TA Poitiers, du 19-12-2024, n° 2201475
A004069D
Référence
Par une requête, enregistrée le 21 juin 2022, Mme A C représentée par Me Souet, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 17 mai 2022 du centre hospitalier Henri Laborit requalifiant son congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) en congé de maladie ordinaire entre le 9 mars et le 31 mars 2022 ;
2°) d'enjoindre au centre hospitalier Henri Laborit, d'une part, de prendre une décision la plaçant en CITIS à compter du 8 mars 2022 et, d'autre part, de régulariser sa situation administrative et financière depuis lors en lui versant son plein traitement et en prenant en charge les frais médicaux liés à cette invalidité, dans un délai de quinze jours suivant la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier Henri Laborit la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- la décision du 17 mai 2022 a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée d'erreur de droit, la consolidation de l'état de santé ne mettant pas fin à l'invalidité imputable au service, en l'absence de toute reprise des fonctions ou de placement à la retraite, conformément aux dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986🏛 ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation, dès lors que sa pathologie présente toujours un lien direct et certain avec l'accident de service, bien que son état de santé soit consolidé, et que celle-ci l'empêche toujours de reprendre ses fonctions.
Par un mémoire en défense, enregistré 26 décembre 2023, le centre hospitalier Henri Laborit, représenté par la SCP KPL Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme C au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983🏛 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986🏛 ;
- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017🏛 ;
- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988🏛 modifié ;
- le décret n° 2020-566 du 13 mai 2020🏛 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Tiberghien,
- les conclusions de Mme Thèvenet-Bréchot, rapporteure publique,
- les observations de Me Pielberg, pour le centre hospitalier Henri Laborit.
1. Mme C, infirmière titulaire au centre hospitalier Henri Laborit, a été victime d'un accident de service le 20 décembre 2019. Elle a été maintenue, depuis le 21 décembre 2019, en congé pour invalidité temporaire imputable au service (CITIS) jusqu'au 31 mars 2022, en raison d'un syndrome de stress post-traumatique. Le Docteur B, dans le cadre de son expertise du 8 mars 2022, a préconisé de fixer la date de consolidation de son état de santé au 8 mars 2022. Par une décision du 17 mai 2022, le centre hospitalier Henri Laborit a, au vu de l'avis du conseil médical départemental de la Vienne du 5 mai 2022, fixé la date de consolidation au 8 mars 2022 et requalifié le CITIS en congé de maladie ordinaire à compter du 9 mars 2022. Mme C demande au tribunal d'annuler cette dernière décision.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. D'une part, l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et la sécurité au travail dans la fonction publique a institué un " congé pour invalidité temporaire imputable au service " en insérant dans la loi du 13 juillet 1983🏛 portant droits et obligations des fonctionnaires un article 21 bis aux termes duquel : " I. - Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. Ces définitions ne sont pas applicables au régime de réparation de l'incapacité permanente du fonctionnaire. / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. La durée du congé est assimilée à une période de service effectif. L'autorité administrative peut, à tout moment, vérifier si l'état de santé du fonctionnaire nécessite son maintien en congé pour invalidité temporaire imputable au service. () / III.- Est reconnu imputable au service, lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit en apportent la preuve ou lorsque l'enquête permet à l'autorité administrative de disposer des éléments suffisants, l'accident de trajet dont est victime le fonctionnaire qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s'accomplit son service et sa résidence ou son lieu de restauration et pendant la durée normale pour l'effectuer, sauf si un fait personnel du fonctionnaire ou toute autre circonstance particulière étrangère notamment aux nécessités de la vie courante est de nature à détacher l'accident du service. / () ". L'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017 a aussi, en conséquence de l'institution du congé pour invalidité temporaire imputable au service à l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983🏛, modifié des dispositions des lois du 11 janvier 1984🏛, du 26 janvier 1984 et du 9 janvier 1986 régissant respectivement la fonction publique de l'Etat, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière. Le IV de l'article 10, pour la fonction publique hospitalière, dispose ainsi que : " A l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée : a) Au deuxième alinéa du 2°, les mots : " ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions " sont remplacés par les mots : ", à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service " ; b) Au 4°, le deuxième alinéa est supprimé ; c) Après le quatrième alinéa du 4°, est inséré un alinéa ainsi rédigé : " Les dispositions du quatrième alinéa du 2° du présent article sont applicables au congé de longue durée ".
3. L'application de ces dispositions résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 était manifestement impossible en l'absence d'un texte réglementaire fixant, notamment, les conditions de procédure applicables à l'octroi de ce nouveau congé pour invalidité temporaire imputable au service. Les dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ne sont donc entrées en vigueur, en tant qu'elles s'appliquent à la fonction publique hospitalière, qu'à la date d'entrée en vigueur, le 16 mai 2020, du décret du 13 mai 2020🏛 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique hospitalière, décret par lequel le pouvoir réglementaire a pris les dispositions réglementaires nécessaires pour cette fonction publique et dont l'intervention était, au demeurant, prévue, sous forme de décret en Conseil d'Etat, par le VI de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 résultant de l'article 10 de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Il en résulte que les dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017 sont demeurées applicables jusqu'à l'entrée en vigueur du décret du 13 mai 2020.
4. D'autre part, les droits des agents publics en matière d'accident de service sont réputés constitués à la date à laquelle l'accident est intervenu.
5. L'accident de service dont Mme C a été victime étant survenu le 20 décembre 2019, les dispositions applicables au litige sont celles de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 dans leur rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 19 janvier 2017. Dès lors, elle doit être regardée comme ayant été placée en congé de maladie ordinaire et comme bénéficiant de la prise en charge de ses arrêts de travail et des soins imputables à l'accident de service, et non comme ayant été placée en CITIS durant cette période. Par ailleurs, le centre hospitalier Henri Laborit ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 35-17 du décret n° 88-386 du 19 avril 1988🏛, dans sa version issue du décret du 13 mai 2020, inapplicables à la situation de Mme C, pour soutenir que la consolidation de son état de santé impliquait nécessairement qu'il soit mis à son congé pour maladie ordinaire lié à son accident de service.
6. Aux termes des dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 s'agissant des accidents imputables au service dont sont victimes les fonctionnaires hospitaliers : " Le fonctionnaire en activité a droit : () 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévus en application de l'article 42. Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite🏛 ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. () ".
7. La date de consolidation de l'état de santé correspond au moment où l'état de santé est stabilisé, ce qui permet d'évaluer l'incapacité permanente en résultant, elle est donc sans incidence sur la persistance de l'affection dont peut souffrir la victime et, partant, sans incidence sur l'imputabilité à un accident de service des troubles en résultant et qui ont persisté après cette date. Par ailleurs, il résulte de ces dispositions que doivent être pris en charge au titre de l'accident de service les arrêts de travail et les frais médicaux présentant un lien direct et certain avec l'accident initial y compris, le cas échéant, s'ils interviennent postérieurement à la date de consolidation constatée par l'autorité compétente.
8. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes de l'arrêté attaqué, que pour requalifier la période de " congé de maladie pour invalidité temporaire imputable au service " comprise entre le 9 mars 2022 et le 31 mars 2022 dont Mme C avait bénéficié, en congé maladie ordinaire, le centre hospitalier Henri Laborit s'est fondé sur la circonstance que la date de consolidation de l'état de santé de Mme C devait être fixée au 8 mars 2022, conformément à l'avis du conseil médical départemental du 5 mai 2022, et a considéré, à l'instar de ce dernier, que les arrêts de travail et soins post-consolidation relevaient de la maladie ordinaire. Par cette décision, le centre hospitalier doit également être regardé comme refusant de prendre en charge les honoraires et frais médicaux directement entrainés par l'accident à compter de cette date. En statuant ainsi, sans apprécier si les séquelles de l'accident de service du 20 décembre 2019, bien que consolidées, étaient en lien direct et certain avec l'inaptitude de Mme C à exercer ses fonctions, le centre hospitalier Henri Laborit a entaché sa décision d'erreur de droit. Au demeurant, les dispositions de l'article 35-17 du décret n° 88-386 du décret du 19 avril 1988, bien qu'inapplicables au litige ainsi qu'il a été dit au point 5 du présent jugement, n'ont ni pour objet, ni pour effet de mettre au fin au congé de maladie pour invalidité temporaire imputable au service dès la consolidation, dès lors qu'il appartient toujours à l'autorité administrative, en application de ces dispositions d'apprécier si l'état de santé de l'agent, bien que consolidé, ne justifie pas que son placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service soit prolongé, notamment lorsque l'intéressé est définitivement inapte à l'exercice de ses fonctions, cette circonstance étant alors de nature à justifier son placement à la retraite pour invalidité.