TA Besançon, du 10-12-2024, n° 2402205
A21606MX
Référence
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 novembre et 10 décembre 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Hydréa, représentée par Me Béjot, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative🏛🏛, l'annulation au stade de l'analyse de la régularité des offres initiales de la procédure de passation du marché portant sur la reconstruction de la station d'épuration sur la commune de Villers-le-Lac ;
2°) d'enjoindre à la communauté de communes du Val de Morteau de réintégrer l'offre du groupement dont la société Hydréa est mandataire, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché précité ;
3°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Val de Morteau une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
La SAS Hydréa soutient que :
- elle a été invitée à la phase de négociation des offres avant que la communauté de communes ne change d'avis et rejette son offre au motif de son irrégularité ;
- le règlement de la consultation prévoyait qu'il serait négocié avec tous les candidats sélectionnés après l'examen des offres et l'article R. 2152-1 du code de la commande publique🏛 prévoit pourtant que dans les procédures avec négociation, les offres irrégulières peuvent être régularisées au cours de la négociation de sorte qu'elles sont nécessairement admises à la phase de négociation ;
- la communauté de communes a commis une erreur de droit en ne respectant pas sa propre règle et l'article R. 2152-1 du code de la commande publique en ne lui permettant pas de participer aux négociations ;
- les dispositions de l'article R. 2152-1 du code de la commande publique permettant de régulariser au cours des négociations les offres irrégulières, une offre a priori irrégulière est susceptible d'évoluer substantiellement pour devenir régulière et ce, nonobstant les dispositions de l'article R. 2152-2 ;
- son offre n'avait pas besoin d'évoluer substantiellement pour devenir régulière dès lors que :
' une simple modification du délai d'exécution ne saurait être regardée comme une modification substantielle d'autant que la négociation devait porter sur le prix et les modalités techniques de l'offre ;
' son offre précisait bien le prix de la tranche ferme et de la tranche optionnelle, en tout état de cause, l'évaluation des offres sur le plan financier devait s'opérer au regard du montant total " toutes tranches confondues ", conformément à l'article 8.2 du règlement de la consultation et le fait de compléter une offre qui ne comporterait pas une partie (même significative) des éléments financiers attendus ne caractérise pas, par lui-même, une modification substantielle de cette offre ;
' contrairement à ce qui est soutenu, le traitement tertiaire est bien proposé dans l'offre et plus précisément dans les documents explicitant la tranche ferme ;
' contrairement à ce qui est soutenu, le traitement tertiaire n'est pas purement et simplement supprimé dans la tranche optionnelle, il est assuré à travers la technologie proposée par l'offre du groupement avec la technologie Carbablue qui permet d'assurer également le traitement quaternaire ;
' le traitement tertiaire ne représente que 3,59 % du montant de la tranche ferme ;
- la substitution de motifs demandée est impossible dès lors que la commission d'appel d'offres n'a pas estimé que l'offre de la SAS Hydréa était inappropriée ;
- le caractère inapproprié de son offre n'est pas établi.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 et 10 décembre 2024, la communauté de communes du Val de Morteau (CCVM), représentée par Me Landbeck, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative.
La CCVM soutient que :
- la régularisation n'est jamais une obligation ;
- l'offre de la société requérante n'était pas régularisable sauf à en modifier les caractéristiques essentielles ;
- eu égard à ses caractéristiques propres, l'offre de la société requérante plus qu'irrégulière était inappropriée ; il est demandé la substitution de ce motif à celui retenu initialement pour justifier le rejet de cette offre ;
- le courrier adressé à la société requérante le 29 octobre 2024 contient les éléments permettant de dire qu'elle avait estimé que cette offre était inappropriée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif a désigné M. A en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative🏛.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 10 décembre 2024 en présence de Mme Chiappinelli, greffière, M. A a lu son rapport et entendu les observations de :
- Me Blanchard, représentant la SAS Hydréa ;
- Me Landbeck, représentant la CCVM.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".
2. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
3. En juin 2024, la CCVM a lancé un marché public ayant pour objet la reconstruction de la station d'épuration sur la commune de Villers-le-Lac. La procédure formalisée choisie était celle de la négociation. Deux offres ont été déposées dont celle du groupement dont la SAS Hydréa était le mandataire. Par un courrier du 2 octobre 2024, la CCVM a invité le groupement de la SAS Hydréa à une séance d'audition devant se tenir le 6 novembre 2024. Puis par courrier daté du 29 octobre 2024, la CCVM l'a informée que l'offre de son groupement était rejetée au motif qu'elle était irrégulière au sens de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique🏛 dès lors qu'elle ne respectait pas les exigences formulées dans les documents de la consultation. Pour demander l'annulation de la procédure d'appel d'offres, la SAS Hydréa fait notamment valoir qu'à supposer que son offre initiale ait été irrégulière, la phase de négociation lui permettait de la régulariser et qu'en tout état de cause, elle ne pouvait être légalement écartée de la phase de négociation au seul motif que son offre était irrégulière. La société requérante est donc susceptible d'avoir été lésée par le manquement invoqué.
4. En premier lieu, la CCVM demande, en défense, à substituer au motif irrégulièrement retenu dans le courrier précité, le motif tiré de ce que l'offre portée par la SAS Hydréa était " inappropriée " au sens des dispositions de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique🏛. Le juge du référé précontractuel, saisi d'une argumentation en ce sens par le défendeur, ne peut substituer au motif retenu dans le document informant le candidat du rejet de son offre le motif tiré du caractère inapproprié de l'offre que si le pouvoir adjudicateur s'est effectivement livré à une appréciation dudit caractère inapproprié et qu'il a considéré qu'il était établi que l'offre présentée par le groupement dont la SAS Hydréa est le mandataire était effectivement inappropriée et n'a pas ce faisant commis d'erreur manifeste d'appréciation.
5. En l'espèce, il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier du courrier adressé à la société requérante le 29 octobre 2024, que la CCVM aurait considéré que l'offre présentée par le groupement auquel appartient la société requérante aurait été une offre inappropriée au sens des dispositions de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique. Par suite, la demande de substitution de motifs ne peut être accueillie.
6. En second lieu, aux termes de l'article L. 2124-3 du code de la commande publique🏛 : " La procédure avec négociation est la procédure par laquelle l'acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques ". Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique🏛, relatif à l'examen des offres : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de son article L. 2152-2 : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de son article L. 2152-4 : " Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation ".
7. Aux termes de l'article R. 2152-1 du code de la commande publique : " Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. / Dans les autres procédures, les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées ". Aux termes de son article R. 2152-2 : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles ".
8. Aux termes de l'article R. 2161-17 du code de la commande publique🏛, relatif aux procédures avec négociation : " Le pouvoir adjudicateur négocie avec tous les soumissionnaires leurs offres initiales et ultérieures, à l'exception des offres finales. / Il peut toutefois attribuer le marché sur la base des offres initiales sans négociation, à condition d'avoir indiqué dans l'avis de marché ou dans l'invitation à confirmer l'intérêt qu'il se réserve la possibilité de le faire. / Les exigences minimales mentionnées à l'article R. 2161-13 et les critères d'attribution ne peuvent faire l'objet de négociations ". Aux termes de son article R. 2161-18 : " La procédure avec négociation peut se dérouler en phases successives de manière à réduire le nombre d'offres à négocier en appliquant les critères d'attribution définis dans les documents de la consultation. Le pouvoir adjudicateur indique, dans l'un de ces documents, s'il fera usage de cette possibilité. / Dans la phase finale de négociation, le nombre d'offres restant à négocier doit être suffisant pour assurer une concurrence réelle, pour autant qu'il y ait un nombre suffisant d'offres remplissant les conditions requises ". Aux termes de son article R. 2161-19 : " Le pouvoir adjudicateur informe par écrit tous les soumissionnaires dont les offres n'ont pas été éliminées en application de l'article R. 2161-18 de tous les changements apportés aux spécifications techniques ou aux autres documents de la consultation, à l'exception de ceux qui définissent les exigences minimales. A la suite de ces changements, le pouvoir adjudicateur accorde aux soumissionnaires un délai suffisant et identique pour leur permettre de modifier leurs offres et, le cas échéant, de les présenter à nouveau ".
9. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées, et notamment de celles des articles R. 2152-1 et R. 2161-17 du code de la commande publique, que dans les procédures avec négociation, le pouvoir adjudicateur, lorsqu'il décide d'entamer les négociations, s'il n'est jamais tenu de les mener à leur terme avec l'ensemble des soumissionnaires, eu égard à la possibilité qui lui est offerte de prévoir des phases successives de négociation, doit néanmoins négocier " avec tous les soumissionnaires " leurs offres initiales et ultérieures au moins pendant la première phase de négociation, à l'exception des seuls candidats ayant présenté des offres inappropriées, lesquels sont par principe exclus de toute négociation.
10. Le règlement de la consultation du marché en litige n'en dispose pas autrement puisque son article 8.2 stipule que : " Le jugement des offres sera effectué dans les conditions prévues aux articles L.2152-1 à L.2152-4, R. 2152-1 et R. 2152-2 du Code de la commande publique🏛 et donnera lieu à un classement des offres. / L'attention des candidats est attirée sur le fait que toute offre irrégulière ou inacceptable pourra être régularisée pendant la négociation. En revanche, toute offre inappropriée sera éliminée. Après négociation, toute offre demeurant irrégulière pourra être régularisée dans un délai approprié. La régularisation d'une offre pourra avoir lieu à condition qu'elle ne soit pas anormalement basse () " tandis que son article 8.3 ajoute que : " Après examen des offres, le pouvoir adjudicateur engagera des négociations avec tous les candidats sélectionnés. () Au titre de la négociation, le Maitre d'ouvrage pourra organiser une audition à caractère obligatoire pour les soumissionnaires () ".
11. Il résulte de l'instruction que le marché en cause relevait de la procédure avec négociation et que la CCVM a décidé d'entamer les négociations. Elle devait dès lors respecter l'obligation de négocier avec tous les soumissionnaires, laquelle ne connait que la réserve des candidats ayant présenté des offres inappropriées, et s'appliquait nonobstant la faculté reconnue, de manière générale au pouvoir adjudicateur, d'autoriser les soumissionnaires ayant émis une offre irrégulière et dépourvue de tout caractère anormalement bas de régulariser leur offre dans un délai approprié. Dans ces conditions, la SAS Hydréa est fondée à soutenir qu'en éliminant l'offre initiale du groupement dont elle était le mandataire sans même l'admettre à négocier, alors que cette offre n'était qu'irrégulière et non pas inappropriée, la CCVM a commis une erreur de droit. Une telle erreur conduit à un manquement aux obligations de mise en concurrence. La circonstance, mise en avant en défense, que l'offre de la SAS Hydréa pourrait ultérieurement demeurer irrégulière à l'issue de la phase de négociation, dans la mesure où " la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles ", n'est pas de nature à affecter rétroactivement ce constat de manquement. Dès lors, et eu égard à l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu d'annuler la phase d'examen des offres initiales de la procédure de passation du marché ayant pour objet la reconstruction de la station d'épuration sur la commune de Villers-le-Lac.
12. L'annulation prononcée au point précédent implique nécessairement que la CCVM, si elle entend poursuivre la passation du marché susmentionné, réintègre l'offre du groupement dont le mandataire est la SAS Hydréa. Il y a lieu dès lors d'enjoindre à ladite communauté de communes de procéder à une telle réintégration.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CCVM une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société requérante qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
O R D O N N E
Article 1er : La phase d'examen des offres initiales de la procédure engagée par la communauté de communes du Val de Morteau en vue de la passation du marché de reconstruction de la station d'épuration sur la commune de Villers-le-Lac est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la communauté de communes du Val de Morteau, si elle entend poursuivre la passation du marché de reconstruction de la station d'épuration sur la commune de Villers-le-Lac, de réintégrer l'offre du groupement dont la SAS Hydréa est le mandataire.
Article 3 : La communauté de communes du Val de Morteau versera à la SAS Hydréa, la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée (SAS) Hydréa et à la communauté de communes du Val de Morteau.
Fait à Besançon, le 10 décembre 2024.
Le juge des référés,
A. A
La République mande et ordonne au préfet du Doubs, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière
N°2402205
Article, L551-1, CJA Article, L551-2, CJA Article, L511-2, CJA Station d'épuration Substitution de motifs Modification des caractéristiques Pouvoirs adjudicateurs Prestation de service Intérêt public Mandataire Appels d'offres Erreur d'appréciation Conditions du marché Critères d'attribution du marché Délai raisonnable Maître d'ouvrage Obligation de mise en concurrence