Jurisprudence : Cass. crim., 31-01-1995, n° 92-86.559, Cassation partielle

Cass. crim., 31-01-1995, n° 92-86.559, Cassation partielle

A2088AAL

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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION
Cass. crim.
31 Janvier 1995
Pourvoi N° 92-86.559
consorts ... et consorts ...
CASSATION PARTIELLE sur les pourvois formés par les consorts ... et les consorts ... contre l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, 4e chambre, en date du 24 novembre 1992, qui, sur renvoi après cassation, dans la procédure suivie, d'une part contre Z, A, B, C, D, E, F, d'autre part contre G, H, A, la société Groupe Progrès, la société Serp, des chefs de diffamations publiques envers la mémoire d'un mort, injures publiques envers la mémoire d'un mort, et complicité de ces délits, a relevé la nullité partielle des citations introductives d'instance, déclaré prescrites les actions publique et civile engagées par une citation, et dit le tribunal correctionnel de Montpellier territorialement incompétent pour connaître de l'autre citation.
LA COUR,
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 33, 34 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré nulle la citation délivrée le 13 juillet 1990 en ce qui concerne les imputations d'injures publiques des pages 124, 126 et 127 du livre Ces enfants qui nous manquent et en conséquence, prescrites l'action publique et l'action civile concernant ces imputations ;
" au motif que la citation ne précisait pas quels extraits du livre seraient des injures publiques envers la mémoire d'un maire et quels extraits seraient des injures envers la mémoire d'un simple particulier ;
" alors que satisfait aux prescriptions de l'article 53 précité la citation qui, après avoir fait référence aux pages incriminées d'un livre, précise la qualification légale des faits ainsi dénoncés et indique les textes correspondants, énonce que les passages en cause contiennent des injures dirigées contre la mémoire d'un mort, chargé d'un mandat public, en même temps que simple particulier ; qu'il n'est pas nécessaire, s'agissant surtout de faits pouvant recevoir plusieurs qualifications, que la citation précise ceux des passages considérés comme injurieux vis à vis de la personne chargée d'un mandat public et ceux tenus pour injurieux vis à vis d'un simple particulier ; qu'il suit de là qu'en déclarant nulle la citation, qui visait expressément les extraits du livre, qualifiait les infractions et se référait aux textes applicables, au motif qu'elle avait omis de préciser quels extraits seraient des injures publiques envers la mémoire d'un maire et quels extraits seraient des injures publiques envers la mémoire d'un simple particulier, l'arrêt attaqué a violé les dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 " ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 33, 34 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 1382 du Code civil, 593 du Code de procédure pénale
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré prescrites l'action publique et l'action civile concernant le livre Ces enfants qui nous manquent et débouté les consorts ... de leurs demandes ;
" au motif que dès la fin de janvier 1990, le livre était mis à la disposition du public en vue de la vente en divers points du territoire national, de sorte que la citation du 12 juillet 1990 était tardive, la prescription étant, en l'occurrence, de 3 mois ;
" alors qu'une publication confidentielle ou clandestine ne saurait faire courir le délai de prescription, pas plus qu'une livraison aux libraires ; que les parties civiles produisaient des constats et documents établissant qu'au moins dans une importante région de France, qui était précisément celle où elles habitaient, le livre n'avait pas été mis à la disposition du public avant le mois de mai 1990 ; qu'il appartenait aux juges du fond de s'expliquer sur ces éléments de preuve, dès lors que la mise d'un livre à la disposition de quelques lecteurs par un nombre restreint de libraires ne saurait être tenue pour une diffusion dans le public susceptible de faire courir le délai de prescription ; que la référence à la vente par deux libraires parisiens et à l'achat par cinq lecteurs ne constituait pas une réponse au moyen ainsi proposé et, eu égard aux conclusions dont la Cour était saisie, n'était pas de nature à justifier légalement la décision attaquée en ce qu'elle a déclaré prescrites les actions publique et civile concernant le livre " ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que