COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Arrêt du 2 juillet 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 366 FS-B
Pourvoi n° S 24-11.680
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 JUILLET 2025
La société Banque Fiducial, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 24-11.680 contre l'arrêt rendu le 14 décembre 2023 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société AJRS, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de coadministrateur judicaire de la société Groupe Planet Sushi,
2°/ à M. [C] [J], domicilié [… …], pris en qualité de liquidateur de la société Groupe Planet Sushi,
3°/ à la société BCM, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], prise en qualité de coadministrateur de la société Groupe Planet Sushi,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Banque Fiducial, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de M. [J], ès qualités et la société BCM, ès qualités, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 mai 2025 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, Mme Guillou, MM. Bedouet, Calloch, Chazalette, Mme Gouarin, conseillers, Mme Champ, M. Boutié, Mmes Coricon, Buquant, conseillers référendaires, M. de Monteynard, avocat général, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte à la société Banque Fiducial (la banque) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société BCM et la société AJRS, en leur qualité de coadministrateurs judiciaires de la société Groupe Planet Sushi.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 décembre 2023), le 13 février 2023, la société Groupe Planet Sushi, liée à plusieurs sociétés par des contrats de franchise, a été mise en liquidation judiciaire et autorisée à poursuivre son activité jusqu'au 13 mai 2023 en vue de sa cession. M. [J] a été désigné liquidateur et les sociétés BCM et AJRS coadministrateurs judiciaires.
3. La société Groupe Planet Sushi avait ouvert dans les livres de la banque un compte et conclu avec celle-ci une convention lui permettant d'avoir recours, avec le réseau de ses franchisés, à des paiements par prélèvements dits « SEPA » (Single Euro Payments Aera).
4. Postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, plusieurs franchisés, dont les comptes avaient été débités de prélèvements ensuite crédités sur le compte de la société Groupe Planet Sushi en règlement de leurs redevances, ont demandé à leurs prestataires de services de paiement, qui l'ont obtenu de la banque, le remboursement de ces prélèvements.
5. Les administrateurs et le liquidateur, invoquant l'existence d'un trouble manifestement illicite, ont assigné la banque en référé pour obtenir le remboursement des sommes ainsi débitées du compte de la société Groupe Planet Sushi sans leur autorisation et qu'il lui soit fait interdiction de procéder au remboursement de tout prélèvement.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à restituer sur le compte bancaire de la liquidation judiciaire de la société Groupe Planet Sushi la somme de 243 503,41 euros au titre des retours de prélèvements par elle effectués postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, alors « que le remboursement d'une opération de paiement au sens des
articles L. 133-25 et L. 133-25-1 du code monétaire et financier🏛🏛 ne caractérise pas le paiement d'une créance au sens de l'
article L. 622-7 du code de commerce🏛 mais un simple transfert électronique de fonds indépendant de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire ; qu'en conséquence, l'ouverture d'une procédure collective du bénéficiaire d'une opération de paiement n'empêche pas le payeur d'exercer son droit au remboursement prévu par les articles L. 133-25 et L. 133-25-1 susvisés ; qu'en retenant en l'espèce que les payeurs avaient sollicité le remboursement d'une créance dont le fait générateur, soit l'opération de prélèvement, prenait sa source avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire et était comme telle soumise au principe de l'interdiction des paiements, pour en déduire que le remboursement de ces créances par la banque Fiducial caractérisait un trouble manifestement illicite, quand le remboursement constituait un simple transfert électronique de fonds indépendant de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire et ne constituait en conséquence aucun trouble manifestement illicite, la cour d'appel a méconnu l'
article 873 du code de procédure civile🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 622-7, I du code de commerce, L. 133-25 et L. 133-25-1 du code monétaire et financier et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile :
7. Selon le premier de ces textes, le jugement ouvrant la procédure emporte, de plein droit, interdiction de payer toute créance née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception du paiement par compensation de créances connexes.
8. Il résulte du deuxième et du troisième de ces textes que, lors d'un prélèvement SEPA le payeur jouit d'un droit au remboursement par son prestataire de services de paiement d'une opération de paiement ordonnée par son bénéficiaire à la condition de présenter sa demande de remboursement avant l'expiration d'une période de huit semaines à compter de la date à laquelle les fonds ont été débités.
9. Selon le quatrième de ces textes, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
10. Pour accueillir la demande de remboursement des prélèvements formée par les organes de la procédure collective de la société Groupe Planet Sushi contre la banque, l'arrêt retient que les dispositions de l'article L. 622-7, I du code de commerce, applicables à la liquidation judiciaire par renvoi de l'
article L. 641-3, sont d'ordre public et que leur application prime sur les autres normes. Il relève que les franchisés ont, en tout état de cause, sollicité le remboursement d'une créance dont le fait générateur, soit l'opération de prélèvement, prend sa source avant le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire et, comme telle, est soumise au principe de l'interdiction des paiements de sorte que les agissements de la banque ont caractérisé un trouble manifestement illicite devant donner lieu à remise en état.
11. En statuant ainsi, alors qu'en ayant obtenu de la banque, en application des dispositions précitées du code monétaire et financier🏛, le remboursement de prélèvements SEPA, ces payeurs n'avaient pas bénéficié de la répétition de paiements indus qu'ils auraient effectués à la société Groupe Planet Sushi avant sa mise en liquidation judiciaire et qui aurait été prohibée par la règle de l'interdiction du paiement des créances antérieures, mais s'étaient bornés à exercer, auprès de leurs prestataires de services de paiement, un droit au remboursement distinct de leur rapport fondamental avec cette société, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé de trouble manifestement illicite, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il met hors de cause la société AJRS et la société BCM, l'arrêt rendu le 14 décembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. [J], en sa qualité de liquidateur de la société Groupe Planet Sushi, aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé publiquement le deux juillet deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.