Jurisprudence : CA Paris, 6, 12, 02-12-2022, n° 19/10080, Infirmation


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12


ARRÊT DU 02 Décembre 2022


(n° , 9 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/10080 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAXSY


Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Septembre 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 18/00257



APPELANTE

URSSAF ILE DE FRANCE

Division des recours amiables et judiciaires

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Mme [W] [R] en vertu d'un pouvoir général


INTIMEE

SARL [4] anciennement dénomée SARL [6]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Jean-Charles MARQUENET, avocat au barreau de PARIS, toque : G0801



COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2022, en audience publique et en double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Pascal PEDRON, Président de chambre et M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargés du rapport.


Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Pascal PEDRON, Président de chambre

M. Raoul CARBONARO, Président de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller


Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats


ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.

-signé par M. Pascal PEDRON, Président de chambre et par Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


La cour statue sur l'appel interjeté par l'Urssaf Île de France (l'Urssaf ) d'un jugement rendu le 03 septembre 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à la S.A.R.L. [6], devenue SARL [4] (la société)



FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES


Au motif que la S.A.R.L. [6], qui exerce une activité de portage salarial, avait réglé avec retard et /ou n'avait pas réglé l'intégralité des cotisations déclarées au titre de certaines périodes, l'Urssaf a procédé à une inscription de privilège ; la société a le 11 janvier 2018 saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en contestation d'une telle inscription « dépourvue de toute base légale » ainsi que « l'ensemble des cotisations réclamées par l'Urssaf pour un montant total de 427 327,73 euros ». Parallèlement, l'Urssaf a émis dans le cadre de ce litige 11 mises en demeure puis 06 contraintes ; la société a successivement et régulièrement fait opposition à celles-ci (qui visaient au total 09 mises en demeure) et a également porté devant le tribunal sa contestation des 02 autres mises en demeure après vaines saisines de la commission de recours amiable (la CRA).



Par jugement du 3 septembre 2019, le tribunal, après avoir ordonné la jonction de tous les recours, s'est déclaré incompétent matériellement pour statuer sur la contestation de l'inscription du privilège et a :

- annulé la mise en demeure du 30 juin 2017 pour 254 572 euros ;

- annulé la mise en demeure du 16 janvier 2018 pour 208 225 euros ;

- annulé la mise en demeure du 24 avril 2018 pour 105 032 euros ;

- annulé la contrainte du 23 avril 2018 pour 32 361 euros ;

- annulé la contrainte du 7 mai 2018 pour 164 euros ;

- annulé la contrainte du 11 mai 2018 pour 53 792 euros ;

- annulé la contrainte du 15 octobre 2018 pour 39 681 euros ;

- annulé la contrainte du 26 novembre 2018 pour 32 768 euros ;

- infirmé les décisions de la commission de recours amiable afférentes en date des 23 mars 2018 et 25 mars 2019 ;

- débouté l'Urssaf de l'intégralité de ses prétentions, y compris celle relative au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- condamné l'Urssaf à verser à la société la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;

-condamné l'Urssaf aux dépens de l'instance comprenant notamment les frais de signification des contraintes.


Le tribunal a estimé que les mentions figurant sur les contraintes et les mises en demeure étaient laconiques et ne renseignaient pas la société sur la cause de l'origine de ses dettes. Au fond, il a répondu sans y être contraint que, compte tenu des spécificités du portage salarial, le fait générateur des cotisations était le versement effectif et intégral des rémunérations (avant le 1er janvier 2018) ou la période de travail (depuis le 1er janvier 2018) et non pas les avances faites aux salariés.



