Jurisprudence : CA Lyon, 14-09-2023, n° 18/04457, Infirmation partielle

CA Lyon, 14-09-2023, n° 18/04457, Infirmation partielle

A33511M3

Référence

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N° RG 18/04457 - N° Portalis DBVX-V-B7C-LYTV


Décision du Tribunal de Commerce de BOURG EN BRESSE du 06 octobre 2017


RG : 2016003488


[G]


C/


Société [W] [G]


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE LYON


3ème chambre A


ARRET DU 14 Septembre 2023



APPELANT :


M. [Aab] [G]

né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]


Représenté et plaidant par Me Pierre-Marie DURADE-REPLAT de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 794


INTIMEE :


S.A [W] [G] (devenue la société SAICA EL) agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Adresse 3]


Représentée par Me Romain LAFFLY de la SELARL LAFFLY & ASSOCIES - LEXAVOUE LYON, avocat au barreau de LYON, toque : 938, postulant et ayant pour avocat plaidant Me Paul BUISSON, avocat au barreau du VAL D'OISE


* * * * * *


Date de clôture de l'instruction : 03 Juin 2020


Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Mars 2023


Date de mise à disposition : 14 Septembre 2023


Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Patricia GONZALEZ, présidente

- Marianne LA-MESTA, conseillère

- Aurore JULLIEN, conseillère


assistées pendant les débats de Clémence RUILLAT, greffière


A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile🏛.


Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,


Signé par Patricia GONZALEZ, présidente, et par Clémence RUILLAT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


* * * *



EXPOSÉ DU LITIGE


La SA [W] [G] (ci-après la société [W] [G]), ayant pour activité la fabrication de papiers, cartons et emballages, a successivement été :

- une SA avec directoire et conseil de surveillance de 1975 à 2002,

- une SAS à directoire et conseil de surveillance de 2002 à 2007,

- une SAS à conseil d'administration entre 2007 et 2016,

- une SA à conseil d'administration depuis 2016.


La société [W] [G] est détenue à 99,99% par la SA Holding [R]. Depuis 2009, le capital de la société [R] est détenu à hauteur de 17% par la famille [G], 20% par la famille [W], 53% par le fonds d'investissement First Eagle et 10% par des petits actionnaires.


M. [Aa] [G] a intégré la société [W] [G] le 1er décembre 1973 en qualité de cadre administratif, avant de devenir directeur administratif et financier (1975 - 1980), puis directeur général et membre du directoire (1980 - 1995), président du directoire (1995 - 2007), président directeur général (2007 - 2009) et enfin président (2009 - 2011).


Le 2 décembre 2011, M. [G] a été révoqué de ses fonctions de président de la société [W] [G] par le conseil de la société.


Le 23 décembre 2011, M. [Ab] a été licencié pour faute grave.


Il a saisi le conseil des prud'hommes de Lyon le 22 février 2012 pour contester ce licenciement et solliciter l'indemnisation de la rupture de son contrat de travail.


Par jugement du 11 juillet 2013, le conseil des prud'hommes de Lyon a dit :

- qu'il existait un contrat de travail entre M.[G] et la société [W] [G],

- que ce contrat de travail a été conclu le 1er décembre 1973, modifié par un avenant du 31 mai 1995, puis suspendu entre le 31 mai 1995 et le 2 décembre 2011 et réactivé le 3 décembre 2011,

- qu'il y avait lieu de rouvrir les débats sur le fond à une date qui serait communiquée ultérieurement aux parties.


En parallèle, par acte extrajudiciaire du 6 novembre 2013, M. [G] a assigné la société [W] [G] devant le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse aux fins d'obtenir sa condamnation à lui verser la somme de 700.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices professionnels et personnels consécutifs à la révocation de son mandat de président sans juste motif, mais pour un motif disciplinaire, ainsi qu'à faire publier le jugement à ses frais et à lui régler une indemnité de procédure.


Par jugement du 12 juin 2014, le conseil des prud'hommes de Lyon a notamment dit que le licenciement de M.[Ab] ne reposait pas sur une faute grave, mais une cause réelle et sérieuse, et condamné la société [W] [G] à lui payer les sommes suivantes :

- 36.597 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 3.659, 70 euros au titre des congés payés afférents,

- 134.189 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, outre les entiers dépens de l'instance.


M.[G] a interjeté appel de cette décision le 20 juin 2014.


Par jugement du 3 octobre 2014, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a ordonné le retrait du rôle de l'affaire dans l'attente de l'issue de la procédure prud'homale.


Par arrêt du 23 octobre 2015, la cour d'appel de Lyon a infirmé le jugement du conseil des prud'hommes en ce qu'il a dit que le licenciement de M. [Ab] ne reposait pas sur une faute grave et statuant à nouveau, a dit que ce licenciement était justifié par une faute grave, déboutant en conséquence M.[G] de l'intégralité de ses demandes.


Le 23 décembre 2015, M. [G] a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.


Par courrier du 3 mai 2016, son conseil a sollicité le rétablissement de l'affaire devant le tribunal de commerce en application des dispositions de l'article 383 du code de procédure civile🏛.


Par jugement contradictoire du 6 octobre 2017, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a :

- constaté que la révocation de M. [G] en tant que président de la SAS [W] [G], devenue la SA [W] [G], n'était pas ad nutum mais conditionnée à l'existence de justes motifs conformément aux stipulations de l'article 21 des statuts de la société, ceux-ci prévalant légalement sur le pacte d'actionnaire eu égard à la forme sociale de la société à l'époque des faits,

- jugé que la révocation de M. [G] est fondée sur de justes motifs,

- débouté par conséquence M. [Ab] de sa demande d'octroi de dommages et intérêts pour la somme de 400.000 euros,

- constaté que les conditions susceptibles d'entraîner le versement de l'indemnité de départ évoquée par le conseil du 14 décembre 2010 n'étaient pas remplies à l'époque de la révocation de M. [Ab], en conséquence, débouté celui-ci de sa demande en paiement de la somme de 607.193,04 euros à ce titre,

- débouté la SA [W] [G] de sa demande de paiement de la somme de 25.000 euros pour procédure abusive sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil🏛,

- condamné M. [G] au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute autre demande,

- condamné M. [Ab] aux entiers dépens, liquidés à la somme de 77,08 euros,

- rejeté l'exécution provisoire.


M. [G] a interjeté appel par déclaration du 24 novembre 2017.



Par arrêt du 10 janvier 2018, la cour de cassation a rejeté le pourvoi de M.[Ab] et condamné celui-ci aux dépens.


Par ordonnance du 12 juin 2018, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Lyon a prononcé la nullité de la déclaration d'appel de M.[G] pour non conformité de l'acte aux dispositions de l'article 901-4° du code de procédure civile.


M.[G] a transmis une nouvelle déclaration d'appel le 18 juin 2018.


Aux termes d'une ordonnance du 30 octobre 2018, le conseiller de la mise en état a rejeté l'incident formé par la société [W] [G] et déclaré M.[G] recevable en son appel du 18 juin 2018.


Cette décision a été confirmée par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 6 juin 2019 statuant sur déféré.



Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 7 octobre 2019, M. [Ab] demande à la cour, sur le fondement de l'article 1103 du code civil🏛, ainsi que sur celui des articles L. 227-1 alinéa 3, L.227-5, L. 227-9 et L. 227-10 du code de commerce🏛🏛🏛🏛 :

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que sa révocation en tant que président de la SAS [W] [G] n'était pas ad nutum mais conditionnée à l'existence de justes motifs,

- de réformer en revanche le jugement déféré en ce qu'il a jugé que sa révocation était fondée sur de justes motifs,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts pour révocation sans justes motifs,


- de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a débouté de sa demande de paiement de l'indemnité de départ prévue par le conseil du 14 décembre 2010,

statuant à nouveau,

- de juger que sa révocation en tant que président de la SA [W] [G] n'a été justifiée par aucun juste motif,

- de condamner la société [W] [G] à lui payer une somme de 400.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi à la suite de la révocation abusive de son mandat de président,

- de condamner la société [W] [G] à lui payer une somme de 607.193,04 euros au titre de l'indemnité de départ accordée lors du conseil du 14 décembre 2010,

- de condamner la société [W] [G] au paiement d'une indemnité de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.


*

* *


Par conclusions notifiées par voie dématérialisée le 14 novembre 2019, prises sur le fondement des articles 1134 et 1382 anciens du code civil🏛, la société [W] [G], désormais dénommée Saica El, demande à la cour :

à titre principal,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la révocation de M. [G] en tant que président de la SAS [W] [G] n'était pas ad nutum et qu'elle était conditionnée à l'existence de juste motifs conformément aux stipulations de l'article 21 des statuts de la société, ceux-ci prévalant légalement sur le pacte d'actionnaires,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que les conditions susceptibles d'entraîner le versement de l'indemnité de départ évoquée par le conseil le 14 décembre 2011 n'étaient pas remplies à l'époque de la révocation de M. [Ab] et l'a, par conséquent, débouté de sa demande de paiement de l'indemnité de départ prévue par le conseil du 14 décembre 2010 à hauteur de 607.193,04 euros,

par conséquent et statuant de nouveau,

- de constater que M. [Ab] était révocable ad nutum (i), à tout moment (ii), sans juste motif (iii) et sans indemnités (iv) et a été valablement révoqué de ses fonctions de mandataire social,

- de constater que cette révocation est au demeurant fondée sur des motifs graves et légitimes,

- de constater que, partant, cette révocation ne peut être qualifiée d'abusive et ouvrir droit à indemnités,

- de constater que les conditions susceptibles d'entraîner le versement de l'indemnité de départ évoqué par le conseil le 14 décembre 2010 n'étaient pas remplies,

en conséquence,

- de débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la révocation de M. [G] est fondée sur de justes motifs et l'a, par conséquent, débouté de sa demande d'octroi de dommages et intérêts pour la somme de 400.000 euros,

en conséquence,

- de débouter M. [G] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

à titre infiniment subsidiaire,

- de limiter sa condamnation à la somme de 24.000 euros concernant l'indemnité de départ accordée par le conseil le 14 décembre 2010,

- de limiter sa condamnation au titre de la révocation prétendument abusive à de plus justes proportions,

en tout état de cause,

- de réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de condamnation de M. [Ab] au paiement de la somme de 25.000 euros pour procédure abusive au titre de l'article 1382 ancien du code civil,

en conséquence, statuant de nouveau,

- de condamner M. [G] à lui payer la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- de condamner M. [G] à lui payer la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile🏛.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 3 juin 2020, les débats étant fixés au 22 mars 2023.


Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile🏛, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.



MOTIFS DE LA DÉCISION


A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile🏛 et ne saisissent donc pas la cour. Il en est de même des «demandes» tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.


Sur les modalités de révocation du mandat social


M.[G] fait valoir :

- que l'article 21 des statuts de la société [W] [G], tels qu'ils résultent de l'assemblée générale mixte du 30 juillet 2009 et de la décision du président du 15 septembre 2009, prévoit expressément que 'le président est révocable à tout moment par le Conseil. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts',

- que cet article est complété par les dispositions du pacte d'actionnaires voté le même jour que la modification des statuts, dont l'article 4.5.1 stipule que 'le président d'[W] [G] sera une personne physique nommée par le Conseil d'[W] [G]. Il sera révocable à tout moment par celui-ci',

- qu'en vertu de l'application combinée de ces deux articles qui ne sont pas contradictoires l'un avec l'autre, si le président de la société est bien révocable à tout moment, il est en revanche indemnisé par l'allocation de dommages et intérêts lorsque sa révocation est décidée sans juste motif,

- que les deux textes posent en effet le principe de la libre révocabilité du président, l'article 21 des statuts comportant simplement une disposition complémentaire sur les modalités de la révocation, laquelle n'est ni démentie, ni invalidée par l'article 4.5.1 du pacte d'actionnaires,

- que le libellé 'révocable à tout moment', qui induit uniquement une absence d'entrave chronologique à la décision de révocation, ne saurait équivaloir à l'expression 'révocable ad nutum', laquelle suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l'absence de préavis, l'absence d'indemnité et l'absence de juste motif.


La société [W] [G] expose quant à elle :

- que M.[Ab], en sa qualité de mandataire social, était révocable ad nutum suivant les textes régissant la société, c'est-à-dire à tout moment et sans que le Conseil n'ait à se justifier,

- que l'article 4.5 du pacte d'actionnaires relatif aux sociétés [R] et [W] [G] conclu le 30 juillet 2009, stipule en effet uniquement que le président d'[W] [G] sera révocable à tout moment par le Conseil d'[W] [G], sans se référer à la notion de juste motif,

- que ce pacte, dont M. [G] était l'un des signataires, lui est parfaitement opposable en application de l'article 1134 ancien du code civil,

- qu'il est admis que l'expression 'à tout moment' équivaut à 'ad nutum' et dispense les associés de fournir quelque motif que ce soit à la révocation,

- que l'article 2 de ce même pacte précise par ailleurs qu'en cas de contradiction, d'incohérence ou de différence de quelque nature que ce soit entre les statuts de l'une ou l'autre des sociétés et le pacte d'actionnaires, il est expressément convenu que le pacte d'actionnaires prévaudra systématiquement entre les parties,

- que la jurisprudence et la doctrine reconnaissent que les associés peuvent déroger ponctuellement à une stipulation non impérative des statuts et s'en affranchir par l'établissement d'actes postérieurs valables, dès lors que tous les associés y consentent ;

- que l'article 4.5 du pacte précité, qui est extrêmement clair et donc expressément identifié, déroge ainsi à l'article 21 des statuts de la société prévoyant que si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à dommages et intérêts,

- que la mise en place de ce pacte d'actionnaires conférant des pouvoirs renforcés à l'actionnaire First Eagle s'explique par l'apport de 25.000.000 d'euros effectué en 2009 par ce dernier pour sauver l'entreprise et lui donnant désormais le statut d'actionnaire majoritaire,

- que ce pacte ne prévoit d'ailleurs pas d'indemnité de départ, à telle enseigne que le Conseil a dû prendre une résolution spéciale le 14 décembre 2010 à cette fin, ce qui vient confirmer que le président était bien révocable ad nutum,

- que le plus que doublement de la rémunération de M. [G] entre 1995 (12.199 euros par mois) et 2011 (25.000 euros par mois) est la contrepartie de sa lourde charge de dirigeant, mais également du fait qu'il était librement révocable par le Conseil,

- que la libre révocabilité est certes tempérée par l'octroi d'indemnités au mandataire social lorsque sa révocation est constitutive d'un abus de droit, c'est-à-dire lorsque les circonstances dans lesquelles elle est intervenue sont injurieuse ou vexatoires et portent atteinte à la réputation ou l'honneur du dirigent évincé,

- que cependant dans le cas présent, M.[G] ne démontre nullement l'existence de telles circonstances,

- que loin de se réfugier derrière le fait qu'il était révocable ad nutum, elle lui a, au contraire, fait part des raisons de sa révocation et respecté le principe du contradictoire en l'informant préalablement au Conseil que sa révocation était envisagée afin de lui permettre de formuler ses observations,

- qu'en parallèle, elle a tout tenté pour conclure un accord de départ avec M.[G], ce qui s'est avéré impossible, car celui-ci exigeait de recevoir 1.200.000 euros, soit deux fois l'indemnité qui avait été acceptée fin 2010 par le Conseil pour un départ volontaire et dans de bonnes conditions fin 2013,

- qu'ensuite, M.[Ab] a excipé d'un contrat de travail frauduleux, en tentant d'usurper les fonctions de DRH qui ont successivement été exercées par deux personnes sous ses ordres à compter de 1991, pour se présenter comme un simple salarié et solliciter des sommes extravagantes,

- qu'au total, il réclamait l'équivalent de 9 années de sa dernière rémunération de 2011,

- qu'elle ne saurait êre tenue responsable de ces stratégies adoptées par M.[Ab], pourtant manifestement vouées à l'échec.


Sur ce,


Il résulte de la combinaison des articles L.227-1 et L.227-5 du code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son mandataire social. Si les actes extrastatutaires, comme le pacte d'actionnaires, peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent en revanche y déroger.


En l'espèce, l'article 21 des statuts de la société par actions simplifiée [W] [G], mis à jour le 30 juillet 2009 (pièce n°1.1 de l'appelant), stipule que 'la direction générale est assumée, sous sa responsabilité par le Président de la Société. Le Président est révocable à tout moment par le Conseil. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages-intérêts.'


