Jurisprudence : CA Metz, 25-02-2014, n° 13/00248, Confirmation

CA Metz, 25-02-2014, n° 13/00248, Confirmation

A2293MGZ

Référence

CA Metz, 25-02-2014, n° 13/00248, Confirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/14659821-ca-metz-25022014-n-1300248-confirmation
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Abstract

Dans le cadre d'une rupture du contrat de travail d'une avocate salariée, la cour d'appel de Metz fait, le 25 février 2014, une application stricte des conditions requises pour une caractérisation de la prise d'acte de rupture et pour la reconnaissance d'heures supplémentaires devant donné lieu à rémunération complémentaire (CA Metz, 25 février 2014, n° 13/00248 ; cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat").



Minute n° 14/00142
25 Février 2014
RG 13/00248
Bâtonnier de l'ordre des avocats de METZ 20 Décembre 2012
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU
vingt cinq Février deux mille quatorze

APPELANT
Maître Corine Z

MONTIGNY LES METZ
Représentée par Me Laurent ZACHAYUS, avocat au barreau de METZ
INTIMÉE
SELAFA FIDAL

NEUILLY SUR SEINE
Représentée par Me Bernard ALEXANDRE, avocat au barreau de STRASBOURG

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
PRÉSIDENT Madame Christine CAPITAINE, Présidente de Chambre
ASSESSEURS Madame Gisèle METTEN, Conseiller
Monsieur Hervé KORSEC, Conseiller
GREFFIER (lors des débats) Madame Christiane VAUTRIN, Greffier
DÉBATS
A l'audience publique du 14 Janvier 2014, l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 25 Février 2014 par mise à disposition publique au greffe.

EXPOSÉ DU LITIGE
Madame Corine Z, entrée au service la SELAFA FIDAL en qualité d'avocat collaboratrice à compter du 1er mars 1991, pour devenir associée le 31 août 1994 et directeur associé le 1er octobre 1998, a pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juin 2011.
Suivant requête du 30 janvier 2012, Madame Corine Z a fait attraire devant Madame ... ... de l'Ordre des avocats de Metz, conformément aux dispositions de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971, la SELAFA FIDAL, son ex- employeur, aux fins de voir
" 1°) Dire et juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Madame ... s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2°) En conséquence, condamner la société FIDAL à verser à Madame ... les sommes suivantes
' 72.002,06 euros à titre d'indemnité de licenciement,
' 390.765,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3°) Condamner la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 297.874,78 euros (brut) à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 29.784,78 euros (brut) à titre de congés payés y afférents,
4°) Condamner la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 133.371,64 euros (brut) à titre d'indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos, outre la somme de 13.337,16euros (brut) au titre des congés payés y afférents,
5°) Condamner la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 8.000 euros à titre de rappels de salaire sur la rémunération de l'exercice 2010/2011 outre la somme de 800 euros à titre des congés payés y afférents,
5°) Débouter la Société FIDAL de sa demande reconventionnelle à hauteur de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
6°) Ordonner l'exécution provisoire de la décision sur le fondement de l'article 515 du Code de Procédure civile.
7°) Condamner la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ".
La société FIDAL s'opposait aux prétentions de Madame ... dont elle sollicitait la condamnation à lui payer une somme de 50.000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour avoir manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi, outre la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du CPC.

Par décision rendue le 20 décembre 2012, Madame ... ... de l'Ordre des avocats de Metz statuait ainsi qu'il suit
" - Dit la demande de Maître ... et la demande reconventionnelle de la société FIDAL recevables,
- Dit et juge que le contrat forfait jours s'applique et est opposable à Maître ...,
- Déboute Maître ... de sa demande au titre des heures supplémentaires et des demandes subséquentes,
- Dit et juge que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Maître ... s'analyse en une démission qui produira ses effets,
- Déboute Maître ... de ses demandes au titre des indemnités de licenciement, des rappels d'heures supplémentaires et d'indemnité de repos,
- Dit n'y avoir à statuer sur l'utilisation du numéro de téléphone par FIDAL,
- Donne acte à FIDAL de son engagement à verser à Maître ... le solde des honoraires dès encaissement à hauteur de 3.655 euros,
- Constate que les autres sommes réclamées au titre des rappels de salaires sur rémunération de l'exercice 2010-2011 ont été régularisées au fur et à mesure des encaissements,
- Déboute Maître ... du surplus de sa demande à ce titre,
- Déboute la société FIDAL de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du CPC,
- Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire ".

Suivant déclaration de son avocat en date du 17 janvier 2013 au greffe de la Cour d'appel, Madame Corine Z faisait appel de la décision.
Aux termes des écritures de son avocat présentées en cause d'appel et reprises oralement à l'audience de plaidoirie, Madame Corine Z demande à la Cour de
" 1°) DIRE ET JUGER recevable et bien fondé le seul appel principal interjeté par Madame ... contre la décision rendue par Madame ... ... en date du 20 décembre 2012,
En conséquence, après avoir rejeté l'appel incident de la société d'avocats FIDAL,
2°) INFIRMER la décision du 20 décembre 2012 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a débouté FIDAL de sa demande reconventionnelle ;
Statuant à nouveau,
3°) DIRE ET JUGER que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Madame ...
s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
4°) CONDAMNER la société FIDAL à verser à Madame ... les sommes suivantes
' 72.002,06 euros à titre d'indemnité de licenciement,
' 390.765,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
5°) CONDAMNER la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 29.874,78euros (brut) à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre la somme de 29.784,78 euros (brut) au titre des congés payés y afférents,
6°) CONDAMNER la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 13.371,64euros (brut) à titre d'indemnité pour la contrepartie obligatoire en repos, outre la somme de 13.337,16euros (brut) au titre des congés payés y afférents,
7°) CONFIRMER la décision de Madame ... ... du 20 décembre 2012 en ce qu'elle a débouté la Société FIDAL de sa demande reconventionnelle à hauteur de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,
8°) CONDAMNER la société FIDAL à verser à Madame ... la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile. "
Au soutien de ses prétentions, Madame Corine Z expose qu'elle a connu au sein de la société FIDAL, depuis 1991, une promotion rapide et qu'à son arrivée au bureau de Metz, qui connaissait une grande instabilité, elle avait pour mission notamment de reprendre et développer un portefeuille de clientèle en droit des sociétés.
A la suite de la reprise par FIDAL du cabinet ACLOR en décembre 2009, elle indique avoir été chargée du suivi de la clientèle de ce cabinet et qu'il s'en est suivi une surcharge significative de travail au cours de l'année 2010.
Elle fait valoir, qu'en conséquence, elle n'a pas accepté, pour l'année 2009/2010, une rémunération inférieure à celle des années précédentes au motif qu'elle n'aurait réalisé que 70 % de ses objectifs personnels, alors que depuis plus de 20 ans, elle a toujours réalisé ses objectifs à 100 % et qu'à partir de cette date les relations des parties vont se dégrader.
Soutenant être exposée à de très fortes tensions en raison d'une surcharge excessive de travail ayant entraîné une dégradation de son état de santé, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 29 juin 2011.
En outre, elle conteste la convention de forfait qui lui est opposée par son employeur comme étant non conforme au droit positif, à telle enseigne que les partenaires sociaux ont modifié la convention collective des avocats salariés pour la mettre en conformité par un avenant du 25 mai 2012, postérieur à son départ.
Elle considère d'une part que l'avenant du 7 avril 2000 à la convention collective nationale de travail de l'avocat salarié, qui a instauré le forfait jours des avocats salariés, ne comportait pas de garanties suffisantes concernant le suivi et le contrôle de la charge de travail et du temps de repos journalier et hebdomadaire.
Elle fait valoir d'autre part que l'accord d'entreprise de FIDAL du 2 octobre 2001 n'a pas plus prévu les modalités concrètes du suivi de l'amplitude de travail, que les fiches d'objectifs ne sont pas de nature à déterminer la charge de travail mais uniquement des objectifs chiffrés à atteindre et la rémunération en découlant et que le logiciel mis en oeuvre ne prévoit aucun contrôle du repos journalier ou du repos hebdomadaire.
Elle observe enfin qu'il n'est pas prévu un entretien annuel au cours duquel doivent être évoquées l'organisation, l'amplitude et la charge de travail des avocats salariés.
Elle considère en conséquence qu'elle est bien fondée à solliciter de ce premier chef la nullité de la convention de forfait tel qu'elle ressort de l'accord d'entreprise du 2 octobre 2001.
