TRIBUNAL
DE GRANDE
INSTANCE
DE PARIS
3ème chambre 1ère
section
N° RG 14/18546
JUGEMENT
rendu le 14 Janvier 2016
N° MINUTE 3
DEMANDERESSE
Madame Brigitte Z
SAINT TROPEZ
représentée par Maître André SCHMIDT de l'AARPI A. SCHMIDT-L. GOLDGRAB, avocats au barreau de PARIS, vestiaire 41'0391
DÉFENDERESSE
S.A. STUDIOCANAL
ISSY LES MOULINEAUX
représentée par Me Anne BOISSARD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #130412
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente
Camille LIGNIERES, Vice Présidente
Julien RICHAUD, Juge
assistés de Léoncia BELLON, Greffier,
DÉBATS
A l'audience du 09 Novembre 2015
tenue publiquement
Expéditions
exécutoires /S
délivrées le e"
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoirement
en premier ressort
EXPOSÉ DU LITIGE
Madame Brigitte Z est l'actrice principale des trois films de long métrage "Voulez-vous danser avec moi ? " (1959), " Le repos du guerrier " (1962) et " A coeur joie " (1967), réalisés et produits par la société de production cinématographique FRANCOS FILMS, présidée à l'époque par monsieur Francis ..., aux droits de laquelle vient la SA STUDIOCANAL.
L'actrice explique avoir signé les contrats suivants avec la société FRANCOS FILMS
une lettre-contrat du 5 mai 1958 pour le film " Voulez-vous danser avec moi ? ",
une lettre-contrat du 13 avril 1960 pour le film " Le repos du guerrier", une lettre-contrat du 4 mai 1966 pour le film " A coeur joie ".
Madame Brigitte Z dit avoir donné mandat à la société OPEN ART, laquelle a communiqué à la société STUDIOCANAL IMAGE le contrat d'artiste-interprète du film " Voulez-vous danser avec moi ? " du 5 mai 1958 par courrier en date du 26 septembre 2007.
Par courrier du 28 septembre 2007, la société STUDIOCANAL IMAGE, absorbée par la SA STUDIOCANAL, a répondu n'avoir jamais eu connaissance de l'existence de ce contrat, lequel ne porte pas la signature de madame Brigitte Z et n'a fait l'objet d'aucune inscription au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel, ne pouvant ainsi lui être opposé.
A l'occasion d'un entretien le 13 février 2008, la société OPEN ART a remis à la SA STUDIOCANAL une copie des trois lettres-contrats des 5 mai 1958, 13 avril 1960 et 4 mai 1966 que madame Brigitte Z venait de confirmer par sa signature.
Par courrier du 26 mai 2008, la société OPEN ART a indiqué à la SA STUDIOCANAL être dans l'attente des comptes d'exploitation et du paiement des parts producteurs dues à madame Brigitte Z depuis 30 ans sur les trois films " Voulez-vous danser avec moi ? ", "Le repos du guerrier " et " A coeur joie ".
Par courrier du 3 juin 2008, la SA STUDIOCANAL a répondu que les contrats de madame Brigitte Z lui sont inopposables avant 2008, faute d'une inscription au registre public de la cinématographie et de l'audiovisuel.
Après des échanges de courriers recommandés les 12 et 27 juin 2008, une réunion le 21 janvier 2010 et des échanges de courriels les 17 février, 25 février et 2 mars 2010, la société OPEN ART a adressé à la SA STUDIOCANAL trois factures en date du 18 mars 2010, contestées en réponse par la SA STUDIOCANAL par courrier du 1er avril 2010.
A la suite d'un courrier de la société OPEN ART du 29 avril 2013, la SA STUDIOCANAL a adressé un état des recettes brutes encaissées au titre de l'exploitation des trois films de 1998 à 2012 par courrier du 17 juin 2013.
Par courriers des 6 et 7 janvier 2014, madame Brigitte Z a, par l'intermédiaire de son conseil, mis en demeure la SA STUDIOCANAL de remettre les relevés trimestriels des redevances dues et d'assurer les règlements échus depuis l'amortissement du coût du film.
Par courrier du 17 janvier 2014, la SA STUDIOCANAL a, par l'intermédiaire de son conseil, répondu ne pouvoir donner suite à ses demandes, les estimant prescrites et contestant la force obligatoire et l'opposabilité des conventions invoquées.