L'article 4.5.1 du pacte d'actionnaires également régularisé le 30 juillet 2009 (pièce n°1.2 de l'appelant) mentionne quant à lui uniquement que 'le Président d'[W] [G] sera une personne physique nommée par le conseil d'[W] [G]. Il sera révocable à tout moment par celui-ci.'


Il est constant que le pacte d'actionnaires conclu à la même date que celle de la mise à jour des statuts de la société [W] [G] ne réitère pas l'exigence de motivation de la révocation du mandataire social. Pour autant, il ne la contredit pas non plus, puisqu'il ne précise nullement qu'aucun motif de révocation n'est nécessaire ou encore que cette révocation ne donnera droit à aucune indemnité quelle qu'elle soit.


Compte tenu de ce silence du pacte d'actionnaires et de la concomitance des actes, il n'est pas possible de caractériser une volonté des parties de priver d'effet la stipulation statutaire. Une telle intention ne peut pas non plus s'inférer de l'évolution de la rémunération de M. [G] depuis 1995.


Surtout, les dispositions légales précitées font primer les statuts de la société par actions simplifiée sur le pacte d'actionnaires, de telle sorte que l'application du pacte doit être écartée, lorsque celui-ci vient contrarier les prévisions des statuts.


En conséquence, le jugement querellé sera confirmé, en ce qu'il a constaté que la révocation de M. [G] en tant que président de la SAS [W] [G], devenue la SA [W] [G], n'était pas ad nutum mais conditionnée à l'existence de justes motifs conformément aux stipulations de l'article 21 des statuts de la société, ceux-ci prévalant légalement sur le pacte d'actionnaires, eu égard à la forme sociale de la société à l'époque des faits.


Sur l'existence de justes motifs de révocation


M.[G] soutient pour l'essentiel :

- que les résultats insuffisants de l'exercice 2011 dont fait état le Conseil du 2 décembre 2011 ne peuvent constituer à eux-seuls un motif de révocation, sauf à ce qu'ils portent atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise ou menacent l'intérêt social, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence,

- qu'il est ainsi établi que l'exercice 2011 s'est révélé être le seul exercice de la société faisant ressortir un résultat net positif entre 2008 et 2014, sachant qu'il convient de prendre compte les résultats du groupe, en ce inclus les filiales, pour avoir une vision pertinente de la situation,

- qu'en décembre 2010, le Conseil avait d'ailleurs décidé de lui accorder une indemnité de départ, alors qu'il était en train de redresser la situation, dans un contexte difficile encore marqué par la crise de 2008, étant souligné que plusieurs concurrents ont cessé leur activité au cours de cette période,

- que l'année suivant sa révocation, ce redressement a totalement cessé sous la direction de M.[U] qui a accusé des pertes importantes en 2012 et 2013, sans pour autant être sanctionné,

- que la seule non-réalisation des objectifs fixés par le budget ne peut caractériser un échec de sa part, dès lors que le chiffre d'affaires était au-dessus des prévisions dudit budget, tandis que le fait que l'excédent brut d'exploitation (EBE) et le résultat net soient en dessous s'explique par le coût des matières premières réduisant la marge opérationnelle,

- qu'en tout état de cause, il ne peut lui être reproché des résultats insuffisants ou encore d'avoir établi un budget 2012 irréaliste, alors même qu'à compter de juillet 2011, il n'était plus en charge de la direction opérationnelle de la société, M.[U] ayant pris sa succession au poste de directeur général à cette date,

- que ce dernier avait donc pour mission d'élaborer, avec ses équipes, ce budget 2012 dont lui-même a pris connaissance en même temps que l'actionnaire lors d'une conférence téléphonique organisée le 31 octobre 2011 et sur lequel il a formulé des observations qui n'ont pas été prises en compte,

- que le prétendu avertissement de la société First Eagle dans un courrier du mois d'octobre 2011 constitue en réalité une réponse aux demandes que lui-même et M.[Ac] avaient faites à plusieurs reprises depuis juillet 2011 à l'actionnaire en vue qu'il fasse part de son positionnement quant aux futures orientations stratégiques de l'entreprise,

- que la société [W] [G] ne peut pas non plus lui imputer la responsabilité de la dépréciation de titres, laquelle a été préconisée par les commissaires aux comptes dans leur rapport du 25 mars 2013, soit bien postérieurement à sa révocation du 2 décembre 2011, dont les motifs doivent être appréciés à cette date,

- que les véritables raisons de son éviction brutale sont bassement financières, car il a catégoriquement refusé de prendre sa retraite anticipée sans que ne lui soit attribuée l'indemnité de fin de carrière qui lui était due en vertu de la décision du Conseil du 14 décembre 2010, ce qui a d'ailleurs été reconnu par la société First Eagle lors du conseil d'administration de la holding [R] moins de deux semaines plus tard le 14 décembre 2011,

- que le procès-verbal précise ainsi que 'face à l'impossibilité de se mettre d'accord sur les conditions de son départ, Mme [Ad] [N] a dû convoquer un Conseil pour se prononcer sur la révocation de son mandat',

- que l'unique motif invoqué par Mme [Y] [N] dans le courrier de convocation du 28 novembre 2011 est l'existence de dissensions au sein de l'équipe dirigeante,

- que c'est donc à l'aune de cette seule question de son supposé rôle actif dans la dégradation des relations au sein de l'équipe dirigeante que doit être examinée l'existence ou non d'un juste motif de révocation,

- qu'à cet égard, il s'avère qu'il a été victime d'une machination ourdie par MM.[U] et [W] en vue de le discréditer auprès de l'actionnaire américain et permettre à ce dernier de prendre les rênes de l'entreprise avec deux ans d'avance,

- que dans la perspective de son départ à la retraite prévu en 2013, il a en effet lui-même proposé et désigné M.[T] [U] comme la personne la plus qualifiée pour assumer la direction générale opérationnelle de la société, progressivement, avant d'en devenir le président,

- que dans un tel contexte, il n'avait aucune raison de faire entrave aux fonctions de M.[U] ni intérêt à dénaturer les qualités dont il a fait preuve pendant de très nombreuses années pour devenir un tyran ingérable mettant l'entreprise en péril, alors qu'il lui restait moins de deux ans de présence dans l'entreprise pour parvenir à la retraite et percevoir l'indemnité de fin de carrière décidée lors du conseil d'administration du 14 décembre 2010,

- que les premiers juges se sont uniquement fondés sur trois témoignages établis 15 mois après les faits pour retenir l'existence de justes motifs de révocation, alors que ces attestations sont empreintes d'une grande subjectivité et peu crédibles dans leur contenu, émanant de cadres qui avaient un intérêt évident à l'évincer ou souhaitaient régler leurs comptes avec lui pour des raisons familiales,

- qu'en outre, ces témoignages, non étayés par des documents contemporains à la période concernée, ne permettent pas de caractériser en quoi les difficultés relationnelles soit-disant apparues au cours des 6 derniers mois ayant précédé son éviction, étaient de nature à porter réellement et concrètement atteinte au fonctionnement de la société et à son intérêt social,

- que l'attestion de M. [Ac] est d'autant plus sujette à caution qu'elle est en total décalage avec le discours élogieux de ce dernier à l'occasion de son départ, étant rappelé qu'ils ont travaillé pendant plus de 20 ans ensemble sans difficulté,

- qu'en réalité, le seul désaccord entre lui-même et M.[U] concerne le budget 2012 qui lui a été présenté le 31 octobre 2011,

- que ce désaccord n'était pas de nature à entraver le fonctionnement de l'entreprise, le buget étant soumis au vote du conseil d'administration,

- que les attestations de MM. [K] [B] et [A] [W] ont quant à elles été établies dans un contexte de ressentissement à son encontre, le premier en raison d'une erreur dans l'exercice de ses fonctions de DRH, le second du fait d'un incident avec son frère [L] [W], qui lui a injustement été attribué pour ensuite dégénérer en rivalité entre les familles [W] et [G],

- qu'en revanche, lui-même produit des attestations de personnes l'ayant côtoyé professionnellement, dont le contenu contraste singulièrement avec les allégations proférées à son encontre.


La société [W] [G] rétorque qu'il y avait plusieurs justes motifs, rappelés dans le procès-verbal du Conseil en date du 2 décembre 2011, à savoir l'insuffisance des résultats en 2010 et 2011 par rapport aux budgets et prévisions présentés par le Président et ses conséquences désastreuses pour la société vis-à-vis de ses partenaires financiers, l'avertissement de l'actionnaire majoritaire non suivi d'effet, la position des commissaires aux comptes et les fortes dissensions au sein de l'équipe dirigeante du fait du comportement de M.[G] au cours des 6 derniers mois de l'année 2011.


Elle observe ainsi :

- que suite à l'apport en trésorerie de 25.000.000 d'euros opéré en 2009 par le fonds First Eagle, M.[Ab] a pris des engagements qui prévoyaient le redressement progressif de la société et l'amélioration conséquente de sa santé financière, avec des prévisions de rentabilité basées sur un EBITDA normatif de 41 millions d'euros,

- que les annonces de M.[G] en juillet 2010 selon lesquelles l'EBE allait plus que doubler entre 2010 et 2012 pour passer de 25.373.000 euros à 57.199.000 euros ne se sont pas avérées fiables, puique les résultats de la société en 2010 et 2011 ont été particulièrement insuffisants et en-deçà des ses prévisions,

- que l'EBE prévu en 2009 était de 31 millions d'euros, avant d'être révisé à - 0,7 millions d'euros pour finir réalisé à 3 millions d'euros, tandis que celui prévu en 2011 était de 48 millions d'euros avant d'être révisé à 38 millions d'euros et réalisé à 27 millions d'euros,

- que face à ces erreurs, les actionnaires, et notamment l'actionnaire majoritaire, ont perdu toute confiance en M.[G], ce d'autant que ces écarts et résultats insuffisants ont eu pour conséquence de la décrédibiliser auprès de ses banques et autres partenaires,

- que M.[G] ne peut valablement prétendre que l'exercice 2011 s'est révélé être le meilleur exercice de la société entre 2008 et 2012, alors qu'il se base sur des documents comptables non certifiés par les commissaires aux comptes du groupe [W] [G] englobant des filiales qu'il ne présidait pas personnellement et que selon les documents certifiés, en 2011, son résultat net était de - 2.772.779 euros,

- que cette gestion posait problème aux actionnaires et ne pouvait plus durer,

- que face à ces écarts répétés entre le prévisionnel et la réalité, l'actionnaire majoritaire a demandé en octobre 2011 à M.[G] l'élaboration d'un budget 2012 prudent,

- qu'en guise de réponse, M.[Ab] a présenté un budget 2012 une fois de plus irréaliste, irréalisable et de fait non réalisé, l'EBE prévu de 31 millions d'euros, ayant été révisé à 13 millions d'euros pour un réalisé de 12 millions d'euros,

- que l'élaboration de ce budget relevait de sa responsabilité de président, sachant que M.[Ac] n'a été nommé directeur général délégué qu'en juillet 2011 et que lui-même demeurait le principal interlocuteur de l'actionnaire majoritaire, comme le prouvent notamment la lettre de cadrage du budget 2012 qu'il a cosignée le 18 juillet 2011 et les compte-rendus du Comité Directeur pour le 2ème semestre 2011,

- qu'en tout état de cause, sa révocation n'était pas liée au budget 2012, mais aux écarts répétés entre budget, budget révisé et budget réalisé,

- qu'a contrario, le budget révisé 2012 et les budgets de 2013 à 2015 ont été respectés par son successeur, M.[T] [U], les pertes de l'année 2012 s'expliquant par le comportement du marché avec une baisse du prix de vente unitaire papier de plus de 50 euros par tonne, soit 10%,

- qu'en outre, lors de l'audit des comptes 2009, les commissaires aux comptes ont observé un risque sur la valeur des titres [W] [G] figurant au bilan de la société mère [R],

- qu'à l'occasion de l'audit 2010, un business plan et des prévisions irréalisables ont finalement été présentés en vue de justifier la valeur de ces titres, ce qui a trompé les commissaires aux comptes ainsi que les actionnaires,

- que compte tenu des performances réelles très en deçà des prévisions, et ce de manière répétée, les commissaires aux comptes de la société [R] ont demandé à M.[U] d'inscrire une dépréciation d'actifs de 35 millions d'euros dans les comptes sociaux 2012 de la société [W] [G] et de revoir drastiquement à la baisse la valeur des titres dans le bilan 2012 de [R] (- 20 millions d'euros),

- que cette dépréciation a eu un impact négatif sur les capitaux propres et il en est résulté un affaiblissement de la valeur de l'entreprise,

- que surtout, M.[Ab] a été à l'origine de graves dissensions au sein de l'équipe dirigeante au cours des 6 derniers mois de l'année 2011, les nombreuses pièces versées aux débats, et en particulier les 3 attestations établies par ses proches collaborateurs, démontrant que son comportement général, marqué par l'abus d'autorité, le refus de partager le pouvoir, l'humiliation des collaborateurs, les sautes d'humeur et accès de colère, n'était plus tolérable, en ce qu'il avait pour effet de désorganiser l'entreprise,

- que ce comportement tyrannique a notamment provoqué des cas de souffrance au travail chez certains collaborateurs ce qu'elle ne pouvait plus tolérer, étant tenue d'une obligation de résultat en ce qui concerne la sécurité de ses salariés,

- que les allégations de M.[Ab] en vue de remettre en cause ces attestations sont fallacieuses et outrancières, étant précisé qu'il n'est pas inhabituel que ce type d'attestaion ne soit rédigé qu'au moment de l'engagement d'un contentieux par la personne concernée,

- que ces méthodes de management très conflictuelles et contestables ont mis en danger la société et contrevenu à son intérêt social,

- qu'elles constituent donc un juste motif de révocation, sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute objective,

- que les attestations produites par M.[Ab] en vue de contredire les témoignages des membres de l'équipe dirigeante sont peu pertinentes, car elles ne permettent pas de démentir les faits reprochés et/ou émanent de personnes qui n'ont pas côtoyé M.[G] au quotidien.


Sur ce,


Il est de principe que le juste motif de révocation peut être caractérisé par une faute du mandataire social. Le juste motif de révocation peut également être constitué, en l'absence de faute de la part du président, par une atteinte à l'intérêt social.


En l'espèce, l'actionnaire majoritaire de la société [W] [G], la société First Egale représentée par Mme [Y] [N] a adressé un courrier à M. [G] le 28 novembre 2011 (pièce n°2.4 de l'appelant) pour l'informer que l'un des points de l'ordre du jour du conseil de la société [W] [G] convoqué le 2 décembre 2011 est sa révocation en qualité de président et de directeur général de la société. La lettre évoque 'les multiples dissensions qui se sont développées en particulier au cours des six derniers mois au sein de l'équipe dirigeante et les difficultés qu'elles engendrent dans la gestion de l'entreprise. Il doit, pour le bon fonctionnement de la société, être mis un terme à cette situation (...)'.


Il ressort par ailleurs du procès-verbal du conseil de la société [W] [G] en date du 2 décembre 2011 (pièce n°2.5 de l'appelant), que les griefs suivants ont été exprimés par Mme [N], en sa qualité de présidente du conseil, pour expliquer la proposition d'examen de la révocation du mandat de M.[G] avec effet immédiat :

- l'insatisfaction des actionnaires, et en particulier des sociétés [R] et First Eagle vis-à-vis des résultats jugés insuffisants du groupe, ainsi que l'insatisfaction de la société First Eagle à l'égard des résultats des sociétés [W] [G] et [R], déjà évoquée en octobre 2011 par la société First Eagle, qui ne sont pas expliqués par la seule crise économique et financière,

- les écarts entre les budgets prévisionnels soumis par M. [G] et les résultats, décriés depuis plusieurs années par les actionnaires de [R] et les institutions financières partenaires de la société [W] [G],

- la situation conflictuelle entre le directeur général délégué et le président de la société qui remet constamment en cause les décisions du premier, et plus généralement les méthodes de gestion de M. [Ab] qui ne partage pas le pouvoir et ne semble pas faire confiance à ses équipes devenant inacceptables et ne permettant pas une gestion saine de la société.


Il convient dès lors d'examiner chacun des motifs ci-dessus relatés à l'aune des principes rappelés supra.


Sur l'insuffisance des résultats


L'insuffisance des résultats de la société dirigée par le mandataire social ne peut motiver sa révocation que si elle est le fruit, au moins pour partie, de ses fautes de gestion ou en l'absence de fautes caractérisées, si cette insuffisance préjudicie à l'intérêt social de l'entreprise.


Il y a d'abord lieu de relever que M.[Ab] étant uniquement président de la société [W] [G], l'insuffisance des résultats du groupe dans son entier ne saurait valablement lui être reprochée, alors que celui-ci comporte d'autre filiales qu'il ne dirigeait pas.


Pour ce qui des seuls résultats de la société [W] [G], il sera observé que les documents comptables produits par l'intimée (pièce n°21) permettent certes d'établir que les résultats nets de l'entreprise sont négatifs entre 2008 et 2011, mais ils révèlent dans le même temps une très nette amélioration sur ce plan entre l'année 2008, au cours de laquelle la société [W] [G] a été frappée de plein fouet par la crise économique (-19.481.008 euros), et l'année 2011 à l'issue de laquelle la perte nette n'est plus que de 2.777.779 euros, l'entreprise repassant même en positif en 2012 (1.198.191 euros).


L'insuffisance intrinsèque des résultats n'est donc pas démontrée par la société [W] [G] au seul vu des pièces comptables, ce d'autant qu'elle ne communique pas d'éléments de comparaison avec les résultats, durant la même période, d'autres sociétés exerçant dans cette branche d'activité et de taille comparable.


En tout état de cause, il ne peut qu'être constaté que la société [W] [G] ne justifie, ni même ne soutient que ces résultats qu'elle estime insuffisants seraient imputables, au moins en partie, à des décisions hasardeuses prises par M.[Ab] en sa qualité de dirigeant.


Elle n'indique pas plus que ces résultats jugés insuffisants auraient porté atteinte à l'intérêt social de l'entreprise.


Ainsi, avant le conseil du 2 décembre 2011, un seul courrier a été adressé par l'actionnaire majoritaire à M. [G] pour lui faire part de sa 'profonde déception' sur les résultats de l'année en cours (lettre du mois d'octobre 2011 - pièce n°4.8 de l'appelant et 21 de l'intimée).


Outre qu'aucun reproche n'a été formulé par le conseil ou l'actionnaire majoritaire à Ab. [G] avant le mois d'octobre 2011 quant aux résultats de la société, il convient également de relever que le courrier du mois d'octobre 2011 se contente d'exprimer cette 'déception' sur les résultats de l'année en cours, sans signaler dans le même temps que l'annonce de ces résultats serait de nature à mettre en péril le fonctionnement de la société, ou à tout le moins, à nuire à sa crédibilité.


En l'absence de faute du mandataire ou d'atteinte à l'intérêt social de l'entreprise, l'insuffisance alléguée des résultats de la société [W] [G] ne peut par conséquent constituer un juste motif de révocation.


Sur les écarts répétés entre les budgets prévisionnels et les budgets réalisés


Les écarts relevés entre les budgets prévisionnels soumis par M. [G] au conseil et les résultats réels de la société [W] [G] ne peuvent être considérés comme fautifs que s'il est démontré que le mandataire a sciemment pris la décision de faire des prévisions de résultats dont il sait qu'elles seront impossibles à atteindre et sans prendre en compte les demandes du conseil de les revoir à la baisse en cours d'année.


Il sera en premier lieu observé que l'écart finalement constaté entre le budget prévisionnel 2012 et le résultat en fin d'année 2012 ne saurait être pris en considération pour apprécier le comportement de M. [Ab], dès lors que la société [W] [G] ne pouvait d'ores et déjà la prédire lorsque M.[G] a été révoqué, ce d'autant que les prévisions peuvent être revues en cours d'année.


Pour les années 2008 à 2011, les pièces versées aux débats par la société [W] [G] (pièce n°20) et dont la teneur n'est pas contestée par M. [G], mettent en évidence que :

- pour l'année 2008, l'excédent brut d'exploitation (EBE) prévu initialement était de 65.899.000 euros, pour s'établir finalement à 26.738.000 euros,

- pour l'année 2009, l'EBE initialement prévu était de 31.678.000 euros pour s'établir finalement à 3.550.000 euros,

- pour l'année 2010, l'EBE initialement prévu était de 25.308.000 euros, pour s'établir finalement à 24.874.000 euros,

- pour l'année 2011, l'EBE initialement prévu était de 48.273.000 euros, pour s'établir finalement à 27.672.000 euros.


Le différentiel est négligeable pour l'année 2010, de sorte qu'aucun reproche ne peut être formulé à l'encontre de M. [G] à ce titre.


Il est en revanche important pour les années 2008, 2009 et 2011.


S'agissant des années 2008 et 2009, il doit être rappelé que le conseil du 14 décembre 2010 a expressément confirmé M. [Ab] dans ses fonctions jusqu'à la fin de l'année 2013, ce nonobstant ses erreurs de prévision d'EBE en 2008 et 2009 pourtant déjà nécessairement connues à cette date, ce dont il s'infère que la société [W] [G] n'a pas considéré que les différentiels constatés étaient imputables à une mauvaise appréciation, par M. [Ab], de l'évolution de la situation économique, ou encore à des décisions de gestion peu judicieuses de ce dernier en cours d'année ensuite desquelles les résultats effectifs n'ont pas été en concordance avec ceux envisagés.


La lecture de ce procès-verbal du 14 décembre 2010 fait au contraire apparaître :

- d'une part, qu'aucun commentaire n'a été apporté par des membres du conseil sur les écarts entre budget prévisionnel et budget réalisé pour les années 2008 et 2009,

- d'autre part, que la plaquette de présentation du budget 2011 au sujet de laquelle le président s'est longuement exprimé, n'a pas fait l'objet de critiques, ni même d'observations particulières de la part du conseil, et en particulier de l'actionnaire majoritaire qui n'a nullement évoqué le caractère potentiellement irréaliste de ce budget prévisionnel.


Pour ce qui est de l'annéee 2011, l'EBE initialement prévu à 48.273.000 a été revu à la baisse en cours d'exercice à 32.000.000 euros. Les échanges entre M. [G] et la société First Eagle ou Mme [N] à ce sujet sur la période de juillet 2011 à octobre 2011 (pièces n°4.7 à 4.9 de l'appelant, pièce n°45 de l'intimée) mettent certes en évidence une certaine divergence de point de vue entre l'optimisme affiché de M. [Ab], ainsi que de M. [U] d'ailleurs, et la prudence demandée par l'actionnaire majoritaire, mais l'approche de M.[G] ne peut pour autant s'analyser en une faute, dès lors qu'en juillet 2011 (pièces n°4.7 de l'appelant), il admet sans difficulté qu'il s'avère nécessaire de revoir à la baisse les prévisions de résultats du deuxième semestre par rapport au budget initial, tout en invitant l'actionnaire majoritaire à lui faire part des orientations stratégiques qu'il souhaite voir adopter pour l'avenir, afin justement d'optimiser la rentabilité de la société, après avoir lui-même fait état du plan qu'il envisage à moyen terme pour les années 2012 à 2014.


Or, la société First Eagle ne va pas réagir négativement à cette missive, pas plus qu'elle ne va émettre de récrimination sur les termes de la lettre de cadrage du budget 2012 envoyée le 18 juillet 2011 par MM. [U] et [G] aux membres du comité directeur et des groupes opérationnels (pièce n°43 de l'intimée), laquelle comporte un tableau prévisionnel des résultats nets pour 2011, ainsi que pour les années 2012 à 2014, tout en relatant les axes à mettre en oeuvre pour la construction du budget 2012.


Le seul courriel de Mme [N], représentant la société First Eagle, adressé à M.[G] entre le 18 juillet 2011 et la 'lettre d'avertissement' du mois d'octobre 2011 (mail du 28 juillet 2011 - pièce n°4.11 de l'appelant) porte sur la question des investissements de la société [W] [G] et du devenir à moyen terme du groupe, l'actionnaire reconnaissant à cet égard qu'il 'n'y a aujourd'hui pas d'horizon précisément défini chez First Eagle'.


Bien plus, ces échanges, tout comme le procès-verbal du conseil du 20 septembre 2011, témoignent d'une collaboration effective entre l'actionnaire majoritaire et le mandataire social relativement à l'élaboration du budget, M. [Ab] se montrant attentif aux observations faites, sans signe d'une quelconque forme d'intransigeance de sa part.


De même, suite à la 'lettre d'avertissement' précitée de l'actionnaire majoritaire du mois d'octobre 2011, M.M [U] et [G] vont rédiger une réponse extrêmement détaillée (pièce n°4.9 de l'appelant), par laquelle ils exposent de façon circonstanciée leur vision de 'l'atterissage' de cette année en termes de chiffre d'affaires, d'Ebitda, de cash flow et de trésorerie, à laquelle l'actionnaire majoritaire ne répliquera pas, aucune pièce n'étant versée en ce sens par l'intimée. En effet, le premier courriel de la société First Eagle postérieur à cette missive datée du 24 octobre 2011 figurant au dossier, est celui du 28 novembre 2011 informant M.[Ab] de sa révocation à venir lors du conseil du 2 décembre 2011.


Il convient néanmoins de relever que même en l'absence de faute avérée, l'erreur prévisionnelle peut malgré tout constituer un juste motif de révocation si elle a pour effet de porter atteinte à l'intérêt social de l'entreprise. A cet égard, Mme [N] affirme, lors du conseil du 2 décembre 2011 que les institutions financières travaillant avec la société, tout comme les actionnaires de la société [R], décrient depuis des années les erreurs répétées dAb M. [G].


Il doit cependant de nouveau être rappelé qu'en décembre 2010, M. [G] a été confirmé dans ses fonctions jusqu'à la fin de l'année 2013, malgré l'existence d'un écart important entre le budget prévisionnel et l'EBE au cours des deux années précédentes, de sorte que ne constituant pas une situation nouvelle, le caractère incorrect des prévisions en 2008 et 2009 n'était pas de nature à entraîner une perte de confiance entre les actionnaires et M. [G] un an plus tard.


Dans ces circonstances, la société [W] [G] ne peut pas non plus valablement soutenir que les budgets prévisionnel irréalistes de M.[Ab] étaient décriés depuis plusieurs années par les actionnaires, étant encore souligné qu'il n'est nullement démontré qu'avant le 'courrier d'avertissement' du mois d'octobre 2011, l'actionnaire majoritaire ou d'autres partenaires financiers de la société [W] [G] auraient manifesté des préoccupations sur 'la sous performance répétée d'[W] [G] par rapport à ses budgets d'origine'.


En outre, aucun élément probant n'est produit qui permettrait de corroborer les affirmations de l'intimée quant aux répercussions désastreuses qu'auraient eu ces discordances entre budget prévisionnel et résultats effectifs sur la crédibilité financière de la société vis-à-vis de ses partenaires financiers.


Il sera à ce stade noté que les dépréciations d'actifs inscrites dans les comptes sociaux 2012 et la réduction de la valeur des titres [W] [G] dans le bilan 2012 de la société [R] demandées par les commissaires aux comptes (pièces n°25 à 27 de l'intimée) étaient fondées sur le fait que les résultats ont connu une baisse régulière depuis plusieurs années, mais pas sur l'existence d'écarts répétés entre budget prévisionnel et budget réalisé.


Dès lors, en l'absence de démonstration d'une atteinte à l'intérêt social de l'entreprise, ces erreurs entre budgets prévisionnels et résultats ne peuvent caractériser un juste motif de révocation.


Sur les méthodes de gestion de Ab. [G]


Il est de principe que la mésentente entre les actionnaires et le dirigeant, ou entre le dirigeant et son équipe, peut constituer un juste motif de révocation lorsqu'elle est de nature à compromettre l'intérêt social, c'est-à-dire lorsqu'elle conduit à faire obstacle à la bonne gestion de l'entreprise, voire à rendre impossible celle-ci.


Il importe d'abord de souligner que les reproches formulés à M. [Ab] au niveau de ses méthodes de gestion par l'actionnaire majoraitaire et le conseil préalablement à sa révocation se limitent à son incapacité à partager le pouvoir et à faire confiance à ses équipes, ainsi qu'au caractère conflictuel de sa relation avec le directeur général délégué.


Il doit ainsi être rappelé que le procès-verbal du conseil du 2 décembre 2011 fait uniquement état des éléments précités, tandis que le 'courrier d'avertissement' du mois d'octobre 2011 se borne à évoquer la résurgence de tensions entre certains membres des familles [W] et [G]. Ils ne comportent en revanche aucune référence à un comportement agressif ou violent de M. [G], de sorte qu'avérée ou non, une telle attitude ne peut pas être invoquée a posteriori par la société [W] [G] comme juste motif de la révocation de M.[G].


Dans ce contexte, les trois attestations dont se prévaut la société [W] [G] (pièces n°29 à 31 de l'intimée) en vue d'établir la réalité des dissensions au sein de l'équipe dirigeante apparaissent en grande partie dépourvues de pertinence, ce quand bien même l'identité de leurs auteurs ne saurait avoir pour effet de les priver de tout caractère probant.


Ce témoignages se focalisent en effet pour l'essentiel sur la forte agressivité manifestée par M. [G] à l'encontre de trois de ses proches collaborateurs qu'étaient MM. [K] [B], alors directeur des ressources humaines, [T] [U] (directeur général délégué) et [A] [W] (cadre), M. [U] mentionnant même avoir été victime d'une contrainte physique de la part de M. [G] lors d'un entretien au cours du seconde semestre de l'année 2011, à l'issue duquel il indique avoir alerté la présidente du Conseil, Mme [N].


Il sera en tout état de cause observé que même dans l'hypothèse où l'actionnaire majoritaire ou le conseil aurait valablement excipé de l'agressivité verbale, voire physique de M.[Ab] pour justifier son éviction décidée le 2 décembre 2011, les trois attestations précitées n'auraient pas été suffisantes pour caractériser la réalité de ce comportement, en l'absence de tout autre élément probatoire antérieur à la révocation venant étayer ces témoignages rédigés en février et mars 2013.


En particulier, l'intimée ne produit aucun courrier ou courriel émanant de l'actionnaire majoritaire ou de membres de l'équipe dirigeante antérieur à la décision de révocation dans lesquels le sujet de l'agressivité verbale et/ou physique de M. [Ab] est évoqué, ou à tout le moins son attitude de plus en plus inadaptée. L'alerte que M.[U] dit avoir faite auprès de Mme [N] n'est nullement matérialisée par un écrit et cette dernière ne mentionne absolument pas cet incident, pourtant décrit comme grave par l'intéressé, lors du conseil du 2 décembre 2011.


Pour le reste, l'attestation de M.[Ae] ne vise pas la problématique relevée dans le procès-verbal du 2 décembre 2011, à savoir l'incapacité de M. [Ab] à partager le pouvoir et à faire confiance à ses équipes, tandis que M.[W] évoque des difficultés relationnelles avec M. [G] qui perdurent depuis 2007. Compte tenu de leur ancienneté, ces dissensions entre M.[Ab] et M.[W] ne peuvent avoir eu des effets négatifs sur la gestion de l'entreprise et donc avoir porté atteinte à son interêt social.


Subsiste l'attestation de M.[Ac] qui relate effectivement qu'après sa nomination en qualité de directeur général délégué en juillet 2011, il s'est heurté au refus de plus en plus fréquent de M.[G] de lui laisser l'autonomie nécessaire à l'exercice entier de sa fonction.


Force est cependant de constater que ce témoignage n'est pas corroboré par d'autres pièces du dossier dont il résulterait que M. [G] était en conflit ouvert avec M.[U] depuis sa désignation ou plus généralement qu'il se montrait incapable de travailler sereinement avec ses collaborateurs, notamment du fait de son incapacité à déléguer.


Ainsi, il ne peut en aucun cas s'inférer des termes de la lettre adressée le 3 décembre 2011 par M.[G] à l'ensemble des collaborateurs la société [W] [G] (pièce n°7 de l'intimée) un quelconque aveu de l'intéressé de l'existence de dissensions importantes au sein de l'équipe dirigeante au cours des 6 derniers mois de l'année 2011. Après avoir fait leur éloge ininterrompu dans les paragraphes précédents, M. [Ab] se contente en effet d'indiquer qu'au cours des nombreuses années (38) passées dans l'entreprise, il lui est arrivé de peiner ou blesser certains de ses collaborateurs.


