Jurisprudence : CEDH, 13-07-2000, Req. 25735/94, Elsholz c. Allemagne

CEDH, 13-07-2000, Req. 25735/94, Elsholz c. Allemagne

A6952AWE

Référence

CEDH, 13-07-2000, Req. 25735/94, Elsholz c. Allemagne. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/1063871-cedh-13072000-req-2573594-elsholz-c-allemagne
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Cour européenne des droits de l'homme

13 juillet 2000

Requête n°25735/94

Elsholz c. Allemagne



AFFAIRE ELSHOLZ c. ALLEMAGNE

(Requête n° 25735/94)

ARRÊT

STRASBOURG

13 juillet 2000

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le recueil officiel contenant un choix d'arrêts et de décisions de la Cour.

En l'affaire Elsholz c. Allemagne,

La Cour européenne des Droits de l'Homme, siégeant en une Grande Chambre composée des juges dont le nom suit :

M. L. Wildhaber, président,

Mme E. Palm,

MM. J.-P. Costa,

L. Ferrari Bravo,

L. Caflisch,

W. Fuhrmann,

K. Jungwiert,

J. Casadevall,

B. Zupanèiè,

J. Hedigan,

Mmes W. Thomassen,

M. Tsatsa-Nikolovska,

MM. T. Panþîru,

A.B. Baka,

E. Levits,

K. Traja,

R. Maruste, juges,

ainsi que de Mme M. de Boer-Buquicchio, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 1er mars 2000 et 14 juin 2000,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. L'affaire a été déférée à la Cour, conformément aux dispositions qui s'appliquaient avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »), par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission »), le 7 juin 1999, et par un ressortissant allemand, M. Egbert Elsholz (« le requérant »), le 25 mai 1999 (article 5 § 4 du Protocole n° 11 et anciens articles 47 et 48 de la Convention).

2. A son origine se trouve une requête (n° 25735/94) dirigée contre l'Allemagne et dont le requérant avait saisi la Commission le 31 octobre 1994 en vertu de l'ancien article 25 de la Convention.

3. Le requérant alléguait que le refus de lui accorder un droit de visite à l'égard de son fils, né hors mariage, emportait violation de l'article 8 de la Convention et que, en tant que père d'un enfant né hors mariage, il avait fait l'objet d'une discrimination contraire à l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8. Sous l'angle de l'article 6 § 1, il dénonçait le manque d'équité de la procédure devant les tribunaux allemands.

4. La Commission a déclaré la requête partiellement recevable le 30 juin 1997. Dans son rapport du 1er mars 1999 (ancien article 31 de la Convention), elle formule l'avis qu'il y a eu violation de l'article 14 de la Convention combiné avec l'article 8 (quinze voix contre douze), qu'aucune question distincte ne se pose sur le terrain de l'article 8 pris isolément (quinze voix contre douze) et qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 (dix-sept voix contre dix).

5. Devant la Cour, le requérant est représenté par Me Peter Koeppel, avocat au barreau de Munich (Allemagne). Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme H. Voelskow-Thies, Ministerialdirigentin au ministère fédéral de la Justice.

6. Le 7 juillet 1999, le collège de la Grande Chambre a décidé que l'affaire devait être examinée par la Grande Chambre (article 100 § 1 du règlement de la Cour). A la suite du déport de M. G. Ress, juge élu au titre de l'Allemagne, qui avait pris part à l'examen de la cause au sein de la Commission (article 28), le Gouvernement a été invité à faire savoir s'il entendait désigner un juge ad hoc (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement). Le Gouvernement n'ayant pas répondu dans les trente jours, il a été réputé renoncer à pareille désignation (article 29 § 2 du règlement). En conséquence, M. L. Ferrari Bravo, premier juge suppléant, a remplacé M. Ress au sein de la Grande Chambre (article 24 § 5 b) du règlement).