Elle soutient qu'au surplus, l'avenant à son contrat de travail prévoyant la convention de forfait a été signé le 5 septembre 2001, soit après l'accord de branche du 7 avril 2000, mais avant l'accord d'entreprise du 2 octobre 2001, alors que l'extension de l'accord de branche subordonnait la mise en place du forfait à un accord d'entreprise; dans la mesure où celui-ci est intervenu deux mois après la signature de l'avenant à son contrat de travail, ce dernier n'avait aucun fondement juridique et la convention de forfait est nulle de ce second chef.
A titre subsidiaire, Madame ... estime que si l'on devait considérer comme valide l'accord de branche, l'accord d'entreprise et l'avenant à son contrat de travail, l'employeur n'ayant pas respecté l'accord d'entreprise, le forfait jours doit lui être déclaré inopposable.
Elle reproche en effet à la société FIDAL de n'avoir recensé que le nombre de jours travaillés et non travaillés, sans aucun état des repos journaliers et hebdomadaires et soutient qu'il ne saurait lui être fait reproche de ne pas avoir complété les tableaux excel alors que comme tous les avocats plus anciens dont les objectifs étaient les plus élevés, elle ne pouvait les remplir au regard de sa charge de travail, soulignant l'absence de suivi de l'organisation du travail ou de l'amplitude des journées d'activités.
Elle s'estime en conséquence bien fondée à décompter ses heures supplémentaires et précise fournir à cet égard les éléments permettant d'étayer sa demande, voir même de prouver les heures supplémentaires dont elle réclame le paiement, alors que de son côté l'employeur n'apporte aucun élément de nature à démontrer les horaires réels qu'elle effectuait.
Elle observe d'ailleurs qu'au travers de ses nombreux courriels restés sans réponse, envoyés à toute heure du jour ou de la nuit, elle faisait référence à des temps de travail de 60 à 70 heures par semaine et considère que sa demande au titre des heures supplémentaires et des repos compensateurs est parfaitement justifiée.
Il s'ensuit selon elle que la société FIDAL n'a pas exécuté de bonne foi le contrat de travail - en méconnaissant les règles régissant le forfait en jours,
- en lui imposant des tâches de plus en plus importantes notamment à l'occasion de la reprise de la société ACLOR,
- en ayant manqué à son obligation de sécurité de résultat en la contraignant à travailler au-delà du raisonnable à telle enseigne qu'elle a été placée en arrêt maladie pour un important épuisement professionnel,
- en ne lui payant pas ses heures supplémentaires,
- en ayant tenté de modifier sa rémunération pour l'année 2010,
- en lui ayant fixé des objectifs annuels inatteignables pour l'année 2011,
autant de motifs justifiant la prise d'acte de la rupture du contrat aux torts de l'employeur avec les conséquences de droit qui en découlent.
Elle sollicite enfin la confirmation de la décision entreprise s'agissant de la demande reconventionnelle de la société FIDAL.
* * *
Par conclusions de son avocat présentées en cause d'appel et reprises oralement à l'audience de plaidoirie, la société FIDAL demande à la Cour de
" SUR L'APPEL DE MAITRE ....
- Déclarer l'appel mal fondé.
- Confirmer la décision de première instance.
- Déclarer la demande de Maître ... mal fondée.
- La débouter de ses fins et conclusions.
SUR L'APPEL INCIDENT DE LA SOCIÉTÉ FIDAL
- Déclarer l'appel incident recevable et bien fondé.
- Infirmer la décision de première instance en ce qu'elle a rejeté la demande reconventionnelle de la société FIDAL.
Statuant à nouveau
- Dire et juger que Maître ... a manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi.
- Condamner Maître ... à payer à la société FIDAL une somme de 50.000,00 euros à titre de dommages-intérêts avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir.
- Condamner Maître ... aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à un montant de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du CPC ".
A l'appui de ses prétentions, la société FIDAL fait valoir que Madame ... depuis son arrivée à Metz était aidée par une assistante technique et que lors du rachat de la clientèle du cabinet ACLOR, elle a en outre recruté un avocat spécialisé en droit des sociétés, Maître ..., qui est arrivé le 1er octobre 2010 pour l'épauler.
La société FIDAL observe que très rapidement l'appelante a refusé de collaborer avec Maître ... pour garder la main sur la clientèle dans le cadre d'un départ qu'elle avait manifestement programmé et qu'elle a, à cette même période, commencé à lui adresser différents courriels et lettres pour se plaindre de ses conditions de travail auxquels elle a toujours répondus, mais que Maître ... a multiplié les incidents jusqu'à sa lettre du 29 juin 2011 par laquelle elle prenait acte de la rupture du contrat de travail pour des motifs que l'intimée a contesté expressément.
