Jurisprudence : CAA Paris, 1ère ch., 10-11-1990, n° 89PA01548

CAA Paris, 1ère ch., 10-11-1990, n° 89PA01548

A9099A8I

Référence

CAA Paris, 1ère ch., 10-11-1990, n° 89PA01548. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1160925-caa-paris-1ere-ch-10111990-n-89pa01548
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Abstract

36-07-10-005 Le refus, non justifié par un motif d'intérêt général, opposé par l'administration à la demande présentée par un agent public sur le fondement des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, lequel établit, notamment, l'obligation pour l'Etat de réparer les préjudices subis par les fonctionnaires victimes d'attaques relatives à leur comportement dans l'exercice de leurs fonctions, constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat envers cet agent dès lors, au surplus, que cette demande était postérieure à plusieurs décisions de la juridiction judiciaire excluant définitivement tout comportement fautif de sa part. Constituent un tel préjudice les frais d'avocat engagés pour l'intéressé dans une instance où il a obtenu réparation devant la juridiction judiciaire de propos diffamatoires tenus à son encontre, dans leur ouvrage, par les auteurs d'un livre, et non indemnisés par cette juridiction.

Cour administrative d'appel de Paris

Statuant au contentieux
Chavant

M. Massiot, Président
Mme Jeangirard-Dufal, Rapporteur
M. Dacre-Wright, Commissaire du gouvernement


Lecture du 10 novembre 1990



R E P U B L I Q U E   F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


    VU la décision en date du 26 janvier 1989, par laquelle le président de la 5e sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la cour, en application de l'article 17 du décret 88-906 du 2 septembre 1988, la requête présentée par M. CHAVANT, dirigée contre le jugement du tribunal administratif de Paris n° 66697/5 du 30 juin 1988 ;

    VU la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat le 23 septembre et le 15 décembre 1988, présentés pour M. CHAVANT par M. CHOUCROY avocat au Conseil d'Etat et à la cour de cassation ; M£ CHAVANT demande au Conseil d'Etat :

    1°) d'annuler le jugement en date du 30 juin 1988 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision implicite du préfet de police de Paris rejetant sa demande du 10 avril 1986 tendant au remboursement des frais de représentation qu'il a exposés pour intenter un procès en diffamation contre MM.Hamon et Marchand, auteurs du livre 'P. comme Police', d'autre part, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 15.000 F avec intérêts de droit à compter du 3 janvier 1984, en réparation du préjudice subi ;

    2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 15.000 F avec intérêts de droit capitalisés par année échue à compter du 3 janvier 1983 ;

    VU les autres pièces du dossier ;

    VU la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

    VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

    VU la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

    Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

    Après avoir entendu, au cours de l'audience du 9 octobre 1990 :

    - le rapport de Mme JEANGIRARD-DUFAL, président-rapporteur ;

    - et les conclusions de M. DACRE-WRIGHT, commissaire du gouvernement ;


    Considérant que M. CHAVANT, inculpé le 19 septembre 1974 d'arrestations illégales et de séquestration de personnes, pour des faits survenus le 20 janvier 1974, a bénéficié d'un jugement de relaxe du tribunal correctionnel de Paris en date du 9 mai 1983 confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 27 mars 1984 ; que, inculpé en 1977 de violences illégitimes par agent de la force publique, arrestations illégales et séquestration de personnes, pour des faits survenus le 27 mars et le 30 mars 1976, il a bénéficié pour les premiers de ces faits d'une ordonnance de non-lieu en date du 9 décembre 1982 et pour les seconds d'une décision de relaxe en date du 9 mai 1983 ;

    Considérant que M£ CHAVANT, commandant de gardiens de la paix, a été mis en cause en 1983 dans le livre 'P comme Police' dont MM. Alain Hamon et Jean Charles Marchant étaient les auteurs et les éditions Alain Moreau l'éditeur ; qu'il a sollicité la protection de l'administration, notamment l'assistance d'un avocat, par lettre du 3 janvier 1984 ; que sa demande a été rejetée par le préfet de police le 9 février 1984 au motif qu'aucune décision ne pouvait être prise dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel sur les faits pour lesquels il était alors poursuivi ; qu'à la suite de ce refus M. CHAVANT a déposé, avec l'assistance d'un avocat, une plainte avec constitution de partie civile contre les auteurs de l'ouvrage ; que par jugement du 19 mars 1986, le tribunal de grande instance de Paris (17e chambre) a déclaré MM£ Moreau, Hamon et Marchant coupables du délit de diffamation, les a condamnés à une amende de 10.000 F chacun et, solidairement, à verser à M. CHAVANT 50.000 F de dommages-intérêts ; que le 10 avril 1986, soit postérieurement à cette décision de justice, M. CHAVANT a formulé auprès du préfet de police une nouvelle demande, tendant a l'indemnisation du préjudice subi par lui et correspondant au montant des frais d'avocat qu'il avait dû engager au titre de cette procédure en diffamation ; que l'administration a implicitement rejeté cette demande ;

    Sur les conclusions tendant à l'annulation du jugement attaqué :

    Considérant que, saisi d'un recours contre ce rejet implicite, le tribunal administratif de Paris a, par jugement du 30 juin 1988, rejeté la requête de M. CHAVANT au motif que celui-ci, en se bornant à énoncer les numéros de chèques ayant servi au réglement des honoraires de son avocat, n'établissait pas l'étendue ni la réalité de son préjudice ; qu'en appel, le requérant a produit une attestation de son avocat récapitulant les dates et les montants des versements effectués par M. CHAVANT, au titre de son action en diffamation ; qu'il ressort de ce document que, à la date du jugement susmentionné du tribunal de grande instance du 19 mars 1986, M. CHAVANT avait réglé à son avocat 7.400 F ; que, faute pour le requérant d'apporter la preuve de ce que les versements ultérieurement effectués à son avocat auraient également correspondu à son action dans le même litige, le préjudice de M. CHAVANT doit être considéré comme établi à hauteur de 7.400 F ;

    Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. CHAVANT est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris, se fondant sur l'absence de préjudice établi, a rejeté sa requête ;


    Considérant toutefois qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. CHAVANT devant le tribunal administratif de Paris ;

    Sur la responsabilité de l'Etat :

    Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : 'la collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté' ; que ces dispositions législatives établissent à la charge de l'Etat ou de la collectivité publique intéressée et au profit des fonctionnaires lorsqu'ils ont été victimes d'attaques relatives au comportement qu'ils ont eu dans l'exercice de leurs fonctions, une obligation de protection à laquelle il ne peut être dérogé, sous le contrôle du juge, que pour des motifs d'intérêt général ; que dans les circonstances de l'affaire, - alors au surplus que M. CHAVANT avait formulé sa demande postérieurement au jugement du 19 mars 1986, dont il se prévalait - et alors que le ministre ne fait état d'aucun motif d'intérêt général s'y opposant, l'administration devait accorder au requérant la réparation qu'il sollicitait ; qu'en la refusant, elle a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

    Considérant que si le préjudice résultant de la diffamation, par les auteurs de l'ouvrage 'P comme Police' a été réparé par l'octroi de dommages et intérêts par le tribunal de grande instance, le préjudice dont se prévaut M. CHAVANT et qui résulte des frais que cette procédure a entraînés pour lui et qui sont demeurés à sa charge, doit être réparé par l'Etat ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le montant justifié de ce préjudice s'éléve à 7.400 F ;

    Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

    Considérant que M. CHAVANT a droit aux intérêts de cette somme à compter du 11 avril 1986, date de la réception de sa demande par le ministre ;

    Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 23 septembre 1988 ; qu'à cette date il était dû au moins un an d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation ;


Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 30 juin 1988 est annulé.
Article 2 : L' Etat est condamné à verser à M. CHAVANT la somme de 7.400 F avec intérêts au taux légal à compter du 11 avril 1986. Les intérêts échus le 23 septembre 1988 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

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