Jurisprudence : CE 3/5 SSR, 07-07-1999, n° 191555

ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT


Conseil d'Etat

Statuant au contentieux


N° 191555

3 / 5 SSR

Mme Phinoson

M Séners, Rapporteur

M Touvet, Commissaire du gouvernement

M
Vught, Président

Lecture du 7 Juillet 1999


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés le 24 novembre 1997 et le 24 mars 1998 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Lucie PHINOSON, élisant domicile chez Me Claude Celenice, avocat à la cour, 43, rue Lamartine, à Fort-de-France (97200) ; Mme PHINOSON demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 25 juillet 1997 en tant qu'il a, d'une part, ramené l'indemnité de 38064,72 F que la commune de Sainte-Marie a été condamnée à lui verser par le jugement du 18 mars 1996 du tribunal administratif de Fort-de-France au montant du traitement qui lui est dû pour la période comprise entre le 6 et le 22 décembre 1993 et, d'autre part, annulé l'astreinte prononcée par le tribunal administratif à l'encontre de la commune de Sainte-Marie ;

2°) de condamner la commune de Sainte-Marie à lui verser la somme de 3000 F en application de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 modifiée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de M Séners, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de Mme PHINOSON, et de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la commune de Sainte-Marie,

- les conclusions de M Touvet, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme PHINOSON, agent contractuel de la commune de Sainte-Marie ayant été suspendue de ses fonctions par arrêté en date du 6 décembre 1993 du maire de cette commune, et, par arrêté du 22 décembre 1993, licenciée pour faute grave, le tribunal administratif de Fort-de-France, par un jugement du 18 mars 1996, a annulé l'arrêté du 6 décembre 1993 portant suspension de l'agent, ordonné sa réintégration, assortie d'une astreinte, et condamné la commune de Sainte-Marie à verser à l'intéressée une indemnité de 38064,72 F ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir confirmé l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 1993, a, d'une part, ramené l'indemnité que la commune de Sainte-Marie a été condamnée à verser à Mme PHINOSON au montant du traitement qui lui est dû pour la période comprise entre le 6 et le 22 décembre 1993 et, d'autre part, annulé l'astreinte prononcée par le tribunal administratif à l'encontre de la commune de Sainte-Marie ;

Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L 8-3 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Saisi de conclusions en ce sens, le tribunal ou la cour peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application de l'article L 8-2 d'une astreinte qu'il prononce dans les conditions prévues au quatrième alinéa de l'article L 8-4 et dont il fixe la date d'effet" ; qu'il résulte des termes mêmes de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif d'apprécier dans chacun des cas qui lui sont soumis s'il y a lieu de prononcer une astreinte ; qu'en jugeant qu'il n'y avait pas lieu, "compte tenu des circonstances de l'espèce", de prononcer une astreinte à l'encontre de la commune de Sainte-Marie, la cour administrative d'appel de Paris s'est livrée, sans les dénaturer, à une appréciation souveraine des faits et circonstances de l'espèce et a suffisamment motivé sa réponse sur ce point ;

Considérant, d'autre part, que la circonstance qu'une décision administrative soit devenue définitive faute d'avoir été contestée dans le délai de recours contentieux ne fait pas obstacle à ce que des indemnités soient réclamées par la requérante qui s'y croit fondée en se prévalant de l'irrégularité de cette décision ; qu'il suit de là qu'en se fondant sur la seule circonstance que l'arrêté du 22 décembre 1993 portant licenciement de Mme PHINOSON était devenu définitif faute d'avoir été contesté dans le délai de recours contentieux pour rejeter la demande de l'intéressée tendant à obtenir réparation du préjudice financier qu'elle a subi postérieurement au 22 décembre 1993, sans se prononcer sur la régularité de la décision de licenciement, la cour administrative d'appel de Paris a entaché son arrêt d'erreur de droit ; que, dès lors, la requérante est fondée à demander, pour ce motif et dans cette mesure, l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;

Sur la demande d'indemnités :

Considérant, en premier lieu, que Mme PHINOSON a pu régulièrement présenter, dans la même demande, des conclusions tendant à l'annulation des décisions par lesquelles elle a été licenciée et des conclusions à fin d'indemnités ; qu'il résulte des termes mêmes de ses mémoires qu'elle a entendu demander réparation du préjudice financier résultant à la fois de sa suspension et de son licenciement ; que, dans ses mémoires en défense présentés devant le tribunal administratif de Fort-de-France et la cour administrative d'appel de Paris, la commune de Sainte-Marie a défendu au fond sur la demande d'indemnité formée à son encontre par Mme PHINOSON et a ainsi lié le contentieux ; que, par suite, elle n'est pas fondée à soutenir que cette demande est irrecevable faute de décision administrative préalable ,

Considérant, en second lieu, que, par l'arrêt attaqué, devenu définitif faute d'avoir été contesté sur ce point, la cour administrative d'appel de Paris a jugé qu'aucune faute ne pouvait être retenue à la charge de Mme PHINOSON du fait de sa participation, avant le 6 décembre 1993, au mouvement de grève déclenché dans les services de la commune de Sainte-Marie et a confirmé, par ce motif, le jugement du 18 mars 1996 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a prononcé l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 1993 prononçant la suspension de Mme PHINOSON ; qu'il résulte de l'instruction que l'arrêté du 22 décembre 1993 par lequel l'intéressée a été licenciée repose sur les mêmes faits et les mêmes motifs que l'arrêté du 6 décembre 1993 ; que, dès lors, Mme PHINOSON est fondée à soutenir que son licenciement est entaché d'irrégularité ;

Considérant, enfin, qu'en l'absence de service fait, Mme PHINOSON ne peut prétendre au paiement des rémunérations dont elle a été privée depuis son éviction ; que, toutefois, elle est fondée à demander la condamnation de la commune de Sainte-Marie à réparer le préjudice financier qu'elle a réellement subi du fait de la sanction irrégulière qui a été prise à son encontre ; qu'il ne ressort pas de l'instruction qu'elle ait été réintégrée dans ses fonctions à compter de la date de son éviction ; que, dans les circonstances de l'affaire et sans qu'il soit nécessaire de procéder à un supplément d'instruction, il sera fait une juste appréciation de la réparation due à Mme PHINOSON en condamnant la commune de Sainte-Marie à lui verser une indemnité de 60000 F ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant, d'une part, que ces dispositions font obstacle à ce que Mme PHINOSON, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamnée à verser à la commune de Sainte-Marie la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Considérant, d'autre part, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner la commune de Sainte-Marie à payer à Mme PHINOSON une somme de 1500 F au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens :

DECIDE :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 25 juillet 1997 est annulé en tant qu'il a ramené l'indemnité de 38064,72 F que la commune de Sainte-Marie a été condamnée à verser à Mme PHINOSON par le jugement du 18 mars 1996 du tribunal administratif de Fort-de-France au montant du traitement qui est dû à l'intéressée pour la période comprise entre le 6 et le 22 décembre 1993.

Article 2 : La commune de Sainte-Marie est condamnée à verser Mme PHINOSON une indemnité de 60000 F (soixante mille francs).

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Fort-de-France en date du 20 décembre 1995 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : La commune de Sainte-Marie est condamnée à verser à Mme PHINOSON la somme de 1500 F (mille cinq cents francs) en application de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Sainte-Marie tendant à l'application des dispositions de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à Mme Lucie PHINOSON, à la commune de Sainte-Marie et au ministre de l'intérieur.

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