Jurisprudence : CE 5/6 ch.-r., 01-03-2023, n° 446826, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 5/6 ch.-r., 01-03-2023, n° 446826, mentionné aux tables du recueil Lebon

A23279GB

Référence

CE 5/6 ch.-r., 01-03-2023, n° 446826, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/93648251-ce-56-chr-01032023-n-446826-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
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Abstract

01-07-02-035 1) S’il appartient, en principe, à l’administration de publier au préalable les instructions et circulaires dont elle entend se prévaloir à l’égard de ses administrés, la seule circonstance qu’elle fonde sa décision sur des motifs repris ou identiques à ceux de lignes directrices qui n’auraient pas fait l’objet d’une publication n’entache pas d’illégalité cette décision....2) Ministre de la défense ayant émis un avis défavorable à un permis de construire des éoliennes du fait de la proximité d’un radar de défense, en reprenant notamment, pour apprécier les perturbations pouvant être générées par les éoliennes projetées sur le fonctionnement de ce radar, des critères d’appréciation, issus d’une étude technique réalisée par ses soins en novembre 2009, qu’il applique depuis 2010 pour définir les zones de protection et de coordination des radars de défense et dont un exposé était joint en annexe 2 de cet avis. ...Le ministre de la défense avait pu se fonder sur des éléments d’appréciation comportant notamment les critères litigieux d’appréciation des perturbations générées par les éoliennes sur le fonctionnement des équipements militaires, alors même que ces derniers n’auraient pas fait l’objet d’une publication préalable, dès lors que ceux-ci étaient repris de manière explicite dans l’avis défavorable et dans ses annexes.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 446826

Séance du 06 février 2023

Lecture du 01 mars 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 5ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

La société Eoliennes des Cosmos a demandé au tribunal administratif de Lille, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites de rejet nées du silence gardé par la préfète du Pas-de-Calais sur ses huit demandes de délivrance de permis de construire huit éoliennes sur le territoire des communes de Boffles, Buire-au-Bois et Rougefay, et d'autre part, d'annuler la décision en date du 25 janvier 2016 par laquelle la préfète du Pas-de-Calais lui a refusé l'autorisation d'exploiter ces huit éoliennes sur les mêmes communes. Par deux jugements distincts n° 1507961 et n° 1603442 du 10 décembre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Par un arrêt n° 19DA00328, 19DA00329 du 15 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Eolienne des Cosmos contre ces deux jugements.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 novembre 2020, 24 février 2021 et 19 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Eolienne des Cosmos demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code de l'environnement ;

- le code des transports ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté du 25 juillet 1990 des ministres de la défense, de l'intérieur, de l'équipement, et des départements et territoires d'outre-mer, et du ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation ;

- l'arrêté du 26 août 2011 de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Nicolas Agnoux, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Eoliennes des Cosmos ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Eoliennes des Cosmos a, d'une part, déposé huit demandes de permis de construire, portant sur huit éoliennes situées sur le territoire des communes de Boffles, Buire-au-Bois et Rougefay et, d'autre part, sollicité une autorisation d'exploiter les mêmes éoliennes. Des décisions implicites de refus de permis de construire sont nées du silence gardé par la préfète du Pas-de-Calais sur ces demandes. Par ailleurs, par un arrêté du 25 janvier 2016, la préfète du Pas-de-Calais a opposé un refus d'autorisation d'exploiter à la société Eolienne des Cosmos. Par un arrêt en date du 15 septembre 2020, contre lequel la société Eoliennes des Cosmos se pourvoit en cassation, la cour d'administrative d'appel de Douai a rejeté son appel formé contre les deux jugements du tribunal administratif de Lille du 10 décembre 2018 rejetant ses demandes d'annulation de ces décisions.

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article R. 425-9 du code de l'urbanisme🏛, dans sa rédaction en vigueur : " Lorsque le projet porte sur une construction susceptible, en raison de son emplacement et de sa hauteur, de constituer un obstacle à la navigation aérienne, le permis de construire ou le permis d'aménager tient lieu de l'autorisation prévue par l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile🏛 dès lors que la décision a fait l'objet d'un accord du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. " Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile, dont certaines des dispositions ont été abrogées pour être reprises en substance à l'article L. 6352-1 du code des transports🏛 : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. / Des arrêtés ministériels déterminent les installations soumises à autorisation ainsi que la liste des pièces qui doivent être annexées à la demande d'autorisation () ". L'article 1er de l'arrêté du 25 juillet 1990🏛 relatif aux installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation dispose que : " Les installations dont l'établissement à l'extérieur des zones grevées de servitudes aéronautiques de dégagement est soumis à autorisation du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre chargé des armées comprennent : / a) En dehors des agglomérations, les installations dont la hauteur en un point quelconque est supérieure à 50 mètres au-dessus du niveau du sol () ". Il résulte de ces dispositions que l'autorité administrative compétente pour délivrer le permis de construire doit, lorsque la construction envisagée en dehors d'une agglomération peut constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison d'une hauteur supérieure à 50 mètres, saisir de la demande le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense afin de recueillir leur accord, de sorte que le permis tienne lieu de l'autorisation prévue aux articles L. 6352-1 du code des transports et R. 244-1 du code de l'aviation civile et, qu'à défaut d'accord de l'un de ses ministres, l'autorité compétente est tenue de refuser le permis de construire.

3. D'autre part, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 511-1 du code de l'environnement🏛, dans sa rédaction en vigueur : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personnes physiques ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". En application des articles L. 511-2 et L. 553-1 du même code, dans leur rédaction en vigueur, les installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent dont la hauteur des mâts dépasse 50 mètres sont soumises à autorisation. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté ministériel du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement : " L'installation est implantée de façon à ne pas perturber de manière significative le fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés dans le cadre des missions de sécurité de la navigation aérienne et de sécurité météorologique des personnes et des biens. / En outre, les perturbations générées par l'installation ne gênent pas de manière significative le fonctionnement des équipements militaires. / () 4-3. Afin de satisfaire au deuxième alinéa du présent article, l'exploitant implante les aérogénérateurs selon une configuration qui fait l'objet d'un accord écrit de l'autorité militaire compétente concernant le projet d'implantation de l'installation ".

4. La société requérante soutient que les critères d'appréciation des perturbations générées par les éoliennes sur le fonctionnement des équipements militaires appliqués par le ministre de la défense depuis 2010 sont constitutifs de lignes directrices, de sorte qu'ils ne pouvaient lui être opposés faute d'avoir été publiés. Toutefois, s'il appartient, en principe, à l'administration de publier au préalable les instructions et circulaires dont elle entend se prévaloir à l'égard de ses administrés, la seule circonstance qu'elle fonde sa décision sur des motifs repris ou identiques à ceux de lignes directrices qui n'auraient pas fait l'objet d'une publication n'entache pas d'illégalité cette décision.

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le ministre de la défense a, le 30 janvier 2015, émis un avis défavorable aux permis de construire huit éoliennes sur le territoire des communes de Boffles, Buire-au-Bois et Rougefay sollicités par la société Eoliennes des Cosmos, du fait de la proximité du radar de défense de Doullens, en reprenant notamment, pour apprécier les perturbations pouvant être générées par les éoliennes projetées sur le fonctionnement de ce radar, des critères d'appréciation, issus d'une étude technique réalisée par ses soins en novembre 2009, qu'il applique depuis 2010 pour définir les zones de protection et de coordination des radars de défense et dont un exposé était joint en annexe 2 de cet avis. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la cour a pu estimer, sans erreur de droit, que le ministre de la défense avait pu se fonder sur des éléments d'appréciation comportant notamment les critères litigieux d'appréciation des perturbations générées par les éoliennes sur le fonctionnement des équipements militaires, alors même que ces derniers n'auraient pas fait l'objet d'une publication préalable, dès lors que ceux-ci étaient repris de manière explicite dans l'avis du 30 janvier 2015 et dans ses annexes.

6. En second lieu, d'une part, aux termes du 1er alinéa de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme🏛, dans sa rédaction applicable : " Le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé que si les travaux projetés sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'utilisation des sols, à l'implantation, la destination, la nature, l'architecture, les dimensions, l'assainissement des constructions et à l'aménagement de leurs abords et s'ils ne sont pas incompatibles avec une déclaration d'utilité publique ".

7. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement🏛 : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité () ". Il résulte de cette disposition qu'il appartient au juge administratif, dans le cadre de son office de plein contentieux, de prononcer une annulation partielle de la décision de refus d'exploiter un parc éolien qui lui est déférée, lorsqu'il est saisi de conclusions en ce sens et qu'il constate que l'illégalité n'affecte qu'une partie divisible de celle-ci.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et il est constant que le ministre de la défense a relevé, dans son avis du 30 janvier 2015, après avoir examiné l'insertion du parc dans son environnement, qu'il se situe en tant que tel dans un secteur qui doit rester libre de toute implantation, compte tenu des autres parcs déjà autorisés ou construits. Il ressort ainsi des termes de cet avis que le ministre de la défense s'est opposé à toute réalisation d'un parc éolien dans le secteur considéré. Et il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que c'est à bon droit que la cour a écarté les moyens tirés de l'illégalité de cet avis du ministre de la défense. Il s'ensuit que, ayant relevé, par une appréciation souveraine, que les décisions de la préfète présentaient un caractère indivisible, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit en estimant que, compte tenu de cet avis défavorable du ministre de la défense portant sur l'ensemble des éoliennes pour lesquelles les décisions de refus avaient été opposées, le préfet était en situation de compétence liée pour rejeter les demandes de la société Eolienne des Cosmos.

9. Il en résulte que la société Eolienne des Cosmos n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant que celui-ci a refusé de faire droit à ses conclusions tendant, à titre subsidiaire, à l'annulation partielle des décisions implicites de rejet des demandes de permis de construire, en tant qu'elles concernent les éoliennes E5 à E8, et de l'arrêté du 25 janvier 2016, en tant qu'il a refusé de délivrer l'autorisation d'exploiter les mêmes éoliennes

10. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi de la société Eolienne des Cosmos doit être rejeté, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de la société Eolienne des Cosmos est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Eolienne des Cosmos, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la société Freka NV.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 février 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat, et Mme Juliette Mongin, maître des requêtes en services extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 1er mars 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

La rapporteure :

Signé : Mme Juliette Mongin

La secrétaire :

Signé : Mme Marie-Adeline Allain

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