L'Urssaf a le 08 octobre 2019 interjeté appel de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 septembre 2019


Par ses conclusions écrites « d'appelant n°2 » déposées par son représentant qui les a oralement développées à l'audience, l'Urssaf demande à la cour de :

-déclarer son appel recevable et bien fondé;

-infirmer le jugement déféré en ce qu'il annule:

- La mise en demeure du 30 juin 2017

- La mise en demeure du 16 janvier 2018

- La mise en demeure du 24 avril 2018

- La contrainte du 23 avril 2018

- La contrainte du 7 mai 2018

- La contrainte du 11 mai 2018

- La contrainte du 15 octobre 2018

- La contrainte du 26 novembre 2018

-infirmer le jugement déféré en ce qu'il infirme les décisions de la CRA des 23 mars 2018 et 25 mars 2019 ;

Statuant à nouveau:

-déclarer régulières les mises en demeures et par conséquent valider les contraintes subséquentes,

-confirmer les décisions de la CRA des 23 mars 2018 et 25 mars 2019,

-prendre acte qu'elle renonce au bénéfice de la mise en demeure du 13/03/2018 et de la contrainte subséquente.

-sur le fond, dire que c'est à bon droit qu'elle a estimé que les cotisations étaient dues dès le paiement de la rémunération au salarié porté.

-condamner la société au paiement de 1.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

L'Urssaf fait valoir pour l'essentiel que :

-la date de première audience fixée par le greffe dans la convocation en date du 8 février 2021 étant celle du 21 avril 2022, et l'Urssaf ayant adressé ses conclusions à la société le 2 septembre 2022, aucune péremption d'instance ne saurait être retenue.

-par « cause» des sommes réclamées, on entend l'origine de la dette (par exemple insuffisance de versement, absence de versement, rejet du titre de paiement par la banque ... ) et concernant plus particulièrement la mention « absence de versement», la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 2016 a estimé que la mise en demeure était suffisamment motivée par la mention « insuffisance de versement» dès lors que l'employeur pouvait connaître la cause de son obligation. (Cass. 2ème civ., 10 mars 2016, no 15-12.506, confirmé parCass. civ 2eme, 11 juillet 2019, n°18-15.426) ;

-dans un arrêt rendu le 12 mai 2021 , la Cour de Cassation a estimé que la simple mention de « régime général» sur la mise en demeure était conforme aux exigences légales ;

-les mises en demeure, qui peuvent concerner à la fois les cotisations, les majorations et pénalités de retard, permettent en l'espèce au cotisant de connaître 1'« étendue de son obligation» c'est-à-dire les montants et les périodes pour lesquelles les cotisations n'ont pas été acquittées.

-les mises en demeure et contraintes notifiées à la société sont donc régulières au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation.

-il résulte des dispositions combinées des articles L242-1 et R243-6 du code de la sécurité sociale🏛🏛, que jusqu'au 31/12/2017 le fait générateur des cotisations était constitué par le versement ou paiement des rémunérations; la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 a fixé un nouveau principe pour le fait générateur des cotisations et contributions finançant le régime général: les cotisations sont désormais dues pour les périodes au titre desquelles les revenus d'activité sont attribués, à savoir la période d'emploi à laquelle les rémunérations se rattachent.

-la société qui est immatriculée depuis 2015, en tant qu'entreprise de portage salarial, lui a transmis , par le biais de DSN, le montant des cotisations dont elle était redevable.

-il résulte de la définition même du portage salarial qu'un contrat commercial est passé entre l'entreprise de portage et l'entreprise cliente, mais que c'est un contrat de travail qui est conclu entre l'entreprise de portage et le salarié porté ; dès lors, c'est bien en sa· qualité d'employeur que l'entreprise de portage salarial doit s'acquitter du paiement des cotisations et contributions sociales. Il en résulte que, le paiement différé de la facture qui intervient dans le cadre de la relation commerciale entreprise de portage/entreprise cliente, n'a aucune incidence dans le paiement du salaire du salarié porté.

-en tout état de cause concernant les périodes postérieures au 01er janvier 2018, la nouvelle référence à la notion de « période de travail» est venue clore le débat car depuis cette date, la prestation est nécessairement antérieure à la rémunération.


Par ses conclusions écrites déposées par son conseil qui les a oralement développées à l'audience, la société [4], anciennement dénommée [6], demande à la cour de :

-à titre principal et in limine litis, au visa les articles 386 et 390 du code de procédure civile🏛🏛, constater la péremption d'instance et son dessaisissement suite à l'appel interjeté le 7 octobre 2019 par l'Urssaf.

-très subsidiairement, sur le fond, confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, à l'exception de l'incompétence matérielle sur la contestation de l'inscription de privilège.

-ordonner la radiation des inscriptions de privilège prises par l'Urssaf, les frais d'inscription et de radiation devant rester à la charge de l'organisme par application de l'article R 243-56 du code de la sécurité sociale🏛.

-débouter l'Urssaf de toutes ses demandes.

-prendre acte que l'Urssaf renonce au bénéfice de la mise en demeure du 13 mars 2018 et de la contrainte subséquente du 7 mai 2018.

-en tout état de cause, condamner l'Urssaf au paiement d'une somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

-condamner l'organisme aux dépens de première instance et d'appel.

La société fait valoir en substance que :

-En cause d'appel, seul l'article 386 du code de procédure civile🏛 s'applique depuis le 1er janvier 2019. La Cour de cassation a récemment jugé que, «à défaut d'un texte spécial subordonnant l'application de l'article 386 du code de procédure civile🏛 à une injonction particulière du juge, la péremption est constatée lorsque les parties n'ont accompli aucune diligence dans un délai de deux ans, quand bien même le juge n'en aurait pas mis à leur charge» ( Chambre Civile 2e, 25 mars 2021, n°19-21401⚖️ et 12 mai 2021, n°20-10527⚖️). Lors de l'audience du 21 avril 2022, la péremption d'instance était donc déjà acquise, étant précisé que l'intégralité de la procédure d'appel est dans ce dossier postérieure au 01er janvier 2019.

-Sur la forme, la Cour de cassation a constamment considéré que la seule indication d'une «absence ou insuffisance de versement» ne permet pas au débiteur de connaître exactement la cause de son obligation (25 janvier 2001, n°99-13.406⚖️ et 6 février 2003, n°0l-20.003 ; Civ. 2e 30 juin 2011, n°10-20416⚖️), indication que comportent les mises en demeure de l'espèce.

-trois contraintes lui ont été délivrées pour la même période de décembre 2017 ; leur envoi en l'espace de quelques jours, portant sur la même période ne permet pas au cotisant d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation.

-elle n'a jamais été destinataire de la mise en demeure du 6 février 2018.

-de plus, la mise en demeure du 20 février 2018 pour les majorations de retard complémentaires ne comporte pas l'indication de la nature et du montant des cotisations auxquelles elle se rapporte, contrairement à ce qu'a jugé la Cour de cassation (Chambre Civile 2e, 4 avril 2018, n017-15.093, publié).

-le jugement annulant les mises en demeure et contraintes sera donc confirmé.

-Sur le fond, le tribunal a légitimement retenu que « Compte tenu des spécificités du portage salarial, le fait générateur des cotisations était le versement effectif et intégral des rémunérations (avant le 1er janvier 2018) ou la période de travail (depuis le 1er janvier 2018) et non pas les avances faites aux salariés».

-elle ne conteste pas devoir des cotisations à l'Urssaf en fonction des activités des salariés portés mais conteste la date d'exigibilité, étant rappelé que, dans tous les cas, elle a réglé toutes les parts ouvrières des cotisations.

-les dettes sociales ne sont pas en l'espèce immédiatement exigibles lors du versement des avances sur rémunération effectuées aux consultants portés, mais ne le deviennent qu'au moment du paiement effectif de la facture.,

-la date d'exigibilité des cotisations avait pour fait générateur, jusqu'au 31 décembre 2017, le versement des rémunérations ; depuis le 1er janvier 2018, le fait générateur du paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale est défini par référence à la notion de « période de travail » ; le versement des cotisations est dorénavant effectué le mois suivant la période de travail au titre de laquelle les rémunérations sont dues, ce qui conforte son analyse .

-les rémunérations versées aux salariés portés sont conditionnées par le paiement de la facture par la société cliente au terme d'un processus dont les conditions échappent largement à la société de portage salarial ; le rôle de la société de portage, qui «embauche» le salarié porté, est de « transformer» un chiffre d'affaire en salaire et d'effectuer les démarches administratives liées à l'activité.

