La lettre juridique n°939 du 23 mars 2023 : Sécurité intérieure

[Textes] La police judiciaire dans la LOPMI : ses nouveaux acteurs et ses nouveaux actes

Réf. : Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) N° Lexbase : L6260MGX

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par Antoine Botton, Professeur à l’Université Toulouse 1 - Capitole, Co-directeur du Master pénal et de l’Institut de criminologie et de droit pénal Roger Merle

le 23 Mars 2023

Mots-clés :  police judiciaire • procédure pénale • phase pré-sentencielle • actes d’enquête • réforme • simplification et renforcement des investigations • régime dérogatoire de procédure pénale

Principalement commentée sous cet angle, la LOPMI ne se résume pourtant pas à la seule « départementalisation » de la police judiciaire. Elle comprend en effet un certain nombre de dispositions visant à simplifier et à renforcer les investigations, tant du point de vue des acteurs que des actes qu’ils peuvent accomplir. En cela, elle réforme indéniablement une part de la phase pré-sentencielle de la procédure pénale.


 

À tout le moins, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) a suscité de vives réactions chez les magistrats et policiers. Dans une tribune détaillée, l’Avocat général David Sénat a ainsi qualifié cette réforme de « véritable régression dans la lutte contre le crime organisé », arguant plus précisément que « la réforme projetée de la police judiciaire, tout à la fois partielle et inefficace, est une atteinte au continuum auquel concourent policiers et magistrats » [1]. La critique est rude mais partagée par un grand nombre de professionnels déplorant particulièrement la réforme structurelle de la police judiciaire [2] ; réforme qui consiste principalement à « départementaliser » cette police judiciaire en la fondant dans une direction unique et départementale de la police nationale.

Pourtant, la LOPMI [3] est bien entrée en vigueur le 24 janvier 2023, avec pour ambition affichée de « répondre aux enjeux sécuritaires et territoriaux des années à venir » [4], la restructuration de la police judiciaire visant précisément, pour reprendre les termes mêmes du futur ex-directeur central de la police judiciaire, à lutter contre « l’embolisation des services » de police [5].

Que le lecteur se rassure toutefois, il ne sera nullement question ici de l’utilité pratique d’une telle réforme, tant notre incompétence en ce domaine est manifeste.

Il conviendra ici de se concentrer sur les enjeux juridiques de la LOPMI et ce, comme le titre de cette étude l’indique, en considérant son effet tant sur les acteurs que sur les actes de police judiciaire.

Sur le premier point, la restructuration de la police judiciaire suscite principalement deux interrogations juridiques. D’une part, pareille réforme met-elle à mal le principe de séparation des pouvoirs ou, si l’on préfère, celui d’indépendance de l’autorité judiciaire ? D’autre part, la départementalisation de la police judiciaire ne risque-t-elle pas de nuire à l’efficacité des enquêtes touchant à la délinquance et à la criminalité organisées ?

Si la réorganisation de la police judiciaire est centrale dans la loi commentée, elle ne la résume pas pour autant. En effet, celle-ci comprend également des dispositions facilitant l’accès au grade d’officier de police judiciaire (OPJ) [6] ou créant des assistants d’enquête [7]. Ces réformes, visant elles aussi à « renforcer la filière d’investigation » [8], soulèvent des interrogations quant à la suffisance des compétences et partant, des garanties d’intervention de ces nouveaux acteurs.

Quant au second point, touchant aux actes de police judiciaire, la présente loi est une illustration de la volonté législative contemporaine de simplification et de renforcement des investigations. Simplification dans la mesure où certaines formalités jusque-là requises disparaissent ou ne sont plus sanctionnées. Renforcement car la LOPMI étend le champ d’application des techniques spéciales d’enquête du régime dérogatoire de délinquance organisée. En cela, précisons qu’elle réussit là où la loi de programmation pour la justice 2018-2022 du 23 mars 2019 [9] avait échoué puisque le Conseil constitutionnel, saisi de l’examen a priori de la LOPMI, n’a cette fois-ci [10] rien trouvé à redire à pareille expansion du régime dérogatoire [11].

Ces évolutions, en facilitant les investigations, impliquent fatalement une réduction des garanties et des droits de la personne mise en cause, dans une dimension et un contexte qu’il conviendra de cerner.

Toutefois, comme annoncé plus haut, avant d’envisager ces nouveaux actes (II.), il faut considérer l’incidence de la LOPMI sur les acteurs de la police judiciaire (I.).

I. Les acteurs de la police judiciaire dans la LOPMI

La conception managériale de la justice pénale ne se cantonne pas à la phase juridictionnelle, la preuve en est : elle préside directement à la réforme étudiée de l’enquête de police judiciaire. De fait, tant l’apparition de « turbo-OPJ » que d’assistants d’enquête visent à accélérer et fluidifier le cours des investigations. La fusion de la police judiciaire dans une direction unique, à l’échelon départemental, répond à ce même souci d’efficacité procédurale et partant, répressive.

En premier lieu et d’une part, la qualité d’OPJ peut dorénavant s’obtenir sans compter trois ans de service dans la gendarmerie ou la police [12], même si l’habilitation par le procureur général près la cour d’appel à exercer les fonctions attachées à cette qualité ne pourra intervenir qu’après 30 mois de service à compter de leur formation initiale – et non de leur titularisation – [13].  Ces dispositions, remises en cause par les auteurs de la saisine a priori du Conseil constitutionnel, ont d’ailleurs précisément été validées en considération de la persistance de cette habilitation par l’autorité judiciaire, la norme constitutionnelle opérante étant ici l’article 66 de la Constitution dont il résulte que « la police judiciaire doit être placée sous la direction et le contrôle de l’autorité judiciaire » [14]. Cela étant précisé, la réforme vise une augmentation sensible du nombre d’OPJ. À cet égard et ainsi qu’il l’est exprimé dans le rapport annexé à la LOPMI, l’objectif du ministère de l’Intérieur est de disposer de 2 800 nouveaux OPJ en 2023 contre 1 200 en 2021 [15].

D’autre part et suivant une même logique, sont créés des assistants d’enquête ayant « pour mission de seconder, dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers et les agents de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie nationale, aux seules fins d’effectuer, à la demande expresse et sous le contrôle de l’officier de police judiciaire ou, lorsqu’il est compétent, de l’agent de police judiciaire » certains actes tels que la convocation de personnes, la notification de ses droits à la victime, la mise en œuvre des réquisitions ou encore la transcription d’interceptions de télécommunications [16]. Si le champ de compétences de ces assistants d’enquête est relativement étendu, il faut cependant relever qu’il connaît des limites constitutionnelles. À ce titre, le Conseil, dans la décision de contrôle de la présente loi, a partiellement censuré les dispositions étudiées en ce qu’elles permettaient aux assistants d’enquête d’opérer des transcriptions de communication identifiées comme nécessaires par de simples agents de police judiciaire. Considérant qu’une telle possibilité ne garantissait pas le contrôle par un OPJ sur de telles opérations, le juge constitutionnel les a effectivement jugées contraires à l’article 66 de la Constitution [17].

Cette censure enseigne ainsi que la participation des assistants d’enquête à l’exécution d’actes particulièrement attentatoires à un droit ou une liberté – tels que ceux d’interception de télécommunications – est conditionnée par la qualité d’OPJ de l’ordonnateur. C’est sans doute là la moindre des exigences à une époque où le contrôle par le procureur de la République de l’accès aux données dans le cadre de réquisitions a été jugé contraire au droit de l’Union européenne. Comment en effet ne pas percevoir le décalage entre cette exigence conventionnelle, récemment reconnue par la Cour de cassation [18], et la possibilité laissée, dans les dispositions commentées, aux assistants d’enquête de procéder aux réquisitions de données personnelles « avec l’autorisation préalable du procureur de la République » (sic) [19] ?

Par ailleurs, au vu l’objectif sus-évoqué d’augmentation importante et à court terme du nombre d’OPJ, comment ne pas relativiser l’exigence constitutionnelle de leur intervention ? Dans cette perspective, il est utile de rappeler que le même Conseil constitutionnel, dans sa décision « Garde à vue I » du 30 juillet 2010 [20], avait précisément jugé que le fait qu’entre « 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire (soit) passé de 25 000 à 53 000 » constituait une modification nécessitant de réexaminer sa position initiale de validité du régime de garde à vue. Il sous-entendait nécessairement que la garantie de placement en garde à vue par OPJ n’était plus la même depuis que ceux-ci étaient moins strictement sélectionnés. Or, tel sera fatalement le résultat d’une formation accélérée de policiers et gendarmes frais émoulus de leur scolarité, ainsi que l’ambitionne le ministère de l’Intérieur.

En second lieu, la réforme principale concernant les acteurs de la police judiciaire consiste évidemment dans la refonte de leur commandement. Ainsi que le rapport annexé à la LOMPI le précise, l’objectif est effectivement d’unifier la direction de la police nationale à l’échelle départementale [21]. Par conséquent, la police judiciaire sera dorénavant fondue dans – et donc pilotée par – des directions départementales de la police nationale (DDPN), ceci impliquant la suppression de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

Comme rappelé en introduction, cette réorganisation de la police judiciaire a suscité, chez les magistrats et policiers, des critiques de deux ordres.

Tout d’abord, la réforme est perçue comme une atteinte au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire, avec la perspective de remontées d’informations directes au préfet dans des affaires en cours. Le risque est réel tant l’autorité du préfet sur les DDPN est indéniable. Il faut néanmoins remarquer que de telles remontées d’informations au pouvoir exécutif sont d’ores et déjà permises par la combinaison des articles 35, alinéa 3 N° Lexbase : L4928IXS et 39-1 N° Lexbase : L4929IXT du Code de procédure pénale. Or, ces dispositions prévoyant la communication au ministre de la Justice de rapports particuliers portant sur des procédures judiciaires en cours ont, rappelons-le, été déclarées conformes au dit principe d’indépendance de l’autorité judiciaire [22].

La dernière comparaison est toutefois abusive, donc partiellement trompeuse. D’une part, cette communication entre magistrats de l’autorité judiciaire et potentiellement le ministre de la Justice ne sauraient être assimilée à celle entre le préfet et la future DDPN. D’autre part, l’échelon départemental et partant, la proximité pouvant exister entre « les partenaires de la police nationale participant au continuum de sécurité » [23] dans le département multiplient fatalement les hypothèses de communications problématiques d’informations sur les affaires en cours.

La réforme est ensuite critiquée sous l’angle de son efficacité. Précisément, l’échelle départementale tranche a priori avec les échelles régionales (JRS), inter-régionales (JIRS) voire nationales (PNF, PNAT) qui caractérisent aujourd’hui l’organisation de la justice pénale, notamment dans sa dimension de lutte contre la délinquance et la criminalité organisées [24]. Dans un même ordre d’idées, les premiers succès du parquet européen dans la mission qui lui est aujourd’hui assignée [25] font forcément douter de la pertinence d’une conception de la police judiciaire à si petit échelon. De telles observations restent néanmoins sujettes à discussion.

D’une part, la délinquance et la criminalité ne se résument pas à celles organisées. Or, l’objectif de la réforme est précisément de permettre une meilleure lutte contre la délinquance du quotidien, où le ressort départemental trouve alors sa raison d’être. D’autre part, le rapport annexé à la LOPMI fait mention de certaines garanties pour le maintien d’une police judiciaire adaptée à une délinquance de grande ampleur, au premier rang desquelles on trouve le maintien des offices centraux et la création ponctuelle d’un échelon zonal de police judiciaire [26]. Sera-ce suffisant ? Selon un certain nombre d’acteurs et de commentateurs autorisés, assurément non [27].

Si la LOPMI est essentiellement commentée par le prisme des acteurs de la police judiciaire, elle vise également à simplifier et renforcer leur action. Pour ce faire, elle leur facilite l’accomplissement d’actes d’enquête déjà permis mais aussi leur ouvre l’usage de nouveaux actes ou des techniques spéciales d’enquête du régime dérogatoire de procédure pénale.

II. Les actes de la police judiciaire dans la LOPMI

La LOPMI poursuit ici deux objets principaux : simplifier et renforcer l’action des enquêteurs.

Au titre de la simplification, l’article 3 de la loi adapte l’article 706-154 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6563MG8 relatif aux saisies simplifiées – eu égard au régime de l’article 706-153 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7453LPQ –  de comptes bancaires aux progrès technologiques, en y ajoutant celle des « actifs numériques ». De même, l’article 20 allège le dispositif d’intervention de la police technique et scientifique en leur permettant, sur sollicitation d’un OPJ ou d’un APJ, de directement procéder aux constatations et examens techniques sans qu’il soit préalablement procédé à une réquisition.

Surtout, l’article 23 de la LOPMI légalise une pratique : l’autorisation générale et préalable de réquisitions par le procureur de la République dans le cadre d’enquêtes préliminaires. Concrètement, suivant cette pratique, le procureur peut autoriser pour l’avenir la réalisation de réquisitions par les officiers ou agents de police judiciaire, sans que ceux-ci aient à constamment à le solliciter à cette fin. Or, pareille autorisation générale et préalable avait précisément été jugée illégale par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, celle-ci ayant considéré, dans une formule de principe, que « l'autorisation donnée par le procureur de la République aux officiers de police judiciaire de faire procéder à des examens techniques ou scientifiques doit être donnée dans le cadre de la procédure d'enquête préliminaire en cours et non par voie d'autorisation générale et permanente préalable » avant d’ajouter que « cette interprétation est commandée par la nécessité de garantir la direction effective des enquêtes préliminaires par le procureur de la République » [28]. La loi commentée met donc un terme à l’interdiction jurisprudentielle, tout en entourant cette faculté d’autorisation générale de certaines limites et garanties. Ces réquisitions préalablement autorisées sont ainsi cantonnées aux seuls cas visés par la loi, tels que la remise d’enregistrements de vidéoprotection ou encore de données relatives à l’état civil ; sont limitées dans le temps (six mois au maximum) ; donnent systématiquement lieu à un avis au procureur de la République qui peut les modifier ou y mettre un terme à tout moment. À cela s’ajoute que le dispositif fera l’objet d’une évaluation dans le délai de deux ans suivant la date de promulgation de la LOPMI.

Ces garanties ont été jugées suffisantes par le Conseil constitutionnel, qui a validé le dispositif, et ce, principalement « au regard de la nature des informations pouvant faire l’objet de réquisitions » [29]. Si les informations ainsi obtenues ne portent effectivement pas d’atteintes graves à la vie privée, il n’en demeure pas moins que cette simplification du régime des réquisitions dans l’enquête préliminaire tranche avec l’exigence européenne déjà évoquée concernant les autorisations d’accès aux données personnelles dans un cadre d’enquête. Il faut à cet égard relever que ces nouvelles dispositions, contenues dans l’article 77-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6551MGQ, ne tiennent pas compte de l’affirmation jurisprudentielle précitée suivant laquelle : « Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas préalablement à l’accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante » [30].

- Poursuivant un objet de renforcement de l’action de la police judiciaire, la LOPMI (article 16) étend par ailleurs la procédure dérogatoire de délinquance et de criminalité organisées au délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de faiblesse commis en bande organisée ainsi qu’aux crimes sériels de meurtre et de viol, les ajoutant pour ce faire à liste de l’article 706-73 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6560MG3. Cette expansion du régime dérogatoire et partant, des techniques spéciales d’enquête qu’il contient, appelle principalement deux observations.

En premier lieu, le développement ponctuel du champ d’application de ces techniques spéciales s’oppose à la tentative d’extension générale à tous les crimes du législateur du 23 mars 2019 [31]. Comme relevé en introduction, le législateur actuel a sans doute appris des erreurs passées, ayant notamment retenu que le Conseil constitutionnel avait précisément refusé que le régime dérogatoire soit applicable à des infractions qui, seraient-elles graves, ne revêtiraient pas le caractère de gravité justifiant la mise en œuvre de techniques d’enquête particulièrement attentatoires aux droits et libertés [32]. Suivant cette logique, le Conseil a justement relevé dans sa décision relative à la LOPMI que les délits et crimes ajoutés à la liste de l’article 706-73 du Code de procédure pénale répondent aux critères de complexité et de gravité, permettant ainsi que soit mis en œuvre à leur égard l’ensemble des techniques spéciales d’enquête, garde à vue dérogatoire comprise [33].