Elle souligne que dans la mesure où Maître ... ne collaborait plus dans l'intérêt du cabinet mais en vue de la préparation de son départ et de la récupération de la clientèle, elle était contrainte de la dispenser de l'exécution de son préavis à compter du 23 août 2011.
Maître ... s'installait alors à Metz en reprenant une part importante de la clientèle en droit des sociétés du cabinet FIDAL.
S'agissant du forfait annuel de 217 jours d'activité, elle rappelle qu'il était prévu à l'avenant au contrat de travail du 5 septembre 2001 souscrit entre les parties et que sur la période correspondant à la réclamation, il existait bien un accord de branche, complété en outre par un accord d'entreprise de la société FIDAL du 2 octobre 2001.
Elle souligne qu'elle a mis en oeuvre un logiciel de suivi des temps d'activité, dit logiciel Tempo, devant être mis à jour par chaque avocat et permettant d'assurer le contrôle du respect et de la durée maximale journalière et hebdomadaire de travail, qu'il était bien prévu un entretien annuel au cours duquel il était fait le bilan de l'année écoulée, avec une note préparatoire portant notamment sur la question du temps de travail, ce que ne conteste pas l'appelante.
L'intimée fait valoir qu'en définitive, c'est l'appelante, qui à partir de 2008, n'a plus mis à jour le logiciel Tempo malgré ses demandes expresses et répétées et qu'elle est mal fondée à faire valoir la nullité de la convention de forfait et à prétendre au paiement d'heures supplémentaires.
A titre subsidiaire, la société FIDAL observe que les agendas produits ne mentionnent pas le nombre d'heures de travail mais uniquement les rendez-vous, que d'ailleurs aucun samedi n'est mentionné comme étant travaillé et que si l'on se reporte à la facturation correspondant au tarif de 230 euros HT de l'heure pratiqué au sein de FIDAL, Maître ... déployait 1130 heures facturables par an, soit moins de 35 heures semaine, de sorte qu'au-delà de la convention de forfait, la réalité des heures supplémentaires n'est pas justifiée.
S'agissant de la prise d'acte de la rupture, elle souligne que les motifs évoqués ne constituent que de simples allégations, qu'il s'agisse du prétendu non-respect du forfait jours, de la surcharge de travail alors les chiffres démontrent le contraire et que l'employeur a recruté un avocat pour épauler l'appelante dans le cadre de la reprise du cabinet ACLOR avec lequel elle a refusé de collaborer ou de prétendues demandes administratives exorbitantes, alors qu'elles étaient identiques pour l'ensemble des avocats salariés.
Elle souligne en outre que l'appelante ne justifie pas de conditions de travail qui auraient pu constituer un manquement à son obligation de sécurité de résultat et s'agissant enfin de la prétendue modification de ses fonctions ou de sa rémunération, la société FIDAL souligne qu'elle pratique un régime commun, applicable à l'ensemble des avocats salariés et que Maître ... a perçu en 2009 une rémunération de plus de 150.000 euros, soit plus que le directeur du bureau de Metz sous la responsabilité duquel elle était placée.
L'intimée souligne qu'en réalité les contestations de Maître ... portent sur un écart de rémunération de 0,97 %, dans la mesure où la société FIDAL a retenu qu'elle avait eu une participation moins active au développement du département droit des sociétés et dans la politique de gestion des risques du cabinet et qu'il ne s'agit que d'un prétexte.
Elle formule la même observation pour les objectifs 2010/2011 qui ont été déterminés à 260.000euros, observant qu'il ne s'agit pas d'un objectif ambitieux dans la mesure où la clientèle du cabinet ACLOR représentait à elle seule 250.000 euros de chiffre d'affaires et que cet objectif correspondait en outre au chiffre précédemment réalisé par l'appelante.
L'intimée considère en conséquence que les demandes de Maître ... doivent être écartées, que cette dernière a provoqué artificiellement un conflit avec son employeur pour tenter de justifier une prise d'acte de la rupture de son contrat de travail et quitter son employeur avec des indemnités et une partie de la clientèle.
La société FIDAL soutient qu'elle n'a pu facturer qu'environ 55.000 euros sur les clients du cabinet ACLOR, soit une perte de près de 200.000 euros, ce qui justifie son appel incident.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions des parties déposées le 23 décembre 2013 pour la société FIDAL et le 3 janvier 2014 pour Madame Corine Z, présentées en cause d'appel et reprises oralement à l'audience de plaidoirie

SUR QUOI, LA COUR
1. Sur la convention de forfait
Conformément aux dispositions de l'article L.3121-39 du code du travail, la conclusion de conventions individuelles de forfait, en heures ou en jours, sur l'année est prévue par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche. Cet accord collectif préalable détermine les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait, ainsi que la durée annuelle du travail à partir de laquelle le forfait est établi, et fixe les caractéristiques principales de ces conventions.
L'avenant n°7 du 7 avril 2000 à la convention collective nationale de travail de l'avocat salarié du 17 février 1995, relatif à la réduction du temps de travail, dispose que le nombre de jours travaillés pour exécuter les missions qui lui sont confiées par le cabinet au titre d'une année civile est fixé à 217 jours pour l'avocat salarié, que le nombre de journées ou de demi-journées de travail sera comptabilisé par l'avocat et les journées de repos pourront être prises selon les contraintes liées à la profession ou à la relation avec le client, en journée ou demi-journées.
Elles seront comptabilisées sur un document établi à la fin de l'année par l'avocat concerné et en cas de dépassement du plafond de 217 jours annuels, après déduction le cas échéant du nombre de jours affectés sur un compte épargne temps et des congés payés reportés, l'avocat aura la possibilité de prendre les jours de repos correspondant à ce dépassement au cours des trois premiers mois de l'année suivante. L'avenant rappelle qu'il appartient aux avocats de respecter les dispositions impératives ayant trait au repos quotidien et au repos hebdomadaire, le cabinet devant veiller au respect de ces obligations. Enfin, la charge de travail confiée à l'avocat par le cabinet doit être compatible avec le respect de ces différents seuils.
Cet avenant a été étendu par arrêté du 25 avril 2001, sous réserve que les modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, de l'amplitude de leur journée d'activité et de la charge de travail qui en résulte et des modalités concrètes d'application des repos quotidiens et hebdomadaires, soient précisées au niveau de l'entreprise.
Il était conclu le 2 octobre 2001, au sein de la société FIDAL, entre l'employeur et les organisations syndicales, un accord sur les modalités de mise en place du forfait annuel jours des avocats disposant qu'il a été créé un " classeur Excel de suivi du temps d'activité " devant être édité et signé par l'avocat et le responsable du site, que la durée d'activité annuelle est de 217 jours répartis sur des semaines de 5 jours ouvrés du lundi au vendredi et que l'amplitude de la journée de travail s'inscrit dans le respect des dispositions légales concernant le repos journalier et le repos hebdomadaire.
Il était signé enfin entre les parties un avenant au contrat de travail le 5 septembre 2001, prévoyant un forfait annuel de 217 jours d'activité et précisant que les avocats ne sont soumis qu'aux seules limitations prévues par le code du travail en matière de durée minimale journalière et hebdomadaire de repos, qu'ils s'engagent à respecter.
Pour qu'un forfait annuel en jours soit conforme à la Charte sociale européenne et plus particulièrement à l'article 2§1, il doit notamment empêcher une durée déraisonnable du travail et être établi dans un cadre prévoyant des garanties suffisantes.
En l'espèce, il convient de relever que l'avenant du 7 avril 2000 instaurant le forfait jour des avocats salariés n'apporte aucune précision quant à l'amplitude de travail, au suivi de l'organisation du travail des salariés concernés et à leur charge de travail, constatations ayant motivé la réserve figurant dans l'arrêté l'ayant étendu, renvoyant la précision de ces modalités au niveau de l'entreprise.
Or l'accord d'entreprise FIDAL
- est muet quant à l'amplitude de travail, sauf le renvoi aux dispositions légales,
- laisse le suivi du temps d'activité à la seule initiative de l'avocat salarié qui est censé renseigner un logiciel,
- se contente de préciser que la charge de travail doit être compatible avec la durée d'activité annuelle de 217 jours, sans que là encore, aucune mesure tangible ne soit prévue et mise en oeuvre.
L'avenant au contrat de travail de Madame Corine Z du 5 septembre 2001 renvoie lui aussi aux seules limitations prévues par le code du travail en matière de durée minimale journalière et hebdomadaire de repos que l'avocat s'engage à respecter, étant relevé que les seules limites posées par la loi, s'agissant du repos journalier est celle fixée par l'article L.3131-1 du code du travail instaurant un repos quotidien d'une durée minimale de 11 heures consécutives sur une période de 24 heures et s'agissant du repos hebdomadaire, celle fixée par l'article L.3132-2 du code du travail instaurant un repos hebdomadaire de 35 heures consécutives, en ce compris les heures de repos quotidien.
Ces dispositions ne répondent que très imparfaitement à la réserve exprimée par l'arrêté d'extension de l'avenant à la convention collective du 25 avril 2001en ce qu'elles ne précisent pas suffisamment les modalités de suivi de l'organisation du travail des salariés concernés, l'amplitude de leur journée d'activité et de la charge de travail qui en résulte et les modalités concrètes d'application des repos quotidiens et hebdomadaires.
Il s'en suit que ni l'accord d'entreprise FIDAL relatif à la durée du travail, dans sa rédaction du 2 octobre 2001, pris en application de la convention collective nationale de l'avocat salarié, ni l'avenant au contrat de travail de Madame Corine Z du 5 septembre 2001 ne sont de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables, à assurer une bonne répartition, dans le temps de travail de l'intéressé et donc à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, de sorte qu'il convient de prononcer la nullité de la convention de forfait jours et la décision entreprise sera infirmée sur ce point.
2. Sur la demande au titre des heures supplémentaires
S'il résulte de l'article L.3171-4 du code du travail que la preuve des heures de travail effectuées n'incombe spécialement à aucune des parties, il appartient toutefois au salarié de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande, l'employeur devant ensuite fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Pour étayer sa demande, Madame Corine Z produit aux débats la copie de son agenda ainsi qu'un état récapitulatif mentionnant les heures supplémentaires auxquelles elle prétend.
L'employeur pour sa part observe que l'appelante n'a plus renseigné le logiciel Tempo à compter de 2008 alors même qu'il était destiné justement à comptabiliser le temps de travail, mais que la durée de son temps de travail est aisément mesurable au regard de sa facturation horaire.
Il convient de relever en effet que les agendas produits par l'appelante ne mentionnent que des rendez-vous sans laisser apparaître leur durée, que les premiers rendez-vous démarrent au plus tôt à huit heures, qu'il n'y a pas de rendez-vous, sauf exceptions, postérieurs à 19 heures, pas plus que les samedis et qu'il existe des journées entières, voire des demi-journées sans rendez-vous.