-la seule preuve de la réalité du travail effectué par le salarié porté, compte tenu de l'absence de contrôle effectif par la société de portage, est le paiement de la facture par l'entreprise cliente, lequel intervient généralement entre 45 et 60 jours après émission de la facture ; cependant, elle a décidé, à la fois pour des raisons commerciales et sociales, de verser une rémunération mensuelle à ses salariés portés, avant même que la prestation ne soit définitivement réalisée et que l'entreprise cliente ne paie la facture émise dans un délai de 45 à 60 jours suivant la réalisation de la prestation.

-l'Urssaf considère que la relation entre l'entreprise de portage salarial et l'entreprise cliente n'interfère aucunement sur le règlement du salaire au salarié porté ; or ce raisonnement dénature le principe même du portage lequel repose sur une relation triangulaire qui ne saurait être scindée ; dans ce processus, ce n'est que lorsque l'entreprise cliente a payé l'entreprise de portage salarial que cette dernière reverse une rémunération effective au salarié porté.

-il ressort des dispositions légales et conventionnelles que le versement du salaire au salarié porté ainsi que le paiement des cotisations aux organismes en charge du recouvrement des contributions sociales et fiscales sont conditionnés par l'encaissement des sommes que l'entreprise de portage reçoit de l'entreprise cliente du travailleur porté.

-les cotisations sont nécessairement prélevées sur le chiffre d'affaires encaissé par le salarié porté et les sommes versées au salarié porté antérieurement à l'encaissement des factures ne peuvent constituer qu'une avance et non une rémunération génératrice de charges sociales au titre de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale🏛.

-l'Urssaf ne saurait donc apprécier la situation de la même manière que dans le cadre d'un travail subordonné classique, le régime du portage salarial étant dérogatoire au droit commun.

-la cour devra également prononcer la radiation des inscriptions de privilège prise par l'Urssaf, lequel privilège est régi par les articles L 243-4, L243-5 et R 243-6 à R 243-58 du code de la sécurité sociale🏛🏛🏛🏛, ce qui implique la compétence des juridictions de sécurité sociale pour en connaître.


Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe le 20 octobre 2022 auxquelles elles se sont respectivement oralement référées.



SUR CE, LA COUR


Sur la péremption


Il résulte des dispositions du décret n°2018-928 du 29 octobre 2018 ayant abrogé l'article R.142-22 du Code de la sécurité sociale🏛, que l'article 386 du code de procédure civile🏛 est applicable en matière de sécurité sociale tant aux instances d'appel initiées à partir du 1er janvier 2019 qu'à celles en cours à cette date.


Lorsque la procédure est orale, les parties n'ont pas, au regard de l'article 386 du code de procédure civile🏛, d'autre diligence à accomplir que de demander la fixation de l'affaire (Civ. 2, 17 novembre 1993; n°92 -12807⚖️; 6 décembre 2018; n°17-26202⚖️).


La convocation de l'adversaire étant le seul fait du greffe, la direction de la procédure échappe aux parties qui ne peuvent l'accélérer. (Civ. 2, 15 novembre 2012; n° 11- 25499⚖️).


Il en résulte que le délai de péremption de l'instance n'a pas commencé à courir avant la date de la première audience fixée par le greffe dans la convocation.


En l'espèce, la date de première audience fixée par le greffe dans la convocation du 08 février 2021 étant celle du 21 avril 2022, et l'affaire ayant été plaidée après renvoi à l'audience du 20 octobre 2022, aucune péremption d'instance ne saurait être retenue, étant précisé qu'aucune diligence n'a été mise par la juridiction à la charge des parties à quelque moment que ce soit


Si l'intimée se prévaut d'arrêts rendus par la Cour de cassation les 25 mars 2021 et 12 mai 2021, une telle référence est en l'espèce inopérante; en effet, lesdits arrêts concernent la procédure suivie devant la CNITAAT qui, si elle est également sans représentation obligatoire, n'est cependant pas orale puisque les articles R.143-25 du code de la sécurité sociale🏛 et suivants prévoient l'échange de mémoires écrits entre les parties et les délais pour ce faire. Dès lors, le raisonnement par analogie que fait l'intimée avec la solution de ces arrêts de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation est mal fondé.