7. Le requérant et le Gouvernement ont déposé un mémoire.

8. Après consultation de l'agent du Gouvernement et de l'avocat du requérant, la Grande Chambre a décidé qu'il n'était pas nécessaire de tenir une audience (article 59 § 2 in fine du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

9. Ressortissant allemand né en 1947, le requérant vit à Hambourg. Il est le père de C., né hors mariage le 13 décembre 1986. Le 9 janvier 1987, il a reconnu l'enfant et s'est engagé à verser des subsides pour lui, obligation dont il s'est acquitté avec régularité.

10. Depuis novembre 1985, le requérant vivait avec la mère de l'enfant et le fils aîné de celle-ci, Ch. En juin 1988, la mère quitta l'appartement avec ses deux enfants. Le requérant continua à voir son fils fréquemment jusqu'en juillet 1991. Il passa aussi à plusieurs reprises ses vacances avec les deux enfants et leur mère. Il n'y eut plus aucune visite par la suite.

11. Le requérant tenta de rendre visite à son fils avec l'aide de l'office de la jeunesse (Jugendamt) d'Erkrath agissant comme médiateur. Lorsqu'un responsable de l'office l'interrogea chez lui en décembre 1991, C. déclara qu'il ne voulait pas revoir le requérant.

12. Le 19 août 1992, ce dernier demanda au tribunal de district (Amtsgericht) de Mettmann de lui octroyer un droit de visite (Umgangsregelung) le premier samedi du mois de 13 à 18 heures. D'après le requérant, la mère l'avait empêché de voir C. parce qu'il l'avait accusée d'avoir mal surveillé l'enfant lorsque celui-ci, en juillet 1991, s'était cassé le bras par accident en jouant. A la suite de cet événement, il avait cessé les versements mensuels de 700 marks allemands (DEM) qu'il disait avoir accepté de payer à la mère, à la demande de celle-ci, en sus du montant fixé pour les subsides. La mère contesta ces affirmations du requérant, déclarant que celui-ci avait toujours été très généreux avec elle mais qu'il ne lui versait aucuns subsides.

13. A l'issue d'une audience tenue le 4 novembre 1992 et après avoir entendu C. le 9 novembre 1992, le tribunal de district rejeta la demande du requérant le 4 décembre 1992. Il observa que l'article 1711 § 2 du code civil (Bürgerliches Gesetzbuch), portant sur les contacts entre un père et son enfant né hors mariage (paragraphe 24 ci-dessous), était une dérogation qui appelait une interprétation stricte. Le tribunal compétent ne devait dès lors ordonner de pareils contacts que si cela était utile et profitable au bien-être de l'enfant. Or le tribunal a jugé que ces conditions n'étaient pas remplies dans le cas du requérant. Le tribunal constata que l'enfant avait été entendu et qu'il avait déclaré ne plus souhaiter voir son père, qui était méchant et avait battu sa mère à plusieurs reprises. La mère nourrissait également de fortes préventions contre le requérant, qu'elle avait communiquées à l'enfant, de sorte que celui-ci n'avait pas la possibilité de construire avec son père une relation libre de préjugés. Le tribunal de district conclut qu'il n'était pas favorable au bien-être de l'enfant d'avoir des contacts avec son père.

14. Le 8 septembre 1993, le requérant demanda au tribunal de district d'ordonner à la mère de consentir à ce que l'enfant et lui-même suivent une thérapie familiale et de fixer les modalités de son droit de visite, lorsque les contacts entre lui et l'enfant auraient repris avec succès.

15. Le 24 septembre 1993, l'office de la jeunesse d'Erkrath recommanda au tribunal de recueillir l'avis d'un expert psychologue sur la question du droit de visite.

16. Après avoir entendu C. le 8 décembre 1993 et les parents de celui-ci en audience le 15 décembre 1993, le tribunal de district rejeta le 17 décembre 1993 la nouvelle demande du requérant tendant à obtenir le droit de visite.

Ce faisant, le tribunal renvoya à sa décision antérieure du 4 décembre 1992 et conclut que les conditions énoncées à l'article 1711 du code civil n'étaient pas réunies. Il constata que les relations du requérant avec la mère de l'enfant étaient tellement tendues que la mise en œuvre du droit de visite ne pouvait être envisagée, car cela ne serait pas favorable au bien-être de l'enfant. Celui-ci connaissait les préventions que sa mère nourrissait à l'encontre du requérant et les avait faites siennes. Si C. devait voir le requérant contre la volonté de sa mère, il s'exposerait à un conflit de loyauté insurmontable, ce qui porterait préjudice à son bien-être. Le tribunal considéra en outre qu'il importait peu de savoir lequel des parents était à l'origine des tensions ; il accorda beaucoup d'importance à l'existence de ces vives tensions et au risque que la reprise des contacts avec le père ne perturbât le développement de l'enfant, qui s'était poursuivi jusque-là sans heurt auprès du parent qui en avait la garde. A la suite de deux longs entretiens avec l'enfant, le tribunal conclut que le développement de celui-ci serait mis en danger si les contacts avec le père devaient reprendre contre la volonté de la mère. Lors de ces entretiens, l'enfant avait qualifié son père de « méchant » ou d'« idiot », ajoutant qu'il ne voulait à aucun prix le revoir et précisant aussi « Maman dit toujours qu'Egbert n'est pas mon papa. Maman a peur d'Egbert. »

Le tribunal de district considéra de plus que les faits pertinents étaient établis de manière claire et complète aux fins de l'article 1711 du code civil. Il jugea donc inutile de consulter un expert.

17. Le 13 janvier 1994, le requérant, représenté par un avocat, forma un recours (Beschwerde) contre cette décision en demandant qu'elle fût annulée, qu'un expert fût consulté au sujet des visites et des véritables souhaits de l'enfant en la matière, et que le droit de visite fût défini en conséquence.

18. Le 21 janvier 1994, le tribunal régional (Landgericht) de Wuppertal rejeta le recours du requérant sans audience. Il indiqua en premier lieu qu'il n'était pas certain que l'appel fût recevable car le requérant avait informé le tribunal de première instance, par une lettre du 12 janvier 1994, qu'il respecterait la décision de ce tribunal et demandait de l'aide en vue de parvenir à un règlement amiable. De plus, le tribunal régional constata que les moyens d'appel invoqués ne coïncidaient pas entièrement avec la requête adressée par le requérant au tribunal de première instance.

Le tribunal régional ne trancha toutefois pas la question de la recevabilité de l'appel et décida qu'en tout état de cause, il convenait de rejeter la demande du requérant tendant à l'obtention d'un droit de visite, car l'octroi d'un tel droit ne serait pas favorable au bien-être de l'enfant. Il ne suffisait pas que ces contacts fussent compatibles avec le bien-être de l'enfant ; il fallait qu'ils fussent utiles et profitables (nützlich und förderlich) ainsi que nécessaires à l'équilibre (seelisch notwendig) de l'enfant. Quant à savoir si ces conditions étaient remplies, il fallait en décider du point de vue de l'enfant, en tenant compte de toutes les circonstances. A cet égard, il fallait notamment considérer les raisons pour lesquelles le père souhaitait avoir des contacts avec l'enfant, c'est-à-dire établir s'il était animé par des sentiments ou par d'autres facteurs. Il fallait également prendre en considération les relations entre les parents.

