Jurisprudence : CEDH, 19-03-1997, Req. 107/1995/613/701, Hornsby c. Grèce

CEDH, 19-03-1997, Req. 107/1995/613/701, Hornsby c. Grèce

A8438AWG

Référence

CEDH, 19-03-1997, Req. 107/1995/613/701, Hornsby c. Grèce. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1065364-cedh-19031997-req-1071995613701-hornsby-c-grece
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Cour européenne des droits de l'homme

19 mars 1997

Requête n°107/1995/613/701

Hornsby c. Grèce


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En l'affaire Hornsby c. Grèce (1),

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses pertinentes de son règlement A (2), en une chambre composée des juges dont le nom suit:

MM. R. Bernhardt, président,
F. Gölcüklü,
L.-E. Pettiti,
A. Spielmann,
N. Valticos,
J.M. Morenilla,
Sir John Freeland,
MM. L. Wildhaber,
D. Gotchev,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 septembre 1996 et les 27 janvier et 25 février 1997,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:

Notes du greffier

1. L'affaire porte le n° 107/1995/613/701. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

2. Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole (P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le 11 décembre 1995, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 par. 1 et 47 de la Convention (art. 32-1, art. 47). A son origine se trouve une requête (n° 18357/91) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants britanniques, M. David Hornsby et Mme Ada Ann Hornsby, avaient saisi la Commission le 7 janvier 1990 en vertu de l'article 25 (art. 25). Désignés par leurs initiales pendant la procédure devant la Commission, ils ont ultérieurement consenti à la divulgation de leur identité.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration grecque reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 6 par. 1 de la Convention (art. 6-1).

2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du règlement A, les requérants ont déclaré ne pas souhaiter participer à l'instance. Le gouvernement britannique, avisé par le greffier de la possibilité d'intervenir dans la procédure (articles 48, alinéa b), de la Convention et 33 par. 3 b) du règlement A) (art. 48-b), n'a pas manifesté l'intention de s'en prévaloir.

3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la Convention) (art. 43), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 par. 4 b) du règlement A). Le 29 septembre 1995, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü, M. L.-E. Pettiti, M. A. Spielmann, M. J.M. Morenilla, Sir John Freeland, M. L. Wildhaber et M. D. Gotchev, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 5 du règlement A) (art. 43).

4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 6 du règlement A), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement grec ("le Gouvernement") et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu le 13 juin 1996 le mémoire du Gouvernement et le 12 août les prétentions des requérants au titre de l'article 50 (art. 50).

5. Ainsi qu'en avait décidé le président, les débats se sont déroulés en public le 24 septembre 1996, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

Ont comparu:

- pour le Gouvernement

M. V. Kondolaimos, assesseur auprès du Conseil
juridique de l'Etat,

délégué de l'agent, M. V. Kyriazopoulos, auditeur auprès du Conseil
juridique de l'Etat,

conseiller;

- pour la Commission

M. L. Loucaides,

délégué.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Loucaides et M. Kondolaimos.

EN FAIT

I. Les circonstances de l'espèce

A. Les demandes d'autorisation d'établir une école privée pour

l'apprentissage de langues étrangères

6. M. David Hornsby et Mme Ada Ann Hornsby sont nés au Royaume-Uni en 1937 et 1939 respectivement. Ils sont mariés et professeurs d'anglais, diplômés d'université. Ils habitent sur l'île de Rhodes.

7. Le 17 janvier 1984, la seconde requérante sollicita auprès du ministère de l'Education nationale à Athènes le permis d'établir à Rhodes une école privée (frontistirion) pour l'apprentissage de la langue anglaise (paragraphe 29 ci-dessous). Le 25 janvier, le ministère rejeta la demande au motif qu'un tel permis est accordé uniquement aux ressortissants grecs par les directions départementales de l'enseignement secondaire.

8. Le 12 mars 1984, Mme Hornsby tenta de remettre en main propre auprès de la direction de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse une nouvelle requête, mais le fonctionnaire responsable refusa d'en accuser réception. A la suite d'une plainte déposée par l'avocat de l'intéressée, ladite direction informa cette dernière, le 5 juin 1984, que, d'après la législation grecque en vigueur à l'époque, les ressortissants étrangers ne pouvaient obtenir l'autorisation d'ouvrir un frontistirion.