C'est dans ces conditions que madame Brigitte Z a, par exploit d'huissier en date du 12 mars 2014, assigné la SA STUDIOCANAL devant le tribunal de grande instance de PARIS en responsabilité contractuelle et aux fins de voir le juge de la mise en état ordonner notamment un établissement des comptes et la remise de contrats d'exploitation.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 2 novembre 2015, madame Brigitte Z demande au tribunal de
Vu les articles 1134, 1135 et 1147 du Code Civil, les articles L.212-3, L.335-4, L.212-7 du code de la propriété intellectuelle,
I. ... au principal
- Déclarer valides et opposables à STUDIOCANAL les lettres-contrats adressées par la société FRANCOS FILMS à Mme Brigitte Z et déclarer non prescrites les actions de celles-ci sur la base desdits conventions.
o Film "Voulez-vous danser avec moi ?" lettre-contrat de FRANCOS FILMS du 5 mai 1958
o Film "Le repos du guerrier" lettre-contrat de FRANCOS FILMS du 13 avril 1960
o Film "A coeur joie" lettre-contrat de FRANCOS FILM du 4 mai 1966
- Dire que les clauses de rémunération sur Recettes Nettes Part Producteur sont dues jusqu'à la cessation des exploitations génératrices de recettes par STUDIOCANAL auprès des usagers quels qu'ils soient. - Constater les manquements suivants de STUDIOCANAL dans l'exécution des contrats des trois films
* non remise des contrats d'exploitation à chaque signature de la production,
* non remise des bordereaux trimestriels de recettes, bénéfices ou pourcentage, des RNPP, de 1987 à nos jours (soit 20 ans à compter de la première demande)
* absence de paiement des sommes dues sur chacun des trois films, soit 40% sur les 'recettes nettes part producteur' excédent le coût du film pour le film " A coeur joie ",
* 65% des bénéfices de l'exploitation mondiale du film " le repos du guerrier "
*et 18% sur la 'recette nette part producteur' du monde entier à partir du moment où les recettes producteur ont atteint la somme de 200.000.000 francs (avant 1959) soit 304.898euros, pour le film "Voulez-vous danser avec moi ?".
* la comédienne n'a pas été appelée à autoriser le transfert de ses films à STUDIOCANAL ou à ses prédécesseurs.
- Désigner tel expert-comptable spécialisée en matière audiovisuelle avec pour mission
de se faire remettre les relevés de comptes, recettes et dépenses, par STUDIOCANAL pour les trois films du litige depuis 1987 à nos jours pour
"Voulez-vous danser avec moi ?"
"Le repos du guerrier"
"A coeur joie"
de se faire communiquer notamment "les recettes brutes d'exploitation", "les recettes brutes producteur", "les recettes nettes part producteur"(RNPP) et le montant des droits et des bénéfices revenant à la comédienne pour chacun des trois films,
de recueillir une copie de tous les contrats d'exploitation de chacun des trois films,
et d'obtenir la remise de l'accord qui aurait pu être donné par la requérante quant à la rétrocession des droits et bénéfice des films à la société STUDIOCANAL et aux prédécesseurs de celle-ci, et de calculer et/ou d'évaluer le montant des droits dus à Mme Brigitte Z pour chacun des trois films du litige,
- Condamner la société STUDIOCANAL à payer à Mme Brigitte Z
- Au titre des droits dus contractuellement
film "Voulez-vous danser avec moi ?" 67.000 euros
film "Le repos du guerrier" 304.230 euros
film "A coeur joie" 56.243 euros
Total 427.473 euros
Soit après déduction des frais (20%) le montant de 341.978 euros et avec un montant de 15% au titre de l'érosion monétaire, soit 51.296E en sus; Soit un montant total de 341.978euros + 51.296euros = 393.294euros.
- Condamner STUDIOCANAL à payer l'intérêt légal calculé à compter de chaque échéance des droits dus et voir appliquer l'article 1154 du Code Civil (anatocisme ou intérêts composés).
- Dans le cas où l'expertise requise serait ordonnée, Condamner la société STUDIOCANAL à payer à titre d'indemnité provisionnelle à Mme Brigitte Z les sommes suivantes
40.000 euros pour les droits de "Voulez-vous danser avec moi ?", 150.000 euros, pour les droits du film "Le repos du guerrier"
40.000 euros pour les droits du film "A coeur joie
soit un total de 230.000 euros
II. Demandes subsidiaires (contrefaçon par application de l'art. L.335-4 du CPI)
- Constater la contrefaçon, en application de l'article L.335-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, des interprétations enregistrées de Mme Brigitte Z dans les trois films "Voulez-vous danser avec moi?", "Le repos du guerrier", et "A coeur joie".
