Jurisprudence : CA Riom, 03-04-2024, n° 23/00317, Infirmation partielle


COUR D'APPEL

DE RIOM

Troisième chambre civile et commerciale


ARRET N°183


DU : 03 Avril 2024


N° RG 23/00317 - N° Portalis DBVU-V-B7H-F6VI

ACB

Arrêt rendu le trois Avril deux mille vingt quatre


décision dont appel : Jugement Au fond, origine Tribunal de Commerce du PUY EN VELAY, décision attaquée en date du 03 Février 2023, enregistrée sous le n° 2019J57



COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre

Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller

Madame Anne-Céline BERGER, Conseiller


En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l'appel des causes et du prononcé



ENTRE :


S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE D'AUVERGNE ET DU LIMOUSIN

immatriculée au RCS de Clermont-Ferrand sous le numéro 382 742 013

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Olivier TOURNAIRE de la SELARL TOURNAIRE - MEUNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND


APPELANTE


ET :


M. [Z] [U]

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentants : Me Iadine AURATUS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et Me Frédéric BONY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND


M. [R] [U]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentants : Me Iadine AURATUS, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND et Me Frédéric BONY, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND


INTIMÉS


DEBATS : A l'audience publique du 14 Février 2024 Madame [Aa] a fait le rapport oral de l'affaire, avant les plaidoiries, conformément aux dispositions de l'article 785 du CPC. La Cour a mis l'affaire en délibéré au 03 Avril 2024.


ARRET :

Prononcé publiquement le 03 Avril 2024, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛 ;

Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Exposé du litige :


M. [R] [U] et M. [Ab] [U] sont associés et dirigeants de la SARL [U] dont l'activité consiste en la fabrication de palettes en bois et négoce, broyage de plastiques, location de conteneurs et de la SARL DJAE, spécialisée dans l'acquisition et la location de biens immobiliers.


La SARL DJAE a été constituée le 1er février 2014 notamment pour abriter les nouveaux locaux de la SARL [U], contrainte de déménager pour des raisons environnementales.


La SARL DJAE a souscrit le 10 novembre 2014 un contrat de prêt n° 4357144 d'un montant de 730'000 euros sur 144 mois auprès de la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin (la SA CEPAL) pour l'acquisition de deux bâtiments à usage de bureaux et cinq bâtiments à usage d'atelier de stockage avec terrain à [Localité 7].


Par acte du même jour, [Z] [U] et M. [R] [U] s'engageaient chacun en qualité de caution solidaire de la SARL DJAE dans la limite de 237'250 euros pour une durée de 180 mois.


Ce contrat de prêt était assorti de l'intervention d'une garantie BpiFrance.


Le 11 décembre 2017, la SA CEPAL adressait à la SARL DJAE et à MM [Ac] une mise en demeure de payer les échéances du prêt d'un montant de 25'711,89 euros.


Cette mise en demeure étant restée infructueuse, la SA CEPAL a prononcé la déchéance du terme par courrier du 19 janvier 2018 pour un montant de 667'040,50 euros.


Par jugement du tribunal de commerce du Puy-en-Velay du 30 mai 2018, la SARL DJAE était placée en redressement judiciaire qui a été converti en liquidation judiciaire par jugement du 27 juillet 2018. La SA CEPAL a régulièrement déclaré sa créance par correspondance du 27 juin 2018 puis du 27 septembre 2018. Sa créance, selon correspondance du tribunal de commerce du Puy-en-Velay du 13 mai 2019, a été admise à titre privilégiée pour la somme de 689'338,30 euros.


La SA CEPAL a assigné MM. [U], par acte du 18 septembre 2019, devant le tribunal de commerce du Puy-en-Velay afin d'obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 190'608,72 euros, outre intérêts au taux contractuel majoré à compter du 19 janvier 2018.



Par jugement contradictoire du 3 février 2023, le tribunal de commerce du Puy-en-Velay a:

- prononcé la nullité des actes de cautionnement signés par MM [Ac] le 10 novembre 2014 ;

- débouté la SA CEPAL de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la SA CEPAL à payer à M. [Ab] [U] la somme de 2 000 euros et à M. [R] [U] la somme de 2 000 euros en application de l' article 700 du code de procédure civile🏛 ;

- condamné la SA CEPAL aux dépens.