En second lieu, la LOPMI rend le régime dérogatoire applicable à un nouveau type d’infractions : les crimes sériels. En cela, elle est comparable à la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui, quant à elle, étendait -par renvoi- une partie du régime dérogatoire à certaines infractions d’affaires listées dans un article 706-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6054LM8. Comme cette dernière, la loi commentée, en ouvrant le domaine d’application de la procédure pénale dérogatoire aux crimes sériels, procède par là même à sa « parcellisation », loin de l’idéal d’unification des règles dérogatoires ayant présidé à la création, par la loi Perben II du 9 mars 2004 N° Lexbase : L1768DP8, des articles 706-73 et suivants du Code de procédure pénale. Si l’on résume la situation, il n’y a plus aujourd’hui un régime dérogatoire mais des dispositions exceptionnelles qui s’appliquent au gré d’un renvoi ponctuel [34] ou de la présence sur l’une des listes d’infractions [35] que comprend le Titre XXV du Livre IV du Code de procédure pénale consacré à « la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisées et aux crimes ». Or, dans cette perspective, si la présente loi offre des outils assurant l’efficacité des investigations relatives aux crimes sériels de meurtre de viol, elle participe nécessairement au chaos législatif. Pour le dire autrement, sans doute justifié sur le fond, cet ultime ajout à la liste de l’article 706-73 du Code de procédure pénale rend urgente l’intervention d’un législateur soucieux de l’intelligibilité de notre procédure pénale.

Cette dernière remarque en appelle une autre, conclusive, qui concerne également le travail législatif. À l’instar d’un de nos collègues s’étonnant que l’incrimination d’outrage sexiste aggravé procède de la LOPMI [36], il est difficile d’admettre que des dispositions de procédure pénale telles que celles relatives aux actes d’enquête en soient issues. La réforme à venir de la procédure, relevant du plan d’action, n’offrait-elle pas une occasion législative idoine ? À moins qu’il faille y voir un autre signe de confusion entre police et justice, moins manifeste mais tout aussi inquiétant que la restructuration de la police judiciaire. Le législateur aurait alors le mérite de la cohérence, au mépris il est vrai d’un principe cardinal de l’État de droit : celui de séparation des pouvoirs. Il serait bon en effet que le ministre de l’Intérieur comme celui de la Justice (re)lisent -ensemble ?- l’article 16 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ».

 

[1] D. Sénat, Réforme de la police judiciaire : « Une véritable régression dans la lutte contre la criminalité organisée », Tribune, Le Monde du 3 novembre 2022 [en ligne].

[2] V. Notamment, Le projet de réforme de la police judiciaire menace l’efficacité des enquêtes et l’indépendance de la justice, Tribune collective, Le Monde du 31 août 2022 [en ligne].

[3] Loi n° 2023-22, du 24 janvier 2023, d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) N° Lexbase : L6260MGX.

[4] Selon les termes du communiqué de presse du Conseil des ministres du 7 septembre 2022 [en ligne].

[5] Propos rapportés de M. Jérôme Bonet, Directeur de la PJ, face à une mission d’information parlementaire à l’Assemblée nationale : « On ne peut pas se satisfaire de procédures qui dorment par milliers » : à l’Assemblée, le directeur central de la police judiciaire défend une réforme contestée, Le Monde, 17 novembre 2022  [en ligne].

[6] LOPMI, art. 17.

[7] LOPMI, art. 18.

[8] Intitulé du chapitre 1er du Titre IV de la LOPMI.

