Jurisprudence : TA Paris, du 18-02-2023, n° 2303403


Références

Tribunal Administratif de Paris

N° 2303403


lecture du 18 février 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 février 2023, Mme B A et M. D G C, agissant au nom de leur fille mineure Mme F C, représentés par Me Djemaoun, demandent au juge des référés :

1°) d'enjoindre au directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛, de respecter les conditions matérielles d'accueil dont bénéficie Mme F C et de lui attribuer ainsi qu'à ses parents un hébergement et l'allocation pour demandeur d'asile sans délai, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

2°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent :

- que la condition d'urgence propre à l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie, dès lors qu'ils vivent dans la rue avec leur fille âgée de sept mois faute pour l'Office français de l'immigration et de l'intégration de leur avoir proposé un hébergement alors qu'ils y ont droit au titre des conditions matérielles d'accueil de leur fille, qu'ils n'ont pas l'allocation pour demandeur d'asile, qu'ils se rendent chaque soir à l'Hôtel de Ville où l'association " Utopia 56 " reçoit les personnes sans solution de logement et leurs appels au 115 sont restés vains, alors que les températures extrêmement froides compromettent chaque jour l'intégrité physique de l'enfant ;

- que l'absence de proposition d'hébergement de la part de l'Office français de l'immigration et de l'intégration porte une atteinte manifestement grave et illégale à l'intérêt supérieur de l'enfant en méconnaissance notamment des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, des exigences qui découlent du droit d'asile dès lors que le bénéfice des conditions matérielles d'accueil a été accordé à Mme F C, des principes de la dignité humaine en raison des risques de traitements inhumains et dégradants auxquels l'enfant et ses parents sont exposés en dormant dans la rue, en violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi qu'à leur droit à une vie privée et familiale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2023, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir :

- que la condition d'urgence n'est pas remplie, dès lors qu'il ne ressort d'aucun élément que la famille aurait adressé un signalement à l'office, que les requérants, qui ont pu bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence, n'apportent aucun justificatif sur leurs conditions de subsistance depuis leur entrée en France, et en raison de la saturation du dispositif national d'accueil ;

- que le défaut d'attribution d'un hébergement ne porte pas, en l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Fouassier pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique, qui s'est tenue le 18 février 2023, en présence de Mme Szymanski, greffière d'audience :

- le rapport de M. Fouassier,

- et les observations de Me Djemaoun, représentant Mme A et M. C.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. " et aux termes de l'article L. 522-1 du même code🏛 : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique () ". Enfin aux termes du premier alinéa de l'article R. 522-1 dudit code : " La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit () justifier de l'urgence de l'affaire ".

2. L'article 2 de la directive 2013/33/UE précise que les conditions matérielles d'accueil comprennent le logement, la nourriture et l'habillement, fournis en nature ou sous forme d'allocation financière ou de bons, ou en combinant ces trois formules, ainsi qu'une allocation journalière. Aux termes de l'article 17 de cette directive : " 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils présentent leur demande de protection internationale. / 2. Les États membres font en sorte que les mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil assurent aux demandeurs un niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale. / Les États membres font en sorte que ce niveau de vie soit garanti dans le cas de personnes vulnérables, conformément à l'article 21 () " et aux termes de l'article 18 de cette même directive : " () 9. Pour les conditions matérielles d'accueil, les États membres peuvent, à titre exceptionnel et dans des cas dûment justifiés, fixer des modalités différentes de celles qui sont prévues dans le présent article, pendant une période raisonnable, aussi courte que possible, lorsque : / () b) les capacités de logement normalement disponibles sont temporairement épuisées () ".

3. Aux termes de l'article L. 551-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, comprennent les prestations et l'allocation prévues aux chapitres II et III. ". Aux termes de l'article L 552-1 du même code🏛 : " Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : / 1° Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile définis à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles🏛 ; / 2° Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil de demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code🏛 ". Enfin, aux termes de l'article L. 552-8 de ce code : " L'Office français de l'immigration et de l'intégration propose au demandeur d'asile un lieu d'hébergement. / Cette proposition tient compte des besoins, de la situation personnelle et familiale de chaque demandeur au regard de l'évaluation des besoins et de la vulnérabilité prévue au chapitre II du titre II, ainsi que des capacités d'hébergement disponibles et de la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région ".

