TA Marseille, du 28-01-2025, n° 2207415
A99386SU
Référence
Par une requête, enregistrée le 2 septembre 2022, Mme A B, représentée par la SARL de Laubier avocats, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 12 avril 2022 par laquelle la directrice de l'assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) l'a informée que, devant régulariser une somme trop perçue en raison de 34 jours indûment payés d'absences injustifiés, un bulletin de paie négatif avait été émis pour le mois d'avril 2022 et qu'elle restait redevable de la somme de 101,65 euros ;
2°) d'annuler le titre de recette n°2275042 émis le 15 avril 2022 pour un montant de 101,65 euros ;
3°) d'annuler la décision implicite de rejet de son recours gracieux formé le 16 mai 2022 contre celle du 12 avril précédent et le titre n°2275042 ;
4°) d'enjoindre à la directrice générale de l'AP-HM de procéder à la régularisation de sa situation administrative à compter de la notification du jugement à intervenir.
5°) de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- la décision du 17 mars 2022 est entachée d'un vice de procédure dès lors que l'AP-HM ne pouvait pas refuser sa demande de télétravail sans l'avoir auparavant conviée à un entretien préalable ;
- l'administration devait motiver son refus ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation dès lors que son état de santé lui permettait de bénéficier de plus de trois jours de télétravail par semaine ;
- la décision du 12 avril 2022 est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle était en télétravail et non en absence injustifiée ;
- elle méconnait les dispositions des articles 3 et 4 du décret du 11 février 2016🏛🏛 ;
- elle méconnait les dispositions du décret n°2021-1607 du 8 décembre 2021🏛 révisant le barème des saisies et cessions des rémunérations ;
- le titre de perception est illégal en raison de l'illégalité de la décision du 12 avril 2022.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2024, l'AP-HM, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens de la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n°2016-151 du 11 février 2016🏛 ;
- le décret n°2020-719 du 12 juin 2020🏛 ;
- le décret n°2021-1607 du 8 décembre 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hétier-Noël, rapporteure,
- les conclusions de Mme Lourtet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Souchon, substituant Me de Laubier, représentant Mme B.
1. Mme B a été recrutée par l'AP-HM le 1er septembre 1989 pour occuper les fonctions d'infirmière de bloc opératoire diplômée d'Etat. Ayant bénéficié le 24 janvier 2020 d'une autorisation de son employeur de télétravailler à 100% en raison de son état de santé pour une durée de six mois, elle a sollicité, par courriel du 2 février 2022, le renouvellement de cette autorisation. La directrice générale de l'AP-HM l'a informé le 16 suivant que, en raison de son absence du 4 au 15 février 2022 sans justificatif valable, ladite absence allait faire l'objet d'une retenue sur salaire puis l'a convoquée le 21 suivant pour un entretien le 11 mars 2022. Par une décision du 17 mars 2022, ladite directrice générale a refusé d'accorder à Mme B l'autorisation sollicitée le 2 février 2022 et l'a positionné en absence irrégulière à compter du 4 février 2022. Elle lui a ensuite adressé le 12 avril 2022 un courrier l'informant que 34 jours lui avaient été indûment payés en raison de ses absences injustifiées, qu'elle procédait au recouvrement des sommes dues au titre du trop-perçu de traitement par une retenue sur le traitement du mois d'avril 2022 et qu'elle restait redevable de la somme de 101,65 euros. L'AP-HM a émis le 15 avril 2022 un titre de recette de ce montant. Mme B a formé un recours gracieux le 16 mai 2022 resté sans réponse. Elle doit être regardée comme demandant au tribunal l'annulation des décisions des 17 mars et 12 avril 2022 et du titre de recette ainsi que de la décision implicite de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 17 mars 2022 :
