N° 00NT01082
Société SAGAL
M. LEMAI, Président de chambre
M. GRANGE, Rapporteur
M. LALAUZE, Commissaire du gouvernement
Séance du 21 janvier 2004
Lecture du 18 février 2004
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR ADMINISTRATIVE D'APPEL DE NANTES
Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 16 juin 2000, présentée pour la société SAGAL, dont le siège est à Talhouet, 56250, Saint-Nolff, par Me Christophe RONCHEWSKI, avocat au barreau de Paris ;
La société SAGAL demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 973409 en date du 17 février 2000 du Tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles la S.A. Etablissements GUYOMARC'H a été assujettie au titre des années 1990 et 1991 ;
2°) de prononcer le dégrèvement intégral de l'imposition restant à sa charge ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 janvier 2004 :
- le rapport de M. GRANGE, premier conseiller,
- et les conclusions de M. LALAUZE, commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que, par une décision postérieure à l'introduction de la requête, l'administration fiscale a prononcé le dégrèvement, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la S.A. GUYOMARC'H devenue S.A. SAGAL a été assujettie au titre de l'année 1990 par rôle n° 51004 du 15 avril 1995 ; que les conclusions de la requête de la S.A. SAGAL relatives à cette imposition sont, dès lors, devenues sans objet ;
Sur le bien fondé des impositions :
En ce qui concerne la déductibilité des dividendes perçus provenant de la société Fifties :
Considérant que la S.A. Etablissements GUYOMARC'H, devenue S.A. SAGAL, a souscrit à hauteur de 16,66 % au capital de la société Fifties, société luxembourgeoise chargée de réaliser des placements financiers des capitaux apportés ; que la société GUYOMARC'H n'a pas inclus dans ses bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés les dividendes distribués par la société Fifties, hormis une quote part des frais et charges, en faisant application des dispositions des articles 145, 146 et 216 du code général des impôts relatives au régime spécial d'imposition des sociétés mères ; que l'administration a considéré que l'opération ainsi réalisée était constitutive d'un abus de droit et a en conséquence assujettie la S.A. GUYOMARC'H à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des années 1990 et 1991, résultant de la réintégration des dividendes dont il s'agit ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.64 du livre des procédures fiscales : "Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : ... qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus... L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les redressements notifiés sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel. Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé du redressement" ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes, même s'ils n'ont pas un caractère fictif, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que l'administration soutient que la Banque Internationale de Placement (BIP), à l'origine de la création de la société Fifties, a outrepassé sa fonction d'intermédiaire financier en organisant un montage à seule fin de défiscaliser complètement les produits en provenance des actifs financiers confiés par ses clients français, par l'interposition d'une société ad-hoc dont la localisation, la structure juridique et la répartition du capital permettent d'atténuer sensiblement l'imposition sur les bénéfices ; que l'administration estime que la société requérante a ainsi fait une application abusive du régime des sociétés mères dans un but exclusivement fiscal, contre l'esprit de la loi, alors que ce régime, mis en place pour éviter les doubles impositions entre sociétés mères et filiales n'avait pas de raison d'être appliqué en raison de l'absence d'imposition de la filiale ;
Considérant toutefois qu'il n'est pas établi par ces circonstances que la société GUYOMARC'H, en participant au capital de la société Fifties, a eu exclusivement pour but d'atténuer ses charges fiscales, alors que la société requérante indique, sans être précisément contredite, que la création de cette société chargée de gérer la trésorerie de ses actionnaires s'explique par la volonté de réaliser des économies d'échelle et d'obtenir de meilleurs placements à moyen terme et que cet objectif a été effectivement atteint ; que, par ailleurs, le taux de participation de 16,66 % dans cette filiale entre dans les prévisions de l'article 145 du code général des impôts alors applicable relatif au régime fiscal des société-mères ; que le choix de retenir un taux de participation inférieur à 25 %, seuil prévu par les dispositions alors applicables de l'article 209 B du même code au-delà duquel est exclu l'application de ce régime lorsque la filiale est située dans un Etat dont le régime fiscal est privilégié, ne peut ni par lui-même ni par combinaison avec l'ensemble des circonstances de l'affaire être regardé comme abusif ; que l'administration ne peut dès lors être regardée comme apportant la preuve de l'abus de droit qu'elle invoque ;
En ce qui concerne l'assujettissement de la société à raison de la participation détenue dans la société américaine Pascal Capital Inc. :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a renoncé en appel à poursuivre la défense de ce redressement ; qu'il doit dès lors être regardé comme acquiesçant aux conclusions de la société requérante tendant à la décharge des impositions qui en procèdent ; que toutefois il n'a prononcé en cours d'instance le dégrèvement que de la cotisation établie de ce chef au titre de la seule année 1990, suspendant le dégrèvement de la cotisation établie au titre de l'année 1991 à l'intervention de la décision de la Cour sur la compensation demandée par l'administration ;
Considérant qu'aux termes de l'article L.203 du livre des procédures fiscales : "Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation, dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'administration a indiqué dans la notification de redressements du 21 septembre 1993 que les redressements seraient assortis de l'intérêt de retard prévu par l'article 1727 du code général des impôts et en a précisé le calcul, qu'en outre le redressement afférent aux résultats de la société Pascal Capital Inc serait assorti de la pénalité de mauvaise foi prévue par l'article 1729 du code général des impôts, et le redressement relatif à l'abus de droit concernant les dividendes perçus de la société Fifties assorti de la pénalité de 80 % prévue dans ce cas par le même texte ; que le ministre indique que les rappels effectivement mis en recouvrement au titre de l'année 1991, autres que ceux concernant la société Pascal Capital Inc., n'ont, par erreur, pas été assortis des intérêts de retard et que celui relatif à l'abus de droit n'a pas été assorti de la majoration de 80 % ; que le ministre demande la compensation entre ces majorations dont la mise en recouvrement a été omise, à savoir l'intérêt de retard sur des redressements non contestés soit 511 880 F, ainsi que l'intérêt de retard de 86 998 F et la majoration de 80 % de 545 870 F afférent au rappel sur dividendes reçus de la société Fifties et les dégrèvements reconnus justifiés au titre de 1991 ;
Considérant, en premier lieu, que la Cour, comme il a été dit ci-dessus, annule comme non fondé le redressement basé sur l'abus de droit afférent aux dividendes perçus de la société Fifties ce qui entraîne la décharge des impositions qui en procèdent en droits et pénalités ; que dès lors la demande de compensation formulée par le ministre au titre de ces pénalités est sans objet et ne peut qu'être rejetée ;
Considérant, en second lieu, que l'omission de la mise en recouvrement des intérêts de retard faisant l'objet du surplus de la demande de compensation du ministre pouvait dès lors que la décision de les appliquer avait été régulièrement notifiée être constatée à tout moment à partir de la mise en recouvrement et devait être réparée dans le délai de reprise sauf à considérer qu'il avait été renoncé à leur perception ; qu'une telle omission ne peut, par suite, être regardée comme une insuffisance ou une omission constatée au cours de l'instruction de la réclamation pour l'application de l'article L.203 du livre des procédures fiscales ; que la demande de compensation doit, donc, être rejetée ;
Considérant, dès lors, que la société requérante est fondée à obtenir la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'année 1991 par rôle n° 51001 à raison de la participation détenue dans la société américaine Pascal Capital Inc. ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, s'agissant des impositions restant en litige, la société SAGAL est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Rennes a rejeté en totalité le surplus de sa demande ;
DECIDE :
Article 1er :
Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de la S.A. SAGAL tendant à la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la S.A. GUYOMARC'H a été assujettie au titre de l'année 1990 par rôle n° 51004 du 15 avril 1995 relative à l'imposition de la société à raison de la participation détenue dans la société Pascal Capital Inc.
Article 2 :
La société SAGAL est déchargée des cotisations d'impôt sur les sociétés assignées à la S.A. GUYOMARC'H au titre des années 1990 et 1991 par rôles respectivement n°s 51005 et 51002 en tant qu'elles procèdent de la réintégration des dividendes de la société Fifties, ainsi que de la cotisation supplémentaire établie au titre de l'année 1991 par rôle n° 51001 relative à l'imposition de la société à raison de la participation détenue dans la société Pascal Capital Inc.
Article 3 :
Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 :