- En conséquence condamner la société STUDIOCANAL à payer à Mme Brigitte Z au titre de l'indemnité réparatrice du manque à gagner 200.000 euros pour le film "Le repos du guerrier" et 50.000 euros pour chacun des deux autres films "A coeur joie" et "Voulez-vous danser avec moi T'
- Condamner la société STUDIOCANAL à payer au titre du bénéfice illicitement effectué par STUDIOCANAL à Mme Brigitte Z à la somme de 100.000 euros par film, soit 300.000 euros, au titre des trois films "Voulez-vous danser avec moi?", "Le repos du guerrier", et "A coeur joie".
- Au titre du préjudice moral, en application de l'article L.331-1-3, alinéa 1 er, du Code de la Propriété Intellectuelle, condamner en outre STUDIOCANAL à payer à Mme Brigitte Z la somme de 30.000 euros par film, soit 90.000 euros pour l'ensemble des trois films.
III. Responsabilité pour défaut de négociation des contrats manquants et/ou des avenants sur les modes d'exploitation non cédés (art. L.212-7 du CPI)
- Dire que la société STUDIOCANAL a engagé sa responsabilité pour n'avoir pas négocié comme elle était invitée à le faire par l'art. L.212-7 du CPI, soit un nouveau contrat complet, soit un avenant lui permettant d'exploiter les modes d'exploitation manquants et voir en conséquence fixer à 50.000 Euros le montant des dommages-intérêts à ce titre.
IV. Autres demandes
- Condamner la société STUDIOCANAL à payer à Mme Z
Z la somme de 30.000 euros HT au titre de l'article 700 du
Code de Procédure Civile.
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
- Condamner la société STUDIOCANAL en tous les dépens en
application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Par dernières conclusions signifiées par voie électronique le 16 octobre 2015, la SA STUDIOCANAL demande au tribunal de A titre principal,
- Dire et juger que les pièces adverses n°5 à 7, mais aussi la pièce adverse n°30, sont dépourvues de la moindre force obligatoire et sont insusceptibles d'obliger la société STUDIOCANAL puisque
* les originaux de ces pièces ne sont pas produits aux débats,
* la pièce adverse n°5 n'est revêtue ni du paraphe, ni de la signature de
la société Francos Films,
* la pièce adverse n°30 est incomplète et peu compatible, sur certains points, avec la pièce adverse n°5,
* les deux autres (et le cas échéant, la pièce adverse n°30 également) doivent s'analyser, au mieux, comme des offres de contracter devenues caduques à défaut d'avoir été acceptées dans un délai raisonnable ou doivent, au pire, être considérées comme ayant été tacitement révoquées au plus tard en 1988 compte tenu du comportement adopté aussi bien par la société Francos Films que par Madame Z jusqu'à la date de dissolution de la première en novembre 1988 ;
- Débouter en conséquence Madame Z de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
A titre subsidiaire,
Vu l'article L. 123-1 du Code du Cinéma et de l'Image animée,
- Dire et juger que les droits que Madame Z prétend tirer de la pièce adverse n°5 ne sont pas opposables à la société STUDIOCANAL à défaut pour cette pièce d'avoir été publiée au registre public de la cinématographie ;
- Dire et juger que les droits que Madame Z prétend tirer des pièces adverse n°6 et 7 ne sont opposables à la société STUDIOCANAL que depuis le 1er février 2008 et sont au surplus expirés, le 31 décembre 2009 concernant " Voulez-vous danser avec moi " et le 31 décembre 2012 pour le film " Le repos du guerrier " ;
- Débouter en conséquence Madame Z de toutes ses demandes, fins et conclusions ou à tout le moins de toutes ses demandes afférentes au film " A coeur joie " et de toutes celles excédant la période écoulée du 1er février 2008 au 31 décembre 2009 pour " Voulez-vous danser avec moi " et la période écoulée du 1er février 2008 au 31 décembre 2012 pour le film " Le repos du guerrier"; A titre subsidiaire encore,
- Vu l'article 2262 (ancien) du Code Civil, dire et juger que dès avant 2007, Madame Z avait perdu tout droit au service de redevances dont les échéances trimestrielles étaient alors impayées depuis déjà plus de trente ans ;
- Vu l'article L. 123-22 du Code de Commerce, dire et juger en tout état de cause que Madame Z ne peut reprocher à la société STUDIOCANAL de n'être plus en mesure de reconstituer la comptabilité complète des films en question ;