9. Estimant que l'invocation du critère de la nationalité comme condition de l'octroi du permis d'établir un frontistirion méconnaissait le traité de Rome du 25 mars 1957, Mme Hornsby s'adressa à la Commission des Communautés européennes qui saisit la Cour de justice des Communautés européennes. Par un arrêt du 15 mars 1988 (n° 147/86, Commission des Communautés européennes c. République hellénique), celle-ci déclara qu'"en interdisant aux ressortissants des autres Etats membres de créer des frontistiria (...), la République hellénique a[vait] manqué aux obligations qui lui incomb[ai]ent en vertu des articles 52 et 59 du traité [de la CEE]".

10. Le 1er avril 1988, Mme Hornsby réitéra sa demande auprès de la direction de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse qui fut du reste saisie d'une demande similaire envoyée séparément le même jour par M. Hornsby. Le 12 avril 1988, ladite direction rejeta les deux demandes en invoquant les mêmes motifs que dans sa réponse du 5 juin 1984 (paragraphe 8 ci-dessus).

11. Le 15 septembre 1988, le directeur de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse informa les requérants que la question de l'octroi à des étrangers du permis d'ouvrir un frontistirion était examinée par les autorités compétentes.

12. Par une lettre du 23 novembre 1988, les intéressés prièrent le premier ministre de prendre les mesures nécessaires afin d'assurer le respect de l'arrêt de la Cour de justice, du 15 mars 1988 (paragraphe 9 ci-dessus).

B. La procédure devant le Conseil d'Etat

13. Le 8 juin 1988, les requérants avaient chacun introduit devant le Conseil d'Etat un recours en annulation des décisions du directeur de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse (paragraphe 10 ci-dessus).

Par deux arrêts des 9 et 10 mai 1989 (nos 1337/1989 et 1361/1989), le Conseil d'Etat annula lesdites décisions en des termes identiques:

"(...)

Cette requête vise l'annulation de la décision (...) du
12 avril 1988 du directeur de l'enseignement secondaire de la
préfecture du Dodécanèse qui a rejeté la demande du requérant,
ressortissant anglais, sollicitant l'octroi d'une autorisation
afin d'établir un frontistirion de langues étrangères à Rhodes.

L'article 68 par. 1 de la loi n° 2545/1940 (...) dispose:
"L'autorisation d'établir un frontistirion est accordée à des
personnes physiques possédant les mêmes qualifications que celles
requises pour être nommées dans les établissements publics de
l'enseignement primaire ou secondaire et qui confèrent le droit
d'y enseigner, ou disposant de diplômes d'études équivalents."
En outre, l'article 18 par. 1 du code des fonctionnaires - dont
l'article 2 par. 3 s'applique aussi au personnel enseignant de
l'enseignement secondaire et primaire -précise que "Nul n'est
nommé fonctionnaire s'il n'a pas la nationalité hellénique." Il
ressort de ces dispositions que l'octroi à des étrangers de
l'autorisation d'établir un frontistirion de langues étrangères
est interdit.

L'article 52 du Traité du 25 mars 1957 instituant la CEE (...)
proclame la liberté d'établissement des ressortissants d'un
Etat membre sur le territoire d'un autre Etat membre en prohibant
toute discrimination fondée sur la nationalité quant à l'accès
aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que quant à
la constitution et la gestion d'entreprises. Cette disposition,
(...) est "directement applicable" depuis le 1er janvier 1981,
date de l'entrée en vigueur du Traité, sans qu'il soit nécessaire
d'adapter au préalable la législation grecque au droit
communautaire.

L'interdiction susmentionnée d'accorder une autorisation
d'établir un frontistirion de langues étrangères à des étrangers,
dans la mesure où elle concerne les ressortissants des autres
Etats membres des Communautés européennes, est contraire à
l'article 52 du Traité (arrêt n° 147/86 de la Cour de justice des
Communautés européennes, du 15 mars 1988,
Commission c. République hellénique), car elle est supprimée,
compte tenu de ce qui précède, depuis le 1er janvier 1981. Par
conséquent, l'acte attaqué - qui est fondé sur la conception
erronée selon laquelle l'interdiction litigieuse continue à
concerner tous les étrangers, sans établir une distinction entre
les ressortissants des autres Etats membres des
Communautés européennes et ceux des Etats non membres - rejetant
la demande de l'intéressé n'est pas légal et doit pour cette
raison être annulé.

La requête sous examen doit donc être accueillie.

Par ces motifs

(...)

Le Conseil d'Etat annule l'acte (...) du 12 avril 1988 du
directeur de l'enseignement secondaire de la préfecture de
Rhodes.

(...)"

