Jurisprudence : CEDH, 09-07-2013, Req. 66069/09, VINTER ET AUTRES c/ ROYAUME-UNI

CEDH, 09-07-2013, Req. 66069/09, VINTER ET AUTRES c/ ROYAUME-UNI

A5379KI3

Référence

CEDH, 09-07-2013, Req. 66069/09, VINTER ET AUTRES c/ ROYAUME-UNI. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8893217-cedh-09072013-req-6606909-vinter-et-autres-c-royaumeuni
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GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE VINTER ET AUTRES c. ROYAUME-UNI

(Requêtes n°s 66069/09, 130/10 et 3896/10)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juillet 2013

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Vinter et autres c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l'homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,

Josep Casadevall,

Guido Raimondi,

Ineta Ziemele,

Mark Villiger,

Isabelle Berro-Lefèvre,

Dragoljub Popovic,

Luis López Guerra,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

Nona Tsotsoria,

Ann Power-Forde,

Isil Karakas,

Nebojša Vucinic,

Linos-Alexandre Sicilianos,

Paul Lemmens,

Paul Mahoney,

Johannes Silvis, juges,

et de Michael O'Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 novembre 2012 et le 29 mai 2013,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouvent trois requêtes (n°s 66069/09, 130/10 et 3896/10) dirigées contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont trois ressortissants de cet Etat, M. Douglas Gary Vinter (" le premier requérant "), M. Jeremy Neville Bamber (" le deuxième requérant ") et M. Peter Howard Moore (" le troisième requérant ") ont saisi la Cour le 11 décembre 2009, le 17 décembre 2009 et le 6 janvier 2010 respectivement en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Le premier requérant, né en 1969, est actuellement détenu à la prison de Frankland. Il a été représenté devant la Cour par Me S. Creighton, avocat à Londres au cabinet Bhatt Murphy Solicitors, assisté de Me P. Weatherby, QC, en qualité de conseil, et du professeur D. van Zyl Smit.

3. Le deuxième requérant, né en 1961, est actuellement détenu à la prison de Full Sutton. Il a été représenté devant la Cour par Me B. Woods, avocat à Leeds au cabinet Cousins Tyrer Solicitors, assisté de Me R. Horwell, QC, et de Me L. Hindmarsh, en qualité de conseils.

4. Le troisième requérant, né en 1946, est actuellement détenu à la prison de Wakefield. Il a été représenté devant la Cour par le cabinet Chivers Solicitors, de Bingley, avec le concours de Me M. McKone, en qualité de conseil.

5. Le gouvernement britannique (" le Gouvernement ") a été représenté par son agente, Mme L. Dauban, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

6. Les requérants voyaient dans les peines de perpétuité réelle prononcées à leur égard des mauvais traitements contraires à l'article 3 de la Convention.

7. Les requêtes ont été attribuées à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour - " le règlement "). Dans son arrêt du 17 janvier 2012, une chambre de cette section composée des juges Garlicki, David Thór Björgvinsson, Bratza, Hirvelä, Nicolaou, Bianku et De Gaetano, ainsi que de T.L. Early, greffier de section, décida à l'unanimité de joindre les requêtes et de les déclarer recevables relativement aux griefs formulés sur le terrain de l'article 3 et irrecevables pour le surplus. La chambre conclut également, par quatre voix contre trois, à la non-violation de l'article 3 à l'égard de chacun des requérants. A l'arrêt se trouvait joint l'exposé de l'opinion concordante du juge De Gaetano et de l'opinion partiellement dissidente commune aux juges Garlicki, David Thór Björgvinsson et Nicolaou.

8. Le 9 juillet 2012, faisant droit à une demande formulée par les requérants le 12 avril 2012, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l'affaire devant celle-ci en vertu de l'article 43 de la Convention.

9. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des délibérations finales, Isil Karakas, juge suppléante, a remplacé András Sajó, empêché (article 24 § 3 du règlement).

10. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur le fond (article 59 § 1 du règlement).

11. Une audience s'est déroulée en public au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 28 novembre 2012 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

- pour le Gouvernement

Mme L. Dauban, agente,

MM. D. Perry QC,

L. Mably, conseils,

J. Guess,

Mme A. Foulds, conseillers ;

- pour les requérants

MM. R. Horwell QC,

P. Weatherby QC,

L. Hindmarsh, conseils,

S. Creighton,

B. Woods,

D. Van Zyl Smit, conseillers.

La Cour a entendu MM. Perry et Weatherby en leurs déclarations et en leurs réponses à ses questions.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

A. Introduction

12. Depuis l'abolition de la peine capitale en Angleterre et au pays de Galles, l'assassinat y est puni de la réclusion à perpétuité obligatoire (mandatory sentence of life imprisonment). Désormais, toute juridiction de jugement prononçant une telle peine est tenue de fixer une période minimale d'emprisonnement (minimum term of imprisonment), fonction de la gravité de l'infraction perpétrée, que le détenu devra purger à des fins de châtiment et de rétribution. Les principes qui guident l'appréciation par la juridiction de jugement de la période minimale qui convient sont énoncés à l'annexe 21 à la loi de 2003 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 2003, " la loi de 2003 " - paragraphes 38 et 39 ci-dessous). Une fois cette période d'emprisonnement accomplie, le détenu peut demander sa libération devant la commission de libération conditionnelle.

Toutefois, à titre exceptionnel, la juridiction de jugement peut prononcer une peine de perpétuité réelle (whole life order) à la place d'une période minimale d'emprisonnement si, faisant application des principes énoncés à l'annexe 21, elle estime que l'infraction est d'une gravité exceptionnelle.

Le détenu condamné à la perpétuité réelle ne pourra alors être élargi qu'en vertu du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l'article 30 § 1 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle (Crime (Sentences) Act 1997 - " la loi de 1997 "). Le ministre n'exercera ce pouvoir que pour des motifs d'humanité, si l'intéressé est atteint d'une maladie mortelle en phase terminale ou frappé d'une invalidité grave (ordonnance n° 4700 de l'administration pénitentiaire - Prison Service Order 4700 - paragraphe 43 ci-dessous).

13. Avant l'entrée en vigueur de la loi de 2003, en pratique, la juridiction de jugement prononçait la réclusion à perpétuité obligatoire et le ministre fixait, sur recommandation de cette même juridiction et du Lord Chief Justice, la période minimale d'emprisonnement que le détenu aurait à accomplir avant de pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle anticipée. Cette période était alors aussi appelée " période punitive " (tariff) de la peine.

Le ministre pouvait également imposer une période punitive à perpétuité (whole life tariff). En pratique, le ministre réexaminait cette mesure au bout de vingt-cinq ans d'emprisonnement pour déterminer si elle se justifiait encore, en particulier lorsque le détenu avait accompli des progrès exceptionnels en prison (voir l'affaire Hindley, paragraphe 46 ci-dessous).

Depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2003 (et en particulier de son article 276 et de son annexe 22, qui énoncent une série de mesures transitoires pour les personnes purgeant déjà une peine de réclusion à perpétuité - paragraphes 40 et 41 ci-dessous), tous les détenus dont la période punitive a été fixée par le ministre peuvent saisir la High Court d'une demande de réexamen de cette mesure. La High Court peut fixer une période minimale d'emprisonnement ou ordonner la perpétuité réelle.

14. La présente affaire concerne trois requérants qui, reconnus coupables d'assassinat à l'issue de procédures pénales distinctes conduites en Angleterre et au pays de Galles, purgent actuellement des peines de réclusion à perpétuité obligatoire. La perpétuité réelle a été prononcée dans les trois cas : dans le cas du premier requérant, par la juridiction de jugement conformément aux règles actuelles de fixation des peines et, dans le cas des deuxième et troisième requérants, condamnés avant l'entrée en vigueur de la loi de 2003, par la High Court. Les requérants estiment tous trois que ces peines de perpétuité réelle, telles qu'appliquées dans leur cas, sont incompatibles notamment avec les articles 3 et 5 § 4 de la Convention. Les faits de l'espèce, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

B. M. Vinter

15. Le 20 mai 1996, le premier requérant fut condamné, pour le meurtre d'un collègue de travail, à la réclusion à perpétuité assortie d'une période minimale d'emprisonnement de dix ans. Il fut mis en liberté conditionnelle le 4 août 2005.

16. Il se mit en ménage avec une femme qui allait devenir la victime de son second meurtre. Il se maria avec elle le 27 juin 2006. Le 31 décembre 2006, il participa à une bagarre dans un bar et fut inculpé de violences (affray, infraction qui se définit par le recours ou la menace de recours à une violence illégale). Sa libération conditionnelle fut révoquée et il fut réincarcéré. En juillet 2007, ayant plaidé coupable du chef de rixe, il fut condamné à une peine de six mois d'emprisonnement. Il fut remis en liberté conditionnelle en décembre 2007 et retourna vivre avec son épouse et les quatre enfants de celle-ci. Par la suite, le couple se désunit et l'intéressé quitta le domicile conjugal.

17. Le 5 février 2008, le premier requérant suivit son épouse dans un bar. Il avait bu et pris de la cocaïne. Le couple se disputa et la fille de l'épouse de l'intéressé, qui était présente, téléphona à la police pour l'alerter. Le premier requérant ordonna à son épouse de monter dans une voiture. Lorsque la fille de son épouse tenta d'y rejoindre sa mère pour la protéger, il l'en chassa par la force. Il démarra alors avec son épouse. Quand la police téléphona à celle-ci pour s'assurer qu'elle était en sécurité, il la força à répondre qu'elle allait bien. Il appela lui-même la police pour dire que tout était en ordre avec son épouse. Quelques heures plus tard, il se rendit de lui-même à la police et déclara avoir tué son épouse. Une autopsie révéla que la défunte avait le nez cassé, des marques larges et profondes au cou (compatibles avec une tentative d'étranglement) et quatre blessures à la poitrine provoquées par des coups de couteau. Deux couteaux, dont un avait la lame cassée, furent retrouvés sur les lieux.

18. Le 21 avril 2008, le premier requérant plaida coupable du chef d'assassinat et donna pour instructions à son conseil de ne plaider aucune circonstance atténuante pour ne pas ajouter au chagrin de la famille de la victime. La juridiction de jugement considéra qu'il faisait partie des rares personnes qu'il fallait priver de leur liberté à titre définitif. Elle le condamna à la réclusion à vie obligatoire et ordonna la perpétuité réelle.

19. Le 25 juin 2009, la Cour d'appel débouta le premier requérant du recours dont il l'avait saisie. Elle considéra les principes généraux régissant la fixation de la période minimale d'emprisonnement en cas de perpétuité obligatoire (tels qu'exposés à l'annexe 21 à la loi de 2003 - paragraphes 38 et 39 ci-dessous). Elle jugea que, au vu des circonstances entourant l'infraction commise, il n'y avait aucune raison de s'écarter de la règle de principe énoncée à l'annexe 21 à la loi de 2003, selon laquelle, pour satisfaire aux impératifs de châtiment et de dissuasion, la perpétuité réelle doit être ordonnée pour tout condamné pour meurtre récidiviste.

C. M. Bamber

20. Le 7 août 1985, les parents du deuxième requérant, sa sœur adoptive et les deux enfants en bas âge de celle-ci furent tués par balles. L'intéressé fut ultérieurement inculpé de ces meurtres, puis reconnu coupable de ceux-ci le 28 octobre 1986. Selon l'accusation, les meurtres avaient été prémédités et planifiés et ils avaient pour mobile l'appât du gain. Le deuxième requérant aurait également disposé les lieux du crime de manière à tromper la police en voulant lui faire croire que c'était sa sœur adoptive qui avait tué la famille avant de se suicider.

21. La juridiction de jugement écrivit au ministre une lettre recommandant que le deuxième requérant passe vingt-cinq ans en prison " au minimum " (mots soulignés par cette juridiction) ; dans cette même lettre, le Lord Chief Justice avait ajouté comme commentaire : " pour ma part, jamais je ne le remettrais en liberté " (soulignement de l'auteur). En 1988, le ministre fixa une période punitive à perpétuité. La pratique à l'époque était de ne pas informer le détenu de cette décision. Par une lettre datée du 15 décembre 1994, l'intéressé fut avisé que le ministre avait conclu que les impératifs de rétribution et de dissuasion ne pouvaient être satisfaits que s'il demeurait en prison pour le restant de ses jours.

22. En 2008, après l'entrée en vigueur de l'article 276 de la loi de 2003 et de l'annexe 22 à celle-ci, le deuxième requérant saisit la High Court aux fins du réexamen de sa période punitive à perpétuité. Sur la base de l'annexe 21 à cette même loi, la High Court conclut que, vu le nombre de meurtres commis par le deuxième requérant et la présence d'un élément de préméditation, l'infraction commise entrait manifestement dans la catégorie des cas où le point de départ était la perpétuité réelle. Après s'être penchée de surcroît sur des déclarations formulées par des proches des victimes et sur des éléments produits par le deuxième requérant, notamment des comptes rendus relatifs à son comportement et aux progrès accomplis par lui en prison, la High Court jugea qu'il n'y avait aucune raison de revenir sur les conclusions du Lord Chief Justice et du ministre. Elle ordonna donc la perpétuité réelle.

23. Le deuxième requérant saisit la Cour d'appel, qui le débouta le 14 mai 2009. La haute juridiction constata qu'avant d'ordonner une période punitive à perpétuité en 1988 le ministre avait reçu les recommandations de deux autorités judiciaires différentes, l'une de la juridiction de jugement préconisant une période minimale d'emprisonnement de vingt-cinq ans et l'autre du Lord Chief Justice préconisant que l'intéressé ne soit jamais libéré, et que le ministre avait la faculté de choisir l'une ou l'autre de ces deux recommandations ou de n'en retenir aucune. La Cour d'appel constata en outre que la décision prise par la High Court d'ordonner la perpétuité réelle était non seulement correcte mais aussi pleinement justifiée au regard des objectifs de châtiment et de rétribution.

24. S'appuyant sur son précédent R v. Bieber (paragraphe 47 ci
-dessous), la Cour d'appel jugea qu'aucune question ne se posait sur le terrain de l'article 3 de la Convention étant donné que la perpétuité réelle n'était pas une peine perpétuelle incompressible au sens où ce terme avait été employé dans l'arrêt Kafkaris c. Chypre ([GC], n° 21906/04, CEDH 2008). Enfin, elle estima la procédure de réexamen instaurée par la loi de 2003 compatible avec l'article 7 de la Convention au motif que, d'après les dispositions légales pertinentes, correctement interprétées, un détenu ne pouvait être lésé par l'issue de cette procédure puisqu'aussi bien la peine à purger pouvait être réduite ou maintenue mais ne pouvait être ni augmentée ni prolongée.

25. Le deuxième requérant pria la Cour d'appel de déclarer que son arrêt soulevait un point de droit d'intérêt général méritant d'être examiné par la Chambre des lords. Cette demande fut rejetée le 23 juin 2009.

D. M. Moore

26. Le 29 novembre 1996, à l'issue de son procès devant la Crown Court de Chester, le troisième requérant fut jugé coupable de quatre chefs d'assassinat. Les victimes étaient des homosexuels et l'intéressé, lui-même homosexuel, aurait perpétré ces crimes pour sa propre satisfaction sexuelle. Chacune des victimes avait été poignardée plusieurs fois à l'aide d'un gros couteau de combat qu'il avait acheté dans ce but. La première victime fut attaquée à son domicile le 23 septembre 1995. Peu de temps après, le week
-end du 7 octobre 1995, l'intéressé rencontra sa deuxième victime dans un bar et la convainquit de l'accompagner chez lui pour y avoir une relation sexuelle ; au lieu de cela, il la conduisit dans une forêt, l'y poignarda à mort et y laissa le corps. La troisième victime fut poignardée le 30 novembre 1995 dans la caravane où elle vivait. Enfin, peu avant Noël 1995, le troisième requérant se rendit sur une plage connue pour être un haut lieu de rencontres entre homosexuels. C'est là qu'il rencontra la quatrième victime et la poignarda.

27. Du sang appartenant aux première et troisième victimes fut retrouvé sur une veste du troisième requérant et sur le couteau. Des objets appartenant aux première, deuxième et quatrième victimes furent retrouvés en sa possession. Devant la police, il livra des aveux complets concernant l'ensemble des quatre meurtres. Avant qu'il n'en fasse mention, la police ignorait l'existence d'une deuxième victime, dont le corps fut retrouvé dans la forêt avec l'aide de l'intéressé. Lors de son procès, ce dernier se défendit en affirmant que les meurtres avaient été commis par quelqu'un d'autre, tout en avouant avoir assisté à tous, sauf à celui de la deuxième victime.

28. Après que le troisième requérant eut été jugé coupable, la juridiction de jugement le condamna à une peine de réclusion à perpétuité obligatoire et indiqua au ministre de l'Intérieur que, à ses yeux, il convenait de ne jamais le remettre en liberté. Le Lord Chief Justice estima, au vu du dossier, que la période minimale d'emprisonnement avant toute possibilité de libération conditionnelle devait être fixée à trente ans. Le 27 septembre 2002, le ministre imposa une période punitive à perpétuité.

29. En 2008, s'appuyant sur l'article 276 de la loi de 2003 et l'annexe 22 à celle-ci, le troisième requérant pria la High Court de réexaminer la période punitive à perpétuité prononcée par le ministre. Dans son jugement rendu le 12 juin 2008, la High Court rejeta l'argument du troisième requérant selon lequel elle devait accepter la recommandation du Lord Chief Justice de fixer la période minimale d'emprisonnement à trente ans. Elle jugea que, même si un certain poids devait être accordé à cette recommandation, le Lord Chief Justice n'avait pas pris en compte les principes énoncés dans l'annexe 21 à la loi de 2003, qu'elle-même était tenue d'observer. Elle rejeta en outre le moyen consistant à dire que l'imposition par le ministre d'une période punitive à perpétuité soulevait un problème sur le terrain de l'article 6 de la Convention. Elle considéra que la procédure de saisine de la High Court prévue par l'article 276 de la loi de 2003 et l'annexe 22 à celle-ci satisfaisait à l'exigence d'un réexamen indépendant de l'opportunité de la mise en liberté d'un détenu. Elle estima en outre que la perpétuité réelle était compatible avec les articles 3 et 5 de la Convention. Compte tenu des principes généraux régissant la fixation de la période minimale d'emprisonnement en matière de perpétuité obligatoire (tels qu'exposés à l'annexe 21 à la loi de 2003), elle conclut que cette sanction n'était pas arbitraire et que le caractère disproportionné ou non de celle-ci dépendait des circonstances propres à chaque espèce.

30. La High Court jugea que, s'agissant d'une affaire se caractérisant par le meurtre de plus d'une personne, par un comportement sexuel et sadique et par un degré important de préméditation, le point de départ prévu par l'annexe 21 était la perpétuité réelle. Elle considéra qu'il n'existait aucune circonstance atténuante et que même le Lord Chief Justice, qui avait pourtant recommandé une période minimale d'emprisonnement de trente ans, avait estimé avec la juridiction de jugement qu'il serait peut-être toujours risqué d'élargir le troisième requérant. Elle en conclut qu'il n'y avait aucune raison d'atténuer le point de départ que constitue la perpétuité réelle. Elle ajouta que, quand bien même le point de départ eût été une période minimale d'emprisonnement de trente ans, les circonstances aggravantes des meurtres commis étaient telles que la perpétuité réelle s'imposait.

31. Le troisième requérant saisit la Cour d'appel qui, le 26 février 2009, le débouta au motif que la High Court était non seulement habilitée mais aussi manifestement fondée à conclure que la perpétuité réelle était une sanction adéquate.

32. Il apparaît que, pour pouvoir saisir la Chambre des lords, le troisième requérant pria ensuite la Cour d'appel de déclarer que son arrêt soulevait un point de droit d'intérêt général méritant d'être examiné par la juridiction suprême. Le 14 août 2009, le Bureau des appels en matière pénale de la Cour d'appel l'avisa que, celle-ci ayant non pas accueilli sa demande d'autorisation de faire appel de sa peine puis écarté le recours, mais rejeté d'emblée ladite demande, il n'était pas possible de solliciter pareille déclaration.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi de 1998 sur les droits de l'homme

33. L'article 3 § 1 de la loi de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998 - " la loi sur les droits de l'homme ") est ainsi libellé :

" Dans toute la mesure du possible, la législation primaire et la législation déléguée doivent être interprétées et mises en œuvre de manière compatible avec les droits reconnus par la Convention. "

L'article 6 § 1 de cette loi dispose qu'une autorité publique est dans l'illégalité lorsqu'elle agit de manière incompatible avec un droit reconnu par la Convention.

L'article 7 § 1 prévoit que toute personne alléguant qu'une autorité publique a agi d'une manière illégale au regard de l'article 6 § 1 peut assigner cette autorité en justice.

B. Les dispositions légales en matière de réclusion à perpétuité obligatoire

1. La loi de 1965 sur l'abolition de la peine de mort pour assassinat

34. En Angleterre et au pays de Galles, l'article 1 § 1 de la loi de 1965 sur l'abolition de la peine de mort pour assassinat (Murder (Abolition of Death Penalty) Act 1965) punit l'assassinat de la réclusion à perpétuité obligatoire.

2. La loi de 2003 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 2003 - " la loi de 2003 ")

a) Le chapitre 7 de la partie 12

35. Dans l'arrêt R (Anderson) v. the Secretary of State for the Home Department ([2003] 1 AC 837), la Chambre des lords a jugé incompatible avec l'article 6 de la Convention le pouvoir, conféré au ministre par l'article 29 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle (Crime (Sentences) Act 1997 - " la loi de 1997 "), de fixer la période punitive pour les individus condamnés à une peine de réclusion à perpétuité obligatoire. Cet arrêt est à l'origine de l'adoption du chapitre 7 de la partie 12 de la loi de 2003, intitulé " Effets des peines de réclusion à perpétuité " et composé des articles 269 à 277, et de ses annexes 21 et 22.

36. L'article 269 § 2 de la loi de 2003 impose à toute juridiction de jugement prononçant une peine de réclusion à perpétuité obligatoire de déterminer la période minimale d'emprisonnement que le condamné devra purger avant de pouvoir être mis en liberté conditionnelle. L'article 269 § 3 précise que la durée de cette période doit tenir compte de la gravité de l'infraction. L'article 269 § 4 permet à la juridiction de jugement de décider que, en raison de la gravité de l'infraction, le détenu ne pourra pas bénéficier d'une libération anticipée (ce qui revient à prononcer une peine de " perpétuité réelle "). L'article 269 § 4 ne s'applique qu'aux condamnés âgés d'au moins 21 ans à la date de la commission de l'infraction. L'article 269 § 5 précise que, lorsqu'elle évalue la gravité de l'infraction, la juridiction de jugement doit prendre en considération notamment les principes énoncés dans l'annexe 21 à la loi.

37. L'article 276 donne effet à l'annexe 22 (concernant les cas transitoires - paragraphe 40 ci-dessous).

b) L'annexe 21

38. L'annexe 21 (intitulée " Fixation de la période minimale d'emprisonnement pour les peines de réclusion à perpétuité obligatoire ") prévoit trois " points de départ " distincts, c'est-à-dire des peines qui peuvent être augmentées ou réduites selon que des circonstances aggravantes ou atténuantes accompagnent ou non l'infraction : la perpétuité réelle, une période minimale d'emprisonnement de trente ans et une période minimale d'emprisonnement de quinze ans.

39. En vertu du paragraphe 4(1) de cette annexe, si la gravité de l'infraction est " exceptionnellement élevée ", le point de départ à retenir est la perpétuité réelle. Le paragraphe 4(2) précise que, en principe, les cas suivants entrent dans cette catégorie :

" a) le meurtre de plus d'une personne, lorsque chaque meurtre se caractérise par l'un des éléments suivants :

i. un degré important de préméditation et de planification,

ii. l'enlèvement de la victime ou

iii. un comportement sexuel ou sadique,

b) le meurtre d'un enfant s'il y a eu enlèvement de ce dernier ou si le mobile était d'ordre sexuel ou sadique,

c) le meurtre perpétré pour défendre une cause politique, religieuse ou idéologique, ou

d) le meurtre perpétré par une personne déjà condamnée pour meurtre. "

Aux termes du paragraphe 5(1), le point de départ à retenir pour une infraction qui ne relève pas du paragraphe 4(1) mais dont la gravité est " particulièrement élevée " est une période minimale d'emprisonnement de trente ans. Le paragraphe 5(2) précise que, en principe, les cas suivants entrent dans cette catégorie :

" a) le meurtre d'un policier ou d'un agent pénitentiaire dans l'exercice de ses fonctions,

b) le meurtre impliquant l'usage d'une arme à feu ou d'explosifs,

c) le meurtre dont le mobile est l'appât du gain (perpétré par exemple au cours ou aux fins d'un vol ou d'un cambriolage, contre rémunération ou avec l'espoir d'en tirer un gain),

d) le meurtre visant à entraver le cours de la justice,

e) le meurtre se caractérisant par un comportement sexuel ou sadique,

f) le meurtre de plus d'une personne,

g) le meurtre aggravé par des motifs raciaux ou religieux ou par des motifs tenant à l'orientation sexuelle,

h) le meurtre relevant du paragraphe 4(2) de la présente annexe commis par une personne âgée de moins de 21 ans au moment des faits. "

Dans tous les autres cas, les paragraphes 6 et 7 prévoient comme point de départ une période minimale d'emprisonnement de quinze ans (douze ans pour les mineurs de 18 ans).

Les paragraphes 8 et 9 disposent que, une fois le point de départ fixé, la juridiction de jugement prend en compte toute circonstance aggravante ou atténuante susceptible de conduire à l'imposition d'une période minimale d'emprisonnement de quelque durée que ce soit (indépendamment du point de départ) ou de la perpétuité réelle.

Le paragraphe 10 énumère les circonstances aggravantes suivantes :

" a) un degré important de préméditation ou de planification,

b) la vulnérabilité particulière de la victime du fait de son âge ou d'une invalidité,

c) l'infliction de souffrances psychologiques ou physiques à la victime avant son décès,

d) l'abus d'une position de confiance,

e) le recours à la contrainte ou à des menaces contre autrui pour faciliter la perpétration de l'infraction,

f) le fait que la victime exerçait une mission de service public ou des prérogatives de puissance publique, et

g) la dissimulation, la destruction ou le démembrement du corps. "

Le paragraphe 11 cite les circonstances atténuantes suivantes :

" a) une intention d'infliger des blessures graves plutôt que de tuer,

b) l'absence de préméditation,

c) la présence chez l'auteur de l'infraction de troubles mentaux ou d'un handicap mental qui, sans relever de l'article 2 § 1 de la loi de 1957 sur l'homicide, réduisent son degré de culpabilité,

d) une provocation subie par l'auteur de l'infraction (par exemple un stress prolongé), sans pour autant qu'elle soit constitutive d'un fait justificatif,

e) le fait que l'auteur de l'infraction a, d'une manière ou d'une autre, agi en état de légitime défense,

f) la croyance de l'auteur de l'infraction que le meurtre était un acte de miséricorde, et

g) l'âge de l'auteur de l'infraction. "

c) L'annexe 22

40. L'annexe 22 (intitulée " Peines de réclusion à perpétuité obligatoires : cas transitoires ") énonce une série de mesures transitoires pour les détenus qui ont été condamnés à la réclusion à perpétuité obligatoire avant l'entrée en vigueur de l'article 269 de la loi de 2003 et dont la période minimale d'emprisonnement a été fixée par le ministre. Elle s'applique également aux détenus dont le ministre a dit qu'ils ne pourraient jamais bénéficier d'une libération conditionnelle anticipée (c'est-à-dire ceux pour qui a été ordonnée une période punitive à perpétuité). Le paragraphe 3 de cette annexe permet à ces deux catégories de détenus de saisir la High Court, qui doit alors, pour ceux dont la période minimale d'emprisonnement a été fixée par le ministre, rendre une décision précisant la période minimale d'emprisonnement que l'intéressé devra purger avant de pouvoir bénéficier d'une libération anticipée. En vertu du paragraphe 3(1) b), dans les cas où le ministre a signifié au détenu qu'une période punitive à perpétuité a été prononcée, la High Court peut décider que l'intéressé ne pourra pas être libéré (perpétuité réelle).

La High Court ne peut ordonner une période minimale d'emprisonnement plus longue que celle fixée auparavant par le ministre (paragraphe 3(1) a)).

Des dispositions similaires s'appliquent aux peines prononcées après l'entrée en vigueur de la loi pour les meurtres commis avant cette entrée en vigueur. Le paragraphe 10 prévoit que le juge ne peut fixer une période minimale d'emprisonnement qu'il estimerait être plus longue que celle que le ministre aurait vraisemblablement choisie en vertu de la pratique antérieure.

41. Lorsqu'elle est saisie au titre du paragraphe 3 de l'annexe 22, la High Court doit tenir compte notamment de la gravité de l'infraction et, ce faisant, considérer également les principes généraux énoncés à l'annexe 21 ainsi que toute recommandation faite au ministre par la juridiction de jugement ou par le Lord Chief Justice quant à la période minimale d'emprisonnement que le condamné aura à purger avant de pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle (paragraphes 4 et 5 de l'annexe 22). Le condamné peut également présenter des observations à la High Court avant qu'elle ne statue sur sa demande et notamment faire valoir son comportement et les progrès accomplis en prison depuis la date de l'infraction. Les victimes ou leur famille peuvent elles aussi formuler des observations devant la High Court.

C. Le pouvoir discrétionnaire du ministre en matière d'élargissement

42. L'article 30 § 1 de la loi de 1997 permet au ministre, à tout moment, de mettre en liberté conditionnelle un détenu condamné à la réclusion à perpétuité s'il est convaincu que des circonstances exceptionnelles justifient pareille mesure pour des motifs d'humanité.

43. Les critères d'exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont précisés au chapitre 12 de l'ordonnance n° 4700 de l'administration pénitentiaire. Il s'agit d'un texte publié sous l'autorité du ministre qui énonce la politique et les principes relatifs au traitement des détenus purgeant une peine de durée indéterminée (y compris une peine de réclusion à perpétuité obligatoire), et ce tant pendant la détention que postérieurement, après une libération conditionnelle.

Les parties pertinentes du chapitre 12 se lisent comme suit :

" Les critères d'élargissement à titre d'humanité pour des raisons médicales qui s'appliquent à tous les détenus condamnés à une peine de durée indéterminée sont les suivants :

- le détenu est atteint d'une maladie mortelle et risque de mourir à très brève échéance (cette notion n'est pas autrement définie, mais une échéance de trois mois paraît raisonnable pour la saisine de la section chargée de la protection publique - Public Protection Casework Section), il est grabataire ou souffre d'une invalidité (paralysie ou graves problèmes cardiaques, par exemple) ;

et

- le risque de récidive (en particulier pour une infraction à caractère sexuel ou violent) est minime ;

et

- le maintien en détention réduirait l'espérance de vie du détenu ;

et

- des dispositions adéquates ont été prises pour soigner et traiter le détenu hors de la prison ;

et

- une libération anticipée serait grandement dans l'intérêt du détenu ou de sa famille. "

[les soulignements sont d'origine]

L'ordonnance précise également que l'élargissement pour motifs d'humanité doit être approuvé par le ministre lui-même : pareille décision est non susceptible de délégation.

44. Selon le Gouvernement, au 28 avril 2011, 4 900 détenus purgeaient en Angleterre et au pays de Galles une peine de réclusion à perpétuité obligatoire pour assassinat.

Une ordonnance de perpétuité réelle aurait été décernée à l'encontre de quarante et un d'entre eux (y compris ceux internés dans des hôpitaux de haute sécurité). Depuis 2000, aucun détenu condamné à la perpétuité réelle n'aurait été élargi pour des motifs d'humanité. En réponse à une demande formulée par le premier requérant au titre de la liberté d'information, le ministère de la Justice a indiqué que, au 30 novembre 2009, treize personnes condamnées à une peine de réclusion à perpétuité mais non à la perpétuité réelle avaient été élargies pour de tels motifs.

D. La jurisprudence interne pertinente concernant les peines de réclusion à perpétuité obligatoire et la Convention

1. La jurisprudence relative au régime antérieur à la loi de 2003

45. Dans les affaires R. v. Lichniak et R. v. Pyrah ([2003] 1 AC 903), la Chambre des lords jugea que, telle qu'appliquée alors, la réclusion à perpétuité obligatoire n'était incompatible ni avec l'article 3 ni avec l'article 5 de la Convention.

Elle estima que cette peine était en partie répressive et en partie préventive, le volet répressif étant représenté par la période punitive, imposée comme châtiment pour le grave crime commis par le meurtrier condamné. Quant au volet préventif, il était représenté par le pouvoir de maintenir le meurtrier condamné en détention aussi longtemps que la commission de libération conditionnelle, organe indépendant, n'aurait pas estimé son élargissement sans danger, ainsi que par le pouvoir de réincarcérer un meurtrier condamné libéré s'il était jugé nécessaire d'agir ainsi pour la protection du public (Lord Bingham of Cornhill, paragraphe 8 de l'arrêt de la Chambre des lords).

La Chambre des lords conclut, premièrement, que les griefs de l'appelant n'étaient pas d'une gravité suffisante pour faire entrer en jeu l'article 3 de la Convention et, deuxièmement, que la réclusion à perpétuité n'était pas une peine arbitraire ou contraire pour une autre raison à l'article 5 § 1 de la Convention. Lord Bingham ajouta :

" Si nous avions conclu que le prononcé d'une peine de réclusion à perpétuité obligatoire pour assassinat signifie que le meurtrier condamné se voit confisquer sa liberté par l'Etat pour le restant de ses jours et demeure en prison aussi longtemps que le ministre de l'Intérieur n'a pas décrété qu'il serait davantage dans l'intérêt général de le libérer que de le maintenir en détention, je ne doute guère qu'une telle peine serait jugée contraire aux articles 3 et 5 de la Convention européenne des droits de l'homme (...) à raison de son caractère arbitraire et disproportionné (...) ".

46. Dans ses arrêts R. v. Secretary of State for the Home Department, ex parte Hindley ([2001] 1 AC 410, HL) et R. v. Anderson ([2003] 1 AC 837, HL), la Chambre des lords jugea que, en vertu des règles régissant alors la période punitive, il n'y avait " aucune raison, en principe, pour qu'un ou plusieurs crimes, s'ils sont suffisamment atroces, ne soient pas considérés comme méritant la réclusion à vie aux seules fins de châtiment " (Lord Steyn, p. 416H). Lord Steyn ajouta : " d'un point de vue logique, il n'est en rien incompatible avec la notion de période punitive de dire qu'il y a des cas où les crimes sont tellement odieux que, quand bien même le détenu resterait incarcéré jusqu'à son décès, il ne serait pas entièrement satisfait aux impératifs de rétribution et de dissuasion " (p. 417H). La Chambre des lords estima en outre que le ministre n'avait pas bridé illégalement son pouvoir discrétionnaire en réexaminant les cas de détenus condamnés à une période punitive à perpétuité ayant passé vingt-cinq ans en prison et en réduisant la période le cas échéant. L'arrêt prenait acte de la déclaration de principe du ministre du 10 novembre 1997, dans laquelle ce dernier se disait disposé à accepter que, dans des cas exceptionnels, notamment celui d'un accomplissement par le détenu de progrès exceptionnels en prison, une réduction de la période punitive puisse passer pour appropriée. Le ministre ajoutait qu'il garderait cette possibilité à l'esprit lorsqu'il réexaminerait, au bout de vingt-cinq ans d'emprisonnement, les cas de détenus condamnés à une période punitive à perpétuité et que, à cet égard, il tiendrait compte d'éléments autres que les seuls impératifs de rétribution et de dissuasion (p. 417A-C).

2. La jurisprudence relative au régime instauré par la loi de 2003 et à sa compatibilité avec la Convention

a) R v. Bieber

47. Dans son arrêt R v. Bieber ([2009] 1 WLR 223), la Cour d'appel examina la compatibilité de la loi de 2003 avec l'article 3 de la Convention à la lumière de l'arrêt Kafkaris (précité).

Ayant relevé que, dans cet arrêt, la Cour avait dit que l'imposition d'une peine perpétuelle incompressible pouvait soulever une question au regard de l'article 3, la Cour d'appel ajouta :

" 39. Il nous semble que la Cour [dans l'arrêt Kafkaris] a estimé que la perpétuité incompressible soulevait une question au regard de l'article 3 lorsqu'elle risquait de conduire au maintien en détention du criminel au-delà de la durée justifiée par les objectifs légitimes de l'emprisonnement. C'est ce qui découle implicitement du fait qu'aucune question ne paraît se poser sur le terrain de l'article 3 dès lors qu'existe, en droit et en pratique, la possibilité que le criminel soit libéré alors même qu'il demeure possible, voire probable, qu'il passera le restant de ses jours en prison. Le critère essentiel paraît être la possibilité d'un contrôle qui permette de déterminer si la détention demeure ou non justifiée.

40. Les objectifs légitimes de l'emprisonnement sont le châtiment, la dissuasion, l'amendement et la protection du public. Lorsqu'est infligée une peine de réclusion à perpétuité obligatoire pour un crime, il se peut que tous ces objectifs soient accomplis du vivant du détenu. Celui-ci aura peut-être passé suffisamment de temps en prison pour satisfaire aux impératifs de châtiment et de dissuasion et il se sera peut-être amendé au point de ne plus constituer une menace pour le public. Si, malgré cela, il reste emprisonné pour le restant de ses jours, on peut à tout le moins défendre la thèse qu'il s'agit là d'un traitement inhumain. Nous avons donc conclu que, dès lors qu'un crime est puni de la perpétuité obligatoire et incompressible indépendamment des circonstances particulières dans lesquelles il a été commis, une question se pose sur le terrain de l'article 3.

41. La décision adoptée dans l'affaire Kafkaris soulève une question plus épineuse : existe-t-il une période maximale d'emprisonnement pouvant se justifier par les objectifs de châtiment et de dissuasion au-delà de laquelle le détenu devra être élargi si, s'étant amendé, il ne risque plus de se livrer à des activités délictueuses ? S'il faut répondre par l'affirmative, alors on peut dire de manière défendable qu'une peine d'emprisonnement à perpétuité incompressible susceptible de conduire à une détention allant au-delà de cette période est inhumaine et qu'elle soulève une question au regard de l'article 3. Le juge Bratza, dans son opinion concordante, et les cinq juges auteurs d'une opinion partiellement dissidente ont estimé que tel était bien le cas. Les textes européens auxquels nous nous sommes référés montrent que, pour certains Etats membres, l'impératif de châtiment ne peut justifier qu'une durée limitée d'emprisonnement, passé laquelle des considérations d'humanité imposent d'octroyer au détenu la possibilité de démontrer qu'il est apte à se réinsérer dans la société.

42. Le Royaume-Uni ne figure pas parmi ces Etats membres. L'annexe 21 à la loi de 2003 postule que certains crimes sont tellement odieux qu'ils justifient l'emprisonnement de leur auteur pour le restant de ses jours, quelle que soit la durée que cela représente. Au paragraphe 104 de l'arrêt Kafkaris, la majorité a reconnu les différences d'approche entre les divers Etats membres. Dans cette affaire, la Cour était appelée à examiner une peine d'emprisonnement à perpétuité obligatoire, et son raisonnement doit être apprécié à cette aune. Nous ne pensons pas qu'il faille conclure de la décision de la majorité de la Grande Chambre qu'une peine perpétuelle incompressible considérée comme adéquate par le juge pour satisfaire aux impératifs de châtiment et de dissuasion dans le cas d'une infraction très grave, risque d'entrer en conflit avec l'article 3. "

48. La Cour d'appel rechercha ensuite si c'était l'imposition même d'une peine perpétuelle incompressible qui emportait violation de l'article 3 ou si la violation potentielle ne se matérialisait qu'une fois la détention dépassant la durée pouvant se justifier par les impératifs de châtiment et de dissuasion. Elle fit sienne la seconde thèse.

49. Voici comment elle s'exprima :

" 45. Si, en droit anglais, l'assassinat est une infraction qui appelle une peine d'emprisonnement à perpétuité obligatoire, cette peine n'est pas en principe incompressible. Le juge précise la période minimale d'emprisonnement que, à des fins de châtiment et de dissuasion, l'auteur de cette infraction aura à accomplir avant de pouvoir espérer bénéficier d'une libération conditionnelle. Si la perpétuité réelle est ordonnée, c'est que le juge estime que l'infraction est si grave que, à des fins de châtiment et de dissuasion, son auteur doit rester en prison pour le restant de ses jours. Pour les motifs que nous avons exposés, nous ne pensons pas que la Cour de Strasbourg ait dit qu'une réclusion à perpétuité incompressible, délibérément imposée par un juge en pareilles circonstances, s'analyse en une détention contraire à l'article 3. Nous ne pensons pas non plus qu'elle parvienne à l'avenir à une telle conclusion.

46. Peut-être la jurisprudence de la Cour de Strasbourg va-t-elle évoluer. Il semble exister en Europe un courant en défaveur de l'imposition de très longues peines d'emprisonnement incompressibles. Il va donc peut-être devenir nécessaire de rechercher si les peines de perpétuité réelle ordonnées dans notre ressort sont en réalité incompressibles.

(...)

48. Dans le cadre du régime actuel, l'article 30 de la loi de 1997 sur les peines en matière criminelle confère au ministre un pouvoir limité en matière d'élargissement des personnes détenues à vie.

(...)

Aujourd'hui, le ministre fait usage de ce pouvoir avec parcimonie, par exemple lorsque le détenu est atteint d'une maladie en phase terminale, lorsqu'il est grabataire ou lorsqu'il se trouve dans un état d'invalidité comparable. Toutefois, si la situation est telle que le maintien en détention d'un détenu est assimilable à un traitement inhumain ou dégradant, aucune raison ne s'oppose selon nous à ce que, compte tenu en particulier de l'obligation de respecter la Convention, le ministre libère l'intéressé comme la loi lui en donne le pouvoir.

49. Pour ces motifs, et dans le droit fil de l'approche adoptée par la Cour de Strasbourg dans l'arrêt Kafkaris, nous ne pensons pas qu'il faille considérer la perpétuité réelle comme une peine incompressible. Dès lors, si l'on veut contester l'infliction de la perpétuité réelle sur le fondement de l'article 3, il faut le faire non pas au moment du prononcé de la peine mais au stade où le détenu soutient que, compte tenu de l'ensemble des circonstances pertinentes, notamment du temps passé et des progrès accomplis en prison, tout prolongement de la détention serait constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant.

50. Voilà pourquoi nous rejetons le moyen tiré de l'article 3 pour contester la peine infligée au défendeur. "

b) R v. Oakes and others

50. Dans son arrêt R v. Oakes and others ([2012] EWCA Crim 2435), la Cour d'appel examina une nouvelle fois la compatibilité de la perpétuité réelle avec l'article 3 de la Convention. Elle dit notamment ceci :

" Tout pays civilisé souscrit au principe consacré à l'article 3.

(...)

Cependant, tout pays civilisé souscrit aussi au principe voulant qu'une personne reconnue coupable d'une infraction pénale reçoive une juste peine. Toutes ces questions tenant au caractère juste et proportionné de la peine donnent matière à des débats rationnels et à des désaccords courtois. L'appréciation de ce qui doit être considéré comme une peine juste ou comme une peine inhumaine ou dégradante dans tel ou tel cas peut légitimement donner lieu à des réponses différentes selon les pays, voire, dans un même pays, à des réponses différentes selon les époques. C'est là, au moins en partie, le fruit de l'histoire de chaque pays. La question de savoir si la perpétuité réelle est constitutive d'une violation de l'article 3 de la Convention, ou d'ailleurs du vieux principe de common law voulant que la peine soit proportionnée à l'ensemble des circonstances pertinentes de l'infraction et à la situation de son auteur, fait l'objet d'amples débats. "

La Cour d'appel releva ensuite que tant le Lord Justice Laws dans l'arrêt Wellington (paragraphe 54 ci-dessous) que la minorité de la chambre dans l'arrêt rendu en l'espèce s'étaient montrés très inquiets devant la peine de perpétuité réelle. Elle observa toutefois également que l'opinion inverse avait été exprimée, notamment dans les arrêts Hindley et Wellington (paragraphes 46 ci-dessus et 57 ci-dessous), et qu'il y avait lieu de reconnaître et respecter comme il se devait les vues légitimes mais contradictoires exprimées sur cette question.

51. Après avoir examiné les arrêts rendus par la Cour dans les affaires Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni (n°s 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, 10 avril 2012), Harkins et Edwards c. Royaume-Uni (n°s 9146/07 et 32650/07, 17 janvier 2012), ainsi que dans la présente affaire, la Cour d'appel s'exprima comme suit (paragraphe 22 de son arrêt) :

" A la lumière de cette analyse des précédents de la Cour européenne, il nous semble clair que celle-ci part du principe que, pourvu que les tribunaux se soient penchés sur la possibilité de retenir des circonstances atténuantes en faveur de l'accusé, une peine de perpétuité réelle ordonnée par eux dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation discrétionnaire du niveau de sanction approprié aux fins de châtiment et de dissuasion à la suite d'une condamnation pour un crime de la plus extrême gravité ne s'analyse pas en une peine inhumaine ou dégradante. En somme, chaque Etat peut, dans sa législation, prévoir l'imposition d'une période minimale d'emprisonnement à purger au titre de la perpétuité réelle, et les tribunaux peuvent, si le cas s'y prête, ordonner pareille peine en vertu de leur pouvoir juridictionnel discrétionnaire. "

52. Enfin, après avoir souligné que la perpétuité réelle était une peine infligée en dernier ressort, que rien dans la loi n'imposait à la juridiction de jugement de la prononcer si l'intérêt de la justice ne l'exigeait pas, et que les principes énoncés à l'annexe 21 étaient d'application souple, la Cour d'appel conclut :

" Il en résulte que la perpétuité réelle, fruit de la législation primaire, est réservée aux rares infractions d'une si exceptionnelle gravité que, après s'être penché sur la totalité des circonstances aggravantes et des circonstances atténuantes, le juge est convaincu que le prononcé de cette peine est nécessaire au regard des impératifs de juste châtiment et de rétribution. Si - mais seulement si - il se justifie de conclure ainsi, la perpétuité réelle est appropriée. Il ne s'agit ni d'une peine obligatoire, ni d'une peine automatique ni d'une peine plancher.

Dans ces conditions, les dispositions de l'annexe 21 à la loi de 2003, et de son paragraphe 4 en particulier, qui permet aux tribunaux d'ordonner la perpétuité réelle en cas d'infraction d'une exceptionnelle gravité, ne sont pas incompatibles avec l'article 3 de la Convention et n'enfreignent pas celui-ci. "

3. L'arrêt R (Wellington) v. Secretary of State for the Home Department ([2008] UKHL 72)

53. Les Etats-Unis d'Amérique avaient demandé aux autorités britanniques d'extrader Ralston Wellington afin qu'il pût être jugé dans le Missouri pour deux chefs de meurtre au premier degré. M. Wellington avait formé un recours contre son extradition, soutenant qu'il existait un risque réel qu'il subît un traitement inhumain ou dégradant, à savoir une condamnation à une peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, et que la mesure envisagée était donc contraire à l'article 3 de la Convention.

54. Prononçant le jugement de la High Court ([2007] EWHC 1109 (Admin)), le Lord Justice Laws constata qu'il existait " de puissants arguments de philosophie pénale " permettant de considérer que le risque d'une réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle était contraire en soi à l'article 3 de la Convention. Il dit notamment ceci :

" Aussi diversement que l'abolition de la peine de mort ait été saluée et justifiée, elle doit avoir été fondée au moins sur l'idée que la vie de toute personne, aussi dépravée soit-elle, a une valeur inaliénable. La destruction d'une vie a beau être acceptable dans certaines circonstances particulières, par exemple en cas de légitime défense ou de guerre juste, l'impératif d'un châtiment rétributif ne suffira jamais à la justifier. Or l'incarcération d'une personne sans espoir de libération se rapproche à bien des égards d'une condamnation à la peine capitale. Cette personne ne pourra jamais racheter sa faute. Indépendamment des efforts qu'elle pourra déployer pendant son incarcération pour s'amender, son châtiment ne prendra fin qu'avec son dernier souffle. Au même titre que la peine de mort, la perpétuité réelle est la loi du talion. Mais la correspondance théorique ou réelle de la réclusion perpétuelle avec le crime pour lequel le détenu est puni (la seule vertu de la loi du talion) ne garantit guère une sanction proportionnée car cette peine est arbitraire en ce qu'elle se mesure en jours ou en décennies, selon le temps qu'il reste à vivre au détenu. Elle risque donc d'être disproportionnée - le vice même qui est condamné sur le terrain de l'article 3 - à moins bien sûr que l'on applique la logique de la peine de mort : le crime est si odieux qu'il est impossible de le racheter. Or, en pareil cas, la valeur supposée inaliénable de la vie du détenu se réduit à sa survie, à rien de plus que sa capacité à respirer et à voir défiler les jours dans des conditions, à n'en pas douter, décentes. C'est là proclamer un attachement de pure forme à la valeur de la vie, et non pas l'honorer. "

Cependant, et " non sans hésitations ", le Lord Justice Laws considéra que, au vu de la jurisprudence pertinente, y compris celle de la Cour européenne, une peine de réclusion à perpétuité incompressible ne soulèverait pas toujours une question au regard de l'article 3.

55. M. Wellington forma un recours devant la Chambre des lords. Les cinq lords membres de la Chambre jugèrent tous que, compte tenu des pouvoirs du gouverneur du Missouri en matière de grâce et de commutation, la peine dont il était passible serait tout aussi compressible que celle en cause dans l'affaire Kafkaris (précitée).

56. Ils ajoutèrent que, dans cette même affaire, la Cour avait seulement dit que l'imposition d'une peine d'emprisonnement à perpétuité incompressible pouvait soulever une question au regard de l'article 3. Selon eux, une peine de perpétuité réelle ne pouvait s'analyser en un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 que si elle était nettement ou manifestement disproportionnée. Lord Brown, en particulier, conclut que même une peine incompressible ne serait considérée par la Cour comme violant l'article 3 qu'à partir du moment où le maintien en détention ne pourrait plus être justifié par aucun impératif : ni celui de châtiment, ni celui de dissuasion ni celui de protection du public.

57. De plus, Lord Hoffmann, Lord Scott, la baronne Hale et Lord Brown émirent tous des doutes quant à l'opinion du Lord Justice Laws selon laquelle la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle serait la loi du talion. Lord Hoffmann, la baronne Hale et Lord Brown récusèrent le postulat du Lord Justice Laws suivant lequel l'abolition de la peine capitale avait été fondée sur l'idée que la vie de toute personne possède une valeur inaliénable : selon eux, d'autres raisons, plus pragmatiques, avaient été à l'origine de l'abolition, par exemple le caractère irréversible et l'absence d'effet dissuasif de cette peine. Lord Scott écarta l'idée qu'une peine perpétuelle incompressible fût inhumaine et dégradante en ce qu'elle refuserait au détenu la possibilité de se racheter : selon lui, une fois admis que la perpétuité réelle pouvait constituer une juste peine, c'est en la purgeant que le détenu se rachetait.

58. La requête introduite par M. Wellington devant la Cour fut rayée du rôle le 5 octobre 2010, son auteur ayant fait savoir qu'il souhaitait la retirer (Wellington c. Royaume-Uni (déc.), n° 60682/08, 5 octobre 2010).

III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT EUROPÉEN, INTERNATIONAL ET COMPARÉ CONCERNANT LES PEINES PERPÉTUELLES ET LES PEINES " NETTEMENT DISPROPORTIONNÉES "

59. Aux paragraphes 68 à 76 de l'arrêt Kafkaris précité se trouvent exposés les textes pertinents du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne ainsi que d'autres instruments internationaux concernant l'imposition et le réexamen des peines de réclusion à perpétuité, y compris les obligations que fait peser le Conseil de l'Europe sur ses Etats membres dans le cadre de l'extradition de personnes vers des Etats où elles risquent d'être condamnées à des peines de ce type. On trouvera ci-dessous le résumé des éléments supplémentaires produits devant la Cour en l'espèce (ainsi que de ceux cités dans l'arrêt Kafkaris et expressément invoqués par les parties).

A. Les textes du Conseil de l'Europe

1. La Résolution 76(2)

60. A partir de 1976, le Comité des Ministres a adopté une série de résolutions et de recommandations concernant les détenus purgeant des peines de longue durée (" longues peines ") et ceux purgeant des peines perpétuelles. Dans sa Résolution 76(2) du 17 février 1976, la première sur la question, le Comité des Ministres recommandait notamment aux Etats membres :

" 1. de poursuivre une politique criminelle selon laquelle de longues peines ne doivent être infligées que si elles sont nécessaires à la protection de la société ;

2. d'adopter les mesures législatives et administratives propres à favoriser un traitement adéquat pendant l'exécution de ces peines ;

(...)

9. de s'assurer que les cas de tous les détenus seront examinés aussitôt que possible pour voir si une libération conditionnelle peut leur être accordée ;

10. d'accorder au détenu la libération conditionnelle, sous réserve des exigences légales concernant les délais, dès le moment où un pronostic favorable peut être formulé, la seule considération de prévention générale ne pouvant justifier le refus de la libération conditionnelle ;

11. d'adapter aux peines de détention à vie les mêmes principes que ceux régissant les longues peines ;

12. de s'assurer que pour les peines de détention à vie l'examen prévu [au paragraphe] 9 ait lieu si un tel examen n'a pas déjà été effectué au plus tard après huit à quatorze ans de détention et soit répété périodiquement ; "

2. La Recommandation 2003(23)

61. Le 9 octobre 2003, le Comité des Ministres a adopté la Recommandation (2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, dont le préambule énonce :

" (...) l'exécution des peines privatives de liberté suppose la recherche d'un équilibre entre, d'une part, le maintien de la sécurité et le respect de l'ordre et de la discipline dans les établissements pénitentiaires, et, d'autre part, la nécessité d'offrir aux détenus des conditions de vie décentes, des régimes actifs et une préparation constructive de leur libération ; "

Le paragraphe 2 de la recommandation expose ensuite les buts de la gestion des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, qui sont censés être :

" - de veiller à ce que les prisons soient des endroits sûrs et sécurisés pour les détenus et les personnes qui travaillent avec eux ou qui les visitent ;

- d'atténuer les effets négatifs que peut engendrer la détention de longue durée et à perpétuité ;

- d'accroître et d'améliorer la possibilité pour ces détenus de se réinsérer avec succès dans la société et de mener à leur libération une vie respectueuse des lois. "

Parmi les principes généraux de la gestion des détenus de ce type formulés dans la recommandation figurent i) le principe d'individualisation, qui consiste à prendre en considération la diversité des caractéristiques individuelles des condamnés à perpétuité et des détenus de longue durée et d'en tenir compte pour établir des plans individuels de déroulement de la peine, et ii) le principe de progression, qui prévoit que la planification individuelle de la gestion de la peine à perpétuité ou de longue durée d'un détenu vise à assurer une évolution progressive à travers le système pénitentiaire (voir les paragraphes 3 et 8 de la recommandation). Le rapport joint à la recommandation, rédigé sous l'égide du Comité européen pour les problèmes criminels, ajoute que la progression a pour finalité ultime une transition constructive de la vie carcérale à la vie en société (paragraphe 44 du rapport).

Le paragraphe 10 de la recommandation (planification des peines) prévoit que les plans de déroulement de la peine doivent servir d'approche systématique notamment pour l'évolution progressive du détenu à travers le système pénitentiaire dans des conditions progressivement moins restrictives jusqu'à une étape finale qui, idéalement, se passerait en milieu ouvert, de préférence au sein de la société, ainsi que pour les conditions et les mesures de prise en charge favorisant un mode de vie respectueux des lois et l'adaptation à la communauté après une libération conditionnelle.

Le paragraphe 16 pose que la dangerosité et les besoins criminogènes ne sont pas des caractéristiques intrinsèquement stables et qu'il y a dès lors lieu de procéder périodiquement à une évaluation des risques et des besoins.

Enfin, les paragraphes 33 et 34 (concernant la préparation du retour dans la société) précisent ceci :

" 33. Pour aider les condamnés à la perpétuité et les autres détenus de longue durée à surmonter le problème particulier du passage d'une incarcération prolongée à un mode de vie respectueux des lois au sein de la société, leur libération devrait être préparée suffisamment à l'avance et prendre en considération les points suivants :

- la nécessité d'élaborer des plans spécifiques concernant la prélibération et la postlibération, prenant en compte des risques et des besoins pertinents ;

- la prise en compte attentive des possibilités favorisant une libération et la poursuite après la libération de tous programmes, interventions ou traitement dont les détenus auraient fait l'objet pendant leur détention ;

- la nécessité d'assurer une collaboration étroite entre l'administration pénitentiaire, les autorités assurant la prise en charge après la libération et les services sociaux et médicaux.

34. L'octroi et la mise en application de la libération conditionnelle pour les condamnés à la perpétuité et les autres détenus de longue durée devraient être guidés par les principes contenus dans la Recommandation Rec(2003)22 sur la libération conditionnelle. "

Le paragraphe 131 du rapport joint à la recommandation apporte la précision suivante à propos du paragraphe 34 de celle-ci :

" La Recommandation Rec (2003)23 énonce le principe selon lequel tous les détenus, à l'exception de ceux purgeant des peines extrêmement courtes, devraient avoir la possibilité de bénéficier d'une libération conditionnelle. Ce principe s'applique aussi, selon les termes de la recommandation, aux condamnés à perpétuité. Il convient cependant de noter qu'il s'agit seulement de la possibilité d'octroyer une libération conditionnelle aux condamnés à perpétuité et que cela ne doit pas être systématique. "

3. La Recommandation 2003(22)

62. La Recommandation (2003)22, concernant la libération conditionnelle, a été adoptée par le Comité des Ministres le 24 septembre 2003. Elle est abondamment citée au paragraphe 72 de l'arrêt Kafkaris (précité). Pour résumer, elle énonce une série de recommandations concernant la préparation de la libération conditionnelle, l'octroi de celle-ci, les conditions qui peuvent y être mises et les garanties procédurales qui l'entourent. Parmi les principes généraux qui s'y trouvent énoncés figurent ceux-ci (paragraphes 3 et 4.a) :

" 3. La libération conditionnelle devrait viser à aider les détenus à réussir la transition de la vie carcérale à la vie dans la communauté dans le respect des lois, moyennant des conditions et des mesures de prise en charge après la libération visant cet objectif et contribuant à la sécurité publique et à la diminution de la délinquance au sein de la société.

4.a. Afin de réduire les effets délétères de la détention et de favoriser la réinsertion des détenus dans des conditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle. "

L'exposé des motifs joint à la recommandation précise ce qui suit au sujet du paragraphe 4 de celle-ci :

" Il ne faut pas ôter aux détenus condamnés à vie l'espoir d'obtenir une libération. Tout d'abord, parce qu'on ne peut pas raisonnablement soutenir que tous les condamnés à perpétuité resteront toujours dangereux pour la société. En second lieu, parce que la détention de personnes qui n'ont aucun espoir d'être libérées pose de graves problèmes de gestion, qu'il s'agisse de les inciter à coopérer et à brider leur comportement perturbateur, de proposer des programmes de développement personnel, d'organiser la planification de la peine ou d'assurer la sécurité. Ainsi, les pays dont la législation comporte des peines effectives de prison à vie devraient créer des possibilités de réexamen de la peine après un certain nombre d'années et à intervalles réguliers, afin de décider si un(e) détenu(e) condamné(e) à perpétuité peut purger le reste de sa peine au sein de la communauté et dans quelles conditions et avec quelles mesures de prise en charge. "

4. Le document de travail du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants sur les peines perpétuelles réelles/effectives

63. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants (CPT) a adopté en 2007 un rapport (CPT (2007) 55, 27 juin 2007), intitulé " Condamnations à la perpétuité réelle/effective " et rédigé par M. Jørgen Worsaae Rasmussen, membre du comité, qui passe en revue différents textes du Conseil de l'Europe sur les peines perpétuelles, dont les Recommandations (2003)22 et (2003)23, et indique en substance a) que le principe consistant à prévoir la possibilité pour tous les détenus de bénéficier d'une libération conditionnelle vaut aussi pour " les condamnés à perpétuité " et b) que tous les Etats membres du Conseil de l'Europe prévoient la possibilité d'une libération pour motif d'humanité mais que cette " forme spéciale de libération " est distincte de la libération conditionnelle.

Ce rapport fait état de l'existence d'un courant d'opinion qui aurait été à l'origine de propositions de réforme de la procédure de révision des condamnations à perpétuité au Danemark, en Finlande et en Suède et suivant lequel la libération discrétionnaire des détenus, à l'instar de leur condamnation, relève de la compétence des tribunaux et non de l'exécutif. Le rapport cite également, en l'approuvant, le rapport établi par le CPT à l'issue de sa visite en Hongrie en 2007, dans lequel on peut lire :

" en ce qui concerne les " vrais condamnés à perpétuité ", le CPT émet de sérieuses réserves quant au concept même qui veut que les détenus en question, une fois condamnés, soient considérés une fois pour toutes comme une menace permanente pour la communauté et soient privés de tout espoir de libération conditionnelle. "

Dans ses conclusions, le document formule diverses recommandations : aucun détenu ne devrait être " catalogué " comme susceptible de passer sa vie en prison, le refus de libération ne devrait jamais être définitif et même les détenus réincarcérés ne devraient pas être privés de l'espoir d'une libération.

5. Le rapport du CPT sur la Suisse

64. Le rapport du CPT sur sa visite en Suisse du 10 au 20 octobre 2011 (CPT/Inf (2012) 26, 25 octobre 2012) renferme les observations suivantes sur le système suisse de réclusion à perpétuité pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel ou violent considérés comme extrêmement dangereux et non amendables :

" Le CPT émet de sérieuses réserves quant au concept même de l'internement " à vie " selon lequel ces personnes, une fois qu'elles ont été déclarées extrêmement dangereuses et non amendables, sont considérées une fois pour toutes comme présentant un danger permanent pour la société et se voient formellement privées de tout espoir d'allégement de l'exécution de la mesure, voire même de libération conditionnelle. Etant donné que la seule possibilité d'être libérée, pour la personne concernée, dépend d'une avancée scientifique, elle est privée de toute capacité d'avoir une influence sur son éventuelle libération, par le biais de sa bonne conduite dans le cadre de l'exécution de la mesure, par exemple.

A cet égard, le Comité renvoie à la Recommandation Rec (2006)2 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, du 11 janvier 2006, sur les Règles pénitentiaires européennes, ainsi qu'au paragraphe 4.a. de la Recommandation Rec (2003)22 du Comité des Ministres, du 24 septembre 2003, concernant la libération conditionnelle, laquelle indique clairement que la législation devrait prévoir la possibilité pour tous les détenus condamnés, y compris les personnes faisant l'objet d'une sanction pénale à vie, de bénéficier de la libération conditionnelle. L'exposé des motifs de [cette dernière] insiste sur le fait que les condamnés à vie ne doivent pas se voir priver de l'espoir d'être libérés.

Le CPT estime donc qu'il est inhumain d'incarcérer une personne à vie sans réels espoirs de libération. Le Comité invite fermement les autorités suisses à réexaminer le concept d'internement " à vie " en conséquence. " [les caractères gras sont d'origine]

B. Le droit pénal international

65. L'article 77 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (" la CPI ") permet l'imposition d'une peine d'emprisonnement à perpétuité si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient. L'article 110 § 3 dispose que, lorsqu'une personne a accompli vingt-cinq années d'emprisonnement dans le cas d'une condamnation à perpétuité, la CPI réexamine la peine pour déterminer s'il y a lieu de la réduire. Elle ne procède pas à ce réexamen avant ce terme. Les paragraphes 4 et 5 de l'article 110 sont ainsi libellés :

" 4. Lors du réexamen prévu au paragraphe 3, la Cour peut réduire la peine si elle constate qu'une ou plusieurs des conditions suivantes sont réalisées :

a) La personne a, dès le début et de façon continue, manifesté sa volonté de coopérer avec la Cour dans les enquêtes et poursuites de celle-ci ;

b) La personne a facilité spontanément l'exécution des décisions et ordonnances de la Cour dans d'autres cas, en particulier en l'aidant à localiser des avoirs faisant l'objet de décisions ordonnant leur confiscation, le versement d'une amende ou une réparation et pouvant être employés au profit des victimes ; ou

c) D'autres facteurs prévus dans le Règlement de procédure et de preuve attestent un changement de circonstances manifeste aux conséquences appréciables de nature à justifier la réduction de la peine.

5. Si, lors du réexamen prévu au paragraphe 3, la Cour détermine qu'il n'y a pas lieu de réduire la peine, elle réexamine par la suite la question de la réduction de peine aux intervalles prévus dans le Règlement de procédure et de preuve et en appliquant les critères qui y sont énoncés. "

La procédure et les autres critères de réexamen sont fixés aux règles 223 et 224 du Règlement de procédure et de preuve.

La règle 223 prévoit :

" Critères pour l'examen de la question de la réduction de la peine

Lorsqu'ils examinent la question de la réduction d'une peine en vertu des paragraphes 3 et 5 de l'article 110, les trois juges de la Chambre d'appel prennent en considération les critères énumérés aux alinéas a) et b) du paragraphe 4 de l'article 110, ainsi que les critères suivants :

a) Le fait que le comportement de la personne condamnée en détention montre que l'intéressée désavoue son crime ;

b) Les possibilités de resocialisation et de réinsertion réussie de la personne condamnée ;

c) La perspective que la libération anticipée de la personne condamnée ne risque pas d'être une cause d'instabilité sociale significative ;

d) Toute action significative entreprise par la personne condamnée en faveur des victimes et les répercussions que la libération anticipée peut avoir sur les victimes et les membres de leur famille ;

e) La situation personnelle de la personne condamnée, notamment l'aggravation de son état de santé physique ou mentale ou son âge avancé. "

La règle 224 § 3 dispose que, aux fins de l'application du paragraphe 5 de l'article 110 du Statut, trois juges de la Chambre d'appel examinent la question de la réduction de peine tous les trois ans, sauf si un intervalle inférieur a été fixé dans une décision prise en application du paragraphe 3 de l'article 110. Elle ajoute que, si les circonstances se trouvent sensiblement modifiées, ces trois juges peuvent autoriser la personne condamnée à demander un réexamen pendant cette période de trois ans ou à tout intervalle plus court qu'ils auraient fixé.

66. L'article 27 du Statut du Tribunal pénal international pour l'ex
-Yougoslavie (" le TPIY ") dispose que la peine d'emprisonnement est purgée dans un Etat désigné par le TPIY. La réclusion est soumise aux règles nationales de l'Etat concerné, sous le contrôle du TPIY. L'article 28 (grâce et commutation de peine) précise :

" Si le condamné peut bénéficier d'une grâce ou d'une commutation de peine en vertu des lois de l'Etat dans lequel il est emprisonné, cet Etat en avise le Tribunal. Le Président du Tribunal, en consultation avec les juges, tranche selon les intérêts de la justice et les principes généraux du droit. "

On retrouve des dispositions similaires aux articles 27 et 28 du Statut du TPIY dans les articles 26 et 27 du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda, dans les articles 22 et 23 du Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone et dans les articles 29 et 30 du Statut du Tribunal spécial pour le Liban.

C. Le droit de l'Union européenne

67. L'article 5 § 2 de la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen et à la procédure de remise entre Etats membres, adoptée par le Conseil de l'Union européenne le 13 juin 2002, dispose :

" lorsque l'infraction qui est à la base du mandat d'arrêt européen est punie par une peine ou une mesure de sûreté privatives de liberté à caractère perpétuel, l'exécution dudit mandat peut être subordonnée à la condition que le système juridique de l'Etat membre d'émission prévoie des dispositions permettant une révision de la peine infligée - sur demande ou au plus tard après vingt ans - ou l'application de mesures de clémence auxquelles la personne peut prétendre en vertu du droit ou de la pratique de l'Etat membre d'émission en vue de la non-exécution de cette peine ou mesure. "

D. La réclusion à perpétuité au sein des Etats contractants

68. A partir des éléments de droit comparé soumis à la Cour, on constate les pratiques suivantes au sein des Etats contractants.

Premièrement, il y a actuellement neuf pays qui ne connaissent pas la réclusion à perpétuité : Andorre, la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, l'Espagne, le Monténégro, la Norvège, le Portugal, Saint-Marin et la Serbie. La durée maximale d'emprisonnement dans ces pays va de vingt et un ans pour la Norvège à quarante-cinq ans pour la Bosnie-Herzégovine. En Croatie, une peine de cinquante ans d'emprisonnement peut être prononcée en cas d'infractions cumulées.

Deuxièmement, dans la majorité des pays où la peine de réclusion à perpétuité existe, un mécanisme spécial permet de réexaminer celle-ci une fois accomplie une certaine période d'emprisonnement minimale d'une durée fixée par la loi. Un tel mécanisme, intégré au droit et à la pratique en matière de fixation des peines, est prévu par la loi dans trente-deux pays : en Albanie (25 ans), en Allemagne (15 ans), en Arménie (20 ans), en Autriche (15 ans), en Azerbaïdjan (25 ans), en Belgique (15 ans, avec une prolongation à 19 ou 23 ans pour les récidivistes), en Bulgarie (20 ans), à Chypre (12 ans), au Danemark (12 ans), en Estonie (30 ans), en ex
-République yougoslave de Macédoine (15 ans), en Finlande (12 ans), en France (18 ans en principe mais 30 pour certains meurtres), en Géorgie (25 ans), en Grèce (20 ans), en Hongrie (20 ans, sauf décision contraire du juge), en Irlande (examen initial par la commission de libération conditionnelle au bout de 7 ans sauf pour certains types de meurtres), en Italie (26 ans), en Lettonie (25 ans), au Liechtenstein (15 ans), au Luxembourg (15 ans), en Moldova (30 ans), à Monaco (15 ans), en Pologne (25 ans), en République tchèque (20 ans), en Roumanie (20 ans), en Russie (25 ans), en Slovaquie (25 ans), en Slovénie (25 ans), en Suède (10 ans), en Suisse (15 ans, réductibles à 10) et en Turquie (24 ans, 30 en cas de réclusion à perpétuité aggravée et 36 en cas de peines cumulées de réclusion à perpétuité aggravée).

Concernant le Royaume-Uni, la Cour note que, en Ecosse, tout juge qui prononce une peine de réclusion à perpétuité est tenu de fixer une durée minimale d'emprisonnement, quand bien même celle-ci dépasserait vraisemblablement le nombre d'années qui reste à vivre au détenu (loi de 2001 sur le respect des droits consacrés par la Convention (Ecosse) - Convention Rights (Compliance) (Scotland) Act 2001).

Troisièmement, cinq pays ne prévoient pas de possibilité de libération conditionnelle pour les condamnés à perpétuité : l'Islande, la Lituanie, Malte, les Pays-Bas et l'Ukraine. Ils permettent toutefois aux détenus de ce type de demander la commutation de leur peine de réclusion à vie par le biais d'une grâce ministérielle, présidentielle ou royale. En Islande, bien que cette peine existe toujours, elle n'a jamais été prononcée.

Quatrièmement, outre l'Angleterre et le pays de Galles, six pays connaissent un système de libération conditionnelle mais excluent son application pour certaines infractions ou peines : la Bulgarie, la France, la Hongrie, la Slovaquie, la Suisse (pour les auteurs d'infractions à caractère sexuel ou violent jugés dangereux et non amendables, voir le rapport du CPT cité au paragraphe 64 ci-dessus) et, enfin, la Turquie.

E. L'Allemagne

69. L'article 1 de la Loi fondamentale de la République fédérale d'Allemagne dispose que la dignité de la personne humaine est intangible et que tous les pouvoirs publics ont le devoir de la respecter et de la protéger. L'article 2 § 2 dispose :

" Chacun a droit à la vie et à l'intégrité physique. La liberté de la personne est inviolable. Il ne peut être porté atteinte à ces droits qu'en vertu d'une loi ".

La Cour constitutionnelle fédérale examina la compatibilité avec ces dispositions d'une peine de réclusion à perpétuité obligatoire pour un meurtre d'une " cruauté gratuite " dans une affaire relative à la prison à vie (Lebenslange Freiheitsstrafe) du 21 juin 1977 (BVerfGE, tome 45, p. 187)[1].

Elle jugea que l'Etat ne pouvait faire de l'auteur de l'infraction un objet de la prévention de la criminalité au détriment de son droit constitutionnellement garanti à représenter une valeur dans la société. Elle déclara que le respect de la dignité humaine et l'état de droit faisaient que l'exécution d'une peine de réclusion à perpétuité ne pouvait être humaine que si était offerte au détenu une " chance concrète et réaliste " de recouvrer un jour sa liberté, et que l'Etat atteignait dans sa substance même la dignité humaine s'il privait un détenu de tout espoir de jamais recouvrer sa liberté.

La Cour constitutionnelle fédérale considéra que la réinsertion était un impératif constitutionnel pour toute société faisant de la dignité humaine son pilier. Elle ajouta que tout condamné ayant expié son crime devait pouvoir réintégrer la société et que l'Etat avait l'obligation, dans la mesure du possible, de prendre toute mesure nécessaire à l'accomplissement de ce but. Pour elle, les établissements pénitentiaires étaient tenus de faire tout leur possible pour préparer les détenus à se réinsérer dans la société, pour préserver leur capacité à affronter la vie et pour pallier les conséquences négatives de l'incarcération et les changements destructeurs de la personnalité induits par celle-ci.

Elle reconnut toutefois que, à l'égard des criminels demeurant une menace pour la société, l'objectif de réinsertion pouvait ne jamais être atteint ; dans ce cas, suivant son analyse, c'était la situation personnelle particulière de l'intéressé qui devait conduire à tirer pareille conclusion, plutôt que l'imposition de la perpétuité elle-même.

La Cour constitutionnelle fédérale jugea que, sous réserve de ces conclusions, la réclusion à perpétuité pour meurtre n'était pas une peine dénuée de sens ou disproportionnée. Selon elle, compte tenu de la possibilité d'élargissement offerte en principe par le code pénal aux détenus à perpétuité au bout d'une certaine durée d'emprisonnement, les dispositions de ce même code pouvaient être interprétées et appliquées d'une manière compatible avec la Loi fondamentale.

70. Par la suite, dans une affaire de 1986 relative à un criminel de guerre (72 BVerfGE 105), où le requérant, âgé de quatre-vingt-six ans, avait purgé vingt années de la peine de réclusion à perpétuité à laquelle il avait été condamné pour avoir envoyé cinquante personnes dans les chambres à gaz, la Cour constitutionnelle fédérale considéra que la gravité du crime pouvait peser sur le point de savoir si le condamné était tenu de purger la totalité de sa peine. Elle estima toutefois que la mise en balance par le juge des éléments pertinents ne devait pas donner trop de poids à la gravité du crime par rapport à la personnalité, à l'état d'esprit et à l'âge du condamné. Elle ajouta que, dans des cas tels celui de l'espèce, l'examen ultérieur d'une demande de libération formulée par l'intéressé devait tenir compte davantage qu'auparavant de sa personnalité, de son âge et de son dossier pénitentiaire. D'après elle, en effet, les conséquences négatives d'une peine devenaient de plus en plus marquées après une période d'emprisonnement d'une longueur inhabituelle.

La Cour constitutionnelle fédérale déclara que la Loi fondamentale n'excluait pas en principe l'accomplissement dans son intégralité d'une peine de perpétuité, notamment lorsque la gravité de l'infraction appelait une peine plus longue que la durée minimale d'emprisonnement prévue pour meurtre. Elle précisa toutefois que, même en pareil cas, restreindre la possibilité d'un élargissement aux seules personnes atteintes d'un handicap mental ou physique, ou mourantes, ne serait pas conforme à la Loi fondamentale. Selon elle, un élargissement pour de tels motifs ne serait compatible ni avec la dignité humaine ni avec la nécessité d'octroyer à chaque détenu une chance concrète et réaliste de recouvrer sa liberté, quelle que soit la nature de son infraction.

71. La Cour constitutionnelle fédérale a par ailleurs rendu le 16 janvier 2010 une décision (BVerfG, 2 BvR 2299/09) sur une affaire d'extradition où l'auteur des faits était passible de la " réclusion à perpétuité aggravée jusqu'à la mort " (erschwerte lebenslängliche Freiheitsstrafe bis zum Tod) en Turquie. Le gouvernement allemand avait demandé l'assurance que la possibilité de libérer l'intéressé serait examinée et il avait reçu comme réponse que le Président de la République de Turquie avait le pouvoir de prononcer des remises de peine pour des raisons de maladie chronique, d'invalidité ou d'âge avancé. La Cour constitutionnelle fédérale refusa d'accorder l'extradition au motif que, n'offrant qu'un vague espoir de libération, ce pouvoir était insuffisant. Elle estima que même eu égard à la nécessité de respecter les ordres juridiques étrangers, une peine n'offrant aucune perspective concrète de libération devait être réputée cruelle et dégradante (grausam und erniedrigend) et contraire à la dignité humaine, dont l'article 1 de la Loi fondamentale imposait le respect.

F. L'Italie

72. L'article 27 § 3 de la Constitution italienne dispose qu'une peine ne doit pas être inhumaine et doit viser à la réinsertion du condamné.

La Cour constitutionnelle italienne a rendu quatre arrêts majeurs concernant cette disposition.

Premièrement, dans un arrêt du 27 juin 1974 (n° 204/1974), elle statua sur une demande de libération conditionnelle adressée par un détenu au ministre de la Justice. Ce dernier avait consulté le juge chargé de l'exécution de la peine qui, à son tour, avait renvoyé l'affaire devant la Cour constitutionnelle pour recueillir son avis sur la constitutionnalité de la loi sur la libération conditionnelle, laquelle conférait au ministre le pouvoir de trancher en la matière. La Cour constitutionnelle jugea que, en vertu de l'article 27 § 3 de la Constitution, la réinsertion était le but poursuivi par toute peine et un droit dont jouissait tout détenu. Elle conclut que la peine devait être réexaminée, par un juge plutôt que par un membre de l'exécutif, afin de déterminer si, vu le nombre d'années passées en prison, ce but avait été atteint. Elle ajouta que, sous réserve du respect de certaines conditions, la libération conditionnelle était essentielle à l'accomplissement de ce but. Dans un arrêt (n° 192/1976) du 14 juillet 1976, qui concernait deux officiers militaires allemands qui purgeaient une peine perpétuelle pour des crimes commis au cours de la Seconde Guerre mondiale, elle parvint à la même conclusion pour les condamnés à perpétuité détenus dans des prisons militaires.

Deuxièmement, dans un arrêt (n° 264/1974) rendu le 7 novembre 1974, elle statua sur un renvoi de la cour d'assises de Vérone, laquelle lui demandait si une peine perpétuelle permettait la réinsertion du détenu et si elle était ainsi compatible avec l'article 27 § 3. S'appuyant sur le précédent du 27 juin 1974, la Cour constitutionnelle conclut qu'il existait une possibilité de libération conditionnelle même pour les condamnés à perpétuité et que les décisions en la matière devaient être prises non par l'exécutif mais par le juge. Elle jugea que la réinsertion d'un condamné à perpétuité était possible et que, dès lors, la pratique des peines perpétuelles était compatible avec l'article 27 § 3.

Le troisième arrêt (21 septembre 1983, n° 274/1983) concernait une disposition du droit italien qui, à l'époque, permettait la réduction des peines de vingt jours pour chaque période de six mois d'emprisonnement accomplie mais ne s'appliquait pas aux condamnés à perpétuité. La Cour constitutionnelle jugea cette disposition inconstitutionnelle, rappelant que l'article 27 § 3 de la Constitution valait pour toutes les peines sans distinction et qu'on ne pouvait en principe exclure les peines perpétuelles du champ d'application de la disposition autorisant la réduction des peines (dont le but affiché était de favoriser la réinsertion). Cet arrêt a eu pour effet de rendre les dispositions sur les réductions de peine applicables à la période qu'un condamné à perpétuité doit purger avant de pouvoir bénéficier d'une libération conditionnelle.

Le quatrième arrêt (2-4 juin 1997, n° 161/1997) concernait l'article 177 du code pénal, en vertu duquel un condamné à perpétuité n'ayant pas respecté les conditions mises à sa libération conditionnelle (et ayant donc été réincarcéré) perdait pour l'avenir tout droit à demander une libération conditionnelle. Rappelant ses précédents mettant en avant l'impératif de réinsertion et l'importance à cet égard de la libération conditionnelle, la Cour constitutionnelle jugea que l'article 177 avait pour effet d'exclure toute possibilité de réinsertion du détenu. Elle estima qu'une peine perpétuelle ne pouvait être jugée compatible avec l'article 27 § 3 que si elle était assortie d'une possibilité de libération conditionnelle. Elle conclut que, tel qu'alors libellé, l'article 177 était inconstitutionnel et qu'il incombait au législateur de fixer, dans le respect de la Constitution, les conditions d'octroi de la libération conditionnelle.

G. Jurisprudence d'autres pays sur les peines nettement disproportionnées et les peines de réclusion à perpétuité

1. Les peines " nettement disproportionnées "

73. Les peines nettement disproportionnées sont proscrites dans la législation ou la jurisprudence des pays suivants :

- le Canada (article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, tel qu'interprété dans les arrêts R. c. Smith (Edward Dewey), [1987] 1 RCS 1045) ; R. c. Luxton [1990] 2 RCS 711, et R. c. Latimer [2001] 1 RCS 3 ;

- Hong Kong (arrêt Lau Cheong v. Hong Kong Special Administrative Region [2002] HKCFA 18) ;

- Maurice (article 7 de la Constitution ; State v. Philibert [2007] SCJ 274) ;

- la Namibie (State v. Tcoeib [1997] 1 LRC 90 (paragraphe 74 ci
-dessous), State v. Vries 1997 4 LRC 1, et State v. Likuwa [2000] 1 LRC 600) ;

- la Nouvelle-Zélande (article 9 de la loi néo-zélandaise de 1990 relative à la Déclaration des droits) ;

- l'Afrique du Sud (Dodo v. the State (CCT 1/01) [2001] ZACC 16 ; Niemand v. the State (CCT 28/00) [2001] ZACC 11) ; et

- les Etats-Unis d'Amérique (huitième amendement à la Constitution, tel qu'interprété notamment dans l'arrêt Graham v. Florida 130 S. Ct. 2011, 2021 (2010)).

2. Les peines de réclusion à perpétuité

74. Dans l'arrêt State v. Tcoeib ([1997] 1 LRC 90), la Cour suprême namibienne jugea l'imposition d'une peine de réclusion à perpétuité discrétionnaire compatible avec l'article 8 de la Constitution du pays (dont le paragraphe 2 c) est identique à l'article 3 de la Convention). Le Chief Justice Mahomed, au nom de la Cour suprême unanime, déclara que le régime d'élargissement prévu par la loi était suffisant mais il ajouta que si la mise en liberté devait dépendre d'un " exercice capricieux " par les autorités carcérales ou l'exécutif de leur pouvoir discrétionnaire, l'espoir de libération serait " trop vague et bien trop imprévisible " pour que la dignité du détenu pût être sauvegardée comme l'imposait l'article 8.

Et le Chief Justice de poursuivre :

" [u]ne décision ordonnant délibérément l'incarcération d'un citoyen jusqu'à la fin de ses jours (...) ne saurait se justifier si elle revient en fait à enfermer celui-ci définitivement derrière les barreaux sans qu'il ait la moindre perspective d'échapper légalement à cette condition avant la fin de sa vie, et ce quelles que soient les circonstances qui pourraient survenir ultérieurement, telles la réévaluation sociologique et psychologique de la personnalité du criminel, susceptible de lever les craintes antérieures que sa libération après quelques années puisse mettre en danger la sécurité d'autrui, ou des éléments indiquant par ailleurs que l'intéressé est parvenu à un âge si avancé, est devenu si infirme et malade ou se repent tellement de son passé que son maintien en détention aux frais de l'Etat serait une cruauté que l'intérêt général ne permettrait plus de défendre. "

Le Chief Justice ajouta qu'une telle culture de " désespoirs se renforçant mutuellement " était incompatible avec les valeurs de la Constitution namibienne, qui imposaient à la société de permettre à ses détenus de se racheter et de s'amender au cours de leur incarcération.

75. Dans l'affaire de Boucherville v. the State of Mauritius ([2008] UKPC 70), l'appelant avait été condamné à mort. Avec l'abolition de la peine de mort à Maurice, sa peine fut commuée en réclusion à perpétuité obligatoire. Ayant examiné l'arrêt Kafkaris (précité) de la Cour, la Commission judiciaire du Conseil privé releva que les garanties présentes à Chypre qui avaient permis au requérant Kafkaris d'entretenir un espoir de libération faisaient défaut à Maurice. La Cour suprême mauricienne avait estimé que cette peine condamnait M. de Boucherville à la réclusion criminelle jusqu'à la fin de ses jours, châtiment auquel les dispositions de la législation pertinente en matière de libération conditionnelle et de remise de peine ne s'appliquaient pas. Le Conseil privé conclut dès lors que la peine était manifestement disproportionnée et arbitraire, et donc contraire à l'article 10 de la Constitution mauricienne (disposition destinée à garantir la protection de la loi, et notamment le droit à un procès équitable).

L'appelant avait par ailleurs soutenu que le caractère obligatoire de la peine était contraire à l'article 7 de la Constitution (interdiction de la torture et des peines et autres traitements inhumains ou dégradants). Compte tenu de sa conclusion sur le terrain de l'article 10, le Conseil privé jugea inutile de trancher cette question et de se pencher sur la pertinence de la possibilité d'élargissement offerte par l'article 75 (prérogative de grâce présidentielle). Il releva toutefois que les garanties disponibles à Chypre (à savoir le pouvoir de l'Attorney-General de recommander l'élargissement et celui du Président de la République de commuer les peines ou d'ordonner l'élargissement) n'existaient pas à Maurice. Il ajouta qu'il ne fallait pas exagérer les différences pouvant éventuellement être établies entre les peines obligatoires de mort et de réclusion à perpétuité, et il cita à cet effet en les approuvant les dicta qui avaient été énoncés par Lord Bingham dans l'arrêt Lichniak et par le Lord Justice Laws dans l'arrêt Wellington (paragraphes 45 et 54 ci-dessus).

IV. INSTRUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS CONCERNANT LA RÉINSERTION DES DÉTENUS

76. Les textes du Conseil de l'Europe et autres instruments internationaux pertinents portant sur les objectifs des peines d'emprisonnement, notamment en ce qui concerne l'importance à attacher à la réinsertion, se trouvent exposés dans l'arrêt Dickson c. Royaume-Uni ([GC], n° 44362/04, §§ 28-36, CEDH 2007
-V). Pour les besoins de la présente espèce, ils peuvent être résumés comme suit.

A. Les textes du Conseil de l'Europe

77. En dehors des Recommandations (2003)22 et (2003)23 consacrées à la réinsertion des détenus et à la préparation constructive de leur libération, les règles pénitentiaires européennes de 2006 constituent le principal texte du Conseil de l'Europe en la matière.

L'un des principes essentiels qu'il consacre est la règle n° 6, qui dispose :

" Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté. "

La règle n° 102.1 prévoit que le régime applicable aux détenus condamnés doit être conçu de manière à leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime. Le commentaire des règles de 2006 (rédigé par le Comité européen pour les problèmes criminels) précise que la règle n° 102 est conforme aux exigences des instruments internationaux essentiels, par exemple l'article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (paragraphe 80 ci-dessous).

La règle n° 103 concerne la mise en œuvre du régime applicable aux détenus condamnés. En voici les parties pertinentes :

" 103.2 Dès que possible après l'admission [en prison], un rapport complet doit être rédigé sur le détenu condamné décrivant sa situation personnelle, les projets d'exécution de peine qui lui sont proposés et la stratégie de préparation à sa sortie.

(...)

103.4 Ledit projet doit prévoir dans la mesure du possible :

a. un travail ;

b. un enseignement ;

c. d'autres activités ; et

d. une préparation à la libération.

(...)

103.8 Une attention particulière doit être apportée au projet d'exécution de peine et au régime des détenus condamnés à un emprisonnement à vie ou de longue durée. "

La règle n° 107 (sur la libération des détenus condamnés) prévoit notamment que, concernant les détenus condamnés à des peines de plus longue durée, des mesures doivent être prises pour leur assurer un retour progressif à la vie en milieu libre (règle n° 107.2), et que les autorités pénitentiaires doivent travailler en étroite coopération avec les services et organismes qui accompagnent et aident tous les détenus libérés à retrouver une place dans la société (règle n° 107.4).

B. L'ensemble de règles minima des Nations unies

78. L'Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (1957) renferme les principes directeurs suivants concernant les détenus condamnés :

" 58. Le but et la justification des peines et mesures privatives de liberté sont en définitive de protéger la société contre le crime. Un tel but ne sera atteint que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure du possible, que le délinquant, une fois libéré, soit non seulement désireux, mais aussi capable de vivre en respectant la loi et de subvenir à ses besoins.

59. A cette fin, le régime pénitentiaire doit faire appel à tous les moyens curatifs, éducatifs, moraux et spirituels et autres et à toutes les formes d'assistance dont il peut disposer, en cherchant à les appliquer conformément aux besoins du traitement individuel des délinquants.

60. 1) Le régime de l'établissement doit chercher à réduire les différences qui peuvent exister entre la vie en prison et la vie libre dans la mesure où ces différences tendent à [diminuer] le sens de la responsabilité du détenu ou le respect de la dignité de sa personne.

2) Avant la fin de l'exécution d'une peine ou mesure, il est désirable que les mesures nécessaires soient prises pour assurer au détenu un retour progressif à la vie dans la société. Ce but pourra être atteint, selon les cas, par un régime préparatoire à la libération, organisé dans l'établissement même ou dans un autre établissement approprié, ou par une libération à l'épreuve sous un contrôle qui ne doit pas être confié à la police, mais qui comportera une assistance sociale efficace.

61. Le traitement ne doit pas mettre l'accent sur l'exclusion des détenus de la société, mais au contraire sur le fait qu'ils continuent à en faire partie. A cette fin, il faut recourir, dans la mesure du possible, à la coopération d'organismes de la communauté pour aider le personnel de l'établissement dans sa tâche de reclassement des détenus. (...)

(...)

Traitement

65. Le traitement des individus condamnés à une peine ou mesure privative de liberté doit avoir pour but, autant que la durée de la condamnation le permet, de créer en eux la volonté et les aptitudes qui les mettent à même, après leur libération, de vivre en respectant la loi et de subvenir à leurs besoins. Ce traitement doit être de nature à encourager le respect d'eux-mêmes et à développer leur sens de la responsabilité.

66. 1) A cet effet, il faut recourir notamment aux soins religieux dans les pays où cela est possible, à l'instruction, à l'orientation et à la formation professionnelles, aux méthodes de l'assistance sociale individuelle, au conseil relatif à l'emploi, au développement physique et à l'éducation du caractère moral, en conformité des besoins individuels de chaque détenu. Il convient de tenir compte du passé social et criminel du condamné, de ses capacités et aptitudes physiques et mentales, de ses dispositions personnelles, de la durée de la condamnation et de ses perspectives de reclassement. "

79. On trouve aussi des références à la réinsertion dans les règles n°s 24 et 62 (constat et traitement de toute déficience physique ou mentale qui pourrait être un obstacle au reclassement d'un détenu), 63 (milieu ouvert), 64 (assistance postpénitentiaire), 67 (classification et individualisation), 75 § 2 (travail) et 80 (relations avec les personnes extérieures à la prison).

C. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

80. L'article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose, dans ses parties pertinentes :

" 1. Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

(...)

3. Le régime pénitentiaire comporte un traitement des condamnés dont le but essentiel est leur amendement et leur reclassement social. Les jeunes délinquants sont séparés des adultes et soumis à un régime approprié à leur âge et à leur statut légal. "

81. Dans son Observation générale n° 21 (1992) sur l'article 10, le Comité des droits de l'homme a estimé, notamment, qu'aucun système pénitentiaire ne devrait être axé uniquement sur le châtiment mais que pareil système devrait essentiellement viser le redressement et la réadaptation sociale du détenu (paragraphe 10 de l'Observation).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

82. Devant la Grande Chambre, les requérants continuent de plaider l'incompatibilité de leur peine de perpétuité réelle avec l'article 3 de la Convention, ainsi libellé :

" Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "

A. Les conclusions de la chambre

83. Devant la chambre, les parties s'étaient accordées à dire que toute peine nettement disproportionnée doit s'analyser en un mauvais traitement contraire à l'article 3. Après avoir relevé que le critère de la nette disproportion était largement reconnu et appliqué pour l'appréciation du point de savoir si une peine doit ou non être qualifiée de traitement inhumain ou dégradant, la chambre a fait sien l'avis des parties, non sans souligner que ce ne serait que dans des " cas rares et exceptionnels " qu'il serait satisfait à ce critère (paragraphes 88 et 89 de son arrêt).

84. La chambre a dit ensuite que, sous réserve de cette exigence générale selon laquelle une peine ne doit jamais être nettement disproportionnée, il fallait distinguer trois types de peines de réclusion à perpétuité (paragraphe 90 de son arrêt) :

" i. la réclusion à perpétuité avec possibilité d'élargissement après une période minimale d'emprisonnement,

ii. la réclusion à perpétuité discrétionnaire sans possibilité de libération conditionnelle (c'est-à-dire une peine prévue par la loi mais dont l'imposition nécessite une décision de justice), et

iii. la réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle (c'est-à-dire une peine prévue par la loi pour une infraction particulière et qui ne laisse au juge aucun pouvoir d'appréciation quant à l'opportunité de la prononcer). "

85. La chambre a jugé que le premier type de peine perpétuelle était manifestement compressible et ne soulevait donc aucune question au regard de l'article 3 (paragraphe 91 de l'arrêt).

86. A propos du deuxième type de peine, la chambre a dit ceci :

" en principe, cette peine est imposée pour les infractions les plus graves, par exemple le meurtre et l'homicide. Dans tout système de droit, pareilles infractions, si elles ne sont pas punissables de la perpétuité, appelleront normalement de lourdes peines d'emprisonnement, parfois d'une durée de plusieurs décennies. Dès lors, toute personne condamnée pour une infraction de ce type doit s'attendre à passer un grand nombre d'années en prison avant de pouvoir entretenir de manière réaliste un quelconque espoir de libération, que la peine infligée soit la perpétuité ou une peine à durée déterminée. Par conséquent, une peine de réclusion à perpétuité discrétionnaire prononcée par le juge à l'issue d'un examen adéquat de l'ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes pertinentes ne saurait soulever une question au regard de l'article 3 à la date de son imposition. "

87. Aussi la chambre a-t-elle jugé qu'une question ne se poserait sous l'angle de l'article 3 que s'il pouvait être démontré i) que le maintien en détention de l'intéressé ne pouvait plus se justifier par un quelconque motif légitime d'ordre pénologique et ii) que la peine était incompressible de facto et de jure (paragraphe 92 de son arrêt).

88. Pour ce qui est du troisième type de peine, à savoir la réclusion à perpétuité obligatoire sans possibilité de libération conditionnelle, la chambre a dit que, si un contrôle plus poussé s'imposait pour l'appréciation de son caractère nettement disproportionné ou non, pareille peine n'était pas incompatible en elle-même avec la Convention et ne soulèverait une question au regard de l'article 3 que dans les mêmes conditions que la perpétuité discrétionnaire sans possibilité de libération conditionnelle.

89. Faisant application de ces critères, la chambre a conclu que les peines infligées aux requérants étaient, en réalité, des peines de réclusion à perpétuité discrétionnaire sans possibilité de libération conditionnelle.

90. Elle a observé ensuite que la politique suivie par le ministre en matière d'élargissement pour motifs d'humanité apparaissait bien plus stricte que celle, examinée dans l'arrêt Kafkaris (précité), appliquée à Chypre en matière de grâce. Premièrement, elle a estimé que cette politique pouvait théoriquement avoir pour conséquence qu'un détenu, dès lors qu'il ne souffrirait pas d'une maladie mortelle en phase terminale ou d'une invalidité physique, reste en prison quand bien même aucun motif légitime d'ordre pénologique ne justifierait son maintien en détention. Deuxièmement, elle a relevé que le régime légal antérieurement en vigueur en Angleterre et au pays de Galles imposait de réexaminer la nécessité de la peine de perpétuité réelle au bout de vingt-cinq ans d'emprisonnement. Elle a noté qu'aucune explication n'avait été donnée à l'absence de ce dispositif dans le régime actuel instauré par la loi de 2003. A cet égard, elle a ajouté que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale prévoyait un système identique de réexamen pour les peines perpétuelles prononcées par cette juridiction. Troisièmement, elle a émis des doutes sur la possibilité d'assimiler à une véritable mise en liberté un élargissement pour motifs d'humanité dès lors que pareil élargissement signifierait simplement que l'intéressé va mourir chez lui ou dans un hospice plutôt qu'entre les murs d'une prison.

91. Cependant, faisant application des critères énoncés par elle au paragraphe 92 de son arrêt, la chambre a considéré ensuite qu'aucune question ne s'était encore posée au regard de l'article 3 en l'espèce, aucun des requérants n'ayant démontré que son maintien en détention ne poursuivait aucun objectif légitime d'ordre pénologique : le premier requérant ne purgeait sa peine que depuis trois ans (paragraphe 95 de l'arrêt de la chambre), et les deuxième et troisième requérants, s'ils séjournaient en prison depuis respectivement vingt-six et seize ans, une nouvelle peine leur avait en fait été infligée en 2008 après la saisine par eux de la High Court aux fins du réexamen de leur peine de perpétuité réelle. La High Court avait estimé que ni dans le cas de l'un ni dans le cas de l'autre de ces deux requérants le maintien en détention ne poursuivait aucun but légitime d'ordre pénologique ; elle avait au contraire conclu dans les deux cas que seule la perpétuité réelle pouvait satisfaire aux impératifs de châtiment et de dissuasion (ibidem).

B. Thèses des parties

1. Le Gouvernement

92. Le Gouvernement considère que c'est à juste titre que la chambre a opéré une distinction entre les trois types de peines perpétuelles. D'après lui, ni la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle ni l'accomplissement de pareille peine ne sont en principe incompatibles avec l'article 3. Il n'y aurait pas de consensus parmi les Etats contractants en matière de réclusion à perpétuité, comme en attesterait par exemple le libellé non contraignant de l'article 5 § 2 de la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne relative au mandat d'arrêt européen (paragraphe 67 ci
-dessus). La politique pénale de l'Angleterre et du pays de Galles serait établie de longue date. Elle traduirait le point de vue, partagé tant par les tribunaux nationaux que par le Parlement, que certains crimes sont tellement graves qu'aux seules fins de châtiment leurs auteurs méritent une incarcération à vie.

93. Le Gouvernement estime par ailleurs que la chambre a également eu raison de dire qu'à la date de son prononcé une peine de réclusion à perpétuité discrétionnaire sans possibilité de libération conditionnelle (c'est
-à-dire, en Angleterre et au pays de Galles, la perpétuité réelle) ne soulève aucune question au regard de l'article 3. Selon lui, une telle peine peut d'ailleurs très bien ne jamais poser problème sous l'angle de cette disposition. Voilà pourquoi la Convention n'imposerait aucun mécanisme de réexamen des peines perpétuelles. Pour le Gouvernement, un tel mécanisme ne pourrait tendre qu'à offrir un mince espoir de libération. La faiblesse de cet espoir tiendrait à ce que la perpétuité réelle serait imposée afin de punir l'individu pour la gravité exceptionnelle de son crime, alors que la gravité d'un crime ne varierait pas avec le temps. L'article 3 n'exigerait pas une procédure offrant un espoir aussi fragile : il imposerait plutôt de respecter les droits découlant de la Convention pour un détenu s'il devait advenir que son maintien en détention se révèle incompatible avec l'article 3. Or, dans le cas des requérants, cette question ne se serait pas posée et elle pourrait fort bien ne jamais se poser.

94. S'appuyant sur l'arrêt Bieber rendu par la Cour d'appel et sur le pouvoir d'élargissement octroyé au ministre par l'article 30 de la loi de 1997 (paragraphes 47 et 42 ci-dessus), le Gouvernement soutient que la perpétuité réelle n'est pas une peine incompressible. Le pouvoir du ministre serait étendu et non lié. En l'exerçant, le ministre serait tenu d'agir conformément à la Convention. Dès lors, le Gouvernement estime que dans l'hypothèse où les requérants plaideraient un jour que leur maintien en détention ne se justifie plus par aucun motif d'ordre pénologique et où il serait établi que tel est effectivement le cas, l'article 30 permettrait leur mise en liberté. Il ajoute que toute décision du ministre de ne pas accorder la libération serait attaquable par voie de contrôle juridictionnel.

95. Concernant la remarque de la chambre relative à l'absence de réexamen au bout de vingt-cinq ans dans le régime légal actuel, instauré par la loi de 2003, en matière de perpétuité réelle le Gouvernement expose que l'un des buts de ce texte était de faire statuer par des juges sur la durée d'emprisonnement à fixer à des fins de châtiment et de dissuasion. L'annexe 21 à la loi de 2003 renfermerait des critères détaillés et non directifs pour la fixation des périodes minimales d'emprisonnement dans le cadre des peines perpétuelles. Le Gouvernement ajoute que les peines de perpétuité réelle imposées aux requérants en l'espèce l'ont été par des juges indépendants qui ont tenu compte de la gravité des infractions perpétrées et de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes pertinentes, et que ces décisions ont été soumises au contrôle de la Cour d'appel.

96. Pour les raisons ci-dessus comme pour celles avancées par la chambre dans son arrêt, le Gouvernement estime qu'il n'y a eu violation de l'article 3 à l'égard d'aucun des trois requérants.

2. Les requérants

97. Les requérants se disent victimes d'une violation de l'article 3. Contrairement à la thèse défendue par le Gouvernement, leur peine serait incompressible : aucun détenu condamné à la perpétuité réelle n'aurait jamais été élargi en vertu de l'article 30 de la loi de 1997 ou d'un quelconque autre pouvoir.

98. Les requérants estiment que c'est à juste titre que la chambre a opéré une distinction entre trois types de peines perpétuelles. Ils considèrent en revanche que c'est à tort qu'elle a ensuite conclu qu'une question ne se pose sur le terrain de l'article 3 qu'à partir du moment où aucun motif légitime d'ordre pénologique ne justifie plus le maintien en détention. Cette conclusion serait erronée en ce qu'elle méconnaîtrait deux éléments : i) la question de fond soulevée sous l'angle de l'article 3, qui serait de savoir si les peines de perpétuité réelle prononcées dans leur cas étaient d'emblée constitutives d'un mauvais traitement, et ii) l'exigence procédurale en vertu de laquelle toute peine de ce type doit obligatoirement incorporer un contrôle propre à garantir qu'il n'y ait aucune violation de l'article 3.

99. En ce qui concerne le premier point, les requérants reconnaissent qu'un condamné à perpétuité peut passer le restant de ses jours en détention s'il continue de représenter un risque pour la société et que cela ne soulève alors aucune question sur le terrain de l'article 3. En revanche, une peine de perpétuité réelle imposée uniquement à des fins de châtiment porterait directement atteinte à la dignité humaine, détruirait l'âme humaine et méconnaîtrait la possibilité de voir se faire jour ultérieurement des raisons propres à justifier une libération conditionnelle. Selon les mots de la chambre, les motifs justifiant la détention seraient les impératifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion. Or l'équilibre entre ces facteurs pourrait varier au fil du temps. Une peine de perpétuité réelle non susceptible de réexamen conduirait au maintien du détenu en prison jusqu'à son décès, indépendamment des changements pouvant intervenir dans ces facteurs au cours de l'exécution de sa peine.

Par ailleurs, depuis l'abolition de la peine capitale, la perpétuité réelle serait la seule peine excluant à titre permanent un détenu de la société et contrevenant au principe de réinsertion, lequel prédominerait dans les politiques pénales en Europe. Aucun texte du Conseil de l'Europe ne cautionnerait la perpétuité réelle et certains organes, tel le CPT, considéreraient la peine de réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle comme inhumaine (voir le document de travail et le rapport sur la Suisse cités aux paragraphes 63 et 64 ci-dessus). C'est ce que confirmeraient le consensus européen en défaveur de l'imposition de peines de cette nature, l'opinion des cours constitutionnelles italienne et allemande, ainsi que les vues exprimées par des juridictions suprêmes ou constitutionnelles du monde entier (voir les éléments pertinents de droit comparé exposés aux paragraphes 68 à 75 ci-dessus). Autre élément instructif : l'Ecosse ne connaîtrait pas la perpétuité réelle, et la loi du Parlement écossais imposant au juge de fixer des périodes minimales d'emprisonnement dans tous les cas aurait été conçue pour assurer la compatibilité du droit écossais avec la Convention (paragraphe 68 ci
-dessus).

100. Quant au second point, à savoir l'exigence procédurale d'un réexamen des peines de perpétuité réelle, les requérants soutiennent que le Gouvernement n'a pas été en mesure d'avancer devant la Cour la moindre raison de principe propre à expliquer l'absence dans la loi de 2003 d'un réexamen au bout de vingt-cinq ans. Pareilles explications n'auraient pas davantage été fournies lors du rejet par la Chambre des lords en mars 2012 d'une modification législative visant à réinstaurer ce dispositif. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale irait lui aussi dans le sens d'un réexamen au bout de vingt-cinq ans : les 121 Etats parties à ce texte en auraient expressément reconnu la nécessité, même dans les cas les plus graves, tels le génocide.

101. Enfin, à l'appui de leur grief consistant à dire que leurs peines s'analysent en des mauvais traitements, les premier et deuxième requérants invoquent deux rapports d'experts en psychologie clinique qui attesteraient l'état de dépression et de désespoir dans lequel ils vivraient aujourd'hui, ainsi que la détérioration de leur personnalité qui serait intervenue au cours de l'accomplissement de leur peine.

C. Appréciation de la Grande Chambre

1. La " nette disproportion "

102. Selon l'arrêt de la chambre, toute peine nettement disproportionnée est contraire à l'article 3 de la Convention. Tel est également l'avis qui a été exprimé par les parties dans leurs observations devant la chambre et devant la Grande Chambre. Quant à celle-ci, elle approuve et fait sienne la conclusion de la chambre. Elle estime aussi, avec cette dernière, qu'il ne sera satisfait au critère de la nette disproportion que dans des cas rares et exceptionnels (paragraphe 83 ci-dessus et paragraphes 88 et 89 de l'arrêt de la chambre).

2. Les peines de réclusion à perpétuité

103. Dès lors toutefois que les requérants n'ont pas cherché à plaider la nette disproportion de leurs peines de perpétuité réelle, il est nécessaire de rechercher, comme la chambre l'a fait, si ces peines sont contraires pour d'autres raisons à l'article 3 de la Convention. Les principes généraux exposés ci-dessous guideront cette analyse.

104. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que le choix que fait l'Etat d'un régime de justice pénale, y compris le réexamen de la peine et les modalités de libération, échappe en principe au contrôle européen exercé par elle, pour autant que le système retenu ne méconnaisse pas les principes de la Convention (Kafkaris, précité, § 99).

105. De plus, comme la Cour d'appel l'a fait observer dans son arrêt R v. Oakes and others (paragraphe 50 ci-dessus), les questions relatives au caractère juste et proportionné de la peine donnent matière à des débats rationnels et à des désaccords courtois. Dès lors, les Etats contractants doivent se voir reconnaître une marge d'appréciation pour déterminer la durée adéquate des peines d'emprisonnement pour les différentes infractions. Ainsi que la Cour l'a déclaré, elle n'a pas à dire quelle doit être la durée de l'incarcération pour telle ou telle infraction ni quelle doit être la durée de la peine, de prison ou autre, que purgera une personne après sa condamnation par un tribunal compétent (T. c. Royaume-Uni [GC], n° 24724/94, § 117, 16 décembre 1999 ; V. c. Royaume-Uni [GC], n° 24888/94, § 118, CEDH 1999
-IX, et Sawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), n° 63716/00, CEDH 2001-VI).

106. Pour les mêmes raisons, les Etats contractants doivent également rester libres d'infliger des peines perpétuelles aux adultes auteurs d'infractions particulièrement graves telles que l'assassinat : le faire n'est pas en soi prohibé par l'article 3 ni par aucune autre disposition de la Convention et n'est pas incompatible avec celle-ci (Kafkaris, précité, § 97). C'est encore plus vrai dans le cas d'une peine non pas obligatoire mais prononcée par un juge indépendant qui aura considéré l'ensemble des circonstances atténuantes et aggravantes propres au cas d'espèce.

107. Toutefois, comme la Cour l'a aussi dit dans l'arrêt Kafkaris, infliger à un adulte une peine perpétuelle incompressible peut soulever une question sous l'angle de l'article 3 (ibidem). De ce principe découlent deux points particuliers, mais connexes, que la Cour juge nécessaire de souligner et de réaffirmer.

108. Premièrement, le simple fait qu'une peine de réclusion à vie puisse en pratique être purgée dans son intégralité ne la rend pas incompressible. Une peine perpétuelle compressible de jure et de facto ne soulève aucune question sur le terrain de l'article 3 (Kafkaris, précité, § 98).

A cet égard, la Cour tient à souligner qu'aucune question ne se pose sous l'angle de l'article 3 si, par exemple, un condamné à perpétuité qui, en vertu de la législation nationale, peut théoriquement obtenir un élargissement demande à être libéré, mais se voit débouté au motif qu'il constitue toujours un danger pour la société. En effet, la Convention impose aux Etats contractants de prendre des mesures visant à protéger le public des crimes violents et elle ne leur interdit pas d'infliger à une personne convaincue d'une infraction grave une peine de durée indéterminée permettant de la maintenir en détention lorsque la protection du public l'exige (voir, mutatis mutandis, T. c. Royaume-Uni, § 97, et V. c. Royaume-Uni, § 98, précités). D'ailleurs, empêcher un délinquant de récidiver est l'une des " fonctions essentielles " d'une peine d'emprisonnement (Mastromatteo c. Italie [GC], n° 37703/97, § 72, CEDH 2002
-VIII ; Maiorano et autres c. Italie, n° 28634/06, § 108, 15 décembre 2009, et, mutatis mutandis, Choreftakis et Choreftaki c. Grèce, n° 46846/08, § 45, 17 janvier 2012). Il en est particulièrement ainsi dans le cas des détenus reconnus coupables de meurtre ou d'autres infractions graves contre la personne. Le simple fait qu'ils sont peut-être déjà restés longtemps en prison n'atténue en rien l'obligation positive de protéger le public qui incombe à l'Etat : celui-ci peut s'en acquitter en maintenant en détention les condamnés à perpétuité aussi longtemps qu'ils demeurent dangereux (voir, par exemple, l'arrêt précité Maiorano et autres).

109. Deuxièmement, pour déterminer si dans un cas donné une peine perpétuelle peut passer pour incompressible, la Cour recherche si l'on peut dire qu'un détenu condamné à perpétuité a des chances d'être libéré. Là où le droit national offre la possibilité de revoir la peine perpétuelle dans le but de la commuer, de la suspendre, d'y mettre fin ou encore de libérer le détenu sous conditions, il est satisfait aux exigences de l'article 3 (Kafkaris, précité, § 98).

110. Plusieurs raisons expliquent que pour demeurer compatible avec l'article 3, une peine perpétuelle doit offrir à la fois une chance d'élargissement et une possibilité de réexamen.

111. Il va de soi que nul ne peut être détenu si aucun motif légitime d'ordre pénologique ne le justifie. Comme l'ont dit la Cour d'appel dans son arrêt Bieber et la chambre dans son arrêt rendu en l'espèce, les impératifs de châtiment, de dissuasion, de protection du public et de réinsertion figurent au nombre des motifs propres à justifier une détention. En matière de perpétuité, un grand nombre d'entre eux seront réunis au moment où la peine est prononcée. Cependant, l'équilibre entre eux n'est pas forcément immuable, il pourra évoluer au cours de l'exécution de la peine. Ce qui était la justification première de la détention au début de la peine ne le sera peut
-être plus une fois accomplie une bonne partie de celle-ci. C'est seulement par un réexamen de la justification du maintien en détention à un stade approprié de l'exécution de la peine que ces facteurs ou évolutions peuvent être correctement appréciés.

112. De plus, une personne mise en détention à vie sans aucune perspective d'élargissement ni possibilité de faire réexaminer sa peine perpétuelle risque de ne jamais pouvoir se racheter : quoi qu'elle fasse en prison, aussi exceptionnels que puissent être ses progrès sur la voie de l'amendement, son châtiment demeure immuable et insusceptible de contrôle. Le châtiment, d'ailleurs, risque de s'alourdir encore davantage avec le temps : plus longtemps le détenu vivra, plus longue sera sa peine. Ainsi, même lorsque la perpétuité est un châtiment mérité à la date de son imposition, avec l'écoulement du temps, elle ne garantit plus guère une sanction juste et proportionnée, pour reprendre les termes utilisés par le Lord Justice Laws dans l'arrêt Wellington (paragraphe 54 ci-dessus).

113. En outre, comme la Cour constitutionnelle fédérale allemande l'a reconnu dans l'affaire relative à la prison à vie (paragraphe 69 ci-dessus), il serait incompatible avec la disposition de la Loi fondamentale consacrant la dignité humaine que, par la contrainte, l'Etat prive une personne de sa liberté sans lui donner au moins une chance de recouvrer un jour celle-ci. C'est ce constat qui a conduit la haute juridiction à conclure que les autorités carcérales avaient le devoir d'œuvrer à la réinsertion des condamnés à perpétuité et que celle-ci était un impératif constitutionnel pour toute société faisant de la dignité humaine son pilier. Elle a d'ailleurs précisé ultérieurement, dans une affaire relative à un criminel de guerre, que ce principe s'appliquait à tous les condamnés à perpétuité, quelle que soit la nature de leurs crimes, et que prévoir la possibilité d'un élargissement pour les seules personnes infirmes ou mourantes ne suffisait pas (paragraphe 70 ci-dessus).

Des considérations similaires doivent s'appliquer dans le cadre du système de la Convention, dont l'essence même, la Cour l'a souvent dit, est le respect de la dignité humaine (voir, entre autres, Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02, § 65, CEDH 2002
-III, et V.C. c. Slovaquie, n° 18968/07, § 105, CEDH 2011).

114. De fait, le droit européen et le droit international confortent aujourd'hui clairement le principe voulant que tous les détenus, y compris ceux purgeant des peines perpétuelles, se voient offrir la possibilité de s'amender et la perspective d'être mis en liberté s'ils y parviennent.

115. La Cour a déjà eu l'occasion de relever que, si le châtiment demeure l'une des finalités de l'incarcération, les politiques pénales en Europe mettent dorénavant l'accent sur l'objectif de réinsertion de la détention, en particulier vers la fin des longues peines d'emprisonnement (voir, par exemple, Dickson, précité, § 75, et Boulois c. Luxembourg [GC], n° 37575/04, § 83, CEDH 2012, et les autres références citées). Les règles pénitentiaires européennes sont l'instrument juridique du Conseil de l'Europe qui exprime cela le plus clairement : la règle n° 6 dispose que chaque détention doit être gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société des personnes privées de liberté, et la règle n° 102.1 prévoit que le régime carcéral des détenus condamnés doit être conçu de manière à leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime (paragraphe 77 ci-dessus).

116. En outre, les instruments pertinents du Conseil de l'Europe présentés aux paragraphes 60 à 64 et 76 ci-dessus démontrent tout d'abord que l'impératif de réinsertion vaut tout autant pour les détenus condamnés à la prison à vie et ensuite que, lorsque pareils détenus s'amendent, ils doivent eux aussi pouvoir espérer bénéficier d'une libération conditionnelle.

La règle n° 103 des règles pénitentiaires européennes prévoit que, dans le cadre du régime carcéral des détenus condamnés, des projets individuels d'exécution de peine doivent être établis et prévoir notamment une préparation à la libération. La règle n° 103.8 ajoute expressément qu'un projet de ce type doit aussi être dressé pour les détenus condamnés à la prison à vie (paragraphe 77 ci-dessus).

La résolution 76(2) du Comité des Ministres recommande que le cas de tous les détenus - y compris ceux condamnés à la perpétuité - soit examiné aussitôt que possible pour déterminer si une libération conditionnelle peut leur être accordée. Elle recommande en outre que le réexamen des peines perpétuelles ait lieu au bout de huit à quatorze ans de détention et soit répété périodiquement (paragraphe 60 ci-dessus).

La Recommandation 2003(23), concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, souligne que les condamnés à perpétuité doivent bénéficier d'une préparation constructive en vue de leur libération et notamment pouvoir, à cette fin, progresser au sein du système carcéral. Elle ajoute expressément que les condamnés à perpétuité doivent avoir la possibilité de bénéficier d'une libération conditionnelle (voir, en particulier, les paragraphes 2, 8 et 34 de la recommandation et le paragraphe 131 du rapport joint à celle-ci, tous ces passages étant reproduits au paragraphe 61 ci-dessus).

La Recommandation 2003(22), concernant la libération conditionnelle, précise bien elle aussi que tous les détenus doivent avoir la possibilité de bénéficier d'une libération conditionnelle et que les condamnés à perpétuité ne doivent pas être privés de tout espoir de libération (paragraphe 4.a de la recommandation et paragraphe 131 de l'exposé des motifs, tous deux cités au paragraphe 62 ci-dessus).

Le Comité européen pour la prévention de la torture a exprimé des vues similaires, en dernier lieu dans son rapport sur la Suisse (paragraphe 64 ci
-dessus).

117. Par ailleurs, la pratique des Etats contractants reflète cette volonté à la fois d'œuvrer à la réinsertion des condamnés à perpétuité et de leur offrir une perspective de libération. C'est ce qui ressort de la jurisprudence des juridictions constitutionnelles allemande et italienne sur la réinsertion et les peines perpétuelles (paragraphes 69 à 71 et 72 ci-dessus) et des autres éléments de droit comparé produits devant la Cour. Ces éléments montrent qu'une large majorité d'Etats contractants soit ne prononcent jamais de condamnation à perpétuité, soit - s'ils le font - prévoient un mécanisme spécial, intégré à la législation en matière de fixation de la peine, qui garantit un réexamen des peines perpétuelles après un délai fixe, en général au bout de vingt-cinq années d'emprisonnement (paragraphe 68 ci-dessus).

118. On trouve dans le droit international cette même volonté de réinsérer les condamnés à perpétuité et de leur offrir la perspective d'être libérés un jour.

L'Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus enjoint aux autorités carcérales de faire appel à tous les moyens disponibles pour assurer aux délinquants un retour dans la société (règles 58 à 61, 65 et 66, citées au paragraphe 78 ci-dessus). D'autres règles font aussi expressément référence à la réinsertion (paragraphe 79 ci-dessus).

De même, l'article 10 § 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose expressément que le système pénitentiaire a pour but essentiel l'amendement et le reclassement social des détenus. C'est ce qu'a souligné le Comité des droits de l'homme dans son Observation générale sur l'article 10, qui insiste sur le fait qu'aucun système pénitentiaire ne doit être axé uniquement sur le châtiment (paragraphes 80 et 81 ci-dessus).

Enfin, la Cour prend note des dispositions pertinentes du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, auquel sont parties 121 Etats, dont la grande majorité des Etats membres du Conseil de l'Europe, et qui prévoit en son article 110 § 3 le réexamen des peines perpétuelles après vingt-cinq ans d'emprisonnement, puis périodiquement. L'importance de cette disposition est soulignée par l'énoncé, à l'article 110 §§ 4 et 5 de ce même Statut et dans les règles 223 et 224 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI, des garanties procédurales et matérielles détaillées qui doivent présider à ce réexamen. Parmi les critères de réduction de la peine figurent le point de savoir si le comportement en prison du détenu condamné montre qu'il désavoue son crime ainsi que ses possibilités de resocialisation (règle 223 a) et b), citée au paragraphe 65 ci-dessus).

3. Conclusion générale concernant les peines de réclusion à perpétuité

119. Pour les raisons avancées ci-dessus, la Cour considère qu'en ce qui concerne les peines perpétuelles l'article 3 doit être interprété comme exigeant qu'elles soient compressibles, c'est-à-dire soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l'exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l'amendement qu'aucun motif légitime d'ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention.

120. La Cour tient toutefois à souligner que, compte tenu de la marge d'appréciation qu'il faut accorder aux Etats contractants en matière de justice criminelle et de détermination des peines (paragraphes 104 et 105 ci
-dessus), elle n'a pas pour tâche de dicter la forme (administrative ou judiciaire) que doit prendre un tel réexamen. Pour la même raison, elle n'a pas à dire à quel moment ce réexamen doit intervenir. Cela étant, elle constate aussi qu'il se dégage des éléments de droit comparé et de droit international produits devant elle une nette tendance en faveur de l'instauration d'un mécanisme spécial garantissant un premier réexamen dans un délai de vingt-cinq ans au plus après l'imposition de la peine perpétuelle, puis des réexamens périodiques par la suite (paragraphes 117 et 118 ci-dessus).

121. Il s'ensuit que, là où le droit national ne prévoit pas la possibilité d'un tel réexamen, une peine de perpétuité réelle méconnaît les exigences découlant de l'article 3 de la Convention.

122. Même si le réexamen requis est un événement qui par définition ne peut avoir lieu que postérieurement au prononcé de la peine, un détenu condamné à la perpétuité réelle ne doit pas être obligé d'attendre d'avoir passé un nombre indéterminé d'années en prison avant de pouvoir se plaindre d'un défaut de conformité des conditions légales attachées à sa peine avec les exigences de l'article 3 en la matière. Cela serait contraire non seulement au principe de la sécurité juridique mais aussi aux principes généraux relatifs à la qualité de victime, au sens de ce terme tiré de l'article 34 de la Convention. De plus, dans le cas où la peine est incompressible en vertu du droit national à la date de son prononcé, il serait inconséquent d'attendre du détenu qu'il œuvre à sa propre réinsertion alors qu'il ne sait pas si, à une date future inconnue, un mécanisme permettant d'envisager son élargissement eu égard à ses efforts de réinsertion sera ou non instauré. Un détenu condamné à la perpétuité réelle a le droit de savoir, dès le début de sa peine, ce qu'il doit faire pour que sa libération soit envisagée et ce que sont les conditions applicables. Il a le droit, notamment, de connaître le moment où le réexamen de sa peine aura lieu ou pourra être sollicité. Dès lors, dans le cas où le droit national ne prévoit aucun mécanisme ni aucune possibilité de réexamen des peines de perpétuité réelle, l'incompatibilité avec l'article 3 en résultant prend naissance dès la date d'imposition de la peine perpétuelle et non à un stade ultérieur de la détention.

4. La présente affaire

123. Il reste à déterminer si, eu égard aux éléments ci-dessus, les peines de perpétuité réelle prononcées contre les requérants en l'espèce satisfont aux exigences de l'article 3 de la Convention.

124. La Cour observe tout d'abord que, pas plus que la chambre (voir le paragraphe 94 de l'arrêt de celle-ci), elle n'est convaincue par les raisons données par le Gouvernement pour expliquer la décision de ne pas inclure un réexamen au bout de vingt-cinq ans dans la législation actuellement en vigueur en Angleterre et au pays de Galles en matière de prison à vie, à savoir la loi de 2003 (paragraphe 95 ci-dessus). Elle rappelle qu'un tel réexamen, quoiqu'entre les mains de l'exécutif, existait dans le régime antérieur (paragraphe 46 ci-dessus).

Le Gouvernement explique que si le réexamen après vingt-cinq ans n'a pas été repris dans la loi de 2003 c'est parce que l'une des finalités de ce texte était de confier à des juges les décisions quant à la durée d'emprisonnement à fixer à des fins de châtiment et de dissuasion (paragraphe 95 ci-dessus). Or la nécessité de faire statuer par des juges indépendants sur l'opportunité d'ordonner la perpétuité réelle est tout à fait distincte de celle de faire réexaminer une telle peine à un stade ultérieur afin de vérifier qu'elle demeure justifiée par des motifs légitimes d'ordre pénologique. De plus, étant donné que le but déclaré de cet amendement législatif était d'exclure entièrement l'exécutif du processus décisionnel en matière de peines perpétuelles, il eût été plus logique, au lieu de le supprimer complètement, de prévoir que le réexamen au bout de vingt-cinq ans serait désormais conduit dans un cadre entièrement judiciaire plutôt que, comme auparavant, par l'exécutif sous le contrôle du juge.

125. En outre, la législation régissant aujourd'hui les possibilités d'élargissement pour les condamnés à perpétuité manque de clarté. Il est vrai que l'article 30 de la loi de 1997 donne au ministre le pouvoir de libérer les détenus de toutes catégories, y compris ceux purgeant une peine de perpétuité réelle (paragraphe 42 ci-dessus). Il est vrai également que, lorsqu'il exerce ce pouvoir - comme c'est le cas lorsqu'il exerce n'importe quel autre pouvoir que lui confère la loi -, le ministre est légalement tenu d'agir en conformité avec la Convention (voir l'article 6 § 1 de la loi sur les droits de l'homme, cité au paragraphe 33 ci-dessus). Comme le Gouvernement le soutient dans ses observations devant la Cour, on pourrait donc voir dans l'article 30 non seulement un pouvoir d'élargissement conféré au ministre mais aussi une obligation pour lui d'exercer ce pouvoir et de libérer tout détenu dont le maintien en détention se révélerait incompatible avec l'article 3, par exemple parce qu'aucun motif légitime d'ordre pénologique ne permettrait plus de justifier cette mesure.

C'est d'ailleurs la lecture de l'article 30 à laquelle la Cour d'appel s'est livrée dans son arrêt Bieber et qu'elle a confirmée dans son arrêt Oakes (voir, en particulier, le paragraphe 49 ci-dessus, où sont repris les paragraphes 48 et 49 de l'arrêt Bieber, avec le passage dans lequel la Cour d'appel observait que, si le ministre utilisait avec parcimonie le pouvoir découlant de l'article 30, rien ne s'opposait à ce qu'il en fît usage de manière à assurer le respect requis de l'article 3 de la Convention).

Une telle lecture de l'article 30, propre à offrir certaines perspectives légales de libération aux détenus condamnés à la perpétuité réelle, serait, en principe, conforme à l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Kafkaris (précité). Dans le cas des requérants, si l'on pouvait établir avec suffisamment de certitude que le droit national actuellement en vigueur va dans ce sens, leurs peines ne pourraient passer pour incompressibles et leurs causes ne révéleraient aucune violation de l'article 3.

126. Cependant, la Cour doit s'attacher à la législation telle qu'elle se trouve actuellement explicitée dans les ordonnances publiées ou dans la jurisprudence et telle qu'elle est appliquée en pratique aux détenus condamnés à la perpétuité réelle. Or il demeure que, malgré l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Bieber, le ministre n'a pas modifié la teneur de la politique restrictive expressément énoncée par lui quant aux situations où il entend exercer le pouvoir que lui confère l'article 30. Nonobstant la lecture donnée de cette disposition par la Cour d'appel, l'ordonnance de l'administration pénitentiaire reste en vigueur et prévoit que l'élargissement ne sera ordonné que dans certains cas, qui sont énumérés de manière exhaustive et non pas cités à titre d'exemples : il faut que le détenu soit atteint d'une maladie mortelle en phase terminale ou d'une grave invalidité et que d'autres conditions soient respectées (il faut qu'il soit établi que le risque de récidive est minime, que le maintien en détention réduirait l'espérance de vie du détenu, que des dispositions adéquates ont été prises pour soigner et traiter le détenu hors de la prison et qu'une libération anticipée serait grandement dans l'intérêt du détenu ou de sa famille).

127. Ce sont là des conditions extrêmement restrictives. A supposer même qu'un détenu condamné à la perpétuité réelle puisse les remplir, la Cour estime que la chambre a eu raison de douter que la mise en liberté pour motifs d'humanité pouvant être accordée aux personnes atteintes d'une maladie mortelle en phase terminale ou d'un grave handicap physique puisse être considérée comme une véritable libération si elle se résume à permettre à l'intéressé de mourir chez lui ou dans un hospice plutôt qu'entre les murs d'une prison. De fait, aux yeux de la Cour, pareille mise en liberté pour motifs d'humanité ne correspond pas à ce que recouvre l'expression " perspective d'élargissement " employée dans l'arrêt Kafkaris (précité). En soi, les dispositions de l'ordonnance en question ne seraient pas conformes à cet arrêt et ne suffiraient donc pas à satisfaire aux exigences de l'article 3.

128. De surcroît, l'ordonnance de l'administration pénitentiaire est censée s'adresser aussi bien aux détenus qu'aux autorités carcérales. Cependant, elle ne renferme pas précisions faites à titre de réserves par la Cour d'appel dans l'arrêt Bieber, et invoquées par le Gouvernement dans ses observations devant la Cour, quant aux effets de la loi sur les droits de l'homme et de l'article 3 de la Convention sur l'exercice par le ministre du pouvoir d'élargissement que lui confère l'article 30 de la loi de 1997. En particulier, l'ordonnance n'indique pas la possibilité - offerte par la loi sur les droits de l'homme - qu'ont les détenus condamnés à la perpétuité, même à la perpétuité réelle, de demander, à un moment donné au cours de l'accomplissement de leur peine, leur élargissement pour des motifs légitimes d'ordre pénologique. Dans cette mesure, si l'on se fie aux propres observations du Gouvernement quant à l'état du droit national applicable, on peut craindre que l'ordonnance de l'administration pénitentiaire ne donne aux détenus condamnés à la perpétuité réelle - ceux qui sont directement touchés par elle - qu'une vue partielle des conditions exceptionnelles susceptibles de conduire le ministre à exercer le pouvoir que lui confère l'article 30.

129. Dès lors, eu égard au manque de clarté qui règne actuellement quant à l'état du droit national applicable aux détenus condamnés à la perpétuité réelle, la Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle l'article 30 de la loi de 1997 peut être considéré comme constituant une voie de droit appropriée et adéquate que les requérants pourraient exercer le jour où ils chercheraient à démontrer qu'aucun motif légitime d'ordre pénologique ne justifie plus leur maintien en détention et que celui-ci est donc contraire à l'article 3 de la Convention. Aujourd'hui, nul ne peut dire si, saisi d'une demande de libération formulée au titre de l'article 30 par un détenu purgeant une peine de perpétuité réelle, le ministre suivrait sa politique restrictive actuelle, telle qu'énoncée dans l'ordonnance de l'administration pénitentiaire, ou s'il s'affranchirait du libellé apparemment exhaustif de ce texte en appliquant le critère de respect de l'article 3 énoncé dans l'arrêt Bieber. Certes, tout refus de libération opposé par le ministre serait attaquable par la voie du contrôle juridictionnel et l'état du droit pourrait très bien être clarifié dans le cadre d'une telle procédure, par exemple par l'abrogation et le remplacement de l'ordonnance par le ministre ou par son annulation par le juge. Toujours est-il que ces éventualités ne suffisent pas à pallier le manque de clarté qui existe actuellement quant à l'état du droit national régissant les possibilités exceptionnelles d'élargissement des détenus condamnés à la perpétuité réelle.

130. Eu égard, dès lors, à ce contraste entre le libellé très général de l'article 30 (interprété par la Cour d'appel d'une manière conforme à la Convention, comme l'exige le droit du Royaume-Uni en application de la loi sur les droits de l'homme) et la liste exhaustive des conditions posées par l'ordonnance de l'administration pénitentiaire, ainsi qu'à l'absence d'un mécanisme spécial permettant de réexaminer les peines de perpétuité réelle, la Cour n'est pas convaincue que, à l'heure actuelle, les peines perpétuelles infligées aux requérants puissent être qualifiées de compressibles aux fins de l'article 3 de la Convention. Elle conclut donc que les exigences de cette disposition en la matière n'ont été respectées à l'égard d'aucun des trois requérants.

131. Cela étant, la Cour relève qu'aucun des requérants n'a cherché à soutenir au cours de la présente instance que plus aucun motif légitime d'ordre pénologique ne justifie son maintien en détention. Les intéressés ont également reconnu que, quand bien même les impératifs de châtiment et de dissuasion viendraient à être entièrement satisfaits, leur maintien en détention demeurerait toujours possible pour des raisons de dangerosité. Le constat de violation prononcé dans leurs causes ne saurait donc être compris comme leur donnant une perspective d'élargissement imminent.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

132. Dans leurs observations devant la Grande Chambre, les requérants maintiennent leur grief selon lequel l'absence en droit interne d'un mécanisme permettant le réexamen de leurs peines emporte violation de l'article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

" Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. "

Toutefois, ce grief a été déclaré irrecevable par la chambre dans son arrêt, lequel délimite l'étendue de la compétence de la Grande Chambre (voir, entre autres, Gillberg c. Suède [GC], n° 41723/06, § 53, 3 avril 2012, et Kafkaris, précité, § 124, avec d'autres références). Il échappe donc à l'objet du litige tel qu'il a été déféré à la Grande Chambre.

III. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

133. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

134. Seul le premier requérant a formulé une demande de satisfaction équitable.

A. Dommage

135. Sur la base d'une expertise décrivant les souffrances psychologiques qu'il dit subir dans le cadre de l'exécution de sa peine, le premier requérant réclame 1 500 livres sterling (GBP), soit environ 1 844 euros (EUR), pour dommage moral.

136. La Grande Chambre estime que son constat de violation de l'article 3 constitue à cet égard une satisfaction équitable suffisante et n'accorde donc aucune somme de ce chef.

B. Frais et dépens

137. Le requérant réclame une somme totale de 76 646 GBP (environ 88 957 euros), TVA comprise, censée couvrir les honoraires (pour plus de 120 heures et plus de 133 heures de travail respectivement) de son solicitor et de son conseil.

138. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant n'a droit au remboursement de ses frais et dépens qu'à condition que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, compte tenu des pièces en sa possession et des critères ci
-dessus, la Cour juge raisonnable d'accorder au premier requérant la somme de 40 000 EUR pour les frais afférents à la procédure suivie devant elle.

C. Intérêts moratoires

139. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Dit, par seize voix contre une, qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention à l'égard de chacun des requérants ;

2. Dit, à l'unanimité, que le grief tiré de l'article 5 § 4 de la Convention échappe à l'objet du litige soumis à son examen ;

3. Dit, par seize voix contre une, que le constat d'une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le premier requérant ;

4. Dit, par seize voix contre une,

a) que l'Etat défendeur doit verser au premier requérant, dans les trois mois, 40 000 EUR (quarante mille euros), à convertir en livres sterling au taux applicable à la date du règlement, pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt sur cette somme ;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable du premier requérant pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l'homme, à Strasbourg, le 9 juillet 2013, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Michael O'Boyle, Greffier adjoint

Dean Spielmann, Président


Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé des opinions séparées suivantes :

- opinion concordante de Mme la juge Ziemele ;

- opinion concordante de la Mme juge Power-Forde ;

- opinion concordante de M. le juge Mahoney ;

- opinion partiellement dissidente de M. le juge Villiger.


OPINION CONCORDANTE DE MME LA JUGE ZIEMELE

(Traduction)

1. Si j'ai voté en faveur de la décision de n'accorder aucune somme au titre de la satisfaction équitable dans cette affaire compte tenu de la nature des conclusions de la Cour exposées aux paragraphes 130 et 131, je ne puis m'associer pleinement à ce que la Cour dit au paragraphe 136 de l'arrêt et au point 3 de son dispositif. Je suis parfaitement consciente que ce qui y est dit est le fruit d'une pratique bien établie de la Cour, qui retient toujours la formule suivante : le " constat de violation de [l'article en cause] constitue une satisfaction équitable suffisante ".

2. Dans le cadre d'affaires antérieures, j'avais clairement indiqué que cette manière de faire me gênait (voir le texte de l'opinion séparée commune aux juges Ziemele et Karakas joint à l'arrêt Disk et Kesk c. Turquie, n° 38676/08, 27 novembre 2012). Ma gêne tient à la notion même de responsabilité de l'Etat en droit international et, en fait, à la distinction qu'il faut établir entre un fait internationalement illicite et ses conséquences. L'article 28 des Projets d'articles de la Commission du droit international (" la CDI ") de 2001 sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite (" les Projets d'articles ") dit : " [l]a responsabilité internationale de l'Etat, qui, conformément aux dispositions de la première partie, résulte d'un fait internationalement illicite comporte les conséquences juridiques qui sont énoncées dans la [deuxième] partie ". A mon sens, la formule retenue par la Cour mélange la question de l'établissement par les tribunaux de la responsabilité de l'Etat à raison d'une violation des obligations que la Convention fait peser sur lui et celle de l'appréciation par la Cour des éventuelles conséquences juridiques de la mise en jeu de cette responsabilité.

3. D'après les règles régissant la responsabilité de l'Etat, la conséquence principale du fait internationalement illicite est l'obligation de réparation intégrale. Il s'agit d'une obligation indépendante. La CDI a dit que " [l]'obligation générale de réparer est énoncée à l'article 31 en tant que corollaire immédiat de la responsabilité de l'Etat " (paragraphe 4 du commentaire de l'article 31 des Projets d'articles). Certes, il existe différentes formes de réparation, notamment la satisfaction pour le préjudice, " dans la mesure où il ne peut pas être réparé par la restitution ou l'indemnisation " (article 37 § 1 des Projets d'articles). " La satisfaction peut consister en une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée " (article 37 § 2 des Projets d'articles). Il est important de ne pas oublier que la satisfaction offerte par l'Etat responsable, et non par le juge, n'est pas une forme de réparation habituelle et qu'elle ne peut jouer que lorsqu'il ne peut y avoir réparation intégrale au moyen d'une restitution ou d'une indemnisation. En tout état de cause, il ne faut pas confondre la satisfaction au sens de la responsabilité de l'Etat et la satisfaction équitable au sens donné par la Cour européenne des droits de l'homme ou par d'autres tribunaux internationaux.

4. Dans le cas de la Cour, l'article 41 suit la logique du droit de la responsabilité de l'Etat en ce qu'il prévoit avant tout que, en principe, l'Etat responsable doit accorder une réparation intégrale à l'échelon national et que ce n'est que lorsque celle-ci n'est pas disponible ni possible que la Cour peut se prononcer sur la satisfaction équitable. La Cour a jugé que le constat par elle dans son arrêt d'une violation de la Convention entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à la violation (voir, par exemple, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], n° 31107/96, § 32, CEDH 2000
-XI). Dans son arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce (article 50), 31 octobre 1995, § 34, série A n° 330-B, elle a dit ceci :

" Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d'appréciation quant aux modalités d'exécution d'un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l'obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l'Etat défendeur de la réaliser, la Cour n'ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l'accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de la violation, l'article 50 habilite la Cour à accorder, s'il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée. "

Autrement dit, la Cour déclare qu'une action ou omission de l'Etat est irrégulière parce que contraire à la Convention. Il naît alors une obligation concomitante de réparer le préjudice.

5. Pour ce qui est de la déclaration judiciaire d'une violation comme forme de satisfaction équitable, la CDI a fait observer qu'il s'agit de l' " [u]ne des formes de satisfaction les plus fréquentes pour dommage moral ou immatériel " (paragraphe 6 du commentaire de l'article 37 des Projets d'articles). Il est néanmoins important de noter dans quel contexte factuel particulier cette pratique des juridictions internationales a été établie. L'arrêt rendu par la Cour internationale de justice (" la CIJ ") dans l'affaire du Détroit de Corfou constitue sur ce point le principal précédent faisant autorité. Or, si la CIJ a jugé que la déclaration d'une violation par la marine de guerre britannique " constitu[ait] en elle-même une satisfaction appropriée ", l'Albanie n'avait demandé aucune autre forme de réparation (Détroit de Corfou, fond, arrêt du 9 avril 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 35). La CDI a dit ceci : " [c]ependant, bien que les déclarations faites par une cour ou un tribunal compétent puissent être considérées comme une forme de satisfaction dans certaines affaires, de telles déclarations ne sont pas intrinsèquement associées à la satisfaction. Tout tribunal ou cour compétent est habilité à déterminer la licéité d'un comportement et à rendre ses conclusions publiques, en tant qu'étape normale du procès. Une telle déclaration peut être le prélude à une décision portant sur une forme quelconque de réparation " ou peut être le seul remède demandé (paragraphe 6 du commentaire de l'article 37 des Projets d'articles). Signalons aussi que, après avoir relevé l'habitude de longue date de se servir de la satisfaction comme remède, le tribunal arbitral dans l'affaire du " Rainbow Warrior " a établi la distinction suivante : " [c]ette habitude s'applique particulièrement aux cas de dommages moraux ou légaux infligés directement à un Etat, à l'inverse des cas de dommages aux personnes impliquant des responsabilités internationales " (Recueil des sentences arbitrales, Vol. XX, paragraphe 122).

6. Pour résumer, considérant que l'article 41 régit effectivement la compétence de la Cour pour déterminer le remède à une violation, dès lors qu'un tribunal de protection des droits de l'homme, dans un litige opposant un Etat à un particulier, établit une violation et que celui-ci, la partie lésée, demande une indemnité, une déclaration indiquant que le constat de violation vaut satisfaction suffisante ne répond pas à cette demande. Il se peut très bien que la Cour estime que le montant demandé n'est pas justifié et décide de ne pas l'accorder. Il faudrait alors qu'elle le dise précisément. Le constat de violation demeurerait et ne disparaîtrait pas avec la décision n'accordant aucune somme. Il s'agirait de cas très rares et il pourrait encore exister des voies de recours au niveau interne. J'estime donc nécessaire que la Cour s'emploie à clarifier la formule habituelle lorsqu'elle estime inopportun d'accorder une somme.


OPINION CONCORDANTE DE MME LA JUGE POWER-FORDE

(Traduction)

J'ai voté avec la majorité dans cette affaire et souhaite ajouter ce qui suit.

Je comprends et partage bon nombre de vues exprimées par le juge Villiger dans son opinion partiellement dissidente. Cependant, ce qui m'a fait pencher en faveur de la majorité, c'est la confirmation par la Cour dans son arrêt que l'article 3 englobe ce que l'on pourrait appeler " le droit à l'espoir ". Cela ne va pas plus loin. L'arrêt reconnaît, implicitement, que l'espoir est un aspect important et constitutif de la personne humaine. Ceux qui commettent les actes les plus odieux et les plus extrêmes et infligent à autrui des souffrances indescriptibles conservent néanmoins leur humanité fondamentale et portent en eux la capacité de changer. Aussi longues et méritées leurs peines d'emprisonnement puissent-elles être, ils conservent l'espoir que, un jour, ils pourront se racheter pour les méfaits qu'ils ont commis. Ils ne devraient pas être entièrement privés d'un tel espoir. Les empêcher de nourrir cet espoir reviendrait à nier un aspect fondamental de leur humanité et, ainsi, serait dégradant.


OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE MAHONEY

(Traduction)

1. Je souscris sans réserve aux conclusions et au raisonnement de l'arrêt rendu par la Grande Chambre en l'espèce (" AGC "). Je tiens toutefois à ajouter quelques mots sur les questions de l'applicabilité et du respect de l'article 3 dans le cas des détenus à perpétuité.

I. Applicabilité de l'article 3

2. Les observations ci-dessous sur l'applicabilité portent sur :

- l'exigence découlant de l'article 3 imposant à toute peine de perpétuité d'être " compressible " ; et

- le moment où, pour reprendre le libellé de l'arrêt rendu par la chambre en l'espèce (" AC "), on peut considérer qu' " une question sur le terrain de l'article 3 " se pose au regard de cette exigence implicite.

Pour le bon déroulement du raisonnement, il est peut-être plus facile de commencer par le second de ces deux points.

1. Moment où se pose une question sur le terrain de l'article 3

3. Dans son arrêt (AC, § 92 in fine, cité au § 87 AGC), la chambre a énoncé ainsi le critère d'applicabilité temporelle de l'article 3 à l'égard des griefs des requérants : une question ne se pose sous l'angle de l'article 3 que s'il peut être démontré i) que le maintien en détention de l'intéressé ne peut plus se justifier par un quelconque motif légitime d'ordre pénologique et ii) que la peine est incompressible de facto et de jure.

4. Il est vrai bien sûr que, en ce qui concerne les détenus, l'article 3 ne s'applique qu'aux peines ou mauvais traitements qui atteignent un certain niveau de souffrance ou d'humiliation dépassant celui inhérent à tout emprisonnement (Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 30, série A n° 26) et qu'un détenu à perpétuité n'aura pas été soumis à des souffrances ou à une humiliation atteignant ce niveau par sa seule condamnation à la perpétuité à la date où elle est prononcée. La perspective, à la date du prononcé de la peine, de passer le restant de ses jours en prison ne suffit pas en elle-même à faire naître des souffrances ou une humiliation de la gravité voulue. Comme la chambre l'a laissé entendre dans son arrêt (AC, § 92, cité au § 86 AGC), une personne condamnée pour des crimes violents très graves tels que le meurtre ou l'homicide doit s'attendre à passer un grand nombre d'années en prison avant de pouvoir entretenir de manière réaliste un quelconque espoir de libération et, quand bien même elle bénéficierait d'une possibilité de libération conditionnelle, elle doit savoir qu'elle n'a aucune garantie d'être élargie pendant la durée de sa vie.

5. Il ne faut toutefois pas en conclure que la responsabilité d'un Etat contractant ne peut jamais être engagée sur le terrain de l'article 3 tant que l'intéressé n'aura pas été en mesure d'affirmer qu'il est effectivement victime d'une peine ou d'un traitement ayant atteint le seuil de gravité interdit. Comme le montre l'une des premières affaires d'extradition, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, §§ 88 et 90, série A n° 161, l'aversion d'une société démocratique pour la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants est telle que la responsabilité de l'Etat peut être engagée à raison non seulement de violations concrètes de l'article 3 mais aussi de mesures dont on peut prévoir qu'elles entraîneront des violations potentielles à l'avenir, de sorte qu'il est tenu d'en empêcher la perpétration.

6. En matière pénale, il n'y a aucune raison que cet aspect préventif de l'article 3 n'entre pas en ligne de compte lorsqu'une peine est infligée à un criminel condamné, selon la nature de cette peine. A titre d'illustration, si est imposée une peine d'emprisonnement nettement disproportionnée en raison de sa durée (chacun s'accorde à dire en l'espèce qu'une telle peine violerait l'article 3 - voir AGC §§ 83 et 102), l'intéressé aurait aussitôt le droit d'en contester la compatibilité avec l'article 3, sans avoir à attendre que la partie proportionnée de sa peine soit purgée et que la nette disproportion de celle-ci commence à se faire sentir. L'interdiction de toute peine nettement disproportionnée peut s'analyser en une exigence préventive de l'article 3 qui se rapporte à la nature de la peine à la date où elle est infligée.

7. De la même manière, si l'on peut dire que l'article 3 interdit implicitement les peines à perpétuité incompressibles, il s'agit là en soi d'une exigence préventive qui doit logiquement entrer en jeu au moment du prononcé de la peine et non ultérieurement.