[9] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

[10] V. en effet, à l’inverse, Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. 133 à 147, 158 à 166 N° Lexbase : A5079Y4U : A. Botton, Contrôle de la loi de Programmation Justice : le Conseil constitutionnel entre « chameaux et moustiques » de procédure pénale, JCP G, n°14, avril 2019, p. 634.

[11] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, par. 68 à 77 N° Lexbase : A936588D.

[12] LOPMI, art. 17.

[13] Ibid.

[14] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 78 à 82.

[15] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, n°3.1.1. « Former plus d’officiers de police judiciaire) [en ligne].

[16] C. proc. pén., art. 21-3 N° Lexbase : L6524MGQ (tel qu’issu de l’article 18 de la LOPMI).

[17] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 89.

[18] Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710 ; n° 83.820 ; n° 84.096 N° Lexbase : A84348AM : « Les articles 60-1 et 60-2, 77-1-1 et 77-1-2 du code de procédure pénale sont contraires au droit de l’Union uniquement en ce qu’ils ne prévoient pas préalablement à l’accès aux données un contrôle par une juridiction ou une entité administrative indépendante ». Ces arrêts et cette formule ne faisant que tirer les conséquences de l’arrêt HK c/ Prokuratuur rendu par la CJUE (CJUE, 2 mars 2021, aff. C-746/18, HK c/ Prokuratuur, point 52 N° Lexbase : A49864II).

[19] C. proc. pén., art. 21-3, 2e al. 3°.

[20] Cons. const., décision n° 2010-14/22 QPC, du 30 juillet 2010, Daniel W. et autres (Garde à vue), cons. 17 N° Lexbase : A4551E7P.

[21] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, préc. n° 2.3.2.

[22] Cons. const. décision n° 2021-927 QPC, du 14 septembre 2021, Ligue des droits de l’homme N° Lexbase : A315244I. (Transmission de rapports particuliers par les procureurs à leur autorité hiérarchique) : P. Le Monnier de Gouville, Remontées d'informations du parquet et indépendance judiciaire, La Gazette du Palais, 16 novembre 2021, n° 40, p. 20-23 ; A. Botton, Les magistrats du parquet, des subordonnés indépendants et des parties impartiales, RSC, octobre-décembre 2021, n° 4, p. 887-892.

[23] Expression tirée du rapport annexé à la LOPMI : Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, préc. n° 2.3.2.

[24] V. sur cet aspect, D. Sénat, Réforme de la police judiciaire : « Une véritable régression dans la lutte contre la criminalité organisée », préc.

[25] A. Vidalie, Fraude à la TVA : comment l’Europe a frappé un grand coup avec l’opération « Amiral », Le Monde, 9 février 2023 [en ligne].

[26] Rapport sur la modernisation du ministère de l’Intérieur annexé à la LOPMI, préc. n° 2.3.2.

[27] Outre la Tribune de D. Sénat, voir également, CSM, communication du 26 octobre 2022 [en ligne] ; C. Cutajar, Départementalisation de la police : une réforme inutile et contestée, AJ pénal, 2022 p. 497.

[28] Cass. crim., 17 décembre 2019, n° 19-83.574, FS-P+B+I N° Lexbase : A1350Z9U.

[29] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 122 à 130.

[30] Cass. crim., 12 juillet 2022, n° 21-83.710 ; n° 83820 ; n° 84096, préc.

[31] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, préc.

[32] Cons. const., décision n° 2019-778 DC, du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, par. 158 à 166.

[33] Cons. const., décision n° 2022-846 DC, du 19 janvier 2023, LOPMI, préc., par. 68 à 77.

[34] C’est le cas de l’article 706-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6054LM8 précité, en matière de délinquance d’affaires.

[35] Il y a en effet deux listes d’infractions contenues aux articles 706-73 (application de l’ensemble des techniques spéciales d’enquête) et 706-73-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L6561MG4 (application des techniques spéciales d’enquête à l’exception du régime dérogatoire de garde à vue). Cette distinction résulte de la loi n° 2015-993 du 17 août 2015, traduction législative d’exigences constitutionnelles N° Lexbase : L2620KG7.

[36] E. Dreyer, Outrage sexiste ou outrage à la raison ?, Gazette du Palais, 14 février 2023.

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