Il ressort par ailleurs des pièces versées aux débats que pour les années antérieures à 2008, Madame Corine Z a régulièrement renseigné les états de temps de travail et signé l'état récapitulatif annuel mentionnant 218 jours travaillés, voir 220 jours avec un solde de congés payés de l'ordre de 17 jours, ce qui exclut les prétendus samedis travaillés.
En outre, l'employeur verse aux débats les relevés du logiciel NOVA permettant la facturation à partir du nombre d'heures déployées par client et cet élément objectif de référence laisse apparaître un nombre d'heures facturées par l'appelante de1130 heures par an, correspondant à deux tiers-temps sur une base de 35 heures.
L'appelante indique d'ailleurs elle-même, dans son courriel du 11 mars 2011, que ses clients sont tous dans le fichier clientèle de METZ et que ses factures retracent l'intégralité des honoraires facturés et la nature des missions exécutées.
Par ailleurs, il n'est pas établi que les tâches administratives confiées à Madame Corine Z aurait excédé le tiers-temps résiduel sur une base de 35 heures, d'autant qu'elle précise dans sa note du 8 décembre 2010, qu'un tiers de son temps était consacré à la reprise de ACLOR sans facturation et dans son courriel du 30 mars 2011, qu'il lui avait été demandé de mettre en " stand-by " sa fonction de direction.
Les heures supplémentaires dont le paiement est sollicité, n'étant été établies, il convient de débouter Madame Corine Z de sa demande de ce chef.
3. Sur la rupture du contrat de travail
Lorsque le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette prise d'acte produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 juin 2011, Madame Corine Z prenait acte de la rupture du contrat de travail en raison des circonstances dans lesquelles FIDAL lui imposait de l'exécuter et plus particulièrement au regard des modifications de fonctions et de responsabilités, ainsi que des objectifs et de la rémunération qui lui étaient imposés, soulignant qu'elle n'avait eu de cesse d'attirer l'attention de son employeur sur son volume de travail considérable qu'elle était contrainte de réaliser en violation totale de la loi et des dispositions conventionnelles applicables au sein du cabinet pour répondre aux objectifs fixés. Elle fait valoir enfin que ces mauvaises conditions de travail ont eu de graves répercussions sur sa santé et sur sa vie de famille, ce dont elle avait parfaitement informé son employeur.
Ainsi, Madame Corine Z a assorti sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail de griefs explicites à l'encontre de son employeur.
Ceci étant, s'agissant des modifications de fonction ou de responsabilités, l'appelante ne peut tout à la fois faire reproche à son employeur de lui avoir demandé de mettre en " stand-by " sa fonction de direction à un moment où elle se plaignait d'une surcharge de travail tel qu'elle en fait état dans son courriel du 30 mars 2011 et de ne pas avoir tenu compte de ses doléances quant à sa charge de travail.
En outre, s'agissant du volume de travail, il ressort des courriels précités que l'employeur lui demandait expressément de transmettre des dossiers ACLOR à Maître ... qui se trouvait en sous-activité et avait été affecté au bureau de Metz à cet effet, ce à quoi Madame Corine Z s'est refusée au motif d'une "personnalisation" de la clientèle ; Maître ... confirme ces éléments dans l'attestation qu'il a établie, en précisant qu'il ne demandait qu'à prendre des dossiers en charge ou y être associé et qu'en définitive, l'appelante ne lui a confié que quelques rares dossiers ayant dû être assurés en sous-traitance, situation qui a perduré jusqu'à son départ.