Suivant en cela la décision attaquée en appel, le tribunal régional jugea qu'en raison des tensions existant entre les parents, qui avaient des effets négatifs sur l'enfant, ainsi que l'avait confirmé l'audition de celui-ci les 9 novembre 1992 et 8 décembre 1993, il n'était pas dans l'intérêt supérieur de l'enfant d'avoir des contacts avec son père, d'autant moins que ces contacts avaient été interrompus pendant deux ans et demi environ. Peu importait de savoir qui était à l'origine de l'interruption de la vie commune. Ce qui comptait était qu'en l'espèce, des contacts entre le père et l'enfant auraient des conséquences négatives sur ce dernier. Pour le tribunal, cette conclusion tombait sous le sens, de sorte qu'il n'y avait aucun besoin d'obtenir l'avis d'un expert psychologue. En outre, l'article 1711 § 2 du code civil ne prévoyait nulle part qu'un enfant subisse une psychothérapie pour se préparer à une reprise des contacts avec son père. Le tribunal régional fit enfin observer qu'il n'avait pas été nécessaire d'entendre de nouveau les parents et l'enfant, car rien ne donnait à penser que pareille audition permettrait d'aboutir à des conclusions plus favorables au requérant.

19. Le 19 avril 1994, un collège de trois juges de la Cour constitutionnelle fédérale (Bundesverfassungsgericht) refusa d'examiner le recours constitutionnel (Verfassungsbeschwerde) formé par le requérant.

De l'avis de la Cour constitutionnelle, le recours ne soulevait aucune question de caractère général touchant au respect de la Constitution. En particulier, la question de savoir si l'article 1711 du code civil était compatible avec le droit à la vie familiale garanti par l'article 6 § 2 de la Loi fondamentale (Grundgesetz) ne se posait pas, car les juridictions de droit commun avaient refusé d'accorder au requérant le droit de visite qu'il demandait non seulement au motif qu'un tel droit ne serait pas bénéfique pour l'enfant mais aussi pour la raison plus puissante que l'octroi de ce droit aurait été incompatible avec son bien-être. En outre, le droit à un procès équitable n'avait pas été enfreint par le fait que le requérant n'avait pas été entendu en personne et que sa demande de consulter un expert avait été rejetée.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Le droit de la famille actuellement en vigueur

20. Les dispositions légales concernant les droits de garde et de visite sont contenues dans le code civil (Bürgerliches Gesetzbuch) allemand. Elles ont été amendées à plusieurs reprises et nombre d'entre elles ont été abrogées avec l'adoption de la nouvelle législation en matière familiale (Reform zum Kindschaftrecht) du 16 décembre 1997 (Journal officiel –Bundesgesetzblatt-BGBl 1997, p. 2942), entrée en vigueur le 1er juillet 1998.

21. L'article 1626 § 1 est ainsi libellé :

« Le père et la mère ont le droit et le devoir d'exercer l'autorité parentale (elterliche Sorge) sur leur enfant mineur. L'autorité parentale comprend la garde (Personensorge) et l'administration des biens (Vermögenssorge) de l'enfant. »

22. En vertu de l'article 1626 a § 1 du code civil, dans sa version amendée, les parents d'un enfant mineur né hors mariage exercent conjointement la garde de l'enfant s'ils font une déclaration à cet effet (déclaration sur la garde conjointe) ou s'ils se marient. Aux termes de l'article 1684, dans sa version amendée, un enfant a le droit de voir ses deux parents, qui ont chacun l'obligation d'avoir des contacts avec l'enfant et le droit de visite à son égard. De plus, les parents doivent s'abstenir de tout acte qui nuirait aux relations de l'enfant avec l'autre parent ou entraverait gravement son éducation. Les tribunaux de la famille peuvent fixer l'étendue du droit de visite et ainsi que des modalités plus précises d'exercice de ce droit, également à l'égard de tiers. Ils peuvent aussi obliger les parties à remplir leurs obligations envers l'enfant. Ces tribunaux peuvent limiter ou suspendre ce droit si cela est nécessaire au bien-être de l'enfant. Ils ne peuvent décider de limiter ou suspendre ce droit pour une longue période ou définitivement que si le bien-être de l'enfant risque autrement d'en pâtir. Ils peuvent ordonner que le droit de visite soit exercé en présence d'un tiers, tels un employé de l'office de la jeunesse ou une association.

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