Le moyen tiré de la péremption de l'instance ne saurait donc prospérer, peu important en l'espèce que l'intégralité de la procédure d'appel soit postérieure au 01er janvier 2019.


Sur la recevabilité de l'appel


La société n'a pas soutenu à l'audience de moyen tenant à l'irrecevabilité de l'appel, étant précisé que l'Urssaf a produit la délégation de signature deAaMme [L].


Sur les mises en demeure et contraintes


Il convient de donner acte à l'URSSAF qu'elle renonce, au motif qu'elle ne peut en produire l'accusé de réception, au bénéfice de la mise en demeure du 13/03/2018 d' un montant de 164 € correspondant à des majorations de retard, ainsi que de la contrainte d'un même montant du 07 mai 2018


Par contre, l'Urssaf justifie par sa pièce n°8 que la mise en demeure du 6 février 2018, expédiée à «SARL [6], [Adresse 1] » a été notifiée à son destinataire qui en a signé l'accusé de réception le 09 février 2018.


Il résulte des articles L. 244-2 et R. 244-1 du code de la sécurité sociale🏛🏛, dans leur rédaction applicable au litige, que la mise en demeure qui constitue une invitation impérative adressée au débiteur d'avoir à régulariser sa situation dans le délai imparti doit permettre à l'intéressé d'avoir connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation. A cette fin, il importe qu'elle précise, à peine de nullité, la nature et le montant des cotisations et contributions réclamées et la période à laquelle celles-ci se rapportent, sans que soit exigée la preuve d'un préjudice.


Il apparaît que la mise en demeure du 20 février 2018 (pièce n°9 de l'Urssaf) d'un montant de 1078 euros émise au titre de majorations de retard complémentaires ne comporte pas l'indication du montant des cotisations auxquelles elles se rapportent, de sorte que les seules mentions « régime général » et du montant des majorations complémentaires réclamées en application de l'article R. 243-18, afférentes au mois de décembre 2017, ne permettaient pas à la cotisante de connaître la cause, la nature et l'étendue de son obligation. Cette mise en demeure doit être annulée et le montant de la contrainte en date du 23 avril 2018 qui, entre autres, s'y réfère (pièce n°10 de l'Urssaf) doit être réduit en conséquence à la seule somme de 31283 euros (32 361-1 078).


Force est de constater que chacune des 9 autres mises en demeure contestées (mises en demeure des 30 juin 2017, 25 août 2017, 26 septembre 2017, 06 février 2018, 16 janvier 2018, 16 mars 2018, 24 avril 2018, 21 août 2018, et 18 septembre 2018), dont notamment celles auxquelles les cinq contraintes critiquées restantes font expressément référence (contraintes en date des 18 janvier 2018, 23 avril 2018, 11 mai 2018, 15 octobre 2018, et 26 novembre 2018), comporte de façon détaillée :

-la cause, à savoir l'« absence de versement », et/ou « insuffisance de versement » et/ou « rejet du titre de paiement par la banque », et/ou « modification de l'affectation d'un crédit » ,

-la nature des sommes dues (« régime général »),

-l'étendue, à savoir « les périodes » mensuelles concernées par le recouvrement (au total avril, mai, juillet et août 2017, septembre, octobre et novembre 2017, décembre 2017, février 2018, juin 2018, juillet 2018)

-et le montant détaillé des sommes dues tant en principal, qu'en « majorations de retard ».

Il sera précisé que :

-les mentions « absence de versement », et/ou « insuffisance de versement » et/ou « rejet du titre de paiement par la banque », et/ou « modification de l'affectation d'un crédit » constituent une motivation suffisante sur la cause de l'obligation, l'employeur pouvant connaître la cause de son obligation puisqu'il n'est pas contesté qu 'elles ont été établies sur la base des revenus communiqués par la société elle-même, déduction faite des versements effectués ;

-si la société fait valoir que trois contraintes lui ont été délivrées en l'espace de quelques jours pour la même période de décembre 2017 , il apparaît que leurs libellés lui permettait de comprendre leur caractère complémentaire, celles-ci n'étant nullement ambiguës, imprécises ou contradictoires entre elles, la contrainte en date du 23 avril 2018 (pièce n° 10 de la société) visant des cotisations et majorations de retard liées à la « modification d'affectation d'un crédit », celle en date du 07 mai 2018 (pièce n°11 de la société) -au bénéfice de laquelle l'Urssaf a par ailleurs renoncé -visant des cotisations et majorations de retard liées à une autre « modification d'affectation d'un crédit », celle en date du 11 mai 2018 (pièce n°18 de l'Urssaf) visant des cotisations et majorations de retard liées à l' « absence de versement ».


Ainsi,s'agissant des seules mentions exigées, ces 9 autres mises en demeure contestées, dont notamment celles auxquelles les cinq contraintes restantes font expressément référence sont bien conformes aux exigences de l'article R.244-1 du code de la sécurité sociale🏛. Elles permettaient ainsi à la société d'avoir, au regard de celles-ci, connaissance de la nature, de la cause et de l'étendue de son obligation ; le moyen de nullité de ces 09 mises en demeure et des 05 contraintes tiré de ce chef ne peut donc prospérer. Le jugement sera infirmé les concernant.


« Sur le fond »


En matière d'opposition à contrainte, il incombe à l'opposant de rapporter la preuve du caractère infondé de la créance dont le recouvrement est poursuivi par l'organisme social, comme l'a d'ailleurs jugé la Cour de cassation (Civ. 2ème 19 décembre 2013 n°12-28.075⚖️ ; Soc. 09 décembre 1993 n°91-11.402⚖️).


Par ailleurs, il résulte des dispositions des articles L 242-1 et R 243-6 du code de la sécurité sociale🏛🏛 dans leurs versions successivement applicables que le fait générateur du paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale, et donc de leur exigibilité, était jusqu'au 31 décembre 2017 le paiement ou versement des rémunérations, et à partir du 01er janvier 2018, « la période au titre de laquelle les revenus d'activités sont attribués», et donc la période au titre de laquelle l'activité donnant lieu à rémunération a été réalisée.


La société fait valoir que compte tenu des spécificités du portage salarial la date d'exigibilité des cotisations est celle du paiement par l'entreprise cliente de la facture établie par la société de portage suite au travail effectué par le salarié porté, lequel paiement par l'entreprise cliente intervient généralement entre 45 et 60 jours après émission de la facture.


L'Urssaf fait remarquer avoir sollicité le paiement des cotisations en conséquence de la transmission par la société des « DSN » indiquant le montant des cotisations dont elle était redevable.


L'Urssaf produit à cet effet les « DSN » d'avril, mai, juillet et août 2017 (sa pièce n°1), de septembre, octobre et novembre 2017 (sa pièce n°12), de décembre 2017 (sa pièce n°7), de juin 2018 (sa pièce n°22), et de juillet 2018 (sa pièce n°25).


La société n'a fait valoir aucune observation ou contestation au regard de ces pièces.

Ces DNS (déclarations sociales nominatives) correspondant à des fichiers mensuels dématérialisés envoyés à différents organismes et administrations au moment où la paie est réalisée , portent mention en l'espèce notamment de l' « effectif ayant perçu les salaires » et de « décomptes de cotisations dues » sur « salaires ».


L'Urssaf a sollicité le paiement des cotisations portées à des DNS mensuelles le mois suivant l'enregistrement de chacune de celles-ci.


La société, qui se prévaut de simples avances sur salaires, ne justifie pas, ni même n'argue, qu'une erreur a été commise par elle-même ou par son gestionnaire de paye lors de l'établissement de ces déclarations.


La société n'établit pas plus par ses productions que les sommes (qualifiées de salaires) portées sur chacune de ces DNS mensuelles sont en décalage de temps (en sa défaveur) par rapport à la date de paiement par l'entreprise cliente de la prestation réalisée par le salarié porté. La société ne verse en effet aucune pièce relative aux contrats de portage en cause, aux contrats de travail d'espèce, aux comptes d'activité, aux factures qu'elle a établies, aux détails des versements effectués par l'entreprise cliente pour la prestation réalisée, seuls documents à même de pouvoir établir le décalage entre la date d'exigibilité des cotisations visées à chacune des DNS mensuelles et la date de paiement par l'entreprise cliente pour la prestation qui y correspond.


Au surplus, pour les DNS établies pour les périodes postérieures au 31 décembre 2017, le fait générateur du paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale correspond à la période au titre de laquelle l'activité donnant lieu à rémunération a été réalisée et en aucun cas à la période au cours de laquelle survient le paiement par l'entreprise cliente de ladite activité.


Dans ces conditions, la société ne rapporte pas la preuve du caractère infondé de la créance dont le recouvrement est poursuivi par l'organisme social au titre des 05 contraintes restantes.


Au regard des deux mises en demeure n'ayant pas été suivies d'une contrainte, à savoir d'une part celle du 16 janvier 2018 d'un montant de 208 225 euros (pièce n°13 de l'Urssaf) et d'autre part celle du 24 avril 2018 d'un montant de 105 032 euros (pièce n°20 de l'Urssaf), l'Urssaf établit que celles-ci font suite aux DNS reçues (pièces n°12 et 19 de l'Urssaf), portant mention notamment de l' « effectif ayant perçu les salaires » et de « décomptes de cotisations dues » sur « salaires » en conséquence desquelles elle a sollicité le paiement des cotisations le mois suivant de chacune desdites DNS. Là encore, la société, ne justifie pas, ni même n'argue, d'une erreur dans le contenu de ces déclarations et n'établit pas par ses productions que les sommes (qualifiées de salaires) portées sur chacune de ces DNS mensuelles sont en décalage de temps (en sa défaveur) par rapport à la date de paiement par l'entreprise cliente de la prestation réalisée par le salarié porté.


L'Urssaf établit donc le bien-fondé de ces deux mises en demeure qui seront validées.


Sur les autres demandes


La société succombant pour majeure partie en son recours, aucune radiation des inscriptions de privilège ne saurait en tout état de cause intervenir.


La société sera condamnée à payer à l'Urssaf une somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles.



PAR CES MOTIFS


LA COUR,


DECLARE l'appel recevable ;


DIT n'y avoir lieu à péremption de l'instance ;


DONNE acte à l'Urssaf Ile de France qu'elle renonce au bénéfice de la mise en demeure du 13 mars 2018 et de la contrainte subséquente en date du 07 mai 2018 ;


INFIRME le jugement déféré ;


Et statuant à nouveau ;


ANNULE la mise en demeure du 20 février 2018 ;


VALIDE les mises en demeure des 30 juin 2017, 25 août 2017, 26 septembre 2017, 06 février 2018, 16 janvier 2018, 16 mars 2018, 24 avril 2018, 21 août 2018, et 18 septembre 2018 ;


VALIDE pour leurs entiers montants les contraintes en date des 18 janvier 2018 (285 474 euros), 11 mai 2018 (53 792 euros), 15 octobre 2018 (39 681 euros), et 26 novembre 2018 (32 768 euros) ;


VALIDE la contrainte en date du 23 avril 2018 pour un montant ramené à 31 283 euros ;


DÉBOUTE la société [4], anciennement dénommée [6], de sa demande en radiation des inscriptions de privilège ;


DÉBOUTE la société [4], anciennement dénommée [6], de sa demande en frais irrépétibles ;


CONDAMNE la société [4], anciennement dénommée [6], à payer à l'Urssaf Ile de France la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles;


CONDAMNE la société [4], anciennement dénommée [6], aux dépens d'appel.


La greffière Le président

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