2. Aux termes de l'article 3 du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature " La quotité des fonctions pouvant être exercées sous la forme du télétravail ne peut être supérieure à trois jours par semaine. Le temps de présence sur le lieu d'affectation ne peut être inférieur à deux jours par semaine. Les seuils définis au premier alinéa peuvent s'apprécier sur une base mensuelle. " et aux termes de l'article 4 du même décret " A la demande des agents dont l'état de santé le justifie et après avis du médecin de prévention ou du médecin du travail, il peut être dérogé pour six mois maximum aux conditions fixées par l'article 3. Cette dérogation est renouvelable une fois après avis du médecin de prévention ou du médecin du travail". L'article 5 de ce décret dispose :" () lorsque le télétravail est organisé au domicile de l'agent ou dans un autre lieu privé, une attestation de conformité des installations aux spécifications techniques, établie conformément aux dispositions prises en application du 9° du I de l'article 7, est jointe à la demande ". Enfin, l'article 5 du décret du 11 février 2016🏛 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature : " L'exercice des fonctions en télétravail est accordé sur demande écrite de l'agent. Celle-ci précise les modalités d'organisation souhaitées. Lorsque le télétravail est organisé au domicile de l'agent ou dans un autre lieu privé, une attestation de conformité des installations aux spécifications techniques, établie conformément aux dispositions prises en application du 9° du I de l'article 7, est jointe à la demande. Le chef de service, l'autorité territoriale ou l'autorité investie du pouvoir de nomination apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées et l'intérêt du service (). Le refus opposé à une demande d'autorisation de télétravail ainsi que l'interruption du télétravail à l'initiative de l'administration doivent être motivés et précédés d'un entretien. () ".
3. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'elle soutient, Mme B a, à la suite de sa demande de télétravail du 4 février 2022, été reçue en entretien le 11 mars 2022 par son administration.
4. En deuxième lieu, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de l'absence de convocation à un entretien professionnel sur le fondement du décret du 12 juin 2020🏛 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière qui est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
5. En troisième lieu, d'une part, il ressort des mentions portées sur le compte rendu de l'entretien du 11 mars 2021 que Mme B a été informée à cette occasion de la réglementation applicable et, d'autre part, que le refus de télétravail qui lui a été opposé par la décision du 17 mars 2022 est fondé sur les circonstances que son état de santé ne nécessitait pas une obligation de réaliser l'ensemble de ses missions en télétravail et qu'il était indispensable qu'une infirmière en bloc opératoire soit présente à l'hôpital, pour être supervisée par un médecin. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée de vice de forme en l'absence de motivation doit être écarté.
6. En quatrième lieu, Mme B n'est pas fondée à soutenir, à l'appui de ces conclusions, que le courrier du 16 février l'informant qu'elle était placée en absence irrégulière à compter du 4 précédent méconnait le dernier alinéa précité de l'article 5 du décret du 11 février 2016 dés lors que celui-ci n'avait ni pour objet ni pour effet de refuser l'autorisation qu'elle avait sollicitée le 2 février 2022.
7. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que, si , comme il a été dit au point 1, Mme B a bénéficié le 24 janvier 2020 d'une autorisation de son employeur de télétravailler à 100% en raison de son état de santé pour une durée de six mois, le médecin agréé saisi par l'AP-HM à la suite de sa nouvelle demande du 4 février 2022 a estimé qu'il n'existait aucune nécessité médicale pour elle de réaliser ses missions en télétravail, celle-ci ne disposant pas au surplus d'une attestation de conformité de ses installations informatiques. Or, Mme B n'a pas regagné son service après cette date. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur de droit ni d'erreur de fait que l'AP-HM l'a placé en position d'absence irrégulière à compter de cette même date.
8. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par Mme B tendant à l'annulation de la décision de la directrice de l'AP-HM du 17 mars 2022 la plaçant en position d'absence irrégulière doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 12 avril 2022 :
9. Aux termes des dispositions de l'article L. 3252-2 du code du travail🏛 : " Sous réserve des dispositions relatives aux pensions alimentaires prévues à l'article L. 3252-5, les sommes dues à titre de rémunération ne sont saisissables ou cessibles que dans des proportions et selon des seuils de rémunération affectés d'un correctif pour toute personne à charge, déterminés par décret en Conseil d'Etat. Ce décret précise les conditions dans lesquelles ces seuils et correctifs sont révisés en fonction de l'évolution des circonstances économiques ". Aux termes des dispositions de l'article R. 3252-2 du même code dans sa version alors applicable : " La proportion dans laquelle les sommes dues à titre de rémunération sont saisissables ou cessibles, en application de l'article L. 3252-2, est fixée comme suit : 1° Le vingtième, sur la tranche inférieure ou égale à 3 940 ;() ".
10. Il est constant que Mme B a perçu, en mars 2022, un salaire de 1 471,85 euros. Or, il ressort des pièces du dossier, et notamment du bulletin de salaire produit par la requérante pour le mois d'avril 2022, que celle-ci s'est vu prélever l'intégralité de son traitement conduisant à l'émission d'un bulletin de paye négatif, excédant ainsi nécessairement la quotité saisissable. En procédant de la sorte, l'AP-HM a méconnu les dispositions précitées de l'article R. 3252-2 du code du travail🏛.
11. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête la concernant, la décision attaquée du 12 avril 2022 doit être annulée en tant qu'elle procède au recouvrement des sommes dues au titre du trop-perçu de traitement en excédant la quotité saisissable ainsi, que par voie de conséquence, et dans cette mesure la décision de rejet de son recours gracieux.
Sur les conclusions à fin d'annulation du titre de perception :
12. Mme B n'évoque au soutien de ses conclusions à fin d'annulation du titre de perception que le moyen tiré de l'illégalité de la décision du 12 avril 2022. Toutefois, cette décision étant annulée par le tribunal qu'en tant que l'AP-HM a décidé de procéder au recouvrement des sommes dues au titre du trop-perçu en émettant un bulletin de paie d'avril 2022 et la décision de placement en absences injustifiées étant légale, ses conclusions présentées à fin d'annulation du titre de perception du 15 avril 2022 émis pour un montant de 101,65 euros doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le motif d'annulation retenu par le présent jugement implique qu'il soit enjoint au directeur général de l'AP-HM au remboursement de la part non saisissable retenue sur le traitement d'avril 2022 de Mme B. Il y a lieu de fixer audit directeur général un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement pour y procéder.
Sur les frais liés au litige :
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'AP-HM le versement d'une quelconque somme à Mme B au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La décision du 12 avril 2022 est annulée en tant qu'elle procède au recouvrement des sommes dues au titre du trop-perçu de traitement en raison des absences injustifiées de Mme B par une retenue sur le traitement du mois d'avril 2022 excédant la quotité saisissable, ensemble la décision implicite de rejet du recours gracieux du 16 mai 2022 dans la même mesure.
Article 2 : Il est enjoint au directeur général de l'AP-HM de verser à Mme B la somme retenue sur son traitement d'avril 2022 en tant qu'elle excède la quotité saisissable, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et à l'assistance publique-hôpitaux de Marseille.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Simon, présidente,
Mme Hétier-Noël, première conseillère,
Mme Diwo, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 janvier 2025.
La rapporteure,
signé
C. Hétier-Noël
La présidente,
signé
F. Simon
La greffière,
signé
R. Berkat
La République mande et ordonne au directeur général de l'agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d'Azur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
La greffière,
No 2207415
Décret, 2016-151, 11-02-2016 Article, 3, décret, 11-02-2016 Décret, 2021-1607, 08-12-2021 Article, 4, décret, 11-02-2016 Décret, 2020-719, 12-06-2020 Décision implicite de rejet Entretien préalable Décision entachée d'une erreur manifeste Occupation des fonctions Retenue sur traitement Émission d'un titre de recettes Avis de médecins Médecine du travail Autorité investie du pouvoir de nomination Fonction publique hospitalière Blocs opératoires Pension alimentaire Circonstances économiques Intégralité du traitement Délai à compter d'une notification