Lexbase Contentieux et Recouvrement n°3 du 28 septembre 2023 : Licenciement

[Jurisprudence] La validité de la preuve obtenue grâce au dispositif « client mystère » pour contrôler les salariés

Réf. : Cass. soc., 6 septembre 2023, n° 22-13.783, F-B N° Lexbase : A77741EN

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par Anne-Claire Chambas, INLO avocats

le 27 Septembre 2023

Mots clés : contrat de travail • faute disciplinaire • client mystère • preuve • principe de loyauté • transparence • information du salarié • pouvoir de direction

Le compte rendu d’intervention d’une société mandatée par l’employeur pour réaliser des contrôles en qualité de « client mystère » peut être utilisé pour justifier un licenciement disciplinaire, dans la mesure où les salariés étaient préalablement informés de l’utilisation de cette méthode d’évaluation professionnelle.

Le sommaire de ce dossier est à retrouver en intégralité ici : N° Lexbase : N6856BZX


 

La Cour de cassation, dans un arrêt du 6 septembre 2023, accepte la recevabilité d’une preuve obtenue par l’employeur au moyen d’un système de contrôle, couramment appelé « client mystère », des salariés.

Dans cet arrêt, un salarié a été licencié pour faute en raison d’un manquement professionnel, découlant de l’absence de remise d’un ticket après encaissement de la commande d’un client dans un restaurant libre-service conformément aux règles imposées par l’employeur. Pour démontrer que le salarié ne respectait pas le processus exigé, l’employeur produit, à l’appui du licenciement et devant le juge, le compte rendu d’intervention d’une société extérieure qu’il a mandatée pour réaliser des tests de « client mystère ».  

Le salarié faisait valoir que la mise en place d’un dispositif « client mystère » pour contrôler le travail des salariés s’apparente à un stratagème portant atteinte au principe de la loyauté de la preuve.

Le salarié considérait alors que son licenciement pour faute reposait uniquement sur une preuve déloyale, le rendant sans cause réelle ni sérieuse. La cour d’appel (CA Aix-en-Provence, 1er juillet 2021, n° 18/19333 N° Lexbase : A11044YK) a rejeté ses demandes et le salarié a formé un pourvoi en cassation. Il reproche à la cour d’appel d’avoir validé la preuve découlant d’un stratagème mis en place par l’employeur au motif que les salariés en avaient préalablement été informés sans avoir vérifié le contenu de cette information préalable et, plus précisément, si l’information sur l’objectif recherché par ce procédé avait été réalisée.

La Cour de cassation, au visa de l’article L. 1222-3 du Code du travail N° Lexbase : L0811H9W, confirme la position de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en considérant que le salarié avait été préalablement informé de cette méthode d’évaluation ce qui implique que l’employeur peut en utiliser les résultats au soutien d’une procédure disciplinaire.

La décision de la Cour de cassation valide l’utilisation du dispositif « client mystère » pour la première fois. Ainsi cette décision confirme que l’employeur du fait de son pouvoir de direction peut parfaitement contrôler l’activité de ses salariés et les évaluer (I), et utiliser les résultats obtenus dans le cadre du contrôle au soutien d’une procédure disciplinaire dès lors que les salariés en sont préalablement informés (II).

I. Le contrôle de l’activité des salariés

L’arrêt du 6 septembre 2023 valide un dispositif de contrôle de l’activité des salariés confirmant ainsi le pouvoir de direction de l’employeur (A) alors même que ce dispositif a pu être considéré par le passé comme un stratagème visant à piéger les salariés (B).

A. Le pouvoir de direction de l’employeur

Le pouvoir de contrôle de l’activité des salariés est inhérent au pouvoir de direction de l’employeur, mais il pose des difficultés dans son application et ses limites. Si l’employeur doit être en mesure de contrôler l’activité de ses salariés, il ne peut cependant pas abuser de son pouvoir. La jurisprudence est venue déterminer les contours du contrôle de l’activité des salariés.

La Cour de cassation considère notamment que « le contrôle de l'activité du salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne de l'entreprise chargé de cette mission » n’est pas illicite (Cass. soc,. 5 novembre 2014 n° 13-18.427, FS-P+B N° Lexbase : A9135MZD). A contrario, en dehors du temps et du lieu de travail, la vie personnelle du salarié ne peut normalement pas faire l'objet d'un contrôle de l'employeur. De nombreux arrêts rappellent « qu'un fait de la vie personnelle occasionnant un trouble dans l'entreprise ne peut justifier un licenciement disciplinaire » (Cass. soc,. 9 mars 2011 n° 09-42.150, FS-P+B N° Lexbase : A2470G9D) « sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail » (Cass. soc,. 3 mai 2011 n° 09-67.464, FS-P+B N° Lexbase : A2484HQ3).

Le pouvoir de contrôle de l'employeur est donc circonscrit généralement au temps de travail, au lieu de travail ou à l’utilisation des outils de travail.

Dans ce cadre, l’employeur peut organiser des contrôles réalisés par une équipe interne pour vérifier l’exécution du travail au quotidien sur les amplitudes et horaires de travail (Cass. soc,. 5 novembre 2014 n° 13-18.427, FS-P+B N° Lexbase : A9135MZD). Il peut également avoir accès aux « dossiers et fichiers créés par un salarié grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur ». Ces derniers sont présumés avoir un caractère professionnel (Cass. soc,. 18 octobre 2006 n° 13-18.427, FS-P+B N° Lexbase : A9616DRL). Une solution similaire a été rendue concernant les « les courriels adressés ou reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail » (Cass. soc,. 26 juin 2012 n° 11-15.310, F-P+B N° Lexbase : A1342IQR).

Toutefois, le contrôle de l’activité du salarié ne doit pas porter atteinte à une autre liberté fondamentale, comme le droit à la vie privée. Le juge doit alors réaliser un contrôle de proportionnalité entre l’atteinte aux libertés fondamentales des salariés et les intérêts légitimes de l’employeur pour juger de la licéité de la preuve obtenue dans le cadre du contrôle de l’activité du salarié. Ainsi un moyen de preuve est illicite lorsqu’il implique une atteinte à la vie privée des salariés (filature, vidéosurveillance, géolocalisation), insusceptible d'être justifiée, eu égard à son caractère disproportionné, par les intérêts légitimes de l'employeur (Cass. soc,. 26 novembre 2002 n° 00-42.401, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A0745A4D).

Le pouvoir de direction implique nécessairement un pouvoir de contrôle, mais il ne peut cependant pas permettre à l’employeur d’user des stratagèmes clandestins pour obtenir des preuves contre ses salariés.

B. L’interdiction de la mise en place d’un stratagème pour piéger le salarié

L’employeur doit respecter un principe de loyauté dans l’administration de la preuve et son contrôle découlant de son pouvoir de direction n’est pas sans limites. La Cour de cassation précise de longue date qu’il ne peut donc pas avoir recours à des artifices et stratagèmes visant à placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à la faute (Cass. soc., 16 janvier 1991, n° 89-41.052 N° Lexbase : A9408AAP).

De nombreux moyens de preuve sont considérés par la jurisprudence comme illicites parce qu'ils sont obtenus au moyen d’un stratagème jugé déloyal. C’est notamment le cas d’un recours à un détective privé (Cass. soc., 23 novembre 2005, n° 03-41.401, F-P N° Lexbase : A7455DLP), ou à un système de vidéosurveillance (Cass. soc., 10 novembre 2021, n° 20-12.263, FS-B N° Lexbase : A45237B7) ou encore à un système de géolocalisation (Cass. soc., 3 novembre 2011, n° 10-18.036, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5253HZL).

Concernant plus précisément le dispositif « client mystère », la Haute juridiction a également écarté les informations obtenues dans le cadre de ce dispositif en considérant qu’il s’agissait d’un stratagème déloyal : l’employeur avait envoyé de faux clients dans un magasin pour surprendre une caissière (Cass. soc,. 18 mars 2008 n° 06-45.093, FS-P+B N° Lexbase : A4784D7C). Ainsi, l’utilisation du procédé « client mystère » est considérée comme un stratagème mis en œuvre pour entrainer une faute du salarié ce qui rend impossible l’utilisation des révélations obtenues, car portant atteinte au principe de loyauté dans l’administration de la preuve. Un raisonnement analogue est réalisé par la chambre commerciale de la Cour de cassation qui écarte le recours au stratagème du « client mystère » en matière de concurrence déloyale, stratagème utilisé pour provoquer une fraude (Cass. Com., 10 novembre 2021 n° 20-14.669, F-B N° Lexbase : A45277BB et n° 20-14.670 N° Lexbase : A45287BC).

Pour autant dans l’arrêt du 6 septembre 2023, la Cour de cassation valide le procédé « client mystère ». Il semblerait donc qu’au-delà du stratagème en lui-même qui peut être considéré comme déloyal, c’est surtout la clandestinité des moyens mis en œuvre qui démontre la déloyauté de l’employeur.

Ainsi, l’information préalable des salariés serait un point crucial pour valider un dispositif de contrôle de l’activité des salariés quand bien même il s’apparenterait à un stratagème.

II. L’information préalable des salariés du dispositif d’évaluation

L’information préalable des salariés des méthodes de contrôle de son activité légalement prévue s’impose à l’employeur (A) et elle permet de valider le dispositif « client mystère » autrefois considéré comme stratagème déloyal (B).

A. L’obligation de transparence à l’égard des salariés

L’employeur est soumis à une obligation de transparence à l’égard des salariés concernés, mais également à l’égard des représentants du personnel, concernant le dispositif de contrôle de l’activité des salariés.

L’information individuelle est prévue à l’article L. 1222-3 du Code du travail [1]. Cet article impose que dans le cadre de la mise en place d’un système de contrôle de l’activité des salariés, ces derniers soient individuellement informés sur les méthodes et techniques ainsi que sur l’objectif recherché.

En l’espèce, dans l’arrêt du 6 septembre 2023, une note d’information sur le recours au dispositif « client mystère » à destination des salariés avait été rédigée et affichée par l’employeur. Cette note expliquait le fonctionnement et l’objectif du dispositif. Les juges ont donc considéré que le salarié avait parfaitement été informé, préalablement à la mise en œuvre de cette méthode d’évaluation professionnelle.

Concernant l’information collective, les articles L. 2312-37 N° Lexbase : L1434LKC et L. 2312-38 N° Lexbase : L8271LGG du Code du travail prévoient l’obligation, dans les entreprises d’au moins 50 salariés, de consulter le comité social et économique (CSE) préalablement à la décision de mise en œuvre de moyens de contrôle de l’activité des salariés. La consultation préalable du CSE doit également porter sur l’utilisation qui en est prévue (Cass. soc., 11 décembre 2019 n° 18-11.792, FS-P+B N° Lexbase : A1613Z8A).

En l’espèce dans l’arrêt du 6 septembre 2023, la Cour relève que l'employeur justifie l’information collective en produisant un compte-rendu de réunion du comité d'entreprise du 18 octobre 2016, faisant état de la visite de « clients mystères » avec mention du nombre de leurs passages.

Ainsi la preuve de l’information des salariés était rapportée ce qui a conduit la Cour de cassation à valider le dispositif « clients mystère ».

B. La validité du dispositif « client mystère » en raison de l’information préalable

La transparence du dispositif garantit la loyauté de la preuve lorsque l’employeur met en place des moyens de contrôle de l’activité de ses salariés outrepassant le cadre de son pouvoir de direction.

En effet, lorsque l’employeur exerce son pouvoir de direction, sans abus, il n’a pas à informer préalablement les salariés du dispositif. L’arrêt du 5 novembre 2014 (Cass. soc., 5 novembre 2014 n° 13-18.427, FS-P+B N° Lexbase : A9135MZD) précise bien que « le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite ». La Cour de cassation insiste sur le fait que le contrôle était confié à des cadres de l’entreprise et non à une entreprise extérieure. Elle considère donc qu’il ne s’agit que d’une délégation de pouvoir qui ne peut pas être assimilée à un dispositif de contrôle. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’informer préalablement le salarié d’une surveillance exercée par un service interne à l’entreprise.

Ce n’est que lorsque l’employeur met en place des moyens de contrôle dépassant l’exercice de son pouvoir de direction qu’il doit informer préalablement les salariés.

Cette information préalable permet donc de valider la mise en place de dispositifs s’apparentant à des stratagèmes, considérés comme déloyaux. En l’espèce, la Cour de cassation accepte le mécanisme « client mystère » pour contrôler l’activité des salariés en insistant que le fait que la preuve de l’information préalable du salarié était rapportée. Ainsi les éléments obtenus grâce à ce mécanisme ont été considérés comme licites permettant à l’employeur de les utiliser dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

Le rapport de l’entreprise extérieure ayant joué le rôle du client mystère pouvait donc valablement justifier le licenciement pour faute du salarié. Toutefois, à la différence des systèmes de vidéosurveillance ou géolocalisation qui sont difficilement contestables, un tel rapport a une valeur probante relative qui pourrait être remise en cause lors du débat judiciaire.

Dans le cadre de cet arrêt une question restera en suspens, la preuve recueillie au moyen d’une méthode d’évaluation professionnelle reposant sur un dispositif « client mystère » porte-t-elle atteinte au principe de loyauté dans l’administration de la preuve en violant les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, et 9 du Code de procédure civile N° Lexbase : L1123H4D ? La Cour de cassation dans l’arrêt du 6 septembre 2023 n’apporte pas de réponse en considérant que ce moyen porté par le salarié était irrecevable, car non soulevé en appel.

Pour la première fois, la Cour de cassation valide un dispositif « clients mystère » dès lors que le procédé de contrôle de l’activité du salarié a bien été porté à sa connaissance avant sa mise en œuvre. Les éléments obtenus pouvaient donc parfaitement être utilisés au soutien d’une procédure disciplinaire et justifier un licenciement pour faute.


[1] C. trav. art. L. 1222-3 N° Lexbase : L0811H9W: «le salarié est expressément informé, préalablement à leur mise en œuvre, des méthodes et techniques d'évaluation professionnelles mises en œuvre à son égard. Les résultats obtenus sont confidentiels. Les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie ».

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