14. Le 3 juillet 1989, deux associations de propriétaires de frontistirion et trois propriétaires de ces établissements à Rhodes formèrent une tierce opposition (tritanakopi) contre les arrêts nos 1337/1989 et 1361/1989 devant le Conseil d'Etat, que celui-ci repoussa le 25 avril 1991.

15. Les requérants déposèrent alors, le 8 août 1989, auprès de la direction de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse deux nouvelles demandes d'autorisation; ils y joignaient les arrêts du Conseil d'Etat et soulignaient qu'aucun autre retard pour l'octroi de celle-ci ne pouvait se justifier. Toutefois, ils ne reçurent aucune réponse.

Le 27 février 1990, l'avocat des intéressés s'adressa derechef à ladite direction.

C. La procédure devant le tribunal correctionnel de Rhodes

16. Le 28 mars 1990, les deux requérants assignèrent devant le tribunal correctionnel de Rhodes le directeur de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse ainsi que tout autre fonctionnaire responsable, en se fondant sur l'article 259 du code pénal (paragraphe 24 ci-dessous).

Le 22 octobre 1993, le tribunal correctionnel débouta les intéressés; il considéra qu'à supposer même que ledit directeur avait agi illégalement en rejetant les demandes d'autorisation, l'élément intentionnel requis par l'article 259 pour la réalisation de l'infraction faisait défaut.

D. La procédure devant le tribunal de grande instance de

Rhodes

17. Le 14 novembre 1990, les requérants saisirent le tribunal de grande instance de Rhodes d'une action en indemnisation du préjudice (articles 914 et 932 du code civil et 104-105 de la loi d'accompagnement (Eisagogikos Nomos) du code civil - paragraphe 26 ci-dessous) qu'ils estimaient avoir subi en raison du refus de l'administration de se conformer aux arrêts du Conseil d'Etat (paragraphe 13 ci-dessus): M. et Mme Hornsby réclamaient respectivement 30 025 200 et 41 109 200 drachmes pour dommage matériel et manque à gagner, ainsi que 100 000 000 drachmes pour tort moral.

18. Le 30 janvier 1992, le tribunal de grande instance de Rhodes déclara la requête irrecevable (jugement n° 32/1992) au motif que le litige qui lui était soumis relevait de la compétence des juridictions administratives.

E. La procédure devant le tribunal administratif de Rhodes

19. Le 3 juillet 1992, les intéressés engagèrent une action en dommages-intérêts contre l'Etat devant le tribunal administratif de Rhodes; ils se fondaient, entre autres, sur les articles 914 du code civil et 105 de la loi d'accompagnement du code civil. En outre, ils précisaient que l'indemnisation devrait couvrir le préjudice matériel et moral qu'ils avaient déjà subi, mais aussi celui qu'ils subiraient jusqu'au jour où l'administration leur aurait accordé le permis sollicité.

Le tribunal administratif reconnut, le 15 décembre 1995 (jugement n° 346/1995), que l'administration avait omis illégalement de donner suite à la demande d'autorisation de Mme Hornsby, du 12 mars 1984 (paragraphe 8 ci-dessus), et, après la publication des arrêts de la Cour de justice et du Conseil d'Etat (paragraphes 9 et 13 ci-dessus), de se conformer à ceux-ci. Toutefois, estimant que les requérants ne prouvaient pas de manière suffisante le dommage qu'ils prétendaient avoir subi, il ordonna un complément d'instruction.

F. Les recours devant le ministre de l'Education nationale

20. Le 20 avril 1990, les intéressés sollicitèrent l'intervention du ministre de l'Education nationale, auquel ils s'adressèrent encore les 14 janvier et 29 juillet 1991, ainsi que celle du ministre chargé de la présidence du gouvernement, le 25 octobre 1991.

21. Le 14 janvier 1993, le directeur de l'enseignement secondaire de la préfecture du Dodécanèse informa les requérants qu'il avait écrit au ministre de l'Education nationale pour demander s'il pouvait accorder l'autorisation litigieuse, compte tenu des arrêts du Conseil d'Etat du 25 avril 1991 (paragraphe 14 ci-dessus). Le 3 mai 1993, il leur notifiait qu'il avait réitéré sa démarche auprès du ministre afin de lui rappeler que deux ans s'étaient déjà écoulés depuis les arrêts susmentionnés du Conseil d'Etat et que la demande des intéressés demeurait pendante; il se référait également à trois lettres adressées antérieurement au ministre et qui étaient restées sans réponse.

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