Jurisprudence : CEDH, 28-05-2002, Req. 46295/99, STAFFORD

CEDH, 28-05-2002, Req. 46295/99, STAFFORD

A7588AYP

Référence

CEDH, 28-05-2002, Req. 46295/99, STAFFORD. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1092411-cedh-28052002-req-4629599-stafford
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Cour européenne des droits de l'homme

28 mai 2002

Requête n°46295/99

STAFFORD



COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME


AFFAIRE STAFFORD c. ROYAUME-UNI


(Requête n° 46295/99)


ARRÊT


STRASBOURG


28 mai 2002


Cet arrêt peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Stafford c. Royaume-Uni,


La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :


MM. L. Wildhaber, président,


C.L. Rozakis,


J.-P. Costa,


Sir Nicolas Bratza,


M. A. Pastor Ridruejo,


Mme E. Palm,


MM. P. Kuris,


R. Türmen


Mme F. Tulkens,


MM. K. Jungwiert,


V. Butkevych,


Mme N. Vajic


M. M. Pellonpää,


M. K. Traja,


Mme S. Botoucharova,


MM. M. Ugrekhelidze,


V. Zagrebelsky, juges,


ainsi que de M. P.J. Mahoney, greffier,


Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 20 février et 24 avril 2002,


Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :


PROCÉDURE


1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 46295/99) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et dont un ressortissant de cet Etat, M. Dennis Stafford (" le requérant "), avait saisi la Commission européenne des Droits de l'Homme (" la Commission ") le 24 juillet 1998 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (" la Convention ").


2. Le requérant est représenté devant la Cour par M. M. Purdon, solicitor à Newcastle-upon-Tyne. Le gouvernement britannique (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. D. Walton, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.


3. Condamné pour meurtre à une peine perpétuelle obligatoire, le requérant alléguait que sa détention après la révocation de sa libération conditionnelle n'était plus justifiée par la sentence initiale ; il soutenait en


outre ne pas avoir eu la possibilité de faire contrôler par un tribunal la légalité de son maintien en détention. Il invoquait l'article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.


4. La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole n° 11).


5. La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 29 mai 2001, elle a été déclarée recevable par une chambre de ladite section, composée des juges dont le nom suit : MM. J.-P. Costa, W. Fuhrmann, P. Kuris, Mme F. Tulkens, M. K. Jungwiert, Sir Nicolas Bratza et M. K. Traja, ainsi que de Mme S. Dollé, greffière de section. Le 4 septembre 2001, la chambre s'est dessaisie au profit de la Grande Chambre, ni l'une ni l'autre des parties ne s'y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement de la Cour).


6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 27 §§ 2 et 3 de la Convention et 24 du règlement.


7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l'affaire. Des observations ont également été reçues de l'organisation Justice, que le président avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite en qualité d'amicus curiae (articles 36 § 2 de la Convention et 61 § 3 du règlement).


8. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 20 février 2002 (article 59 § 2 du règlement).


Ont comparu :


- pour le gouvernement défendeur


MM. D. Walton, agent,


D. Pannick, Q.C.,


M. Shaw conseils,


Mme M. Morrish,


M. T. Morris, conseillers ;


- pour le requérant


MM. E. Fitzgerald, Q.C.,


T. Owen, Q.C. conseils,


M. Purdon, solicitor.


La Cour a entendu en leurs déclarations MM. Fitzgerald et Pannick.


9. Le 24 avril 2002, M. Zupancic et Mme Greve, empêchés, ont été remplacés par MM. Butkevych et Türmen.


EN FAIT


I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE


10. En janvier 1967, le requérant fut reconnu coupable de meurtre. Il fut libéré sous condition en avril 1979. Les modalités de sa libération conditionnelle lui imposaient de coopérer avec son agent de probation et de demeurer au Royaume-Uni, sauf si son agent de probation l'autorisait à se rendre à l'étranger.


11. Peu après sa libération, au mépris des exigences dont elle était assortie, le requérant quitta le Royaume-Uni pour aller vivre en Afrique du Sud. En septembre 1980, sa libération conditionnelle fut révoquée et il fut donc par la suite réputé être de façon continue " irrégulièrement en liberté ".


12. En avril 1989, le requérant, de retour d'Afrique du Sud, fut arrêté au Royaume-Uni en possession d'un faux passeport, ce qui lui valut une amende. Or, il fut maintenu en détention du fait de la révocation de sa libération conditionnelle. Il présenta à la commission de libération conditionnelle (Parole Board) des observations écrites contestant la décision de 1980 de le réincarcérer, mais la commission rejeta ses observations et préconisa un deuxième contrôle en juillet 1990.


13. En novembre 1990, elle recommanda l'élargissement du requérant sous réserve de parvenir à mettre en place des modalités de libération satisfaisantes. Cette recommandation fut acceptée par le ministre. En mars 1991, le requérant fut libéré sous condition.


14. En juillet 1993, il fut arrêté pour faux et usage de faux et mis en détention provisoire. Le 19 juillet 1994, il fut condamné à six ans de prison sur deux chefs de complicité dans la fabrication de faux chèques de voyage et de faux passeports.


15. En septembre 1994, la commission de libération conditionnelle recommanda de révoquer la libération du requérant et de procéder à un nouveau contrôle à la date à laquelle l'intéressé pouvait y prétendre dans le cadre de sa peine de six ans. Le ministre accepta la recommandation de la commission, et révoqua la libération conditionnelle en vertu de l'article 39 § 1 de la loi de 1991 sur la justice pénale (Criminal Justice Act 1991


- " la loi de 1991 "). Le requérant présenta des observations écrites mais la commission maintint sa décision.


16. En 1996, la commission de libération conditionnelle procéda à un examen formel de l'affaire du requérant et préconisa de l'élargir sous condition. Elle déclara :


" Cette affaire est exceptionnelle en ce qu'il s'agit d'un cas de réincarcération alors que l'intéressé avait précédemment réussi à se réinsérer dans la société, à sa sortie de prison, sans commettre de nouvelles infractions à caractère violent (...) Le risque de récidive grave à l'avenir est considéré comme très faible. Les rapports récents sur le comportement de l'intéressé en prison ont été favorables et aucun incident fâcheux n'a été rapporté ; des liens constructifs avec sa famille ont été maintenus. Compte tenu de ces éléments, l'on pense à présent que M. Stafford pourrait être relâché en toute sécurité et dans de bonnes conditions dans la société. Le collège de la commission a conclu après un examen minutieux qu'un séjour dans une prison à régime ouvert n'apporterait rien de mieux et qu'un retour direct de l'intéressé au sein de sa famille, compte tenu de l'ensemble des facteurs de risque, constituerait la solution la plus favorable à sa réinsertion sociale. "


17. Par une lettre du 27 février 1997, le ministre rejeta la recommandation de la commission. Il s'exprima ainsi :


" (...) [Le ministre] prend note avec préoccupation des circonstances entourant vos deux rappels en prison (...) Ces deux occasions représentent des manquements sérieux et graves à la confiance qui avait été placée en vous lorsqu'il a été décidé de vous libérer sous condition, et dénotent une absence de considération pour les exigences de la surveillance à laquelle vous étiez soumis. A la lumière de ces éléments, le ministre n'est pas encore convaincu que si vous étiez admis pour la troisième fois au bénéfice de la libération conditionnelle vous en respecteriez complètement les modalités. Il relève que vous avez passé les trois dernières années et demie dans une prison à régime strict, ce qui ne vous a donc pas donné l'occasion de suivre la progression normale des détenus condamnés à des peines perpétuelles. Cette progression implique une période de détention dans un établissement à régime ouvert où l'intéressé a la possibilité de démontrer qu'il peut durablement bien se conduire et faire preuve de responsabilité dans un environnement moins sûr, et d'expérimenter toute la gamme des activités de réinsertion en vue de sa libération.


Pour ces raisons, le ministre estime qu'il convient de vous transférer dans une prison à régime ouvert pour une phase finale de mise à l'épreuve et de préparation. Le prochain contrôle formel par la commission de libération conditionnelle débutera deux ans après votre arrivée là-bas. "


18. Le 10 juin 1997, le requérant fut autorisé à demander le contrôle juridictionnel des décisions du ministre de rejeter la recommandation de la commission tendant à une libération immédiate et de le contraindre à passer deux années de plus dans une prison à régime ouvert avant le contrôle suivant.


19. Si sa libération conditionnelle n'avait pas été révoquée, le requérant aurait été remis en liberté le 1er juillet 1997 au terme de la peine qu'il s'était vu infliger pour escroquerie, conformément aux dispositions selon lesquelles les détenus condamnés à des peines à durée déterminée de plus de quatre ans sont libérés après en avoir purgé les deux tiers (article 33 de la loi de 1991).


20. Le ministre reconnut au cours de la procédure qu'il n'y avait pas de risque notable que le requérant commît d'autres infractions de nature violente, mais affirma qu'il pouvait en toute légalité maintenir en détention une personne frappée d'une peine perpétuelle obligatoire une fois la période punitive purgée au seul motif que cette personne risquait de commettre d'autres infractions non violentes passibles d'une peine de prison.


21. Le 5 septembre 1997, le juge Collins annula la décision prise en février 1997 par le ministre, déclarant que celui-ci n'avait pas le pouvoir de détenir une personne condamnée à une peine perpétuelle obligatoire après la période punitive en l'absence de risque inacceptable que l'intéressé ne commît une infraction mettant en danger la vie ou l'intégrité physique d'autrui.


22. Le 26 novembre 1997, la Cour d'appel (Court of Appeal) accueillit le recours du ministre, déclarant que l'article 35 § 2 de la loi de 1991 conférait à celui-ci un large pouvoir discrétionnaire s'agissant de décider de la libération des détenus frappés d'une peine perpétuelle obligatoire, et que son refus d'élargir le requérant était conforme à sa politique déclarée de prendre en compte le risque de récidive, pareil risque n'ayant pas été défini comme se limitant à des infractions à caractère violent ou sexuel. Le Lord Chief Justice Bingham déclara toutefois :


" Le détenu purge à présent l'équivalent d'une peine à durée déterminée d'environ cinq ans, quoique dans une prison à régime ouvert. Cette période de détention ne lui est pas imposée à titre de sanction, puisqu'il a déjà purgé la phase punitive que les graves infractions qu'il a précédemment commises lui ont value. Elle ne lui est pas infligée parce que l'on pense qu'il présente un risque pour autrui, puisque cela n'est pas suggéré. Nul ne prétend que cette phase de détention a un rapport avec la gravité d'une infraction passible de prison que le détenu pourrait commettre à l'avenir ou qu'elle est nécessaire pour garantir que l'intéressé respectera à l'avenir les modalités de sa libération. Si l'on peut avancer de solides arguments en faveur de la mise à l'épreuve, dans le cadre d'un régime ouvert, d'un détenu frappé d'une peine perpétuelle obligatoire et marqué par de longues années d'incarcération dans des conditions strictes, pareils arguments perdent beaucoup de leur force dans le cas d'un homme qui, après avoir purgé la partie punitive de sa peine perpétuelle, a démontré qu'il était capable de vivre de façon indépendante et apparemment en toute légalité pendant plusieurs années. Imposer à un individu, dans l'exercice d'un pouvoir exécutif et sans procès, ce qui constitue en fait une longue période d'emprisonnement cadre mal avec les concepts ordinaires de la prééminence du droit. J'espère que le ministre, encore maintenant, jugera bon de reconsidérer cette affaire. "


23. Lord Justice Buxton, exprimant son accord avec ces dernières observations, ajouta :


" La catégorie des infractions passibles de prison est extrêmement large, et peut couvrir de nombreux cas n'ayant aucun lien, de par leur nature ou leur gravité, avec les raisons pour lesquelles une personne condamnée à une peine perpétuelle s'est retrouvée à l'origine dans les mains de l'Etat. L'utilisation de ce critère pour justifier un maintien en prison me met également mal à l'aise. On a fait valoir au cours des débats qu'il était préférable d'utiliser le critère de l'infraction passible de prison plutôt que celui de la faute de nature purement morale ou sociale parce qu'une telle faute n'aurait aucun rapport avec les raisons ayant initialement justifié l'incarcération du sujet ; mais en réalité, ce rapport fait tout autant défaut ou, du moins, risque de faire tout autant défaut lorsqu'on utilise le critère de l'infraction passible de prison. (...) "


24. Le 16 décembre 1997, le requérant fut transféré dans un établissement à régime ouvert.


25. Par une lettre en date du 21 janvier 1998, le ministre décida de ramener à six mois la période que le requérant devrait passer dans ces conditions de régime ouvert avant le contrôle suivant.


26. Le 23 juillet 1998, la Chambre des lords rejeta le recours du requérant contestant la décision de la Cour d'appel. Dans sa décision, à laquelle tous les autres juges se rallièrent, Lord Steyn déclara que l'article 35 § 2 de la loi de 1991 conférait au ministre un large pouvoir discrétionnaire pour décider de la libération conditionnelle des détenus frappés d'une peine perpétuelle obligatoire, et qu'il n'existait au regard de la common law aucun principe fondamental de proportionnalité à la gravité du délit qui l'empêcherait de maintenir en détention un détenu frappé d'une peine perpétuelle obligatoire en invoquant le risque que l'intéressé ne commette à l'avenir une infraction grave mais sans violences. Il souscrivit expressément à la préoccupation de Lord Bingham selon laquelle le fait d'imposer à un individu une longue période de détention dans le cadre d'un pouvoir discrétionnaire du ministre cadrait mal avec les concepts ordinaires de la prééminence du droit.

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