4. Si la privation du bénéfice des mesures prévues par la loi afin de garantir aux demandeurs d'asile des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur leur demande, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile, le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en adressant une injonction à l'administration que dans le cas où, d'une part, le comportement de celle-ci fait apparaître une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et où, d'autre part, il résulte de ce comportement des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale. Dans cette hypothèse, les mesures qu'il peut ordonner doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration et des diligences qu'elle a déjà accomplies.

5. Il résulte de l'instruction que Mme A et M. C ont déposé une demande d'asile au nom de leur fille née le 3 juillet 2022, qui a été enregistrée en procédure normale le 17 janvier 2023, et que si l'Office français de l'immigration et de l'intégration leur a proposé de bénéficier des conditions matérielles d'accueil le 17 janvier 2023, ils ne se sont vus accorder ni le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile, ni celui d'un hébergement. Il résulte également de l'instruction que les requérants ne disposent actuellement d'aucune ressource ni d'aucun hébergement, et ont ponctuellement recours à des associations pour se nourrir ou se loger de manière précaire, contactant par ailleurs le " 115 ", auprès duquel ils n'ont toutefois pu obtenir une mise à l'abri que pour quelques nuits. Si l'Office français de l'immigration et de l'intégration fait valoir en défense qu'il est confronté à une saturation du dispositif national d'accueil et présente un tableau dont il ressort que quarante-sept familles composées de deux adultes et un enfant sont en attente d'un hébergement, l'absence de proposition de logement pour une famille avec un enfant de sept mois depuis le mois de janvier ne peut être regardée comme une carence d'une durée raisonnable. Par ailleurs, l'office n'apporte aucun élément de nature à justifier l'absence d'octroi de l'allocation pour demandeur d'asile qu'il ne conteste pas ne pas verser aux requérants, et ne peut sérieusement opposer l'absence de " signalement " des requérants de leur situation. En outre, si l'office fait valoir en défense que la famille peut bénéficier d'une prise en charge par le " 115 ", qui au demeurant, comme il vient d'être dit, n'est pas effective, il est constant que l'enfant ne dispose pas encore d'un hébergement pérenne alors qu'il a droit en sa qualité de demandeur d'asile à être hébergé durant toute la période nécessaire à l'instruction de sa demande d'asile. Le recours au dispositif d'urgence du " 115 " ne saurait en effet dispenser l'office d'assurer le respect de ses obligations en matière d'hébergement pérenne des demandeurs d'asile particulièrement lorsqu'il s'agit d'enfant en bas âge. Dans ces conditions, l'absence d'octroi de l'allocation pour demandeur d'asile et de proposition d'hébergement à cette famille revêt le caractère d'une carence constitutive d'une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale, en particulier au droit d'asile. Par ailleurs, compte tenu de l'absence d'hébergement et de ressources et du très jeune âge de la fille des requérants, ainsi que du grand froid susceptible de sévir actuellement, la condition relative à l'urgence doit être regardée comme remplie. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au directeur de l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'accorder l'allocation pour demandeur d'asile résultant de la demande d'asile de Mme F C en délivrant à ses parents la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 afin qu'ils puissent percevoir au nom de leur fille cette allocation, et d'attribuer un hébergement pour demandeurs d'asile aux requérants et à leur fille dans le délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés à l'instance :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration une somme de 800 euros au bénéfice de Mme A et M. C, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E

Article 1er : Il est enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration d'accorder l'allocation pour demandeur d'asile résultant de la demande d'asile de Mme F C en délivrant à Mme B A et M. D G C la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile afin qu'ils puissent percevoir au nom de leur fille cette allocation, et d'attribuer un hébergement à ce même titre à Mme B A, M. D G C et Mme F C, dans le délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 2 : L'Office français de l'immigration et de l'intégration versera aux requérants la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B A et M. D G C, en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure Mme F C, et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.

Fait à Paris le 18 février 2023.

Le juge des référés,

C. Fouassier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2/9

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus