MOTIFS DE LA DÉCISION
La régularité des deux appels n'est pas contestée par les conseils de monsieur [H] [Y], sauf pour ce qui concerne l'exception d'incompétence soulevée par monsieur l'avocat général.
Il y a lieu d'ordonner leur jonction.
Sur l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence
La procédure de soins sans consentement obéit aux règles prévues par le code de procédure civile.
Aux termes des dispositions de l'
article 75 du code de procédure civile🏛, s'il est prétendu que la juridiction saisie en première instance ou en appel est incompétente, la partie qui soulève cette exception doit, à peine d'irrecevabilité, la motiver et faire connaître dans tous les cas devant quelle juridiction elle demande que l'affaire soit portée.
In limine litis, les conseils de monsieur [H] [Y] soulèvent l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence formée par le ministère public qui n'a effectivement pas précisé dans le dispositif de ses conclusions du 9 juin 2022 la juridiction qu'il estime devoir être juridiquement compétente pour statuer sur la demande de mainlevée de l'UMD.
Pour autant, cette irrecevabilité n'a véritablement aucune incidence sur l'étendue de la saisine de la cour dans la mesure où :
- le parquet conclut également sur le fond dans son dispositif en sollicitant la réformation partielle de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention en ce qu'elle a considéré qu'il était de sa compétence de statuer sur la demande de mainlevée du placement de monsieur [H] [Y] en unité pour malades difficiles ;
- madame la préfète de la Gironde a également relevé appel de l'ordonnance du juge des libertés et soulève également l'incompétence du juge judiciaire au profit du juge administratif.
Sur la mesure d'hospitalisation sous contrainte
Les certificats de situation mensuelle ont été régulièrement communiqués par le centre hospitalier et ont été établis conformément à la loi.
Les différentes mesures d'expertise estiment que monsieur [H] [Y] est atteint d'un trouble psychotique de nature schizophrénique, avec instabilité de la relation au réel et de l'identité, délire paranoïde et ambivalence affective.
Il était suivi par un service de psychiatrie avant son passage à l'acte ayant consisté à donner la mort en 2004 à deux infirmières de l'établissement. Ces faits ont donné lieu à une déclaration d'irresponsabilité pénale.
Après son admission en UMD, au début de l'année 2005, une nette régression symptomatique a été observée en 2013 suite à un changement pour un pavillon plus vaste au sein de l'UMD et le rééquilibrage de la prise en charge.
Une amélioration s'est cependant dessinée depuis. En effet, le premier juge, saisi par madame la préfète de la Gironde en application des dispositions de l'article L3211-121 du code de la santé public, a justement relevé, au regard notamment des rapports de la commission de suivi du 5 mai 2022 et de des docteurs [N] et [P], que la pathologie dont souffre monsieur [H] [Y], consistant principalement en un trouble psychotique chronique schizophrénique actuellement stabilisé par le traitement médical imposé au patient, nécessite des soins contraints. Leurs constatations médicales ne sont pas contredites par l'avis médical du collège d'experts (rapport du 14 juin 2022). La mesure de protection dont bénéficiait monsieur [H] [Y] a d'ailleurs été levée le 22 novembre 2021.
Cependant, certaines observations ont été émises :
- par le docteur [N] qui indique que la situation de monsieur [H] [Y] nécessite, en cas de mainlevée de son placement en UMD, 'une équipe suffisamment solide pour le prendre en charge' ;
- par le Docteur [P] qui souligne l'effet néfaste d'une possible reprise d'une consommation de cannabis par le patient, substance qui a joué un rôle dans les événements ayant motivé son passage à l'acte, si celui-ci bénéficie dans l'avenir proche d'une hospitalisation hors UMD, en raison de la porosité de ces établissements face aux introductions de produits stupéfiants. Il convient d'observer que le patient lui-même à indiqué à ce praticien avoir été en capacité dans le passé de se fournir en substances illicites de Pau, notamment jusqu'en 2013.
Il convient enfin d'observer que le patient ne formule aucune demande de mainlevée de l'hospitalisation sous contrainte.
Ces éléments motivent la poursuite de l'hospitalisation sous contrainte car une mainlevée ne peut que générer chez monsieur [H] [Y] un trouble d'adaptation et un risque d'aggravation symptomatique dans l'hypothèse d'une nouvelle intoxication cannabique. Il convient dès lors d'éviter tout risque d'atteinte à la sûreté et sécurité du patient mais également d'autrui, la fin prématurée de la mesure ne pouvant que générer un risque de trouble à l'ordre public.
Sur la demande de mainlevée du placement en UMD
A l'occasion du nouvel examen de la situation du patient, celui-ci réitère sa demande tendant à ce que le juge judiciaire ordonne la mainlevée de son placement en unité pour malades difficiles.
La commission de suivi médical a émis les 11 janvier 2018, 5 septembre 2019, 3 juillet 2020 et 5 mai 2022 un avis favorable pour un transfert de monsieur [H] [Y] et donc sa sortie de l'UMD.
Aucun arrêté en ce sens n'a été pris par le préfet.
Le juge administratif, saisi uniquement en référé, a considéré le 14 mars 2018, en s'appuyant sur les dispositions de l'
article L3216-1 du code de la santé publique🏛, que la demande tendant à obliger le préfet à prendre un arrêté relevait de la compétence du juge des libertés et de la détention (ordonnance du 14 mars 2018).
Notre cour a considéré que cette demande relevait de l'appréciation de la juridiction administrative.
Cette situation de blocage a interpellé le contrôleur général des prisons et des lieux de liberté qui a considéré qu'il était ainsi porté atteinte à la dignité et aux droits fondamentaux de monsieur [H] [Y].
La demande de monsieur [H] [Y] a été accueillie pour la première fois par le juge des libertés et de la détention dans son ordonnance critiquée.
Aux termes de l'
article R3222-1 du code de la santé publique🏛, les unités pour malades difficiles accueillent des patients relevant de soins psychiatriques sans consentement sous la forme d'une hospitalisation complète en application des chapitres III et IV du titre 1er du livre II de la troisième partie du présent code ou de l'
article 706-135 du code de procédure pénale🏛 et dont l'état de santé requiert la mise en œuvre, sur proposition médicale et dans un but thérapeutique, de protocoles de soins intensifs et de mesures de sécurité particulières.
Il apparaît à l'examen de la procédure que le juge des libertés ne pouvait faire droit à la demande présentée par monsieur [H] [Y].
Certes, le tribunal des conflits a indiqué dans sa décision du 9 décembre 2019 (n°4174) que le juge judiciaire était seul compétent pour apprécier le bien-fondé d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement mais également les conséquences qui peuvent en résulter.
Cependant, le juge judiciaire est garant des libertés individuelles mais ne peut s'affranchir à ce titre du respect de la loi et notamment des dispositions du
code de la santé publique.
L'
article 3211-12-1 de ce code délimite le champs d'intervention du juge des libertés qui s'exerce limitativement sur les chapitres II à IV du titre premier du deuxième
livre de la troisième partie du code de la santé publique ou de l'
article 706-135 du code de procédure pénale🏛, quelque soit la forme de la mesure de soins contraints.
Il existe deux formes de prise en charge d'un patient au sein d'un établissement psychiatrique : l'hospitalisation complète au sein d'un établissement mentionné à l'
article L3222-1 du code de la santé publique🏛 ou le suivi par le biais d'un programme de soins.
Le placement en UMD ne constitue pas l'une des formes visées à l'
article L3211-12-1 du code de la santé publique🏛 mais une simple modalité de prise en charge à visée thérapeutique au cours d'une mesure d'hospitalisation complète.
Les règles relatives aux unités pour malades difficiles (articles R3222-1 et suivants), s'agissant notamment de son organisation et des conditions d'admission d'un patient, sont insérées au sein du deuxième titre du deuxième
livre de la troisième partie du code de la santé publique.
Dès lors, la compétence du juge judiciaire ne peut être qualifiée de générale et absolue comme l'affirment les conclusions de monsieur [H] [Y]. Le contrôle de la régularité des décisions administratives prises en application des chapitres II à IV du premier titre, qui ne peut être effectivement contestée que devant le juge judiciaire en application des dispositions de l'
article L3216-1 du code de la santé publique🏛, n'a pas vocation à être exercé pour ce qui concerne les décisions administratives de mainlevée d'une UMD.
Echappent également au contrôle du juge judiciaire :
- les décisions d'autorisation de sortie d'un patient ;
- l'appréciation du contenu et bien-fondé des certificats médicaux nécessaires à l'admission d'un malade au sein d'une UMD après mise en oeuvre initiale d'une mesure d'hospitalisation complète au sein d'un centre hospitalier psychiatrique 'ordinaire' ;
- une décision de transfert d'un malade au sein d'un autre établissement psychiatrique, celle-ci relevant exclusivement de l'appréciation de l'autorité administrative (
arrêt du conseil d'Etat du 13 mars 2013, n°342704⚖️).
C'était également le cas, jusqu'à une période très récente, pour ce qui concerne les mesures d'isolement et de contention jusqu'à ce qu'une loi, qui est absente au cas présent, vienne donner compétence au juge des libertés et de la détention pour statuer sur leur bien-fondé et poursuite.
Seul un recours au fond à l'encontre de la décision implicite de rejet de la demande de transfert prise par le préfet, qui a compétence liée et qui ne s'explique pas véritablement en droit sur les raisons de sa carence, peut être initié par le patient.
Cette situation de blocage engendrer une légitime incompréhension de la part de monsieur [H] [Y] et est susceptible de rejaillir sur l'évolution positive de son état de santé.
Par conséquent, le juge des libertés et de la détention n'est pas un juge du recours pour excès de pouvoir. Il n'a donc pas le pouvoir d'annuler une décision administrative (implicite de rejet) ni de se substituer à l'autorité administrative pour ordonner la mainlevée du placement en UMD. Ses prérogatives se limitent à ordonner le maintien de la mesure de soins ou sa mainlevée en application des dispositions de l'
article L 3211-12-III du code de la santé publique.
Il est intéressant d'observer que le contrôleur général des prisons proposait récemment une évolution textuelle et des pratiques par le biais unique de l'évolution du droit administratif et non par une intervention accrue du juge judiciaire.
Interrogés à l'audience, les conseils du patient ont précisé ne pas avoir initié une procédure devant le juge du tribunal administratif tendant à contester la décision implicite de rejet de madame la préfète de la Gironde.
Il convient enfin de constater que, dans son arrêt de rejet du 15 septembre 2021 (n°
20-16.814⚖️), décision dont l'existence n'est pas mentionnée par l'ordonnance entreprise, la première chambre civile de la cour de cassation a estimé que les moyens soulevés par monsieur [H] [Y] tendant à reprocher au juge judiciaire le prononcé d'une décision d'incompétence, en l'occurrence :
- 1°) Alors que le juge compétent pour statuer sur le maintien ou la sortie d'un malade d'une unité pour malades difficiles est le juge judiciaire, qui peut en conséquence ordonner à l'autorité compétente de prononcer la sortie d'un malade de cette unité ; qu'en retenant qu'il n'appartenait pas au juge judiciaire d'enjoindre sous astreinte à l'autorité administrative de prendre une décision à la suite de l'avis de la commission le premier président a violé les
articles R3222-6, L3216-1 et L3211-12 du code de la santé publique🏛 ;
- 2°) Alors que lorsqu'une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif a, par une décision qui n'est plus susceptible de recours, décliné la compétence de l'ordre de juridiction auquel elle appartient au motif que le litige ne ressortit pas à cet ordre, toute juridiction de l'autre ordre, saisie du même litige, si elle estime que le litige ressortit à l'ordre de juridiction primitivement saisi, doit renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur la question de compétence ainsi soulevée et surseoir à toute procédure jusqu'à la décision du tribunal ; qu'en l'espèce, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a, par ordonnance du 14 mars 2018, rejeté comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître la requête de M. [Y] lui demandant d'enjoindre au préfet de la Gironde de prendre un arrêté de sortie de I'UMD de l'hôpital de Cadillac ; que le premier président a constaté dans l'ordonnance attaquée que le requérant demandait au juge judiciaire qu'il soit enjoint au préfet de prendre un arrêté de transfert et de sortie de I'UMD ; que le juge judiciaire était donc saisi d'un litige sur lequel la juridiction administrative avait déjà décliné sa compétence ; qu'il ne pouvait dès lors pas décliner à son tour sa compétence, mais devait surseoir à statuer et renvoyer le litige au Tribunal des conflits ; qu'en rejetant la demande de M. [Y] du fait de l'incompétence de la juridiction judiciaire, sans surseoir à statuer et transmettre la question au Tribunal des conflits, le premier président a violé l'
article 32 du décret du 27 février 2015🏛 ;
- 3°) Alors en toute hypothèse que le premier président a considéré que le placement au sein de I'UMD constitue une modalité d'exécution de la mesure d'hospitalisation sous contrainte et que le choix des soins mis en oeuvre ne ressortait pas des attributions confiées au juge judiciaire, tout en décidant que les soins contraints de l'exposant devaient se poursuivre 'en milieu sécurisé' : qu'ainsi, après s'être déclaré incompétent, il s'est prononcé en faveur du maintien de l'exposant en UMD, entachant sa décision d'une contradiction de motifs et d'une violation de l'
article 455 du code de procédure civile🏛 ;
ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Il convient dès lors d'infirmer l'ordonnance attaquée sur ce point et de se déclarer incompétent sur la demande en mainlevée du placement en unité pour malades difficiles formée par monsieur [H] [Y].
Il ne peut y avoir conflit de compétence en raison d'absence d'identité du litige.
En effet, dans sa décision du 14 mars 2018, le juge administratif s'est déclaré incompétent pour enjoindre au préfet de prendre un arrêté alors que la prétention principale de monsieur [H] [Y] devant le juge des libertés et de la détention, dans le cadre de la présente instance, tend à obtenir la mainlevée et en conséquence son transfert.
La seconde ordonnance du juge administratif en date du 17 janvier 2020 ne peut également être invoquée pour soutenir l'existence d'un conflit négatif. En effet, celle-ci a rejeté sur le fond la demande de monsieur [H] [Y] tendant à obtenir la communication de la décision préfectorale refusant le transfert, s'estimant dès lors compétent pour statuer sur cette problématique.
En application des dispositions de l'
article 81 du code de procédure civile🏛, monsieur [H] [Y] sera renvoyé à mieux se pourvoir.