par actes d'huissier des 12, 13 et 16 juillet 1990, dix-huit consorts ... et ..., agissant en qualité d'héritiers de Henri ..., ancien maire d'Izieu, ont fait assigner devant le tribunal correctionnel de Montpellier, sous la prévention de diffamation publique envers la mémoire d'un citoyen chargé d'un mandat public, injures publiques envers la mémoire d'un citoyen chargé d'un mandat public et envers la mémoire d'un particulier, complicité de ces délits, Z, éditrice, A, auteur d'un livre intitulé Ces enfants qui nous manquent, B, imprimeur, C, D, E, F, responsables de librairies, en raison de l'imputation faite dans l'ouvrage à Henri ... d'avoir dénoncé au préfet du département, pendant l'occupation allemande, la présence, dans une colonie de vacances d'Izieu, d'enfants juifs qui ont été ensuite victimes d'une rafle ;
Attendu que pour annuler partiellement la citation, en application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, du chef d'injures publiques envers la mémoire d'un mort, la cour d'appel relève que les mêmes passages, incriminés sur le fondement des articles 33 et 34 de la loi précitée, ne pouvaient être qualifiés à la fois d'injures envers la mémoire d'un citoyen chargé d'un mandat public, au sens de l'alinéa 1er de l'article 33 de ladite loi, et d'injures envers la mémoire d'un particulier, au sens du second alinéa du même article ;
Attendu que pour déclarer prescrites les actions publique et civile ainsi engagées, la cour d'appel, se fondant sur une attestation du Centre de diffusion de l'édition, des attestations de libraires, des attestations de lecteurs, ainsi que des encarts publicitaires, constate que le livre litigieux a été mis à la disposition du public en vue de la vente en divers points du territoire national, dès la fin du mois de janvier 1990 ; que les juges en déduisent que la prescription de 3 mois, prévue par l'article 65 de la loi susvisée, était acquise lors de la délivrance du premier exploit introductif d'instance ;
Attendu que par ces constatations et énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;
Que, d'une part, une expression unique ne peut recevoir plusieurs qualifications pénales de nature et de gravité différentes, qu'à la condition qu'il n'en résulte aucune incertitude dans l'esprit du prévenu sur l'objet de la poursuite ; que tel n'a pas été le cas en l'espèce ;
Que, d'autre part, en matière d'infraction à la loi sur la presse, il appartient aux juges du fait, pour fixer le point de départ de la prescription, de déterminer, d'après les circonstances de la cause, la date du premier acte de publication par lequel le délit est consommé ; que la mise de l'écrit à la disposition du public, en un lieu quelconque, fait courir le délai prévu par l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, indépendamment du domicile des victimes, et de l'ampleur de la distribution ;
D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;
Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 34, 35 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 381, 382 et suivants du Code de procédure pénale, 1382 du Code civil, et 593 du Code de procédure pénale
" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a dit le tribunal correctionnel de Montpellier incompétent rationae loci pour statuer sur les poursuites concernant l'article paru dans le groupe Progrès de Lyon le 20 avril 1990 et débouté les consorts ... de leurs demandes ;
" aux motifs qu'il n'était pas établi que dans le mois de la parution de l'article le journal ait été diffusé dans l'arrondissement de Montpellier et ainsi porté à la connaissance d'un public même restreint et que la connexité ne pouvait être retenue avec la poursuite dirigée contre le livre Ces enfants qui nous manquent, puisque l'action publique était prescrite et qu'il n'y avait pas ensemble indivisible ;
" alors, d'une part, que l'arrêt attaqué constate que deux lecteurs habitant Montpellier recevaient le journal pendant l'année 1990 ; que ce journal était aussi effectivement distribué dans cet arrondissement, dès lors que le service du journal était assuré par abonnements aux lecteurs de la région et que, même si le nombre des abonnés était limité, la publication était portée à la connaissance du public ; qu'il suit de là qu'en déclarant le tribunal correctionnel de Montpellier incompétent, l'arrêt attaqué n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qu'elles comportaient et n'a pas légalement justifié sa décision ;
