Jurisprudence : CJCE, 17-05-1990, aff. C-262/88, Barber

CJCE, 17-05-1990, aff. C-262/88, Barber

A7282AH8

Référence

CJCE, 17-05-1990, aff. C-262/88, Barber . Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/894776-cjce-17051990-aff-c26288-barber
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Cour de justice des Communautés européennes

17 mai 1990

Affaire n°C-262/88

Douglas Harvey Barber
c/
Guardian Royal Exchange Assurance Group


Recueil de Jurisprudence 1990 page I-1889

Edition spéciale suédoise 1990 page 0407

Edition spéciale finnoise 1990 page 0407

1. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Rémunération - Notion - Prestations versées au travailleur à l'occasion de son licenciement - Inclusion

(Traité CEE, art. 119)

2. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Rémunération - Notion - Pension de retraite versée par un régime professionnel privé - Inclusion - Régime géré sous forme de trust indépendant - Défaut de pertinence

(Traité CEE, art. 119)

3. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Régime professionnel privé de pensions de retraite - Fixation, pour l'ouverture du droit à pension, d'une condition d'âge différente selon le sexe - Inadmissibilité

(Traité CEE, art. 119)

4. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Application à chacun des éléments de la rémunération pris isolément

(Traité CEE, art. 119)

5. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Article 119 du traité - Effet direct - Octroi en cas de licenciement d'une pension de retraite immédiate au travailleur féminin et d'une pension de retraite différée au travailleur masculin du même âge - Discrimination en raison du sexe susceptible d'être constatée par le juge national

(Traité CEE, art. 119)

6. Politique sociale - Travailleurs masculins et travailleurs féminins - Égalité de rémunération - Article 119 du traité - Applicabilité aux régimes professionnels privés de pensions - Constatation dans un arrêt préjudiciel - Interprétation insusceptible d'être invoquée pour revendiquer l'ouverture d'un droit à pension avec effet à une date antérieure au prononcé de l'arrêt

(Traité CEE, art. 119; directives du Conseil 79/7 et 86/378)

1. Les prestations versées par un employeur à un travailleur à l'occasion de son licenciement constituent une forme de rémunération à laquelle le travailleur a droit en raison de son emploi, qui lui est versée au moment de la cessation de la relation de travail, qui permet de faciliter son adaptation aux circonstances nouvelles résultant de la perte de son emploi et qui lui assure une source de revenus pendant la période de recherche d'un nouveau travail. De telles prestations versées à l'occasion d'un licenciement pour cause économique entrent, de ce fait, dans le champ d'application de l'article 119, deuxième alinéa, du traité, qu'elles soient versées en vertu d'un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire.

2. A la différence des prestations servies par les régimes légaux nationaux de sécurité sociale, les pensions de retraite versées par les régimes professionnels privés, qui se caractérisent par le fait qu'ils sont institués par l'effet soit d'une concertation entre partenaires sociaux, soit d'une décision unilatérale de l'employeur, qu'ils sont financés soit par l'employeur seul, soit par celui-ci et les salariés, que la loi admet qu'avec l'accord du salarié ils viennent, pour partie, se substituer au régime légal et qu'ils ne concernent que les travailleurs employés par certaines entreprises, constituent des avantages payés par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier et relèvent, par conséquent, du champ d'application de l'article 119 du traité. La circonstance que le régime professionnel privé soit constitué en forme de trust et géré par des trustees jouissant d'une indépendance formelle vis-à-vis de l'employeur n'infirme pas cette interprétation de l'article 119, car celui-ci vise également les avantages payés par l'employeur de manière indirecte.

3. L'article 119 du traité interdit toute discrimination en matière de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, quel que soit le mécanisme qui détermine cette inégalité. Dès lors, la fixation d'une condition d'âge différente selon le sexe pour l'ouverture du droit à pension dans le cadre d'un régime professionnel privé se substituant pour partie au régime légal est contraire audit article, même si la différence entre les âges de retraite des hommes et des femmes est alignée sur celle prévue par le régime légal national.

4. En matière d'égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins, une véritable transparence, permettant un contrôle efficace du juge national, n'est assurée que si le principe d'égalité doit être respecté pour chacun des éléments de la rémunération respectivement accordée aux hommes et aux femmes et non pas globalement au niveau de l'ensemble des avantages consentis aux uns et aux autres.

5. L'article 119 du traité s'applique directement à toutes formes de discrimination susceptibles d'être constatées à l'aide des seuls critères d'identité de travail et d'égalité de rémunération retenus par cette disposition, sans que soient nécessaires des mesures communautaires ou nationales déterminant ces critères. La juridiction nationale devant laquelle il est invoqué doit assurer la protection des droits qu'il confère aux justiciables, notamment lorsque, dans le cadre d'un régime professionnel privé de pensions se substituant pour partie au régime légal, est refusée à un travailleur masculin, à la suite de son licenciement, la pension immédiate qui serait octroyée en pareil cas à un travailleur féminin.

6. Compte tenu de ce que les États membres et les milieux intéressés ont pu, au vu des directives 79/7 et 86/378, se méprendre sur la portée exacte de leurs obligations en matière de mise en oeuvre du principe d'égalité entre travailleurs masculins et travailleurs féminins au niveau de certaines prestations de retraite, des considérations impérieuses de sécurité juridique s'opposent à ce que l'effet direct de l'article 119 du traité puisse être invoqué pour revendiquer, dans le cadre d'un régime professionnel privé de pensions se substituant au régime légal, l'ouverture d'un droit à pension avec effet à une date antérieure à celle de l'arrêt constatant, dans le cadre de la procédure préjudicielle, l'applicabilité de cet article à ce type de pensions, exception faite pour les travailleurs ou leurs ayants droit qui auraient, avant cette date, engagé une action en justice ou soulevé une réclamation équivalente selon le droit national applicable.

Dans l'affaire C-262/88,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CEE, par la Court of Appeal de Londres et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Douglas Harvey Barber

et

Guardian Royal Exchange Assurance Group,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 119 du traité CEE, de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe d'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19), et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40),

LA COUR,

composée de M. O. Due, président, Sir Gordon Slynn, MM. F. A. Schockweiler et M. Zuleeg, présidents de chambre, G. F. Mancini, R. Joliet, T. F. O'Higgins, J. C. Moitinho de Almeida, G. C. Rodríguez Iglesias, F. Grévisse et M. Díez de Velasco, juges,

avocat général : M. W. Van Gerven

greffier : M. J. A. Pompe, greffier adjoint

considérant les observations écrites présentées :

- pour M. Barber, par Me Christopher Carr, QC, agissant sur instructions de MM. Irwin Mitchell, solicitors,

- pour le Guardian Royal Exchange Assurance Group, par Mes David Vaughan, QC, et Timothy Wormington, barrister, agissant sur instructions de MM. Jaques et Lewis, solicitors,

- pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. J. E. Collins, du Treasury Solicitor' s Department, en qualité d'agent, assisté de Me Peter Goldsmith, QC,

- pour la Commission, par Mme Karen Banks et M. Julian Currall, membres du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience et à la suite de l'audience de plaidoiries du 15 novembre 1989,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 30 janvier 1990,

rend le présent

Arrêt

1 Par ordonnance du 12 mai 1988, parvenue à la Cour le 23 septembre suivant, la Court of Appeal de Londres a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, plusieurs questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 119 du traité CEE, ainsi que de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l'application du principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19, ci-après "directive relative à l'égalité des rémunérations "), et de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40, ci-après "directive relative à l'égalité de traitement ").

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant feu M. Douglas Harvey Barber à son ancien employeur, le Guardian Royal Exchange Assurance Group (ci-après "Guardian "), et portant sur le droit de M. Barber à obtenir une pension de retraite anticipée à la suite de son licenciement pour cause économique.

3 Il ressort du dossier que M. Barber était affilié à la caisse de retraite instituée par le Guardian, qui appliquait un régime non contributif, c'est-à-dire entièrement financé par l'employeur. Ce régime, ayant été "conventionnellement exclu" (contracted-out), c'est-à-dire homologué en vertu du Social Security Pensions Act (loi relative aux pensions de sécurité sociale) de 1975, comportait la renonciation, par contrat, de l'affilié à la partie liée au salaire du régime national de retraite, auquel le régime en question se substituait. Les affiliés à un régime de ce type ne payaient au régime national que des cotisations réduites, correspondant à la pension de base que ce dernier régime ouvre à tous les travailleurs dans une mesure identique, indépendamment de leur salaire.

4 Dans le cadre du régime de retraite du Guardian, l'âge normal de la retraite était fixé, pour la catégorie d'employés à laquelle appartenait M. Barber, à 62 ans pour les hommes et à 57 ans pour les femmes. Cette différence était l'équivalent de celle qui existe dans le cadre du régime national de sécurité sociale, où l'âge normal de la retraite est de 65 ans pour les hommes et de 60 ans pour les femmes. Les personnes affiliées à la caisse de retraite du Guardian avaient droit à une pension immédiate au moment où elles atteignaient l'âge normal de la retraite prévu par ce régime. Le droit à une pension, avec paiement différé à l'âge normal de la retraite, était également reconnu aux affiliés qui, lors de la cessation de la relation de travail, étaient âgés de 40 ans au moins et avaient dix ans d'ancienneté au Guardian.

5 Le "Guardian Royal Exchange Guide to Severance Terms" (guide du Guardian sur les modalités de licenciement), document faisant partie du contrat de travail de M. Barber, prévoyait qu'en cas de licenciement pour cause économique les membres de la caisse de retraite auraient droit à une pension immédiate, pourvu qu'ils aient atteint l'âge de 55 ans pour les hommes ou de 50 ans pour les femmes. Les intéressés ne remplissant pas ces conditions recevaient des allocations en espèces calculées en fonction des années de service et une pension différée payable à l'âge normal de départ à la retraite.

6 M. Barber a été licencié pour cause économique, avec effet au 31 décembre 1980, alors qu'il avait 52 ans. Le Guardian lui a versé des allocations en espèces prévues par le guide sur les modalités de licenciement ainsi que l'indemnité légale de licenciement et un montant supplémentaire à titre volontaire. Il aurait eu droit à une pension de retraite à compter du jour de son 62e anniversaire. Il est constant qu'une femme se trouvant dans les mêmes conditions que M. Barber aurait perçu une pension de retraite immédiate, en plus de l'indemnité légale de licenciement, et que la valeur totale de ces prestations aurait été supérieure au montant qui a été versé à M. Barber.

7 S'estimant victime d'une discrimination fondée sur le sexe interdite par la loi, M. Barber a introduit une action devant les juridictions du travail. Sa demande ayant été rejetée en première et deuxième instances, M. Barber a interjeté appel devant la Court of Appeal. Cette juridiction a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice les questions préjudicielles suivantes :

"1) lorsqu'un groupe d'employés est licencié par son employeur dans des circonstances similaires à celles de la présente espèce et que ces employés perçoivent des prestations en rapport avec ce licenciement, ces prestations relèvent-elles toutes de la notion de 'rémunération' au sens de l'article 119 du traité CEE et de la directive relative à l'égalité des rémunérations (75/117/CEE) ou entrent-elles dans le champ d'application de la directive relative à l'égalité de traitement (76/207/CEE), ou est-ce qu'aucune de ces hypothèses ne peut être retenue?

2) Le fait que l'une des prestations en cause est une pension versée par un régime de pension professionnel privé géré par l'employeur (" une pension privée') importe-t-il aux fins de la réponse à la première question?

3) Le principe de l'égalité de rémunération visé à l'article 119 et dans la directive relative à l'égalité des rémunérations est-il violé dans les circonstances de la présente espèce si :

a) un homme et une femme ayant le même âge sont licenciés dans les mêmes circonstances, la femme recevant dans le cadre de ce licenciement une pension privée immédiate, alors que l'homme ne reçoit qu'une pension privée différée, ou si

b) la valeur totale des prestations versées à la femme est supérieure à la valeur totale des prestations perçues par l'homme?

4) L'article 119 et la directive relative à l'égalité des rémunérations produisent-ils des effets directs dans les circonstances de l'espèce?

5) Importe-t-il aux fins de la réponse à la troisième question que le droit de la femme au bénéfice d'une pension avec effet immédiat, tel qu'il était prévu par les modalités de cessation, ne pouvait être satisfait que si elle réunissait les conditions requises pour l'octroi d'une pension à versement immédiat au titre des dispositions du régime professionnel privé en étant assimilée par le Guardian à une retraitée par suite de son licenciement sept ans avant la date normale de son départ à la retraite au titre du régime correspondant?"

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