Le tribunal a principalement constaté l'absence de démonstration de l'obligation d'information aux cautions incombant à la SA CEPAL en application de l'article L.313-22 du code monétaire et financier🏛 et a prononcé la déchéance des intérêts échus. Il a ensuite prononcé la nullité des actes de cautionnement sur le fondement de l'article 1132 du code civil🏛 et 650-1 du code de commerce, en jugeant, d'une part, que les cautions étaient insuffisamment informées sur l'étendue des garanties fournies par Bpifrance et, d'autre part, que la banque a commis une immixtion fautive dans la gestion des SARL [U] et DJAE. Il a ensuite considéré que les revenus et patrimoines de MM [Ac] étaient manifestement disproportionnés lors de leur engagement de caution au moment de la signature des actes de cautionnement et au jour où les cautions ont été appelées.



Par une déclaration faite par voie électronique le 21 février 2023, la SA CEPAL a interjeté appel de ce jugement.


Aux termes de ses conclusions déposées par voie électronique le 28 décembre 2023, l'appelante, au visa des articles L. 611-4 à L. 611-12, L.622-28, L.650-1 du code de commerce🏛🏛🏛🏛, 1132, 1240, 1244-1, 1 347, 1362 du code civil et L. 313-22 du code monétaire et financier, demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce du Puy-en-Velay du 3 février 2023 et statuant à nouveau :

- juger infondées les demandes sur le fondement de l'article 1 132 du code civil🏛 ;

- juger que les conditions de l'article L.650-1 du code de commerce ne sont pas remplies ;

- débouter, en conséquence, MM. [U] de leurs demandes en nullité des engagements de caution ;

- juger que la disproportion des engagements de caution n'est pas démontrée par les débiteurs ;

- débouter, en conséquence, MM. [U] de leurs demandes fondées sur la disproportion de l'engagement de caution ;

- juger qu'elle n'a commis aucune faute lors de l'octroi du contrat de prêt litigieux ;

- débouter, en conséquence, MM. [U] de leur demande tendant à sa condamnation à leur verser chacun la somme de 190 608,72 euros à titre de dommages et intérêts;

- si par impossible la cour retenait une faute de la banque réduire à de plus justes proportions)la demande de dommages et intérêts de MM. [U];

- ordonner la compensation entre les sommes dues à chaque partie ;

- juger que les cautions ont reçu l'information annuelle ;

- en conséquence, les débouter de leur demande de déchéance du droit aux intérêts;

- rejeter toute demande de délai de paiement ;

- en tout état de cause, condamner MM. [U] à lui payer la somme de 190 608,72 euros au titre de son engagement de caution du 10 novembre 2014 avec intérêt au taux contractuel, à compter de l'envoi de la mise en demeure du 11 décembre 2017 ;

- faire application de l'article 1343-2 du code civil🏛, pour toute somme due au delà d'un an, à compter du 11 décembre 2017.

- condamner solidairement MM. [U] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner MM. [U] aux dépens de l'instance.


La SA CEPAL soutient principalement que :

- dès lors que les cautions ont eu connaissance des conditions générales comme en atteste leur paraphe, elles ne sont pas fondées à se prévaloir d'un défaut d'information quant au caractère subsidiaire de la garantie Bpifrance financement ;

- en l'absence de preuve par les cautions d'un concours fautif de la banque et d'une immixtion caractérisée de la banque dans la gestion de la SARL DJAE la nullité des actes de cautionnement ne peut être prononcée sur le fondement de l'article L.650-1 du code de commerce ;

- au regard de la fiche confidentielle remplie par les cautions et de la valeur des parts sociales détenues par elle lors de l'engagement de caution dans les sociétés DJAE et [U], leur engagement n'était pas disproportionné à leurs biens et revenus ;

- l'article 1240 du Code civil🏛 est inapplicable en l'espèce s'agissant d'un contrat de caution et, en tout état de cause, il n'est pas démontré par MM. [U] l'existence d'une faute, d'un dommage et d'un lien de causalité entre la faute et le dommage ;

- les pièces produites établissent que les cautions ont été informées jusqu'en 2018 et que la déchéance du terme ayant été prononcée le 19 janvier 2018, il n'y avait pas lieu à information annuelle des cautions en 2019 ;

- cinq années s'étant écoulées depuis la déchéance du terme, MM [Ac] ne sont pas fondés à solliciter des délais de paiement.


Par conclusions déposées le 29 décembre 2023, MM. [U] demandent à la cour, au visa des dispositions de l'article 1110 ancien, devenu 1132 du code Civil🏛, L343-4 code de la consommation🏛, L. 650-1 du code de commerce, 1240 du code civil ou subsidiairement les dispositions des articles 1104 et 1231-1 et suivants du même code de :


- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel, rendu le 03 février 2023 par le tribunal de commerce du Puy-en-Velay ;

- subsidiairement, constater que la SA CEPAL a commis une faute à leur préjudice et la condamner à leur payer la somme de 190 608,72 euros chacun au titre du montant effectif de leur préjudice ;

- ordonner la compensation entre les sommes dues au titre des actes de cautionnement litigieux et l'indemnisation due par la SA CEPAL à leur profit ;

- débouter, en conséquence, la SA CEPAL de l'intégralité de ses demandes .

- à titre infiniment subsidiaire, prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la SA CEPAL pour défaut d'information annuelle de la caution, et ce pour l'ensemble des intérêts ayant été facturés depuis la souscription des deux actes de cautionnement du 10 novembre 2014 ;

- avant dire droit, condamner, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, la SA CEPAL à produire aux débats un décompte expurgé de tous frais, intérêts, indemnités ou pénalités, remontant à la souscription du cautionnement, ainsi que l'ensemble des relevés bancaire justifiant leurs montants respectifs depuis cette date ;

- à défaut de production du décompte, débouter la SA CEPAL de l'intégralité de ses demandes, la créance sollicitée n'étant pas liquide ;

- à titre plus qu'infiniment subsidiaire, dire et juger n'y avoir lieu à application d'intérêts sur le principal restant dû au visa des dispositions de l'article 1244-1 du code civil🏛 ;

- leur accorder les plus larges délais de paiement ;

- en toute hypothèse, débouter la SA CEPAL de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner la SA CEPAL à leur payer chacun la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre celle déjà allouée en première instance, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SA CEPAL aux dépens, en ceux compris ceux de première instance et d'appel.


MM. [U] font valoir principalement que :

- ils ne connaissaient pas la portée du montant de leur engagement, ni celui de la BPIFRANCE

de sorte qu'ils sont fondés à solliciter la nullité de l'engagement de caution dont se prévaut la SA CEPAL ;

- subsidiairement les actes de cautionnement litigieux doivent être considérés comme étant disproportionnés lorsqu'ils ont été signés au regard du formulaire de renseignements remplis par eux préalablement à la souscription de l'engagement et lorsque l'établissement bancaire les a actionnés dans le cadre de la présente procédure;

- à titre infiniment subsidiaire, que la SA CEPAL a soutenu artificiellement les débiteurs emprunteurs par des crédits ruineux, situation qu'elle connaissait, qui les a conduits dans une situation irrémédiablement compromise et a commis une immixtion fautive dans la gestion des sociétés justifiant l'annulation des deux actes de cautionnement ;

- la SA CEPAL n'a pas respecté son obligation d'information et sera donc déchue à titre infiniment subsidiaire de son droit à intérêts.


Il sera renvoyé pour l'examen complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.


L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2024.



Motifs de la décision :


Sur la nullité des engagements de caution :


- sur le fondement d'un vice du consentement :


L'article 1110 ancien, devenu article 1132 du code civil, dispose que l'erreur de droit ou de fait, à moins qu'elle en soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu'elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant.


En application de ce texte, la banque est tenue d'une obligation d'information qui a pour seul objet d'instruire le cocontractant des éléments lui permettant d'agir en connaissance de cause.


En l'espèce, la cour relève que MM. [U] ont eu communication des conditions générales de la garantie Bpifrance lesquelles précisent en leur article 2 que « la garantie ne bénéficie qu'à l'établissement intervenant. Elle ne peut en aucun cas être invoquée par les tiers, notamment par le bénéficiaire et ses garants pour contester tout ou partie de leur dette ». L'article 10 précise que « lorsqu'il est constaté en accord avec BPI France financement que toutes les poursuites utiles ont été épuisées, BPI France financement règle la perte finale et lesdits intérêts, au prorata de sa part de risque ». Ces conditions générales ont été paraphées par les deux cautions.


Il en résulte que MM. [U] ont été informés du mécanisme de la garantie BPI France, dont il ressort le caractère subsidiaire et dans l'intérêt exclusif du prêteur.


En tout état de cause, l'engagement de caution de MM. [U] , qui ne fait quant à lui aucunement référence à la garantie Bpifrance, mentionne expressément qu'ils se portent 'caution de DJAE dans la limite de 237 250 euros couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de 180 mois'. MM. [U] ne sont donc pas fondés à soutenir qu'ils ignoraient le montant de leur engagement.