" alors, d'autre part, que l'arrêt attaqué, eu égard aux conclusions dont la cour d'appel était saisie et qui sont demeurées sans réponse, n'a pas valablement justifié sa décision quant à la prescription de l'action publique concernant le livre ;
" et alors, enfin, qu'il résulte des constatations des juges du fond que l'article incriminé avait été écrit à propos du livre et contenait un commentaire du livre par l'auteur de celui-ci ; que dès lors, l'article n'étant que la suite et la conséquence de l'ouvrage sans lequel il n'aurait pas été publié, l'article et le livre constituaient un ensemble indivisible et, en tout cas, avaient entre eux des rapports nécessaires ; qu'en déclarant le tribunal correctionnel de Montpellier incompétent, l'arrêt attaqué n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales qu'elles comportaient et a violé les articles 381 et 382 du Code de procédure pénale " ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que le délit de diffamation ou d'injure perpétré par la voie de la presse écrite est réputé commis partout où l'écrit a été publié ; que la publicité est réalisée par la distribution d'un journal à ses abonnés, en quelque lieu qu'ils se trouvent ;
Attendu que lorsque la juridiction correctionnelle a été régulièrement saisie de deux infractions, dont l'une n'a pu lui être déférée qu'en raison de sa connexité avec l'autre, elle reste compétente pour statuer sur l'action publique et l'action civile, afférentes à cette infraction connexe, alors même que, pour le reste de la poursuite, l'action publique se trouve éteinte ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que les consorts ... et ... ont, par exploits des 11, 13 et 16 juillet 1990, fait citer directement devant le tribunal correctionnel de Montpellier G, directeur de la publication du journal Le Progrès de Lyon, H, journaliste, A, écrivain, les sociétés groupe Progrès et Serp, sous la prévention de diffamation publique envers la mémoire d'un citoyen chargé d'un mandat public, en visant les articles 31 et 34 de la loi du 29 juillet 1881 ; que la citation a incriminé un article intitulé " Izieu ou la mémoire perdue ", publié en page 11 du journal Le Progrès de Lyon en date du 20 avril 1990, sous la signature de H, et rendant compte de la parution du livre de A, Ces enfants qui nous manquent ; que la citation a articulé le passage suivant de l'article, rapportant les propos tenus par A
" J'ai retrouvé les trois délateurs X le maire, réélu ensuite à la quasi-unanimité après la guerre sa dénonciation n'a pas eu d'effet car le sous-préfet avait détruit sa lettre " ;
Attendu que par jugement du 25 septembre 1990, le tribunal correctionnel a, en raison de leur connexité, joint cette citation à celle qui avait été délivrée par les mêmes parties civiles notamment à Z et A ;
Attendu que, pour infirmer le jugement du 22 janvier 1991 ayant prononcé la nullité des citations délivrées à G et H, et déclaré A coupable de complicité de diffamation envers la mémoire d'un mort, la cour d'appel, après avoir admis à juste raison la validité des citations, a fait droit à l'exception d'incompétence territoriale régulièrement soulevée par les prévenus ; que les juges relèvent que l'arrondissement de Montpellier n'est pas situé dans la zone de diffusion habituelle du journal Le Progrès de Lyon, et que si les pièces produites par les parties civiles établissent la présence de deux abonnés du journal à Montpellier en 1990, il n'en ressort pas qu'en avril 1990, mois de parution de l'article litigieux, ce journal ait bien été diffusé dans l'arrondissement de Montpellier et ainsi porté à la connaissance d'un public même restreint ; que l'arrêt ajoute que la connexité ne peut être retenue avec la poursuite dirigée contre le livre d'A, puisque l'action publique est prescrite à cet égard, et que les deux poursuites ne forment pas entre elles un ensemble indivisible au sens de l'article 382 du Code de procédure pénale ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré de ses constatations les conséquences légales, a méconnu les principes ci-dessus rappelés ;
Que la cassation est encourue de ce chef, et qu'en l'absence de pourvoi du ministère public, elle doit être limitée aux intérêts civils ;

Par ces motifs
CASSE ET ANNULE l'arrêt de la cour d'appel de Lyon, en date du 24 novembre 1992, mais seulement en celles de ses dispositions concernant l'action civile dirigée contre G, H, A, les sociétés Groupe Progrès et Serp, en raison de l'article publié dans le journal Le Progrès de Lyon du 20 avril 1990, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble.

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