- Vu plus subsidiairement l'article 2224 du Code Civil, dire et juger que l'action de Madame Z est à tout le moins prescrite pour tout ce qui touche à l'exploitation des trois films antérieure au 1er octobre 2008
- Débouter en conséquence Madame Z de toutes ses demandes, fins et conclusions ou, à tout le moins de celles portant sur l'exploitation des films antérieures au 1er octobre 2008 ;
En tout état de cause,
Vu les contrats inscrits au registre dès avant le mois de septembre 2007, vu l'article L. 211-1 du Code de la Propriété intellectuelle et vu enfin l'extrême tardiveté des revendications de Madame Z qui aboutiraient, si elles étaient admises, à bouleverser totalement les circonstances économiques d'exploitation des trois films,
- Débouter de ce chef Madame Z de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- A défaut, lui faire injonction de se rapprocher de la défenderesse au plus tard dans le mois de la signification du jugement à intervenir afin de rechercher avec elle une solution raisonnable préservant les intérêts de tous ;
- Dire qu'à défaut pour les parties de trouver cette solution dans un délai maximum de quatre mois à compter de la signification du jugement à intervenir, le montant de la rémunération de Madame Z devra être fixé à dire d'expert ;
- Débouter également Madame Z de sa demande subsidiaire en contrefaçon comme de sa demande tirée d'une prétendue faute de la société STUDIOCANAL " pour n'avoir pas négocié comme elle était invitée à le faire par l'article L. 212-7 du CPI, soit un nouveau contrat complet, soit un avenant lui permettant d'exploiter les modes d'exploitation manquants " ;
- Condamner Madame Z à payer à la société STUDIOCANAL une somme de 20.000 euros par application de l'article 700 du CPC ; - La condamner encore aux entiers dépens dont distraction au profit de Me ..., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du même code ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 novembre 2015.
MOTIFS
Sur les manquements contractuels de la société STUDIOCANAL, à titre principal
Concernant les trois films objets du litige, Madame Brigitte Z se prévaut de l'application de contrats de cession de droits prévoyant une rémunération qui lui reviendrait à hauteur de 18% des recettes d'exploitation. Selon Madame Brigitte Z, ces trois contrats sont opposables à la société STUDIOCANAL en sa qualité de cessionnaire du catalogue des films du producteur FRANCOS FILMS.
La formation de ces contrats étant contestée, Madame Brigitte Z précise que s'agissant d'un acte mixte, la preuve de l'existence de contrats est libre à l'égard du producteur qui est un commerçant. Madame Brigitte Z fait également valoir que les lettres contrats ont reçu exécution, à l'exception de la rémunération lui restant due. Enfin, la demanderesse fait remarquer que conformément à l'article 1134 du code civil, les conventions ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel.
La société STUDIOCANAL conteste au principal la formation des contrats invoqués et donc leur force obligatoire en faisant valoir que les lettres contrats n'ont jamais été exécutées depuis près de 40 ans, que ce n'est qu'en 2007 que Madame Brigitte Z a réclamé cette exécution, qu'en outre ces lettres accords n'ont pas fait l'objet d'une inscription au RPCA au moins jusqu'en 2008 et qu'enfin elles n'ont été signées par Madame Brigitte Z qu'en 2008.
La société défenderesse ajoute que les originaux de ces lettres accords ne sont pas versés au débat.
Sur ce ;
Vu l'article 1101 du code civil selon lequel " un contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs parties s'obligent, envers une ou plusieurs autres, donner, à faire, ou à ne pas faire quelque chose ", Vu l'article 1134 du même code qui dispose " Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.Elles doivent être exécutées de bonne foi.".
En l'espèce, il est allégué l'existence d'une offre contractuelle faite par le producteur à Madame Brigitte Z lors du projet de tournage pour chacun des trois films objets du litige et qui aurait acquis force obligatoire par l'acceptation de Madame Brigitte Z mais n'aurait jamais reçu d'exécution concernant la rémunération proportionnelle aux recettes du producteur, ni même la reddition des comptes.
Il est produit en demande des copies de lettres accords datées du 5 mai 1958 concernant le film "Voulez-vous danser avec moi ? ", du 13 avril 1960 concernant le film " Le repos du guerrier " et du 4 mai 1966 concernant le film " A coeur joie ". (pièces en demande n° 5 à 7)
Is
L'original de ces contrats, malgré la demande écrite du conseil du défendeur (pièce 40 en défense), n'a pas été produit. Les copies produites comportent en première page la mention écrite de la main de Madame Brigitte Z " copie certifiée conforme à l'original " signée par cette dernière et datée de " janvier 2008 ", cependant, cette mention n'a aucune valeur probante en ce qu'elle émane d'une partie au litige et surtout en ce qu'elle est en totale contradiction avec le fait que la demanderesse ne démontre pas être ou avoir été en possession des originaux et se trouve donc dans l'impossibilité de certifier que ces copies sont conformes à des originaux qu'elle n'a pas.
Ces copies d'offres contractuelles destinées à Madame Brigitte Z émanent de la société de production FRANCOS FILMS et sont signées par le gérant de cette dernière. Ces offres indiquent à la fin des lettres la mention suivante " nous vous prions de donner votre accord sur les termes et conditions de la présente, en nous retournant le double ci-joint, revêtu de votre signature, précédée de la mention " LU ET APPROUVE, BON POUR ACCORD " après avoir paraphé chaque bas de page ". Il n'est nullement démontré ni même allégué que ces lettres ont été renvoyées signées par Madame Brigitte Z au producteur, ce n'est qu'en 2008 au moment de la réclamation en paiement auprès de la société STUDIOCANAL que ces offres ont été signées par Madame Brigitte Z et enregistrées à l'initiative de cette dernière au Registre de la cinématographie et de l'audiovisuel (RPCA) en date du 31-01-2008.
Madame Brigitte Z soutient que son acceptation se déduit du fait que ces " lettres contrats " ont reçu exécution puisque le film objet de l'offre a été réalisé et qu'elle a interprété le rôle comme prévu dans l'offre.
Cependant, à l'époque de la réalisation de ces trois films, la formalisation d'un contrat à l'écrit entre le producteur et l'artiste-interprète n'était pas exigée par la loi, et la seule réalisation du film ne peut suffire à prouver la rencontre des volontés sur tous les points du contrat alors même que l'offre n'a pas été signée à l'époque du tournage et qu'elle n'a pas reçu exécution sur une condition essentielle qui était la rémunération prévue entre les parties.
Ces offres n'ont donc pas abouti à la formation de contrats du fait que Madame Brigitte Z ne les a pas acceptées dans un délai raisonnable soit plus de 40 ans, qu'elle n'a d'ailleurs pas réclamé avant fin 2007 les rémunérations prévues dans ces offres datées de 1958, 1960 et 1966, ni même les redditions de comptes.
Ces trois offres sont donc caduques et Madame Brigitte Z ne peut invoquer la force obligatoire des contrats pour en demander l'exécution
Surabondamment, ces lettres accords n'étaient pas inscrites au RCPA jusqu'au 31-01-2008.(pièces en demande n° 5 à 7)
Or, le RCPA a été instauré dès 1944 (loi du 22 février 1944) avec pour fonction principale d'assurer de manière générale la publicité des actes, conventions et jugements concernant les droits sur les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles et donc la transparence des relations contractuelles qui se nouent à l'occasion de la production et de l'exploitation de ces oeuvres. Le RCPA permet ainsi d'informer les éventuels cessionnaires des droits d'exploitation d'un film ou d'un catalogue de films sur le mode de rémunérations prévu et notamment la répartition entre auteurs et producteurs, et éventuellement artistes-interprètes, du droit au pourcentage dû sur les recettes du film.
Par conséquent, à défaut de la publication au RCPA des lettres accords opposées en demande au moment de l'acquisition du portefeuille de films FRANCOS FILMS par le groupe CANAL+ en 1997, ces actes actes ne sont pas opposables à la société STUDIOCANAL concernant l'attribution de pourcentages sur les recettes d'exploitation du film due à Madame Brigitte Z.
D'ailleurs, dans l'état du portefeuille de la société FRANCOS FILMS tel qu'il a été cédé à la société STUDIOCANAL, il n'est mentionné aucune particularité sur la rémunération de Madame Brigitte Z à propos des films objets du litige. Or, il est d'usage comme cela a pu être fait pour le film " Angélique marquise des anges " interprété par Michèle ... d'inscrire une mention particulière s'il a été prévu un droit à un pourcentage sur les recettes du film pour l'artiste-interprète. (pièce 38 en défense)
Madame Brigitte Z sera donc dite mal fondée dans toutes ses demandes envers la société STUDIOCANAL au titre de l'exécution contractuelle.
Il n'est pas nécessaire de statuer sur la prescription des demandes, soulevée à titre subsidiaire par la société STUDIOCANAL.
Sur la contrefaçon, à titre subsidiaire
Dans l'hypothèse où la validité des lettres contrats ne serait pas reconnue par le tribunal, Madame Brigitte Z demande que soit constatée la contrefaçon prévue par l'article L335-4 du code la propriété intellectuelle qui sanctionne toute reproduction et communication au public des droits des artistes-interprètes, et souhaite écarter l'accord spécifique du 11 juillet 2012 en raison du caractère dérisoire de la rémunération prévue.
En défense, il est répondu que les droits d'artiste-interprète de Madame Z sur le film " Voulez-vous danser avec moi ? " ont expiré à la fin de l'année 2009, ce qui explique que ce film, sorti en 1959, n'est jamais entré dans le périmètre de ceux couverts par l'accord en question (qui ne porte que sur les films sortis en salles à compter du 1 er janvier 1961 ); que s'agissant du film " Le repos du guerrier ", les droits d'artiste-interprète de la demanderesse ont expiré à la fin de l'armée 2012, et que de toutes façons Madame Brigitte Z a d'ores et déjà perçu les sommes lui revenant au titre de 1' accord du 11 juillet 2012, après avoir signé avec l'ADAMI la transaction " emportant renonciation à toute action en cours ou future" prévue à l'article 4 dudit accord.
sur ce ;
Pour que Madame Brigitte Z soit recevable à agir en contrefaçon,
il faut qu'il y ait eu une exploitation de son interprétation sans son consentement.
L'article L 212-3 du code de la propriété intellectuelle issu de la loi du 3 juillet 1985 exige une autorisation écrite de l'artiste-interprète pour l'exploitation de son interprétation.
Cependant, si la loi du 3 juillet 1985 est d'application immédiate, l'exigence d'autorisation écrite n'a pris effet que le 1er janvier 1986 et en l'espèce s'agissant de films produits de 1959 à 1967, soit bien antérieurement à 1986, une reproduction faite sans autorisation antérieure à cette date ne peut être sanctionnée.
L'article L212-4 du même code qui instaure une présomption de cession des droits d'exploitation au bénéfice du producteur audiovisuel s'applique pour les films produits antérieurement au 1er janvier 1986.
Dès lors que Madame Brigitte Z reconnaît avoir été engagée pour interpréter les rôles principaux dans les films Voulez-vous danser avec moi ? " (1959), " Le repos du guerrier " (1962) et " A coeur joie " (1967), elle était nécessairement liée au producteur de ces films par un contrat, lequel contrat n'était à cette époque pas obligatoirement conclu par écrit. C'est pourquoi l'article L212-7 fait mention des " contrats passés" antérieurement au 1er janvier 1986 entre un artiste-interprète et un producteur d'oeuvre audiovisuelle, et non de " contrats signés ", ce qui impliquerait forcément un écrit.
Madame Brigitte Z est donc présumée avoir donné son autorisation à l'exploitation de son interprétation par le producteur d'origine du film, et la société STUDIOCANAL en sa qualité d'ayant-droit de la société FRANCOS FILMS bénéficie de la présomption légale de cession.
Par conséquent, Madame Brigitte Z ne peut alléguer d'un défaut d'autorisation d'exploiter son interprétation dans les trois films objets du litige.
Madame Brigitte Z est donc irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon de ses droits voisins d'artistes interprètes envers la société STUDIOCANAL.
Surabondamment, au vu du protocole transactionnel du 4-04-2013 signé par Madame Brigitte Z pris en application de l'accord du 11-07-2012, cette dernière a accepté les conditions de rémunérations proposées par l'ADAMI concernant la rémunération des artistes interprètes pour les modes d'exploitation non prévus à leurs contrats (antérieurs au 1-01-1986) et concernant les films français sortis en salle du 1er janvier 1961 au 1er décembre 1990, c'est à dire pour deux des films objets de ce litige qui sont sortis en 1962 et 1967. (pièce 43 en défense)
Aux termes de l'article 5 de cet accord, l'artiste-interprète déclare expressément être remplie de ses droits à rémunération telle que visée par les articles L212-7 et suivants du code de la propriété intellectuelle pour l'ensemble des films sortis en salle entre le 1-01-1961 et le 1-12-1990 pour toute exploitation sur tous supports menée entre le 1-01-1986 et le 31-12-2011.
IS
Sur la responsabilité professionnelle de la SA STUDIOCANAL pour défaut de négociation d'un nouveau contrat ou de l'avenant sur les procédés non cédés par le premier contrat
Madame Brigitte Z reproche à la société STUDIOCANAL, alors que cette dernière est une professionnelle avertie face à une comédienne qui ne l'était point, d'avoir refusé de contracter pour les trois films et d'avoir négligé ses droits reconnus par la loi en 1985, et d'avoir par son abstention et sa négligence, engagé sa responsabilité pour faute au sens des articles 1382 et 1383 du code civil.
La société STUDIOCANAL répond que Madame Brigitte Z ne peut se prévaloir de l'article L 212-7 du code de propriété intellectuelle qui aurait obligé le producteur en 1986 à revenir vers elle alors qu'elle oppose depuis fin 2007 l'exécution des lettres contrats prévoyant une rémunération proportionnelle pour l'exploitation sur tous formats ou tout mode d'exploitation n'excluant donc aucun mode d'exploitation. La société défenderesse ajoute que l'article L 212-5 du même code ne laisse pas place à des accords particuliers, que de toutes façons, Madame Brigitte Z et son agent ne se sont, de 1986 jusqu'au présent litige, jamais préoccupés de ce problème et ne l'évoquent qu'après la signature de l'accord ADAMI du 11 juillet 2012.
Sur ce ;
Vu les articles 1382 et 1383 du code civil,
Madame Brigitte Z invoque une faute d'abstention ou de négligence qui aurait été commise par la société STUDIOCANAL. Cependant, il ne peut être reproché à la société STUDIOCANAL une faute délictuelle dans ses fonctions de producteur alors, d'une part, que cette dernière n'a acquis les droits de producteur qu'en 2007 et que depuis cette date Madame Brigitte Z ne se prévaut pas du défaut de contrats concernant des modes d'exploitation nouveaux mais de l'exécution des lettres contrats, et d'autre part, que Madame Brigitte Z a signé le protocole transactionnel du 4-04-2013 en application de l'accord ADAMI du 11-07-2012 qui lui est aujourd'hui applicable.
Pour ces raisons, Madame Brigitte Z sera donc déboutée de ce chef de demande envers la société STUDIOCANAL.
Sur les frais et l'exécution provisoire
Les dépens seront mis à la charge de la demanderesse, partie qui succombe.
Les conditions sont réunies pour condamner Madame Brigitte Z à payer à la société STUDIO CANAL la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les circonstances de l'espèce ne justifient pas d'ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal statuant par jugement contradictoire, en premier ressort et mis à la disposition du public par le greffe le jour du délibéré,
- Dit que les trois offres datées du 5 mai 1958 pour le film "Voulez-vous danser avec moi ? ", du 13 avril 1960 pour le film " Le repos du guerrier " et du 4 mai 1966 pour le film " A coeur joie " ne sont pas dotées de la force obligatoire des contrats,
et déboute Madame Brigitte Z de toutes ses demandes envers la société STUDIOCANAL fondés sur l'exécution contractuelle,
Dit irrecevable Madame Brigitte Z dans ses demandes en contrefaçon dans l'exploitation par la société STUDIO CANAL des films "Voulez-vous danser avec moi ? ", "Le repos du guerrier" et "A coeur joie ",
Déboute Madame Brigitte Z de sa demande fondée sur la responsabilité délictuelle de la SA STUDIOCANAL pour défaut de
négociation d'un nouveau contrat ou avenant,
Condamne Madame Brigitte Z à payer à la somme de 10.000euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision,
Condamne Madame Brigitte Z en tous les dépens de l'instance qui seront recouvrés par Maître Anne ..., avocat, au titre de l'article 699 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 14 Janvier 2016
Le Gt1
Le
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