Ainsi, dès lors que MM. [U] se sont engagés solidairement en renonçant au bénéfice de discussion et qu'ils avaient été informés que la garantie BPI ne bénéficiait qu'à la banque, ils ne peuvent soutenir que leur consentement aurait été vicié par une erreur.


Au demeurant, ils n'établissent ni même n'allèguent en quoi le caractère non subsidiaire de la garantie BPI France aurait été une condition déterminante de leur engagement.


Il y a donc lieu , infirmant le jugement de première instance, de rejeter leur demande de nullité de cet engagement.


- sur le fondement de l'article L. 650-1 du code de commerce :


L'article L. 650-1 du code du commerce dispose que lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ces concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.


Il est admis en jurisprudence que les dispositions de l'article 650-1 du code du commerce s'appliquent à la caution.


MM. [U] affirment que la banque avait connaissance des difficultés financières de la société DJAE lors de l'octroi du prêt. Cependant, force est de constater que les consorts [Ac] ne produisent aux débats aucune pièce établissant cet élément. À cet égard, il convient de relever que cette société a été créée le 1er février 2014, soit très peu de temps avant l'engagement de cautionnement du 10 novembre 2014 et que, au regard des pièces transmises, les difficultés de la société sont apparues à compter de 2018, date de l'ouverture d'une procédure de conciliation par le tribunal de commerce du Puy-en-Velay.


Par ailleurs, MM. [U] reprochent à la banque d'avoir refusé une demande de prêt à la société afin de financer le déménagement de la totalité des machines de la SARL [U] dans les nouveaux locaux de la SARL DJAE la privant ainsi de 50 % de son activité. Néanmoins, le seul fait d'avoir refusé un crédit suffisant pour permettre l'ensemble du déménagement de la production ne permet pas d'établir une immixtion fautive de la banque. En outre, MM. [U] n'établissent pas qu'ils auraient alerté la banque sur la nécessité vitale d'obtenir un crédit pour déplacer les deux lignes de production et le risque pour leur activité professionnelle en cas d'octroi d'un concours financier insuffisant.


Dès lors, il n'est pas caractérisé d'immixtion fautive dans la gestion des SARL [U] et DJAE et le jugement qui a annulé les actes de cautionnement sur le fondement de l'article L.650-1 du code du commerce sera, en conséquence, infirmé.


Sur la disproportion des engagements de caution :


Suivant les dispositions de l'article 2288 du code civil🏛, le cautionnement est le contrat par lequel une caution s'oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci.


En vertu de l'article L.341-4 du code de la consommation🏛 en vigueur à la date de la signature du cautionnement litigieux, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.


Il résulte de ces dispositions que la disproportion doit être manifeste, c'est-à-dire flagrante ou évidente pour un professionnel raisonnablement diligent. La disproportion s'évalue en fonction de tous les éléments du patrimoine et pas seulement des revenus de la caution.


La caution supporte, lorsqu'elle invoque, la charge de la preuve que son engagement de caution était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus.


Lorsque le créancier a recueilli les renseignements patrimoniaux auprès de la caution par le biais d'une fiche de renseignements, la disproportion s'apprécie au vu des déclarations de la caution dont le créancier, en l'absence d'anomalie apparente, n'a pas à vérifier l'exactitude (Cass.com.21 septembre 2022, n°21-12.218⚖️).


En l'espèce, MM. [U], en leur qualité de cogérant de la SARL DJAE, se sont portés cautions solidaires de la SARL DJAE en vertu d'un acte sous seing privé en date du 10 novembre 2014 à hauteur de la somme de 237'250 euros pour une durée de 180 mois.


La banque produit deux fiches patrimoniales datées du 16 octobre 2014 contemporaines de leur engagement de caution.

M. [R] [U] a indiqué être célibataire avec deux enfants à charge de 20 et 14 ans et être chef d'entreprise de la SARL [U] dont il détient 50 % du capital pour une rémunération de 3000 euros par mois. Il a précisé être propriétaire en usufruit d'une ferme dans le département 43 d'une valeur vénale de 200'000 euros.

M. [Ab] [U] a indiqué être célibataire avec deux enfants à charge de 16 et 9 ans et également être chef d'entreprise de la SARL [U] dont il détient 50 % du capital pour une rémunération de 3000 euros par mois. Il a aussi déclaré être propriétaire en usufruit d'une ferme dans le département 43 d'une valeur vénale de 200'000 euros.


