes médicaux permettant de qualifier les symptômes en cause n'aient pas été utilisés, des sorte qu'aucun manquement à son obligation d'information ne peut être reproché au médecin ; qu'en l'espèce, ainsi que la Cour d'appel l'a elle-même constaté, « à la date de consommation de la Cordarone par[N] [B], la notice mentionnait notamment au titre des effets indésirables l'existence de « troubles respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) ». Cette notice, mise à jour le 4 novembre 2003, précisait également qu'« en cas d'apparition d'un essoufflement inhabituel, d'une toux, d'une fatigue ou d'une fièvre, prolongées ou inexpliquées, d'une diarrhée, d'un amaigrissement ou en cas de réapparition d'un rythme du cœur trop rapide, prévenez votre médecin traitant » » ; qu'en retenant cependant, pour décider que « l'information fournie dans la notice du médicament était insuffisante », qu'il n'y était pas fait mention du risque de survenue d'une pneumopathie pouvant évoluer en fibrose pulmonaire mais, seulement de « troubles respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) », cependant que ces éléments, qui traduisaient en langage courant le risque de manifestations pulmonaires comme la fibrose pulmonaire, associés à la mise en garde expresse faite au patient en cas d'apparition « d'un essoufflement inhabituel, d'une toux, d'une fatigue ou d'une fièvre, prolongées ou inexpliquées », suffisaient à l'informer des risques encourus et à lui permettre d'agir de manière appropriée en cas d'effets indésirables, la cour d'appel a violé l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique. »


Réponse de la Cour

17. Le rejet du pourvoi principal rend sans portée ce moyen contestant aussi le lien causal entre l'Amiadarone et le décès ainsi que le défaut de ce produit découlant de l'insuffisance d'information figurant dans la notice.


Et sur le pourvoi provoqué

Enoncé du moyen

18. Les consorts [Ae] font grief à l'arrêt de dire que la faute de M. [Ac] est seulement à l'origine d'une perte de chance de survie de 50 % de [N] [B], de limiter en conséquence sa condamnation à les indemniser et de rejeter le surplus de leurs conclusions indemnitaires, alors :

« 1°/ que dans leurs conclusions d'appel, les consorts [Ae] ont nouvellement soutenu, par rapport à leurs conclusions de première instance qui invoquaient une faute du praticien dans l'indication de l'Amiodarone, que le cardiologue avait commis une faute en ne cessant pas la prescription de l'Amiodarone à partir du moment où le traitement avait rétabli un rythme cardiaque normal, conformément aux bonnes pratiquesmédicales ; qu'en affirmant que « les moyens développés par les consorts [Ae] ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont les premiers juges ont connu et auxquels ils ont répondu par des motifs exacts que la cour adopte sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation », bien que ces conclusions développaient un nouveau moyen tiré de la faute du praticien qui n'a pas interrompu le traitement sous Amiodarone devenu inutile, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel des consorts [B] en violation de l'article 4 du code de procédure civile🏛 ;

2°/ que dans leurs conclusions d'appel, les consorts [Ae] soutenaient que le cardiologue avait commis une faute en ne cessant pas la prescription de l'Amiodarone, à partir du moment où le traitement avait rétabli un rythme cardiaque normal chez [N] [B], ajoutant que la bonne pratique médicale, selon les recommandations du Vidal et de la Haute autorité de santé, aurait consisté à interrompre ce traitement qui n'était dès lors plus indiqué, l'Amiodarone ne devant en principe pas être prescrit en traitement préventif ; qu'en se bornant à affirmer par motifs adoptés des premiers juges, qu'en l'absence de tout manquement prouvé quant à la mise en place du traitement par Cordarone/Amiodarone, la responsabilité du docteur [Ac] ne peut être engagée, la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ce moyen, a violé l'article 455 du code de procédure civile🏛 ».


Réponse de la Cour,

19. Sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine par les juges du fond des éléments de fait et de preuve qui leur étaient soumis et notamment du rapport d'expertise desquels ils ont pu déduire que le cardiologue n'avait pas commis de faute en recourant à l'Amiodarone.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Biogaran et M. [Ac] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes.

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille vingt-trois.

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