Il n'est pas inutile d'observer au demeurant que le chiffre d'affaires du département société a été en décroissance constante depuis l'arrivée de Madame Corine Z à effectif constant, le chiffre d'affaires s'étant contracté de 30 % et ce malgré la reprise du cabinet ACLOR.
En outre le certificat médical produit aux débats par Madame Corine Z fait état de conditions de travail stressantes sans que ce stress soit rattaché à une surcharge de travail.
S'agissant de la rémunération, il ressort des courriels échangés entre les parties que si pour l'exercice 2009/2010 la rémunération proposée à Madame Corine Z a été arrêté à 145.963 euros, soit le résultat mathématique tenant compte des résultats globaux du bureau, en définitive il a été tenu compte de ses contestations et sa rémunération a été arrêtée à 150.703 euros, soit plus que ce que l'employeur était contractuellement tenu de lui verser, le directeur du bureau ayant quant à lui perçu 146 000 euros ; il n'est pas inutile de relever enfin que la rémunération de l'appelante au titre de l'exercice 2008/2009 était de 145.000 euros.
L'objectif sur 2011 a été fixé à 250.000 euros alors que l'objectif de l'année précédente avait été fixé à 260.000 euros et que Madame Corine Z l'avait dépassé, en sorte qu'il ne saurait être qualifiée d'inatteignable, étant observé qu'elle avait déjà réalisé près de 240.000euros de chiffre d'affaires à la date à laquelle elle a pris acte de la rupture, soit en juin 2011.
S'agissant enfin des conditions de travail, si l'employeur suivait avec attention la reprise du cabinet ACLOR, pour autant l'appelante n'établit aucun élément précis permettant de retenir que la société FIDAL serait à l'origine de conditions de travail dégradées, étant observé que divers entretiens lui ont été proposés, notamment les 9 février 2011, 17 février 2011 ou 17 mars 2011, pour faire le point sur sa situation et notamment le sous-emploi de Maître ....
Dans la mesure où les griefs articulés par l'appelante apparaissent non fondés, il convient de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du 29 juin 2011 produira les effets d'une démission et la décision entreprise sera confirmée de ce chef.
4. Sur l'appel incident de la société FIDAL
Si la société FIDAL justifie qu'un certain nombre de clients ont suivi Madame Corine Z après son départ et son installation en qualité d'avocat indépendant à Metz, pour autant le client conserve le libre choix de son avocat et à défaut pour la société FIDAL d'avoir rapporté la preuve de ce que Madame Corine Z aurait manqué à son obligation de loyauté et de bonne foi au sens des dispositions de l'article 1222-1 du code du travail ou se serait rendue coupable de man'uvres déloyales, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts et la décision entreprise confirmée sur ce point.
5. Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Madame Corine Z qui succombe sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Confirme la décision rendue le 20 décembre 2012 par Madame ... ... de l'Ordre des avocats de Metz en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a dit opposable à Madame Z le contrat forfait-jours ;
Statuant à nouveau sur ce point et y ajoutant,
Prononce la nullité de la convention de forfait jours prévue par l'avenant au contrat de travail du 5 septembre 2001 ;
Déboute Madame Z de sa demande au titre des heures supplémentaires ;
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en instance d'appel ;
Condamne Madame Corine Z aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été prononcé par mise à disposition publique au greffe le 25 Février 2014 par Madame ..., Présidente de Chambre, et signé par elle et par Madame ..., Greffier.
Le Greffier, La Présidente,

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