Surtout, les déclarations de M.[U] relativement aux problèmes relationnels avec M.[U] entravant la bonne marche de la société sont contredites par de nombreux autres éléments du dossier.


Il est d'abord à noter que M.[Ab], qui avait lui-même proposé M. [Ac] à la tête de la société pour lui succéder lors du conseil du 14 décembre 2010, n'a jamais remis en cause cette volonté dans les échanges qu'il pu avoir ultérieurement avec Mme [N] ou à l'occasion des conseils tenus postérieurement au 14 décembre 2010.


Il y a ensuite lieu de relever que la lettre du 18 juillet 2011 portant sur le recadrage du budget 2012, déjà citée supra, a été cosignée par M. [Ab] et M. [U], tout comme l'a été la missive du même jour par laquelle ils interrogent l'actionnaire majoritaire sur ses choix stratégiques. Il en est de même pourla lettre du 24 octobre 2011 qui répond aux différents points soulevés par la société First Eagle dans le 'courrier d'avertissement' .


M. [G] communique également d'autres mails (pièces n°4.12, 4.13 et 4.17) relatifs à la préparation du budget 2012 en lien avec Mme [Af], dont M.[Ac] est systématiquement avisé. Le courriel du 2 novembre 2011 (pièce 4.17) relate même précisément les points d'accord et de désaccord des deux hommes sur certains aspects de ce budget. M. [G] manifeste une adhésion franche sur certains sujets et quand il ne partage pas le point de vue de M.[Ac], il invite Mme [Af] à trancher sans dénigrer ce dernier.


Il sera encore observé que le projet de budget retenu pour l'année 2012 l'a été en dépit de réserves émises par M. [Ab], ce qui établit que tout en restant responsable de son élaboration, M.[G] acceptait de partager le pouvoir.


Il découle de l'ensemble des développements qui précèdent que la preuve de l'existence de dissensions au sein de l'équipe dirigeante compromettant l'intérêt social ou nuisant au fonctionnement de la société n'est pas suffisamment rapportée par la société [W] [G].


Ce troisième grief n'est donc pas constitué.


Il importe enfin d'évoquer le procès-verbal du conseil d'administration de la société [R] en date du 14 décembre 2011, faisant suite à la révocation de M. [G] et produit par ce dernier (pièce n°2.6), car celui-ci relate en page 7 les raisons pour lesquelles Mme [N] a convoqué un conseil le 2 décembre 2011 pour se prononcer sur la révocation de M. [G]. Mme [N] indique ainsi que l'actionnaire majoritaire a demandé à M. [G] de prendre sa retraite anticipée suite à l'expression de dissensions à la tête de la direction de la société. Les demandes financières de M. [G] dans le cadre des négociations relatives à son départ ayant été jugées inacceptables par l'actionnaire majoritaire, la présidente du conseil a demandé la révocation de M. [G]. Elle précise que les négociations demeurent en cours à cette date.


Il ressort de la lecture conjointe de ce procès-verbal et des échanges préalables à la révocation entre M.[G] et Mme [N] que la motivation de la révocation de M. [G] est l'échec des négociations relatives aux conditions financières de son départ, en dépit d'un accord sur le principe même de son départ au profit de M. [U] et d'un accord de la société pour l'attribution d'éventuelles indemnités, ce que l'intimée condède d'ailleurs in fine dans ses écritures. L'échec de ces négociations confidentielles ne saurait évidemment constituer un juste motif de révocation pour faute ou pour atteinte à l'intérêt social.


Le jugement sera en conséquence infirmé, en ce qu'il a jugé que la révocation de M. [G] est fondée sur de justes motifs.


Sur l'indemnisation du préjudice résultant de la révocation sans juste motif


M.[G] estime que la société [W] [G], qui a décidé de précipiter son départ sans justes motifs, devra en assumer les conséquences en l'indemnisant par l'allocation d'une somme forfaitaire de 400.000 euros.


La société [W] [G] considère quant à elle que M.[G] ne subit aucun préjudice à raison de son départ anticipé, dans la mesure où :

- il avait prévu de prendre sa retraite en 2013 et totalise le nombre de trimestres pour prétendre à une retraite à taux plein depuis le 31 décembre 2009,

- il a créé une société Helmage immatriculée au RCS le 27 janvier 2012 ayant pour activité le conseil, l'étude et la formation dans le domaine stratégique et financier qui semble fructueuse, la société ne déposant pas ses comptes,

- il a également été, entre fin octobre 2014 et fin novembre 2016, directeur général délégué de la société Mecelec, laquelle a confié une mission à la société Helmage rémunérée 30.000 euros en 2014 et 160.000 euros en 2015,

- lui-même et son épouse ont de surcroît perçu plusieurs millions d'euros suite à la cession de leurs titres de la société début 2018.


Sur ce,


Il est constant que l'article 21 des statuts de la société [W] [G] ne prévoit pas d'indemnisation forfaitaire en cas de révocation du mandataire social sans juste motif. Il mentionne uniquement que la révocation décidée sans juste motif peut donner lieu à des dommages et intérêts.


Conformément au droit commun de la responsabilité contractuelle, tel qu'il résulte des dispositions de l'article 1147 ancien du code civil🏛, celui qui sollicite l'octroi de dommages et intérêts en raison d'une faute contractuelle doit démontrer l'existence et l'étendue du préjudice imputable à ce manquement.


Dans le cas présent, il ne peut qu'être constaté que M. [Ab] ne justifie ni de la nature de son préjudice, ni de son quantum, comme le révèle l'utilisation même du terme 'forfaitaire'.


D'une part, il ne fait pas état d'un quelconque préjudice financier à raison de son départ anticipé en décembre 2011 au lieu de la fin d'année 2013 et ne produit d'ailleurs aucun éléments concernant ses revenus au titre des années 2012 et 2013. Il ne conteste pas non plus les affirmations de l'intimée selon lesquelles il pouvait bénéficier de sa retraite à taux plein à compter du 31 décembre 2009 et a eu la possibilité de développer une nouvelle activité de conseil dans le domaine stratégique et financier en fondant la société Helmaje une fois libéré de son mandat de président de la société [W] [G].


D'autre part, M. [Ab] ne fait pas valoir de préjudice moral ou de réputation consécutif aux conditions de son éviction, sachant qu'il a lui-même pris l'initiative de révéler son départ aux collaborateurs, fournisseurs et partenaires de la société [W] [G] dans des termes choisis par ses soins (pièces n°6 et 7 de l'intimée) et que les nombreuses attestations et courriels de collaborateurs, partenaires économiques et concurrents dont il se prévaut dans le cadre de la présente instance le décrivent de manière concordante comme un dirigeant dévoué à son entreprise ayant laissé une forte impression et regretté par certains. Son image n'a donc visiblement pas été écornée suite à sa révocation intervenue 2 ans avant la date de départ initialement prévue.


Par conséquent, en l'absence de preuve d'un quelconque préjudice, M.[Ab] ne pourra qu'être débouté de sa demande de dommages et intérêts, ce qui conduit, par ces motifs substitués, à la confirmation du jugement entrepris sur ce point.


Sur le versement de l'indemnité forfaitaire de fin de carrière


M.[G] considère :

- que sauf à l'ériger en clause purement potestative, l'article 6 du procès-verbal du conseil de la société [W] [G] du 14 décembre 2010 par lequel il a été décidé de lui verser une indemnité de départ, ne peut être lu comme s'appliquant uniquement en cas de demande de démission de sa part, puisqu'il est évident que dans une telle hypothèse, le débiteur de l'indemnité pourrait sans difficulté, s'extraire de son obligation en l'évinçant avant l'heure, ce qu'il a d'ailleurs fait,

- que cette indemnité était causée, non pas par son départ anticipé, mais par la prise en considération des services rendus tout au long de ses 38 ou 40 années de présence dans l'entreprise,

- qu'il est par conséquent légitime à solliciter l'application de cette disposition, ce qui doit conduire à lui accorder une somme équivalente à deux années de rémunération brute, soit 607.193,04 euros,


La société [W] [G] réplique :

- que la décision du conseil du 14 décembre 2010 octroyant une indemnité de départ à M.[Ab] ne valait que si les circonstances prévues se réalisaient, en l'occurrence une cessation des fonctions fin 2013, une démission et non une révocation, 40 années de services et non 38 et une absence de conflit, notamment de réclamation supérieure à 2 années de rémunération,

- que ces 4 conditions n'ont manifestement pas été remplies, dès lors que M.[Ab] a quitté ses fonctions en décembre 2011, qu'il n'a pas démissionné volontairement, mais a été révoqué, que toute négocation a été rendue impossible du fait de son irascibilité et que la relation s'est terminée dans le conflit,

- qu'à titre superfétatoire, si la cour considérait que l'indemnité de départ réclamée par M.[G] lui est due, il y aurait lieu de retenir que le montant sollicité par ce dernier est erroné,

- qu'il doit en effet être rappelé que dans le cadre du volet prud'homal du dossier, il n'a eu de cesse de mettre en avant que la rémunération de son mandat social s'élevait à 1.000 euros bruts par mois, ce qui est corroboré par ses fiches de paie jusqu'en 2011,

- qu'il s'ensuit que l'indemnité forfaitaire, égale à deux ans de sa rémunération brute en qualité de mandataire social, doit être fixée à 24.000 euros,


En vertu de l'article 1134 ancien du code civil, applicable au présent litige compte tenu de la date de la décision du conseil de la société [W] [G] en cause, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elle ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les cause que la loi autorise. Elles doivent être exécutés de bonne foi.


En l'espèce, l'article 6 du procès-verbal du conseil de la société [W] [G] en date du 14 décembre 2010 intitulé 'Préparation de la succession du Président de la société [W] [G]' (pièce n°2.2 de l'appelant) relate notamment que :

'Le Conseil confirme, autant que de besoin, Monsieur [Aa] [G] dans son mandat de Président jusqu'à la fin de l'année 2013, où il lui demandera sa démission, en vue d'organiser sa succession pour le remplacer par Monsieur [T] [U].

Le Conseil décide, sur proposition de Madame la Présidente du Conseil, qu'au moment de son départ, il sera versé à Monsieur [Aa] [G], en remerciement des services rendus au cours de ses quarante années passées au sein de l'entreprise et du groupe, une indemnité de fin de carrière forfaitaire égale à deux de sa rémunération brute.'


La simple lecture de cette décision fait apparaître que contrairement à ce qu'allègue la société [W] [G], le conseil n'a pas entendu subordonner l'octroi de l'indemnité forfaitaire de fin de carrière à la réalisation de conditions suspensives tenant aux modalités et à la date de départ de M. [G] ou encore à d'autres circonstances qui ne sont même pas évoquées dans le paragraphe précédent comme l'absence de conflit.


Il est en effet clairement indiqué par le Conseil de la société [W] [G] que l'indemnité forfaitaire de fin de carrière de M.[G] est uniquement fondée sur la volonté dudiy conseil de lui offrir une gratification exceptionnelle au moment de son départ de l'entreprise pour prendre sa retraite, eu égard à son ancienneté et au bon déroulement de sa carrière.


Ainsi que le soulève à juste titre M. [G], retenir que l'indemnité de fin de carrière serait subordonnée à la condition suspensive d'une démission en fin d'année 2013 reviendrait en outre à permettre au débiteur de l'obligation de paiement de s'en extraire à tout moment, notamment par la révocation du mandat social. Une telle interprétation qui conduit à rendre l'obligation purement potestative ne peut qu'être exclue.


Il doit à cet égard être souligné que d'autres raisons, notamment d'ordre médical, auraient tout à fait pu conduire M.[Ab] à quitter ses fonctions avant la fin de l'année 2013, sans démissionner à proprement parler. Or, la société [W] [G] ne peut valablement soutenir que dans une telle hypothèse, elle n'aurait pas versé l'indemnité forfaitaire de fin de carrière décidée lors du conseil du 14 décembre 2010.


Il est encore à noter que le fait que M.[Ab] ait finalement quitté la société le 2 décembre 2011, soit deux ans avant la date initialement envisagée, ne saurait constituer un motif suffisant de remise en cause du principe du versement de l'indemnité forfaitaire, dès lors que cette période de 24 mois ne constitue qu'une très faible part du temps par ailleurs passé par M.[G] dans la société au sein de laquelle il était entré en 1973.


Il était en tout état de cause loisible à la société [W] [G] de formuler, à titre subsidiaire, une demande de réduction de cette indemnité compte tenu de la durée moindre des services à remercier, ce qu'elle n'a pas fait.


Il s'ensuit que M. [Ab] est bien fondé à solliciter le versement d'une indemnité de fin de carrière égale à deux ans de sa rémunération brute.


Sur ce point, il convient d'observer que dans la mesure où la décision du conseil du 14 décembre 2010 ne comporte aucune précision quant à la nature des rémunérations à prendre en considération pour le calcul de cette indemnité, il y a lieu de tenir compte de l'ensemble des somme allouées à M. [G] au titre de ses fonctions de président telles qu'elles ressortent de ses bulletins de paie, sans opérer de distinction entre son salaire de base et la rémunération spécifique en tant que dirigeant.


Force est d'ailleurs de constater que tout en affirmant en page 51 de ses écritures que seule la somme mensuelle de 1.000 euros correspondant à la rémunération du mandat social stricto sensu doit servir d'assiette pour le calcul de cette indemnité, la société [W] [G] indique précédemment, en page 18 de ces mêmes conclusions, qu'en 2011 M.[Ab] percevait une rémunération mensuelle de 25.000 euros en contrepartie de ses fonctions de dirigeant.


La fiche de paie du mois de décembre 2010 versée aux débats par M. [G] (pièce n°5.1) fait apparaître que son salaire mensuel brut s'élève à cette date à la somme globale de 25.299,71 euros, ce qui est en corrélation avec les indications données par la société [W] [G] qui, de son côté, ne produit pas d'autre bulletin de salaire de M.[Ab], dont il résulterait que sa rémunération aurait baissé durant l'année 2011. L'autre fiche de paie communiquée par M. [G] n'est pas pertinente car elle se rapporte au mois de décembre 2011 qui est celui de son départ.


L'indemnité forfaitaire de fin de carrière a donc été justement calculée par M. [G] à la somme de 25.299,71 x 24 = 607.193,04 euros.


La société [W] [G] sera par conséquent condamnée à verser cette somme de 607.193,04 euros à M.[G] au titre de l'indemnité forfaitaire de fin de carrière décidée lors du conseil du 14 décembre 2010, ce qui conduit à l'infirmation du jugement déféré sur ce point.


Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive


Selon la société [W] [G], il est manifeste que la présente procédure confine au règlement de compte personnel et a été initée de parfaite mauvaise foi par M.[Ab], ce qui justifie l'octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive.


L'article 1382 ancien du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.


L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts qu'en cas de malice, mauvaise foi ou erreur grossière équipollente au dol.


En l'occurrence, compte tenu de l'issue du litige, aucun abus de droit d'agir n'apparaît caractérisé, dès lors qu'il a été retenu que la révocation de M. [G] n'était pas ad nutum, qu'elle a été décidée sans juste motif et que sa demande en paiement de l'indemnité de départ a été favorablement accueillie.


Le jugement querellé est donc confirmé, en ce qu'il a débouté la société [W] [G], désormais dénommée Saica El, de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.


Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile


Chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions, elles conserveront à leur charge les dépens de première instance et d'appel, ainsi que les frais irrépétibles qu'elles ont exposés, ce qui conduit à l'infirmation du jugement déféré sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS


La cour statuant dans les limites de l'appel,


Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a :


- jugé que la révocation de M.[Aa] [G] est fondée sur de justes motifs,


- constaté que les conditions susceptibles d'entraîner le versement de l'indemnité de départ évoquée par le conseil le 14 décembre 2010 n'étaient pas remplies à l'époque de la révocation de M.philippe [G],


- débouté M.[Aa] [G] de sa demande en paiement de la somme de 607.193, 04 euros à ce titre,


- condamné M.[Aa] [G] au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,


- condamné M.[Aa] [G] aux entiers dépens,


Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et ajoutant,


Dit que la révocation de M. [Aa] [G], président et directeur général de la SA [W] [G], a été décidée sans juste motif,


Condamne la SA Saica El (anciennement [W] [G]) à verser à M.[Aa] [G] la somme de 607.193, 04 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de fin de carrière décidée lors du conseil du 14 décembre 2010,


Dit que chaque partie conserve la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elle a exposés,


Déboute les parties de leurs demandes en paiement d'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel.


LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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