Jurisprudence : CE 5 SS, 13-02-2015, n° 366133



CONSEIL D'ETAT


Statuant au contentieux


366133


Mme A.


M. Jean-Dominique Langlais, Rapporteur

M. Nicolas Polge, Rapporteur public


Séance du 15 janvier 2015


Lecture du 13 février 2015


REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème sous-section)




Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 février et 29 avril 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme C.A., demeurant. ; Mme A. demande au Conseil d'Etat :


1°) d'annuler l'arrêt n° 11BX02727 du 18 décembre 2012 de la cour administrative d'appel de Bordeaux rejetant son appel contre le jugement n° 0902569 du 20 juillet 2011 du tribunal administratif de Bordeaux rejetant sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à lui verser une indemnité au titre des préjudices ayant résulté pour elle de l'intervention chirurgicale pratiquée le 22 septembre 2008 ;


2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;


3°) de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux les sommes de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 35 euros au titre de la contribution à l'aide juridique prévue à l'article R. 761-1 du même code ;


Vu les autres pièces du dossier ;


Vu le code de la santé publique ;


Vu le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :


- le rapport de M. Jean-Dominique Langlais, maître des requêtes,


- les conclusions de M. Nicolas Polge, rapporteur public ;


La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de Mme A.et à Me Le Prado, avocat du centre hospitalier universitaire de Bordeaux ;






1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A.a subi le 22 septembre 2008 au centre hospitalier universitaire de Bordeaux une intervention chirurgicale consistant en la pose d'une prothèse, en remplacement d'un disque intervertébral ; qu'à la suite de cette intervention, elle a présenté une paralysie laryngée entraînant une importante dysphonie ; qu'elle a recherché la responsabilité de cet établissement hospitalier devant le tribunal administratif de Bordeaux sur le triple fondement de la faute dans sa prise en charge médicale, du défaut d'information et de l'aléa thérapeutique ; que, par un jugement du 20 juillet 2011, le tribunal a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à réparer les préjudices ayant résulté pour elle de cette intervention ; que Mme A.se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 décembre 2012 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté son appel contre ce jugement ;


Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la responsabilité pour faute du centre hospitalier universitaire de Bordeaux :


2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé (.), ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (.) " ;


3. Considérant que la cour administrative d'appel a estimé que la technique opératoire utilisée lors de l'intervention chirurgicale subie par Mme A.présentait un risque d'atteinte du nerf laryngé supérieur à celle pratiquée généralement pour traiter des maux similaires ; qu'elle a cependant relevé que cette intervention, justifiée au regard de l'inefficacité des soins dispensés jusqu'alors à Mme A.et de l'intensité des névralgies dont elle souffrait, avait été réalisée conformément aux règles de l'art ; qu'en en déduisant que la dysphonie dont Mme A.a été victime ne résultait pas d'une faute imputable au chirurgien de nature à engager la responsabilité de l'établissement hospitalier, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, a exactement qualifié les faits de l'espèce ;


4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable à la date des faits : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (.) " ; qu'un manquement des médecins à leur obligation d'information engage la responsabilité de l'hôpital dans la mesure où il a privé le patient d'une chance de se soustraire au risque lié à l'intervention en refusant qu'elle soit pratiquée ; que c'est seulement dans le cas où l'intervention était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, que les juges du fond peuvent écarter l'existence d'une perte de chance ;


5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond et notamment du rapport de l'expert que, d'une part, Mme A.n'avait pas été informée de la possibilité pour le chirurgien d'utiliser une autre technique opératoire que celle mise en œuvre, présentant un moindre risque d'écartement et par suite de lésion du nerf laryngé et que, d'autre part, une alternative thérapeutique à une intervention chirurgicale était envisageable dès lors que la patiente ne présentait pas de signe de paralysie ; que, par suite, en jugeant, par les motifs rappelés au point 3, que le manquement du chirurgien à son obligation d'informer Mme A.sur le risque de dysphonie lié à l'intervention envisagée ne lui avait pas fait perdre une chance d'échapper à ce risque, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt de dénaturation ;


6. Considérant, en outre, qu'indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques encourus ouvre à l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a pu subir du fait de n'avoir pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles ;


7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, dans ses écritures produites en appel, Mme A.a soutenu avoir subi un préjudice moral résultant du manquement du chirurgien à son obligation de l'informer du risque de dysphonie résultant de l'intervention envisagée ; qu'en refusant de réparer ce préjudice moral au seul motif que Mme A.ne l'avait pas chiffré, alors qu'elle avait chiffré le montant total de son préjudice, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; qu'au surplus, il ressort des pièces du dossier soumis à la cour que Mme A.avait évalué à 15 000 euros son préjudice moral, résultant notamment des répercussions psychologiques de l'affection dont elle demeure atteinte ;


Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il statue sur la réparation de l'aléa thérapeutique au titre de la solidarité nationale :


8. Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " II. - Lorsque la responsabilité (.) d'un établissement (.) n'est pas engagée, un accident médical (.) ouvre droit à la réparation des préjudices du patient (.) au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret " ; qu'aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " (.) Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 un accident médical (.) ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : (.) / 2° Ou lorsque l'accident médical (.) occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence " ;


9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A.a soutenu devant les juges d'appel avoir subi des troubles dans ses conditions d'existence, notamment des difficultés de communication orale et un isolement social ; qu'en jugeant que le préjudice ayant résulté pour elle de l'intervention chirurgicale qu'elle a subie ne présentait pas un caractère de gravité au sens des deux premiers alinéas de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique sans rechercher si cet acte de soins avait entraîné des troubles particulièrement graves dans ses conditions d'existence au sens du dernier alinéa du même article, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ;


10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A.est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il statue, d'une part, sur ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à l'indemniser de la perte de chance d'échapper au risque de dysphonie qui s'est réalisé et du préjudice moral consécutif à sa réalisation, préjudices résultant tous deux du manquement à l'obligation d'information incombant à l'établissement hospitalier et, d'autre part, sur ses conclusions tendant à la réparation de son préjudice au titre de l'aléa thérapeutique par la solidarité nationale ;


11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier universitaire de Bordeaux une somme globale de 3 000 euros à verser à Mme A.au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative ;




D E C I D E :


Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 décembre 2012 est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de Mme A.tendant, d'une part, à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Bordeaux à l'indemniser de la perte de chance d'échapper au risque de dysphonie qui s'est réalisé et du préjudice moral consécutif à sa réalisation, résultant tous deux du manquement à l'obligation d'information incombant à l'établissement hospitalier et, d'autre part, à la réparation de son préjudice au titre de l'aléa thérapeutique.


Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, à la cour administrative d'appel de Bordeaux.


Article 3 : Le centre hospitalier universitaire de Bordeaux versera à Mme A.la somme de 3 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 et R. 761-1 du code de justice administrative.


Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C. A.et au centre hospitalier universitaire de Bordeaux.


Copie en sera adressée pour information à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée.

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