La SA CEPAL soutient que suivant une enquête CODIV en date du 4 juin 2018 elle établit que 'M. [R] [U] est également propriétaire d'un appartement à [Localité 8] ainsi que de parcelles sur la commune de [Localité 6] et que M. [Ab] [U] est également propriétaire avec Mme [C] d'une maison à [Localité 1].


Cependant, cette enquête réalisée par la banque n'est pas contemporaine de l'engagement des cautions et les éléments qu'elle contient ne sauraient être retenus.


Au vu de ces déclarations, la situation d'indivision et d'usufruit sur le bien immobilier déclarée par chaque caution constituait une anomalie apparente et il appartenait à la banque de retracer l'exacte situation patrimoniale de chaque caution sur le bien immobilier.


Ainsi, M. [R] [U] disposait lors de son engagement d'un revenu annuel de 36'000 euros. Il était propriétaire d'un bien immobilier qui doit être évalué, compte tenu de la situation d'indivision déclarée, a minima à la moitié de sa valeur soit 100'000 euros. Il convient également de tenir compte de la valeur des parts sociales détenu à hauteur de 50 % soit pour la SARL DJAE la somme de 2'500 euros et pour la SARL [U] la somme de 25'000 euros. Dès lors, son patrimoine et ses revenus annuels qui s'élevaient à la somme de 103'500 euros ne lui permettaient pas de s'engager à hauteur de 237'250 euros. Le cautionnement, au jour de sa souscription le 10 novembre 2014, était manifestement disproportionné.


De son côté, M. [Z] [U] disposait, lors de son engagement, d'un revenu annuel de 36'000 euros. Au titre de son patrimoine, il disposait également d'un bien immobilier qui doit être évalué à a minima à 100 000 euros et des parts des deux SARL pour un montant de 2500 euros et 25'000 euros soit une somme de 103'500 euros au titre de son patrimoine et de ses revenus annuels. Il ne pouvait donc également s'engager à hauteur de 237 250 euros. Son cautionnement, au jour de sa souscription le 10 novembre 2014, sera également jugé manifestement disproportionné.


Il convient, dans un second temps, de déterminer si le patrimoine des cautions, au moment où celles-ci sont appelées, leur permettait de faire face à leur obligation. Il appartient à la banque de rapporter la preuve que le patrimoine des cautions est, au jour où les cautions sont appelées, suffisant pour exécuter l'obligation de règlement.


En l'espèce, M.M. [U] ont été assignés en paiement le 18 septembre 2019 à la somme de 190'608,72 euros.


La SA CEPAL fait valoir qu'au jour de l'assignation les revenus et le capital des cautions leur permettaient de faire face à leur engagement de caution de190 608 euros dès lors que, outre les éléments mentionnés dans leur fiche personnelle de caution, M. [R] [U] possède un appartement à [Localité 8] (42) et M. [Ab] [U] une maison en indivision avec sa compagne à [Localité 1] (43) selon les rapports d'investigation qu'elle a fait diligenter (pièces 20et 26).


Néanmoins, la banque ne rapporte aucune évaluation ou élément d'appréciation de la valeur des biens immobiliers à [Localité 8] et à [Localité 1] établissant que les cautions ont un patrimoine suffisant pour répondre à leur engagement.


En outre, il convient de relever que cette enquête établit également s'agissant de l'ensemble immobilier situé à [Localité 6], que MM. [U] sont propriétaires indivis de ce bien avec d'autres membres de leur famille de sorte que, pour chacun d'eux , seule une valeur de 40 000 euros correspondant à leur part peut être retenue au titre de ce bien.


Dans ces conditions, la banque n'établit pas que la situation des débiteurs au jour où ils ont été appelés leur permettait de faire face au paiement des sommes réclamées.


La sanction du caractère manifestement disproportionné de l'engagement des cautions est l'impossibilité pour le créancier professionnel de se prévaloir de cet engagement.


Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a jugé disproportionnés les engagements de caution de MM. [U] et a débouté la SA CEPAL de sa demande en paiement afférente.


Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :


Succombant en partie à l'instance, la SA CEPAL sera condamnée aux dépens ainsi qu'à payer à MM. [U] la somme de 800 euros chacun.



PAR CES MOTIFS,


La cour après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction ;


Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité des actes de cautionnement;


Confirme le jugement pour le surplus ;


Condamne la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin à payer à M. [R] [U] et à M. [Ab] [U] chacun la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;


Condamne la SA Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin aux dépens d'appel.


Le Greffier La Présidente

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