8. Dans cette mesure, une question " sur le terrain de l'article 3 " se pose à la date du prononcé de la peine. Il ne s'agit manifestement pas de la question de fond, factuelle (en laquelle la chambre voit la première branche de son critère - voir § 3 de la présente opinion ci-dessus), qui est de savoir si, pour le détenu en question, les circonstances ont évolué d'une manière si exceptionnelle que l'équilibre entre les justifications d'ordre pénologique a changé au point que l'intéressé pourrait prétendre que son maintien en détention constitue un traitement ou une peine inhumain(e) ou dégradant(e) contraire à l'article 3. Pareille hypothèse ne se concrétisera peut-être vraisemblablement jamais en pratique, comme les requérants en l'espèce l'ont eux-mêmes concédé (AGC, § 131). La question qui se pose à la date du prononcé de la peine, qui est d'ordre général et touche à la nature même de celle-ci, est de savoir si la peine telle qu'infligée est conforme à l'article 3 en ce qu'elle satisferait à l'exigence préventive de compressibilité. Cette question est bien distincte de celle qui se pose ensuite, qui touche aux circonstances aléatoires de l'exécution consécutive de la peine dans le cas d'espèce.

9. Ma lecture du critère d'applicabilité de l'article 3 énoncé par la chambre, exposé ci-dessus, est qu'il englobe deux exigences distinctes découlant de l'article 3 naissant à des moments différents, l'une étant d'ordre procédural (comme les trois juges dissidents de la chambre, MM. Lech Garlicki, David Thór Björgvinsson et George Nicolaou, l'ont dit dans l'exposé de leur opinion séparée) ou d'ordre préventif selon la nature de la peine (comme je l'ai dit), l'autre étant d'ordre substantiel, touchant les conditions concrètes de l'exécution de la peine.

2. Exigence de compressibilité

10. L'arrêt de Grande Chambre (AGC, §§ 104-118) explique - en détail - pourquoi l'article 3 doit être interprété comme imposant la compressibilité des peines de perpétuité, c'est-à-dire comme devant être " soumises à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l'exécution de sa peine, le détenu a tellement évolué et progressé sur le chemin de l'amendement qu'aucun motif légitime d'ordre pénologique ne permet plus de justifier son maintien en détention " (AGC § 119).

11. En disant que la compressibilité d'une peine perpétuelle est une exigence de l'article 3, la Cour ne réoriente pas sa jurisprudence ni n'impose une nouvelle obligation aux Etats contractants : elle reprend plutôt des principes déjà énoncés dans les précédents, notamment l'arrêt rendu par la Grande Chambre dans l'affaire Kafkaris c. Chypre [GC], n° 21906/04, CEDH 2008). D'ailleurs, dans son arrêt Bieber de 2009 (voir le résumé et certains extraits : AGC §§ 47-49), la Cour d'appel a déduit de l'arrêt Kafkaris le principe de compressibilité :

" Il nous semble que la Cour [dans l'arrêt Kafkaris] a estimé que la perpétuité incompressible soulevait une question au regard de l'article 3 lorsqu'elle risquait de conduire au maintien en détention du criminel au-delà de la durée justifiée par les objectifs légitimes de l'emprisonnement. C'est ce qui découle implicitement du fait qu'aucune question ne paraît se poser sur le terrain de l'article 3 dès lors qu'existe, en droit et en pratique, la possibilité que le criminel soit libéré alors même qu'il demeure possible, voire probable, qu'il passera le restant de ses jours en prison. Le critère essentiel paraît être la possibilité d'un contrôle qui permette de déterminer si la détention demeure ou non justifiée " (§ 39 de l'arrêt de la Cour d'appel, cité au § 47 AGC). "

12. De même, en fixant en l'espèce comme seconde condition pour qu'une question se pose sur l'article 3 que la peine soit incompressible en droit et en pratique (§ 3 ci-dessus), la chambre a réaffirmé la compressibilité en tant qu'exigence inhérente à l'article 3, mais une exigence qui, selon elle, ne peut être invoquée par un détenu à perpétuité qu'au moment hypothétique - qui ne viendrait peut-être jamais - où il pourrait affirmer qu'aucun motif légitime d'ordre pénologique ne justifierait plus son maintien en détention, en violation de l'article 3.

13. Ce qu'on peut qualifier en l'espèce de développement de la jurisprudence, ce sont les précisions apportées par la Grande Chambre dans son arrêt, par rapport à ce qu'a dit la chambre, sur le moment où une question peut se poser sur le terrain de l'article 3 s'agissant de la compatibilité d'une peine perpétuelle avec l'exigence de compressibilité.

II. Le respect de l'article 3

14. Dans son arrêt Bieber, la Cour d'appel a dit qu'elle " ne pens[ait] pas qu'il faille considérer la perpétuité réelle [en droit anglais] comme une peine incompressible " parce que le pouvoir d'élargissement conféré par la loi au ministre (c'est-à-dire le pouvoir discrétionnaire prévu par l'article 30 § 1 de la loi de 1997, permettant d'ordonner la libération conditionnelle d'un détenu à perpétuité pour des motifs humanitaires dans des circonstances exceptionnelles - voir AGC, §§ 42-44), conjugué à l'obligation faite au ministre par l'article 6 de la loi sur les droits de l'homme de se conformer à la Convention, et notamment aux prescriptions de l'article 3, dans l'exercice de ce pouvoir, légal, autoriserait la mise en liberté d'un détenu à perpétuité si jamais la situation est telle que son maintien en détention serait constitutif d'un traitement ou d'une peine inhumain(e) ou dégradant(e) (§§ 48-49 de l'arrêt de la Cour d'appel, cités au § 111 AGC). Ainsi qu'il a été relevé ci-dessus et surtout dans l'arrêt de la Grande Chambre (AGC, § 111), l'équilibre entre les divers motifs d'ordre pénologique justifiant l'emprisonnement à perpétuité (châtiment, dissuasion, protection du public et réinsertion) est susceptible d'évoluer avec le temps, si bien que, dans des circonstances exceptionnelles, il pourra arriver que ce maintien en détention constitue un " traitement ou une peine inhumain(e) ou dégradant(e) " contraire à l'article 3.

15. Ainsi qu'il ressort de l'arrêt Bieber de la Cour d'appel, le respect de cette exigence découlant de l'article 3 imposant la permanence d'une justification pénologique à la détention serait un élément pertinent que le ministre est tenu de prendre en considération lorsqu'il fait usage de son pouvoir légal d'élargissement. En effet, pour citer le Gouvernement lui
-même, " en vertu du droit anglais, lorsqu'il exerce ce pouvoir, le ministre doit agir de manière compatible avec la Convention " (observations écrites du Gouvernement, § 68 ; c'est nous qui soulignons), avec pour conséquence que, s'il est établi que le maintien en détention d'un détenu à perpétuité est constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant contraire à l'article 3, le ministre n'aurait pas seulement le droit mais aussi l'obligation d'user de ce pouvoir et de libérer l'intéressé. Le Gouvernement a reconnu que, s'ils saisissent le ministre pour lui demander d'exercer en leur faveur son pouvoir d'élargissement conféré par la loi de 1997, les détenus à perpétuité tels que les requérants pourraient soutenir que leur maintien en détention ne se justifie plus par aucun motif d'ordre pénologique, et que tout refus par le ministre serait susceptible de contrôle judiciaire et attaquable sur le terrain de l'article 3 (observations écrites du Gouvernement, § 66).

16. Si l'on suit cette lecture du droit national applicable, la loi sur les droits de l'homme, conjuguée au pouvoir d'élargissement pour motifs humanitaires conféré par la loi au ministre, permettrait aux détenus à perpétuité d'être libérés si la question de fond est tranchée en leur faveur, que ce soit par le ministre à l'issue de son examen initial de leur demande d'élargissement pour motifs humanitaires, ou devant les juridictions internes qui, par voie de contrôle judiciaire, annuleraient le refus du ministre en se fondant sur la Convention. Malgré le libellé apparemment limitatif de l'ordonnance n° 4700 de l'administration pénitentiaire, texte adopté sous l'autorité du ministre dans lequel celui-ci énonce sa politique sur les possibilités de libération pour les détenus à perpétuité (AGC, § 43), ceux-ci pourraient demander au ministre d'exercer son pouvoir d'élargissement " pour motifs humanitaires " en vertu de la loi de 1997 pour des raisons autres qu'une maladie mortelle en phase terminale ou une invalidité physique.

17. Dans son arrêt (AGC, § 125), la Grande Chambre reconnaît que, en principe, cette lecture de l'article 30 de la loi de 1997 ouvrirait dès lors en droit anglais aux détenus à perpétuité un mécanisme de réexamen du type exigé par l'article 3, un mécanisme leur offrant ce qui est parfois appelé un " mince espoir " de libération et, de plus, une garantie que, malgré le caractère perpétuel de leurs peines, ils ne devront pas être emprisonnés au
-delà de la durée justifiée par les motifs légitimes d'ordre pénologique de leur détention.

18. Le problème est que non seulement le texte officiel énonçant la politique du ministre quant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'article 30 § 1 de la loi de 1997, à savoir l'ordonnance n° 4700 de l'administration pénitentiaire, passe sous silence la possibilité pour les détenus à perpétuité de demander leur élargissement en invoquant la loi sur les droits de l'homme, mais aussi que les critères exposés dans cette ordonnance sont libellés de manière limitative et restrictive, comme étant les seuls motifs par lesquels ce pouvoir sera exercé. Certes, en droit anglais, le libellé restrictif de ce texte administratif énonçant une " politique " est supplanté par l'obligation incombant au ministre d'agir de manière compatible avec la Convention dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, mais le texte régissant expressément l'exercice de ce pouvoir légal est moins que transparent. Comme la Grande Chambre le dit dans son arrêt (AGC, § 128 in fine ci-dessus), " l'ordonnance de l'administration pénitentiaire ne donne aux détenus condamnés à la perpétuité réelle - ceux qui sont directement touchés par elle - qu'une vue partielle des conditions exceptionnelles susceptibles de conduire le ministre à exercer le pouvoir que lui confère l'article 30 ".

19. Le Gouvernement a plaidé dans ses écritures (§ 68 de ses observations écrites) qu' " il apparaîtrait d'emblée au début de chaque peine " que " si une question quelconque se pose sur le terrain de l'article 3 [en ce qu'aucun motif d'ordre pénologique ne justifierait plus la détention], il existerait un mécanisme permettant au détenu d'être libéré et que le fonctionnement de ce mécanisme serait soumis au contrôle du juge ". Vu le manque de clarté quant à l'état actuel du droit national relatif aux conditions dans lesquelles une perspective d'élargissement existe pour les détenus à perpétuité, la Grande Chambre n'a pas pu accepter cette conclusion (AGC, § 129). On pourrait paraphraser la conclusion de la Cour en disant que la relation incertaine et ambiguë entre les diverses sources de droit national applicables empêche " à l'heure actuelle " les peines perpétuelles infligées aux requérants d'être qualifiées de compressibles en droit et en pratique aux fins de l'article 3 de la Convention (AGC, § 130).

III. Remarques en conclusion

20. Les principaux aspects du raisonnement de l'arrêt de la Grande Chambre que je souhaite souligner sont les suivants :

- La compressibilité (c'est-à-dire l'existence d'un mécanisme offrant une perspective pas tout à fait irréaliste de libération au bout du compte) doit exister, en droit et en pratique, à la date du prononcé de la peine de manière à ce que soient respectées les exigences de l'article 3 quant à la nature de la peine infligée.

- En principe, compte tenu du raisonnement de la Cour d'appel dans son arrêt Bieber quant aux effets de la loi sur les droits de l'homme et de l'article 3 de la Convention sur l'exercice par le ministre de son pouvoir d'élargissement exceptionnel conféré par la loi de 1997, on pourrait considérer qu'un tel mécanisme existe en droit anglais sous la forme a) de la possibilité pour le détenu à perpétuité de demander au ministre d'exercer son pouvoir légal d'élargissement pour des motifs relevant de l'article 3 (disparition de toute justification d'ordre pénologique), et b) de l'obligation pour le ministre d'ordonner la libération si ces motifs s'avèrent fondés.

- Toutefois, au moment considéré, le caractère plus large des critères sur la base desquels le pouvoir légal discrétionnaire permettant l'élargissement des détenus à perpétuité devait être exercé, du point de vue du droit anglais, n'apparaissait pas suffisamment clairement. Pour cette raison, on ne pouvait pas considérer que les requérants en l'espèce, à la date du prononcé de leurs peines, entretenaient la perspective d'espoir - le " mince espoir " - voulue.

- En conséquence de ce manque de clarté dans les modalités d'application du droit national, les peines de perpétuité réelle en cause, à la date où elles ont été infligées aux requérants, ne pouvaient être qualifiées de " compressibles " aux fins de l'article 3, et il y a eu ce que la minorité dissidente de la chambre a appelé une violation procédurale de l'article 3.

- Cependant, comme la (majorité de la) chambre l'a dit, aucun des requérants n'a démontré au vu des circonstances de l'espèce, ni même soutenu que, à l'heure actuelle, leur maintien en détention n'a plus aucune finalité d'ordre pénologique et, dès lors, aucune question de fond ne se pose encore sur le terrain de l'article 3.

21. Le gouvernement défendeur est bien évidemment libre de choisir les moyens par lesquels il honorera l'obligation conventionnelle internationale que lui fait l'article 46 de la Convention de " se conformer " à l'arrêt rendu par la Grande Chambre en l'espèce. Clarifier davantage l'ordonnance de l'administration pénitentiaire (AGC, §§ 128-129) serait par exemple une possibilité. Une autre possibilité - quant aux moyens de garantir la compressibilité voulue par l'article 3 - pourrait se déduire des passages de l'arrêt de la Grande Chambre analysant les éléments de droit comparé et international produits devant la Cour. Comme cette dernière l'a observé, ces éléments militent clairement en faveur de l'instauration d'un mécanisme spécial, intégré à la législation en matière de fixation de la peine, prévoyant un réexamen des peines perpétuelles après un délai fixe, en général au bout de vingt-cinq années d'emprisonnement, avec d'autres réexamens périodiques par la suite (AGC, §§ 117, 118 et 120 ; voir aussi AGC, § 130). D'ailleurs, avant 2003, le système de fixation des peines en Angleterre prévoyait lui-même un tel réexamen, fût-il en premier lieu entre les mains de l'exécutif (AGC, §§ 46 et 124).


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DE M. LE JUGE VILLIGER

(Traduction)

Avec tout le respect que je dois à la majorité de mes confrères en l'espèce, je me dissocie d'eux.

En tant que juriste, je puis bien sûr reconnaître qu'une peine incompressible soulève des questions particulières et parfois extrêmement problématiques. Mais, en tant que juge tenu par la Convention, je ne puis analyser cette question que sous le seul angle de l'article 3.

Mon désaccord vient de la méthode suivie dans l'arrêt pour examiner la violation alléguée de l'article 3 de la Convention, à savoir dire que la peine incompressible infligée aux requérants est en elle-même contraire à cette disposition.

La Cour dispose d'une jurisprudence d'âge respectable précisant les critères et conditions d'application de l'article 3, remontant à son arrêt rendu en 1978 dans l'affaire Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A n° 25). Dans cet arrêt, et dans un nombre quasi incalculable d'arrêts ultérieurs, elle a dit que la question de savoir si, oui ou non, une question se pose sur le terrain de l'article 3 dépend de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce ; que cette disposition comporte différents seuils (à savoir un traitement " inhumain ", un traitement " dégradant " et la " torture ") ; qu'un minimum de gravité doit être atteint pour pouvoir franchir le premier de ces seuils, et que l'appréciation de ce minimum est relative (pour une affaire plus récente, voir M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], n° 30696/09, § 219, CEDH 2011).

Dans le présent arrêt, la Cour constate essentiellement une violation de l'article 3 au motif qu'il n'existe aujourd'hui aucune perspective d'élargissement pour les requérants ni aucune possibilité de réexamen de leurs peines. Elle fait notamment siens les arguments voulant que l'équilibre entre les motifs justifiant la détention puisse évoluer avec le temps (§ 111 de l'arrêt) ; que, quoi que le détenu fasse en prison, aussi exceptionnels que puissent être ses progrès sur la voie de l'amendement, son châtiment demeure immuable et insusceptible de contrôle (§ 112 de l'arrêt) ; et, implicitement, qu'une peine incompressible est contraire à la dignité humaine (§ 113 de l'arrêt). Le point essentiel est que l'arrêt prend pour position que la compatibilité avec l'article 3 d'une peine incompressible s'analyse du point de vue de la date à laquelle un détenu commence à la purger. Ainsi, la Cour dit ceci au paragraphe 122 de son arrêt :

" [U]n détenu condamné à la perpétuité réelle ne doit pas être obligé d'attendre d'avoir passé un nombre indéterminé d'années en prison avant de pouvoir se plaindre d'un défaut de conformité des conditions légales attachées à sa peine avec les exigences de l'article 3 en la matière. "

A mes yeux, cette manière d'analyser les griefs n'est pas conforme aux critères et conditions d'application de l'article 3 de la Convention, tels qu'énoncés dans la jurisprudence de la Cour, et ce pour les raisons exposées ci-dessous.

Tout d'abord, je constate que l'arrêt (par exemple dans ses paragraphes 121 et suiv.) renvoie aux " exigences " de l'article 3. Or nulle part dans l'arrêt ne sont explicitées, analysées ni appliquées ces exigences.

Deuxièmement, l'arrêt analyse la situation pour tous les détenus purgeant des peines de perpétuité et se livre ainsi concrètement à une interprétation généralisée de l'article 3. Or l'article 3 impose normalement une appréciation individualisée de la situation de chacun des requérants.

Troisièmement, en analysant la situation des détenus sous un angle conjectural - se projetant de nombreuses décennies en avant dans leur vie (et donc postérieurement aussi à l'examen par la Cour de la présente affaire) -, l'arrêt se livre à une appréciation abstraite et ne procède à aucun examen concret de la situation de chaque requérant à la date où elle connaît des faits. Or comment la Cour peut-elle savoir ce qui se passera dans dix, vingt ou trente ans ?

Quatrièmement, cette application générale et abstraite de l'article 3 en l'espèce ne cadre guère, à mes yeux, avec le principe de subsidiarité qui est à la base de la Convention, surtout lorsque, comme l'arrêt le reconnaît lui
-même, les questions relatives au caractère juste et proportionné de la peine donnent matière à des débats rationnels et à des désaccords courtois (§ 105 de l'arrêt).

Enfin, et surtout, cette manière de procéder fait abstraction des différents seuils de l'article 3. L'arrêt ne mentionne nulle part si le degré minimal de gravité du traitement a été atteint à l'égard des requérants, ce qui rendrait l'article 3 applicable. Il n'y a pas davantage de précisions sur le point de savoir si une peine d'emprisonnement incompressible s'analyse en une peine inhumaine ou dégradante, voire en un acte de torture. Il n'est fait état que de " l'article 3 " (voir, par exemple, au paragraphe 122 de l'arrêt).

Selon moi, cette manière d'analyser l'article 3 ne rend pas justice au caractère primordial de cette disposition dans le cadre de la Convention, telle qu'interprétée par la Cour dans sa jurisprudence.

***

J'estime que, si les exigences de la jurisprudence de la Cour relative à l'article 3 étaient appliquées, il faudrait parvenir aux conclusions ci-dessous.

Les développements consacrés dans l'arrêt aux questions problématiques soulevées par les peines incompressibles ont beau être certainement pertinents et utiles, un examen individualisé s'impose. De plus, dans le cadre d'un tel examen, les circonstances à retenir seraient non pas celles qui existaient au début de l'exécution de la peine mais plutôt celles, concrètes, qui existent au moment où la Cour est appelée à examiner l'affaire. En effet, seul un examen pratiqué à ce moment-là permettrait à la Cour de tenir dûment compte du temps déjà passé en prison par chacun des requérants. En son paragraphe 111, l'arrêt dit fort justement ceci :

" l'équilibre entre [les motifs justifiant la détention] n'est pas forcément immuable, il pourra évoluer au cours de l'exécution de la peine. Ce qui était la justification première de la détention au début de la peine ne le sera peut-être plus une fois accomplie une bonne partie de celle-ci. "

Or l'arrêt n'apparaît pas avoir suffisamment examiné l'évolution, si tant est qu'il y en ait eu une, des motifs justifiant la détention à l'égard de chacun des différents requérants. En fait, vu le raisonnement retenu, il ne pouvait pas le faire.

En l'espèce, le premier requérant, M. Vinter, purge sa peine d'emprisonnement depuis un peu plus de cinq ans ; le deuxième requérant, M. Bamber, depuis près de vingt-sept ans et le troisième requérant, M. Moore, depuis près de dix-sept ans.

A mes yeux, au vu des éléments ci-dessus quant à la nécessité d'un examen individualisé et concret des faits de la cause, l'article 3 n'entre en jeu à l'égard ni du premier requérant (un peu plus de cinq ans de prison) ni du troisième requérant (près de dix-sept ans de prison).

Le cas du deuxième requérant (vingt-sept ans de prison) est presque limite. Cependant, vu ses chefs d'inculpation et de condamnation, à savoir des meurtres multiples, j'estimerais que les motifs justifiant sa détention n'ont pas (encore) évolué et que le principal d'entre eux, c'est-à-dire le châtiment, demeure déterminant. A cet égard, je suis convaincu que, en 2008 et 2009 respectivement, la High Court et la Cour d'appel ont examiné ce point particulier et conclu que les impératifs de châtiment et de dissuasion restaient prééminents dans le cas de ce requérant (§ 23 de l'arrêt).

Pour ces raisons, j'ai voté contre le constat d'une violation de l'article 3 de la Convention.

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