Jurisprudence : Cass. crim., 03-06-2025, n° 24-81.678, F-D

Cass. crim., 03-06-2025, n° 24-81.678, F-D

B0211AHB

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2025:CR00739

Identifiant Legifrance : JURITEXT000051744147

Référence

Cass. crim., 03-06-2025, n° 24-81.678, F-D. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/120031537-cass-crim-03062025-n-2481678-fd
Copier

Abstract

Par un arrêt du 3 juin 2025, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par une avocate contre un arrêt de la cour d'appel de Paris l'ayant déboutée de sa demande en diffamation publique.


N° B 24-81.678 F-D

N° 00739


ODVS
3 JUIN 2025


REJET


M. BONNAL président,


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 JUIN 2025



Mme [Aa] [K] [U], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 14 février 2024, qui, dans la procédure suivie contre M. [Ab] [P] du chef de diffamation publique envers un particulier, a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia, avocat de Mme [J] [K] [U], les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan et Féliers, avocat de M. [Z] [P], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 mai 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mme [J] [K] [U] a porté plainte et s'est constituée partie civile devant le doyen des juges d'instruction contre M. [Ab] [P], en sa qualité de directeur de publication de l'hebdomadaire [1], en raison d'un article intitulé « Me [K] réduite à la manche » publié dans l'édition du 4 octobre 2017, comprenant les propos suivants : « Depuis six ans qu'elle a enfilé la robe noire, elle a oublié de régler ses cotisations à la caisse de retraite des avocats » ; « Elle ne paie pas non plus, depuis un an, ses cotisations à l'ordre des avocats de Paris ».

3. Par ordonnance du 20 janvier 2021, le juge d'instruction a renvoyé M. [Ac] devant le tribunal correctionnel du chef susvisé.

4. Par jugement du 6 décembre suivant, le tribunal a rejeté une première exception de nullité et a renvoyé l'examen de l'affaire au fond au 15 décembre 2022.

5. Par jugement du 17 février 2023, le tribunal a rejeté les exceptions de nullité et de prescription, a relaxé le prévenu et a prononcé sur les intérêts civils.

6. M. [Ac] a relevé appel de ces deux décisions, la partie civile relevant appel du seul jugement du 17 février 2023.


Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, statuant sur la faute civile de M. [P] à partir et dans la limite des faits objets de la poursuite, a renvoyé l'intéressé des fins de la poursuite du chef de diffamation publique envers un particulier, alors :

« 1°/ que lorsqu'une diffamation est caractérisée, l'auteur ne peut être relaxé des fins de la poursuite que s'il justifie de la vérité des faits ou de sa bonne foi ; que la bonne foi doit reposer sur une enquête sérieuse préalable ou une base factuelle suffisante au regard de l'ensemble des propos poursuivis et non d'une partie seulement de ceux-ci ; qu'en renvoyant [Z] [P] des fins de la poursuite du chef de diffamation publique au bénéfice de la bonne foi bien que les éléments produits au titre de la base factuelle, relatifs uniquement à « diverses cotisations sociales dues pour les années 2016 et 2017 », ne permettaient ni de justifier l'accusation selon laquelle la partie civile aurait omis de payer ses cotisations depuis six ans, ni de distinguer entre les imputations de manquements relatifs à deux organismes collecteurs différents, la cour d'appel a violé les articles 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881🏛, 591 à 593 du code de procédure pénale, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme🏛 ;

2°/ que la partie civile faisait valoir dans ses conclusions que, faute pour le journaliste d'avoir satisfait à ses obligations de contradiction et de vérification, il ne saurait être regardé comme ayant procédé à une enquête sérieuse ou comme s'étant appuyé sur une base factuelle suffisante ; qu'en
renvoyant [Z] [P] des fins de la poursuite, sans vérifier, comme elle y était invitée, si l'auteur des propos poursuivis avait suffisamment rempli son obligation de contradiction, la cour d'appel a violé les articles 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 591à 593 du code de procédure pénale, 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en se bornant, pour écarter la faute civile de [Z] [P], à analyser des éléments sans lien avec les imputations particulièrement circonstanciées des propos poursuivis, sans vérifier ni la qualité et la quantité des recoupements effectués, ni les conditions de l'introduction de la contradiction, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'une base factuelle suffisante pour permettre au prévenu de bénéficier de la bonne foi, en violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881🏛 ;

4°/ que lorsque l'auteur de propos diffamatoires prétend qu'il était de bonne foi, il appartient au juge de rechercher si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante ; que lorsque l'auteur encourt uniquement des sanctions de nature civile, la gravité de l'ingérence est moindre en sorte que l'ensemble des critères de la bonne foi doivent s'analyser de façon plus rigoureuse ; qu'en adoptant les motifs des premiers juges, saisis de la commission d'une infraction pénale, selon lesquels les propos poursuivis n'avaient pas dépassé les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel, qui était saisie de la seule faute civile de l'auteur et aurait dû apprécier plus strictement les critères de la bonne foi, a violé les articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 497 du code de procédure pénale, 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881. »


Réponse de la Cour

8. Pour rejeter l'existence d'une faute civile commise par le prévenu, en raison de sa bonne foi, l'arrêt attaqué énonce notamment, par motifs propres et adoptés, que les propos poursuivis imputent à la partie civile, pour les premiers, de ne pas avoir payé ses cotisations sociales à la caisse nationale des barreaux français (CNBF), au titre de la retraite, à hauteur de 32 215 euros sur une période de six ans, pour les seconds, de ne pas avoir payé ses cotisations à l'ordre des avocats de Paris sur une période d'un an, soit, au vu de la date de parution de l'article, du 4 octobre 2016 au 4 octobre 2017.

9. Les juges, après avoir rappelé que les critères de la bonne foi doivent s'analyser avec plus de rigueur lorsque l'auteur des propos diffamatoires est un journaliste qui fait profession d'informer, relèvent que les propos s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général relatif à la problématique de la cohérence entre les valeurs professées par les hommes et femmes politiques et leur probité, à laquelle les citoyens sont particulièrement attentifs.

10. Ils observent, s'agissant du premier passage poursuivi, qu'il ressort des quatre pièces initialement produites au titre de l'exception de vérité, ainsi que de la pièce n° 1 produite par la partie civile, que Mme [K] [U] était redevable de diverses cotisations sociales, recouvrées par l'URSSAF et la CNBF, pour les années 2016 et 2017 et notamment d'une dette d'un montant de 32 215 euros à titre de cotisations et contributions aux droits de plaidoiries dues pour l'année 2016.

11. Ils ajoutent, s'agissant du second passage poursuivi, qu'il résulte du témoignage de M. [S] [M] qu'une source anonyme, travaillant auprès de l'ordre des avocats de Paris, avait informé l'auteur de l'article de l'existence d'une dette de la partie civile, cette information étant confirmée par les communications dudit ordre faisant état d'un échéancier, et donc d'une dette, négocié par Mme [K] [U] en septembre 2017.

12. Ils relèvent encore que, préalablement à la publication de l'article, la journaliste a voulu adresser un message à Mme [K] [U] afin de recueillir ses observations sur le défaut de paiement de ses cotisations à la CNBF, ce qui témoigne d'une démarche contradictoire, participant de la démonstration de sa bonne foi, même en l'absence de réception effective dudit message par la partie civile, pour des raisons manifestement techniques.

13. Ils en concluent que ces éléments constituent une base factuelle sérieuse en lien avec les imputations formulées.

14. Ils observent enfin, s'agissant de la prudence dans l'expression, eu égard aux éléments tangibles dont disposait la journaliste, de l'intérêt général s'attachant au sujet traité et enfin de la tonalité ironique de ce très court article, qui fait état « d'oubli », « d'étourderie » ou de « distraction » pour justifier les manquements imputés à Mme [K] [U], conforme au mode d'expression satirique revendiqué par le journal, que les limites admissibles de la liberté d'expression, particulièrement étendue dans le cadre de la polémique politique, n'ont pas été dépassées.

15. En prononçant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions des parties, a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

16. En premier lieu, les juges du fond ont exactement retenu, en considération des éléments extrinsèques qu'ils ont souverainement appréciés, que les premiers propos diffamatoires poursuivis ne contiennent pas l'affirmation claire que la prévenue n'aurait pas payé ses cotisations pendant six ans.

17. En second lieu, les juges du fond, saisis de la faute civile, ont exactement admis le prévenu au bénéfice de la bonne foi, dont la démonstration ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits ni à une contradiction effective avec la personne visée par les propos diffamatoires, mais suppose que, comme en l'espèce, la journaliste ait vérifié les informations, avant leur publication, par un recoupement suffisant de plusieurs sources fiables et convergentes établissant ainsi, d'une part, l'existence de dettes en lien avec l'activité professionnelle de Mme [K] [U] et les obligations de cotisations qui en découlent, d'autre part, que cette dernière ne contestait pas l'existence de la dette puisqu'elle avait sollicité une compensation.

18. Ainsi, le moyen doit être écarté.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [J] [K] [U] devra payer à M. [Ab] [P] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale🏛 ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille vingt-cinq.

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus