Jurisprudence : TA Dijon, du 13-08-2024, n° 2300648


Références

Tribunal Administratif de Dijon

N° 2300648

3ème chambre
lecture du 13 août 2024
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 mars 2023 et 27 janvier 2024, la société chalonnaise d'électricité générale (Sochaleg), représentée par Me Lambert, demande au tribunal :

1°) d'annuler le contrat du 22 décembre 2022 conclu entre la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne et la commune de Chalon-sur-Saône concernant le lot n°11 " Electricité-courants forts et courants faibles " du marché de travaux pour le réaménagement de l'accueil de loisirs sans hébergement " Le Carmel " ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

La Sochaleg soutient que :

- en ne la mettant pas en mesure de présenter ses observations préalables conformément à l'article L. 2141-11 du code de la commande publique🏛, la commune de Chalon-sur-Saône a entaché le contrat en litige d'un vice de procédure ;

- en l'excluant de la procédure de passation du contrat pour une situation de conflit d'intérêts, la commune de Chalon-sur-Saône a méconnu les dispositions de l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013🏛, de l'article 5 du décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014🏛 et de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique🏛.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 janvier, 6 février et 24 avril 2024, la commune de Chalon-sur-Saône, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Sochaleg la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que les moyens soulevés par la Sochaleg ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Une note en délibéré a été enregistrée pour la Sochaleg le 27 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013🏛 relative à la transparence de la vie publique ;

- le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014🏛 portant application de l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bois,

- les conclusions de M. B,

- et les observations de Me Lambert, représentant la Sochaleg, et de Me Piechon, représentant la commune de Chalon-sur-Saône.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'opération de réaménagement de l'accueil de loisirs sans hébergement " Le Carmel ", la commune de Chalon-sur-Saône a lancé en 2022 une consultation, selon la procédure adaptée, en vue d'attribuer, notamment, le lot n°11 " Electricité-courants forts et courants faibles ". Plusieurs opérateurs économiques, dont la Sochaleg et la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne, ont présenté une offre. Le 26 décembre 2022, la commune de Chalon-sur-Saône a informé la Sochaleg que sa candidature était exclue de la procédure de passation de ce marché. Le lot n°11 a été attribué à la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne. Après la signature de ce contrat, intervenue le 22 décembre 2022, la Sochaleg, estimant avoir été irrégulièrement évincée, a contesté, le 13 janvier 2023, la validité de ce contrat auprès de la commune de Chalon-sur-Saône qui a implicitement rejeté ce recours. La Sochaleg demande au tribunal d'annuler ce contrat signé le 22 décembre 2022.

Sur les conclusions à fin de contestation de validité du contrat :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

S'agissant du recours en contestation de la validité du contrat et de l'office de juge :

2. D'une part, indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative🏛, un concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce concurrent évincé ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Il ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. D'autre part, il appartient au juge, saisi de conclusions contestant la validité d'un contrat administratif, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou à résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci.

S'agissant de la procédure d'exclusion d'un candidat à un marché public pour un conflit d'intérêts :

4. Tout d'abord, l'article L. 3 du code de la commande publique🏛 prévoit que : " Les acheteurs () respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès () des procédures () ". Aux termes de l'article L. 2141-10 du même code : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. / Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché ".

5. Ensuite, l'article L. 2141-11 de ce code dispose que : " L'acheteur qui envisage d'exclure un opérateur économique en application de la présente section doit le mettre à même de présenter ses observations afin d'établir dans un délai raisonnable et par tout moyen qu'il a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements précédemment énoncés et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement ".

6. Enfin, aux termes de l'article 2 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 : " I. () constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privé qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction. () Lorsqu'ils estiment se trouver dans une telle situation : () 2° Sous réserve des exceptions prévues au deuxième alinéa de l'article 432-12 du code pénal🏛, les personnes titulaires de fonctions exécutives locales sont suppléées par leur délégataire, auquel elles s'abstiennent d'adresser des instructions () ". L'article 5 du décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 prévoit que : " Le présent article est applicable aux titulaires d'une fonction de () maire (). / Lorsqu'elles estiment se trouver en situation de conflit d'intérêts, qu'elles agissent en vertu de leurs pouvoirs propres ou par délégation de l'organe délibérant, les personnes mentionnées au précédent alinéa prennent un arrêté mentionnant la teneur des questions pour lesquelles elles estiment ne pas devoir exercer leurs compétences et désignant, dans les conditions prévues par la loi, la personne chargée de les suppléer. / Par dérogation aux règles de délégation prévues aux articles L. 2122-18, L. 3221-3, L. 4231-3, L. 4422-25 et L. 5211-9 du code général des collectivités territoriales🏛🏛🏛🏛🏛, elles ne peuvent adresser aucune instruction à leur délégataire ".

7. Les dispositions citées aux points 4 à 6 permettent aux acheteurs publics d'exclure de la procédure de passation d'un marché public une personne candidate, après l'avoir mise à même de présenter ses observations, lorsque l'opérateur économique peut être regardé comme ayant, dans le cadre de la procédure de passation en cause, une situation de conflit d'intérêts avec l'acheteur public de nature à porter atteinte au principe général du droit d'impartialité et qu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens, telles que l'adoption de mesures de délégations renforcées et l'absence d'instruction adressée au délégataire. L'exclusion à tort d'un candidat à une procédure de passation d'un marché public est constitutive d'un manquement aux obligations de mise en concurrence.

En ce qui concerne le bien-fondé des conclusions :

S'agissant du vice de procédure tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire :

8. Il ne résulte pas de l'instruction que, préalablement à la décision d'exclusion de la procédure de sélection de l'offre, la Sochaleg aurait été mise à même de présenter ses observations comme le prévoit pourtant l'article L. 2141-11 du code de la commande publique. Le contrat en litige conclu entre la commune de Chalon-sur-Saône et la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne est dès lors entaché d'un vice de procédure susceptible en l'espèce d'avoir influencé la commune sur le choix de l'attributaire du contrat en litige et ayant privé la Sochaleg d'une garantie.

S'agissant du vice concernant la situation de conflit d'intérêts :

9. En premier lieu, il est vrai que le président de la Sochaleg, M. D C, est le cousin de M. A C, maire de la commune de Chalon-sur-Saône, et qu'ils présentent le même patronyme. Toutefois, tout d'abord, ce seul lien familial de quatrième degré unissant le maire de Chalon-sur-Saône et le président de la société candidate ne révèle pas en soi, en l'absence de mention particulière quant à l'intensité des liens entre les intéressés, une situation de conflit d'intérêts. Ensuite, il résulte de l'instruction que le maire de Chalon-sur-Saône, qui a délégué la fonction de la conduite du contrat en litige jusqu'à son attribution et sa signature et n'a pas participé à la commission des marchés qui s'est réunie le 19 décembre 2022, n'est intervenu à aucun moment de la procédure. Enfin, il n'apparaît pas que le président de la société requérante serait lui aussi intervenu personnellement dans la procédure de passation du marché. Dans ces conditions, la société requérante ne peut pas être regardée comme ayant été dans une situation de conflit d'intérêts, avec la commune de Chalon-sur-Saône, au sens des dispositions de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique. En estimant à tort que la société requérante était en situation de conflit d'intérêt, la commune de Chalon-sur-Saône a dès lors entaché la procédure de mise en concurrence du contrat en litige d'un vice.

10. En second lieu, à supposer même qu'une situation de conflit d'intérêts aurait pu, potentiellement, être suspectée entre la société candidate requérante et la commune de Chalon-sur-Saône, il appartenait en tout état de cause à l'acheteur public, et non à la société candidate requérante, de prendre, le cas échéant, toute mesure, complémentaire à la délégation de fonctions déjà édictée le 22 décembre 2022, permettant de prévenir une telle situation. Dès lors, en estimant qu'il ne pouvait pas être remédié à la prétendue situation de conflit d'intérêts par d'autres moyens que celui de l'exclusion de la société candidate requérante, la commune de Chalon-sur-Saône a entaché la procédure de mise en concurrence du contrat en litige d'un vice.

S'agissant des conséquences des vices entachant la validité du contrat :

11. Si les vices analysés aux points 8 à 10 ne sont pas susceptibles d'être couverts par une mesure de régularisation et ne constituent pas, en l'espèce, des vices d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat en litige, ils ont en revanche affecté la procédure de mise en concurrence et ont été susceptibles d'affecter le choix de l'attributaire du marché. Dans ces conditions, il y aurait en principe lieu, dans les circonstances de l'espèce, de prononcer la résiliation de ce marché, c'est-à-dire sa disparition pour l'avenir. Il résulte toutefois de l'instruction que le contrat en litige a été entièrement exécuté à la date du présent jugement de sorte que sa résiliation ne peut plus être utilement ordonnée par le juge du contrat. Dès lors, les conclusions en contestation de la validité du contrat sont désormais privées d'objet. Il n'y a par conséquent plus lieu de statuer sur ces conclusions.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la Sochaleg, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que demande la commune de Chalon-sur-Saône au titre des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Chalon-sur-Saône une somme de 1 500 euros à verser à la Sochaleg au titre de ces mêmes frais.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions présentées par la société chalonnaise d'électricité générale tendant à contester la validité du contrat conclu entre la commune de Chalon-sur-Saône et la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne le 22 décembre 2022.

Article 2 : La commune de Chalon-sur-Saône versera à la société chalonnaise d'électricité générale une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société chalonnaise d'électricité générale, à la société Eiffage Energie Systèmes Bourgogne Champagne et à la commune de Chalon-sur-Saône.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Boissy, président,

- Mme Desseix, première conseillère,

- Mme Bois, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 août 2024.

La rapporteure,

C. BoisLe président,

L. BoissyLa greffière,

M. E

La République mande et ordonne au préfet de Saône-et-Loire, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

Le greffier

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