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme C souffre d'un syndrome de stress post-traumatique depuis l'accident de service du 20 décembre 2019, dont le docteur B relève, dans son expertise du 8 mars 2022, qu'il découle toujours de cet accident, bien que l'état de santé de Mme C soit consolidé, et que ce syndrome entraine une inaptitude définitive de Mme C à reprendre ses fonctions antérieures. Le centre hospitalier Henri Laborit se prévaut du rapport du 6 mai 2023 établi par le docteur D sur la demande de Mme C, déniant le rapport entre l'invalidité temporaire et l'accident de service. Toutefois, si le rapport relève l'existence d'une disproportion entre les conséquences de l'accident de service et l'état psychologique actuel de la requérante, cette seule circonstance n'est pas de nature à établir que l'état actuel de santé de Mme C, bien que consolidé, est dépourvu de lien direct, mais non exclusif, avec cet accident. Il s'ensuit que Mme C est également fondée à soutenir que la décision litigieuse est entachée d'erreur d'appréciation.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de prononcer sur les autres moyens de Mme C dirigés contre la décision du 17 mai 2022, elle est fondée à demander l'annulation de la décision du 17 mai 2022, en tant qu'elle requalifie le CITIS entre le 9 mars et le 31 mars 2022 en congé maladie ordinaire, et refuse de prendre en charge les arrêts de travail subséquents ainsi que les frais et honoraires médicaux liés à accident sur la période comprise entre le 9 mars et le 31 mars 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
11. Eu égard au motif d'annulation retenu au point 9, l'exécution du présent jugement implique nécessairement qu'il soit enjoint au centre hospitalier Henri Laborit de prendre en charge les arrêts de travail de Mme C consécutifs à l'accident de service ainsi que les frais et honoraires médicaux directement entrainés par cet accident jusqu'au 31 mars 2022, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme C, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par le centre hospitalier Henri Laborit au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier Henri Laborit le versement d'une somme de 1 600 euros à Mme C au titre de ces dispositions.
Article 1er : La décision du 17 mai 2022 du centre hospitalier Henri Laborit, en tant qu'elle a requalifié le congé pour invalidité temporaire imputable au service de Mme C entre le 9 mars 2022 et le 31 mars 2022 en congé de maladie ordinaire et a refusé de prendre en charge les soins et arrêts imputables à son accident de service à compter du 9 mars 2022, est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au centre hospitalier Henri Laborit de prendre, dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement, une décision prenant en charge les arrêts de travail et les soins prescrits à Mme C jusqu'au 31 mars 2022 comme imputables au service.
Article 3 : Le centre hospitalier Henri Laborit versera à Mme C une somme de 1 600 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions du centre hospitalier Henri Laborit tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent jugement sera notifié à Mme A C et au centre hospitalier Henri Laborit.
Délibéré après l'audience du 3 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Cristille, président,
Mme Gibson-Théry, première conseillère,
M. Tiberghien, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
Signé
P. TIBERGHIENLe président,
Signé
P. CRISTILLE
La greffière,
Signé
N. COLLET
La République mande et ordonne à la ministre de la santé et de l'accès aux soins en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Pour le greffier en chef,
La greffière
N. COLLET
No 2201475
Loi, 83-634, 13-07-1983 Loi, 86-33, 09-01-1986 Décret, 88-386, 19-04-1988 Ordonnance, 2017-53, 19-01-2017 Décret, 13-05-2020 Décret, 2020-566, 13-05-2020 Article, 35-17, décret, 88-386, 19-04-1988 Service hospitalier Congé ordinaire de maladie Victime d'un accident Avis médical Comptes personnels Fonctionnaire Incapacité temporaire Accident de trajet Maladie contractée en service Intégralité du traitement Honoraires médicaux Durée du congé Vie courante Fonction publique de etat Fonction publique hospitalière Longue durée Texte réglementaire Octroi des congés Prise en charge Fonctionnaires hospitaliers Supplément de traitement familial Pension de retraite Pension civile de retraite Accidents survenus dans l'exercice des fonctions Incapacité permanente partielle Période de congé de maladie État de santé de l'agent Retraite pour invalidité Existence d'une disproportion