Jurisprudence : CE 1/6 SSR., 14-05-2014, n° 363164



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

363164

SOCIETE PIERRE FABRE MEDICAMENT

Mme Julia Beurton, Rapporteur
M. Alexandre Lallet, Rapporteur public

Séance du 9 avril 2014

Lecture du 14 mai 2014

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux


Vu la requête, enregistrée le 1er octobre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la société Pierre Fabre Médicament, dont le siège est 45, place Abel Gance à Boulogne Billancourt (92100), représentée par son président ; la société requérante demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 février 2012 du ministre du travail, de l'emploi et de la santé et de la ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement, modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale en tant qu'il porte radiation de la spécialité Javlor 25 mg/ml ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment son article 267 ;

Vu la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Julia Beurton, Auditeur,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Pierre Fabre Médicament ;



1. Considérant qu'en vertu de l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, l'Etat fixe la liste des spécialités pharmaceutiques bénéficiant d'une autorisation de mise sur le marché dispensées aux patients hospitalisés dans les établissements de santé qui peuvent être prises en charge, sur présentation des factures, par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation prises en charge dans le cadre de forfaits en application du 1° de l'article L. 162-22-6 et de l'article R. 162-32 du même code ; qu'aux termes de l'article R. 162-42-7 de ce code : " La liste des spécialités pharmaceutiques et les conditions de prise en charge des produits et prestations mentionnés à l'article L. 162-22-7 sont fixées par arrêté des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale sur recommandation du conseil de l'hospitalisation " ; qu'en vertu de l'article L. 162-21-2 du même code, " (.) ce conseil contribue à l'élaboration de la politique de financement des établissements de santé ainsi qu'à la détermination des objectifs de dépenses d'assurance maladie relatives aux frais d'hospitalisation. / Les décisions relatives au financement des établissements de santé (.) sont prises sur la recommandation de ce conseil. / Lorsque la décision prise est différente de la recommandation du conseil, elle est motivée (.) " ;

2. Considérant que, par l'arrêté attaqué du 21 février 2012, les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont modifié, en application des dispositions mentionnées ci-dessus des articles L. 162-22-7 et R. 162-42-7 du code de la sécurité sociale, l'arrêté du 4 avril 2005 fixant la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par l'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation ; que la société Pierre Fabre Médicament, qui commercialise la spécialité Javlor 25 mg/ml, à base de vinflunine, indiquée dans le traitement des cancers de la vessie en deuxième ligne, c'est-à-dire après échec d'un premier traitement à base de platine, demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté en tant qu'il porte radiation de la liste de la spécialité Javlor 25 mg/ml ;

3. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'aucune disposition législative ou réglementaire du code de la sécurité sociale n'impose que la recommandation du conseil de l'hospitalisation rendue préalablement à l'édiction d'un arrêté portant radiation d'une spécialité de la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale soit communiquée à l'entreprise exploitant cette spécialité ; que, d'autre part, il ressort des pièces du dossier que le conseil de l'hospitalisation a, en application de l'article L. 162-21-2 du même code, qui lui impose de consulter les fédérations nationales représentatives des établissements de santé sur les dossiers dont il a la charge, consulté ces dernières sur la pertinence du maintien sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par l'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation de la spécialité Javlor 25 mg/ml ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que ces fédérations n'aient disposé que d'un délai de quinze jours pour faire part de leurs observations n'est pas de nature à entacher l'arrêté attaqué d'illégalité ; qu'enfin, si la société requérante soutient que la recommandation du conseil de l'hospitalisation du 27 janvier 2012 sur le maintien de la spécialité Javlor 25 mg/ml sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par l'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation a été rendue en l'absence de la consultation de l'Institut national du cancer et de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, prévue par la recommandation méthodologique du conseil de l'hospitalisation du 18 novembre 2010, le conseil de l'hospitalisation n'est, en tout état de cause, pas tenu d'y procéder, cette recommandation méthodologique étant dépourvue de valeur réglementaire ; que, par suite, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué est illégal du fait des irrégularités entachant la recommandation du conseil de l'hospitalisation du 27 janvier 2012 ne peuvent qu'être écartés ;

4. Considérant, en deuxième lieu, que le conseil de l'hospitalisation, qui réunit, outre une personnalité qualifiée, les représentants des administrations compétentes et des organismes nationaux d'assurance maladie, a précisé par une recommandation du 18 novembre 2010 la méthodologie qu'il entendait mettre en œuvre en vue de donner son avis sur l'inscription de médicaments sur la liste des médicaments facturables en sus des prestations d'hospitalisation ou la radiation de médicaments de cette liste ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les auteurs de la décision attaquée se seraient crus liés par cette recommandation ni même qu'ils se seraient fondés sur elle ; que, par suite, la société requérante ne peut utilement faire valoir que la recommandation du conseil de l'hospitalisation du 18 novembre 2010 aurait été adoptée par une autorité incompétente et ne serait pas fondée sur des critères objectifs ;

5. Considérant, en troisième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;

6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision de radiation de la spécialité Javlor 25 mg/ml est motivée par l'absence d'amélioration du service médical rendu par cette spécialité par rapport à des alternatives thérapeutiques prises en charge dans les tarifs des prestations d'hospitalisation ; que, quels que soient les critères mentionnés par le conseil de l'hospitalisation dans sa recommandation du 18 novembre 2010, qui n'a pas le caractère d'une prescription qui s'imposerait aux ministres, ceux-ci pouvaient légalement se fonder sur le critère de l'amélioration du service médical rendu pour justifier leur décision ; qu'en outre, en l'absence de spécialité appartenant à la même classe pharmaco-thérapeutique que la spécialité Javlor 25 mg/ml, les ministres ont pu légalement la comparer à des médicaments à même visée thérapeutique prescrits dans le traitement des cancers de la vessie en première ligne et non en deuxième ligne ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que, faute de comparateurs pertinents par rapport à la spécialité Javlor 25 mg/ml, les ministres ont méconnu le principe d'égalité en procédant à sa radiation de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par l'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les ministres auraient, ce faisant, commis une erreur manifeste d'appréciation ;

7. Considérant, en quatrième lieu, que la circonstance que l'arrêté attaqué soit susceptible d'entraîner une moindre prescription de la spécialité Javlor 25 mg/ml, compte tenu de ses modalités de remboursement, ne crée pas une rupture d'égalité dans l'accès aux soins ni ne conduit à une perte de chance pour le patient, cette spécialité demeurant, par ailleurs, inscrite sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ; qu'il n'est pas établi, en tout état de cause, que l'arrêté attaqué soit de nature à favoriser une prescription hors autorisation de mise sur le marché d'autres spécialités ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, les ministres ont fondé leur décision sur le critère de l'amélioration du service médical rendu et non sur le seul objectif de maîtrise des dépenses de santé ; que si la société requérante soutient que l'arrêté attaqué pourrait conduire à s'écarter des référentiels de bon usage des médicaments établis par l'Institut national du cancer, il ressort, en tout état de cause, des pièces du dossier que le référentiel de bon usage des spécialités indiquées dans le traitement des cancers urologiques et génitaux de l'homme inscrites sur la liste hors groupe homogène de santé se borne à rappeler les termes de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Javlor 25 mg/ml et ne comporte aucune appréciation sur l'intérêt de cette spécialité ; que, par suite, il ne ressort pas des pièces du dossier que les ministres auraient, pour ces motifs, commis une erreur manifeste d'appréciation en radiant la spécialité Javlor 25 mg/ml de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge par l'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation ;

8. Considérant, en cinquième lieu, qu'eu égard aux effets de l'arrêté attaqué, qui n'emporte notamment aucune atteinte excessive à la situation de l'entreprise ou à l'intérêt public, la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il est contraire au principe de sécurité juridique en ce qu'il ne prévoit pas de mesures transitoires et est entré en vigueur dès le lendemain de sa publication ;

9. Considérant toutefois que la société requérante fait valoir que l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie dispose que : " Les dispositions suivantes sont applicables lorsqu'un médicament n'est couvert par le système national d'assurance-maladie qu'après que les autorités compétentes ont décidé d'inclure le médicament en question dans une liste positive de médicaments couverts par le système national d'assurance-maladie. (.) / 3) Les Etats membres publient dans une publication appropriée et communiquent à la Commission, avant la date visée à l'article 11 paragraphe 1, les critères sur lesquels les autorités compétentes doivent se fonder pour décider d'inscrire ou non des médicaments sur les listes. / (.) 5) Toute décision d'exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d'assurance-maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables (.) " et que ces dispositions imposent la publication des critères justifiant la radiation d'un médicament de la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d'hospitalisation et la motivation d'une telle décision ; qu'une telle radiation n'a pas pour effet d'exclure une spécialité de la liste des spécialités prises en charge par l'assurance maladie, mais seulement de prévoir cette prise en charge dans le cadre de forfaits de séjour et de soins établis selon une classification des groupes homogènes de malades et non plus, sur présentation des factures, en sus des prestations d'hospitalisation ; que, cependant, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, devenue la Cour de justice de l'Union européenne, que la directive doit être interprétée à la lumière de sa finalité, qui est, selon son article 1er, que toute mesure nationale en vue de contrôler les prix des médicaments à usage humain ou de restreindre la gamme des médicaments couverts par leurs systèmes nationaux d'assurance maladie soit conforme à ses exigences ; que, dès lors, la réponse aux moyens soulevés dépend de la question de savoir si les dispositions précitées de la directive du 21 décembre 1988 imposent la publication des critères d'inscription et de radiation et la motivation d'une décision de radiation d'une spécialité de la liste des médicaments dispensés aux patients hospitalisés dans les établissements de santé qui peuvent être pris en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation prises en charge dans le cadre de forfaits de séjour et de soins établis par groupe homogène de malades ;

10. Considérant que ces questions sont déterminantes pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'Etat ; qu'elles présentent une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, par suite, d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête de la société Pierre Fabre Médicament ;



D E C I D E :

Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête présentée par la société Pierre Fabre Médicament, jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question suivante : " Les dispositions des points 3 et 5 de l'article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes d'assurance-maladie sont-elles applicables aux décisions de radiation d'une spécialité de la liste des médicaments dispensés aux patients hospitalisés dans les établissements de santé qui peuvent être pris en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation prises en charge dans le cadre de forfaits de séjour et de soins établis par groupe homogène de malades ? "

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pierre Fabre Médicament, au ministre des finances et des comptes publics, à la ministre des affaires sociales et de la santé et au président de la Cour de justice de l'Union européenne.

Copie en sera adressée au Premier ministre.

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus