Jurisprudence : CE 4/6 SSR, 29-12-2000, n° 197739

CONSEIL D'ÉTAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera publiée au recueil LEBON

N°s 197739, 202564, 202565

M.TREYSSAC

M. Struillou, Rapporteur

M.Schwartz, Commissaire du Gouvernement

Séance du 8 décembre 2000

Lecture du 29 décembre 2000

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'État statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 197739, la requête sommaire et le mémoire complémentaire. enregistrés le 3 juillet 1998 et le 3 novembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État. présentés pour M. Jean-François TREYSSAC, demeurant 15, avenue Kléber à Paris (75116) M. TREYSSAC demande que le Conseil d'État :

1°) annule la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande du 26 décembre 1997 tendant à la réparation des préjudices consécutifs aux mesures prises à son égard ;

2°) condamne l'État à lui payer l'indemnité de 5 035 289 F, avec intérêts de droit;

Vu 2°), sous le n° 202564, la requête enregistrée le 11 décembre 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour M. Jean-François TREYSSAC : M. TREYSSAC demande que le Conseil d'État annule le décret du 16 avril 1993 par lequel le Président de la République l'a placé en position hors cadre ;

Vu 3°), sous le n° 202565, la requête enregistrée le 11 décembre 199 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentée pour M. Jean-François TREYSSAC ; M. TREYSSAC demande que le Conseil d'État annule le décret du 28 octobre 1993 par lequel le Président de la République a mis fin à ses fonctions de sous-préfet hors cadre ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la loi du 22 avril 1905 ;

Vu la loi n° 79-187 du 11 juillet 1979 ;

Vu l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu le décret n° 64-260 du 14 mars 1964 portant statut des sous-préfets ;

Vu le décret n° 65-29 du 11 janvier 1965 modifié par le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M. Stmillou, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Vier, Barthélemy, avocat de M. TREYSSAC,

- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. TREYSSAC, conseiller de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, détaché en qualité de sous-préfet et en poste à la sous-préfecture d'Antony depuis le 1er septembre 1986, a été placé en position hors cadre par un décret du 16 avril 1993 ; que par un décret du 28 octobre 1993 il a été mis fin à ses fonctions de sous-préfet, l'intéressé étant appelé à être réintégré dans son corps d'origine ; que par les requêtes susvisées M. TREYSSAC demande, d'une part, l'annulation des deux décrets des 16 avril et 28 octobre 1993 et, d'autre part, la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi ; que ces requêtes sont relatives à la situation du même fonctionnaire, qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;

Sur les requêtes n° 202564 et n° 20256 dirigées contre les décrets des 16 avril et 28 octobre 1993 :

Considérant qu'aux termes des dispositions ajoutées à l'article 1er du décret du 11 janvier 1965 susvisé par le décret du 28 novembre 1983 : « Les délais de recours ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision » ; qu'il ressort des pièces du dossier que les décrets attaqués n'ont pas été notifiés à M. TREYSSAC qui ne s'est ainsi pas vu préciser les voies et délais de recours ; que, par suite, les délais de recours contentieux n'ont pas commencé à courir à son encontre alors même que les décrets attaqués ont été publiés au Journal officiel et qu'il en a eu connaissance ; que, dès lors, le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que les requêtes de M. TREYSSAC tendant à l'annulation de ces décrets sont tardives ;

En ce qui concerne la légalité du décret du 16 avril 1993 :

Sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article 15 du décret du 14 mars 1964 susvisé, les sous-préfets peuvent être placés hors cadre ; que toutefois il ressort des pièces versées au dossier que le gouvernement s'est notamment fondé pour nommer M. TREYSSAC sous-préfet hors cadre sur les conclusions du rapport établi par l'inspection générale de l'administration à la suite de l'enquête menée par cette dernière au sein des services de la sous-préfecture d'Antony et déclenchée par l'ouverture d'une information judiciaire mettant en cause un des fonctionnaires du service des étrangers de la sous-préfecture ; que ce rapport faisait état de la « forte implication » de M. TREYSSAC dans la délivrance irrégulière de titres de séjour, de son « comportement inqualifiable » et des « graves actions déshonorantes » qu'il aurait inspirées ; que le gouvernement doit ainsi être regardé comme ayant entendu sanctionner ces comportements ; qu'il suit de là qu'alors même qu'elle pouvait être légalement justifiée par des raisons tirées de l'intérêt du service la décision plaçant l'intéressé en position hors cadre présentait en l'espèce un caractère disciplinaire et, par suite, était au nombre des décisions qui doivent être motivées par application de l'article 3 de la loi du 11 juillet 1979 ; qu'ainsi M. TREYSSAC est fondé à soutenir que le décret attaqué, qui n'est pas motivé, doit être annulé ;

En ce qui concerne la légalité du décret du 28 octobre 1993 :

Sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de la requête ;

Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que par le décret du 28 octobre 1993 mettant fin aux fonctions de sous-préfet hors cadre de M. TREYSSAC, le gouvernement a entendu sanctionner les fautes reprochées à l'intéressé par le rapport susmentionné de l'inspection générale de l'administration ; que le bien-fondé des graves accusations portées à l'encontre de M. TREYSSAC n'est pas établi par les pièces du dossier ; que d'ailleurs l'intéressé, mis en examen le 29 mars 1993 a été mis hors de cause le 12 juillet 1993 par une ordonnance de non-lieu ; qu'il ne ressort pas de l'instruction que l'autorité compétente aurait pris la même décision si elle n'avait retenu que l'autre motif qu'elle a invoqué, relatif au bon fonctionnement du service ; qu'ainsi le requérant est fondé à soutenir que le décret attaqué, motivé principalement par des faits dont l'exactitude n'est pas établie, est entaché d'illégalité et, par suite, à demander son annulation ;

Sur la requête n° 197739 dirigée contre la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté la demande d'indemnité de M. TREYSSAC :

En ce qui concerne les fautes commises par l'administration:

Considérant que le principe de la présomption d'innocence, qui ne saurait faire obstacle à ce que l'autorité hiérarchique, investie du pouvoir disciplinaire, conduise les investigations nécessaires à l'exercice de ce pouvoir, n'a pas davantage été méconnu par la transmission au parquet de Bobigny du rapport de l'inspection générale de l'administration, intervenue sur le fondement des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale ; qu'ainsi M. TREYSSAC ne peut utilement soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée à ce titre ;

Considérant qu'il est constant que l'administration a fait droit à la demande de M. TREYSSAC relative à la prise en charge des frais qu'il a exposés à l'occasion des diverses procédures judiciaires qui ont été ouvertes en 1993 ; que si le requérant soutient que l'Etat, en mettant un terme à ses fonctions de sous-préfet, aurait méconnu son devoir de protection, les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, par rapport auxquelles le requérant se saurait utilement invoquer les dispositions d'une circulaire du 14 mai 1993, n'ont ni pour objet, ni pour effet d'imposer à l'administration de maintenir ou de réintégrer dans leurs fonctions les agents bénéficiant de la protection prévue par ces mêmes dispositions ; que ces dernières n'imposaient pas non plus à l'administration de prendre l'initiative d'engager des poursuites à l'encontre des personnes ayant tenu des propos diffamatoires publics ; que, par suite, aucun droit à indemnité ne saurait être invoqué à raison de ce que l'Etat aurait commis une faute en n'assurant pas la protection à laquelle le requérant pouvait prétendre ;

Considérant, en revanche, qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les décisions en- date des 16 avril et 28 octobre 1993 sont illégales ; que M. TREYSSAC est, par suite, en droit de prétendre au versement d'une indemnité en réparation des préjudices qui lui ont été causés par ces décisions fautives ; que cette indemnité doit être calculée compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire et notamment, d'une part, des faits susceptibles d'être reprochés au requérant et, s'agissant du décret du 16 avril 1993, des nécessités tirées du bon fonctionnement du service, d'autre part, de la réalité du préjudice subi, tant matériel que moral ;

Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les griefs initialement relevés à l'encontre de M. TREYSSAC et mettant en cause son implication directe dans la délivrance irrégulière de titres de séjour ne peuvent être regardés comme établis par les pièces du dossier ; que, toutefois, le gouvernement aurait pu légalement prendre la décision de placer l'intéressé en position hors cadre en se fondant exclusivement sur les nécessités imposées par le bon fonctionnement du service ;

Considérant que la position hors cadre constituant une position d'activité, la nomination en position de sous-préfet hors cadre a été par elle-même sans effet sur les droits à l'avancement et à pension du requérant ;

Considérant que compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire et, notamment, d'une part, de l'atteinte d'une particulière gravité portée à la réputation de M. TREYSSAC par la révélation des conclusions, dont le bien-fondé s'est pas établi, du rapport de l'inspection générale de l'administration, d'autre part, des troubles portés dans ses conditions d'existence par la décision illégale qui a mis fin à son détachement dans le corps des sous-préfets il sera fait une exacte appréciation de l'indemnité à laquelle ce dernier peut prétendre, en condamnant l'Etat à lui payer une somme de 300 000 F, tous intérêts compris au jour de la présente décision ;

D E C I D E :

Article 1er : Le décret en date du 16 avril 1993 nommant M. TREYSSAC sous-préfet hors cadre et le décret en date du 28 octobre 1993 mettant fin à ses fonctions de sous-préfet hors cadre et le réintégrant dans son corps d'origine sont annulés.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. TREYSSAC une indemnité de 300 000 F.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n°197739 est rejeté.

Article 4 ; La présente décision sera notifiée à M, Jean-François TREYSSAC et au ministre de l'intérieur.

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