La lettre juridique n°928 du 15 décembre 2022 : Assurances

[Chronique] Chronique de droit des assurances – Décembre 2022

Lecture: 29 min

N3666BZS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Chronique] Chronique de droit des assurances – Décembre 2022. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/90642046-chronique-chronique-de-droit-des-assurances-decembre-2022
Copier

par Rodolphe Bigot et Amandine Cayol, Maître de conférences en droit privé à l’Université du Mans, et Maître de conférences en droit privé et codirectrice du Master Assurances et personnes de l’Université de Caen Normandie

le 15 Décembre 2022

Mots-clés : assurance • contrôle • Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) • assurance vie • intermédiaire en assurance • démarchage téléphonique • Garantie pertes d’exploitation • Covid 19

Lexbase Hebdo – Droit privé vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Rodolphe Bigot, Maître de conférences en droit privé et codirecteur de la Licence Assurance Banque Finance à l’Université du Mans et par Amandine Cayol, Maître de conférences en droit privé et codirectrice du Master Assurances de l’Université Caen Normandie. Au sommaire de cette chronique, seront abordés deux thèmes importants : en premier lieu, la surveillance resserrée sur le secteur de l’assurance opérée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et, en second lieu, le problème des pertes d’exploitation en raison des fermetures administratives (enfin !) arrivé devant la Cour de cassation, dont la décision ressemble davantage à une opération de délestage du dense contentieux en stock – plusieurs milliers d’assurés en attente – qu’à une solution juridique convaincante.


 

I. Bilan annuel de l’ACPR : un contrôle resserré du secteur de l’assurance

L’année 2022 semble marquer un progrès dans la surveillance opérée par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) à l’égard des entreprises d’assurances et des intermédiaires d’assurances. Cette autorité administrative indépendante (AAI) doit veiller non seulement à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle, mais aussi à la préservation de la stabilité du système financier [1]. L’ACPR est ainsi l’organe de tutelle de deux secteurs : celui de la banque et celui de l’assurance. En d’autres termes, une mission de police administrative  à l’égard des compagnies d’assurance lui est confiée [2]. L’entité de contrôle prend alors la forme, si l’on ose dire, d’un « dragon à trois têtes » : le collège de supervision, le collège de résolution et la commission des sanctions.  

Si les établissements bancaires faisaient l’objet d’un contrôle a priori plus serré, du moins plus fréquent, depuis quelques années, les pratiques des assureurs et acteurs assimilés (au sens large : intermédiaires, mandataires, courtiers, agents généraux…) commencent également à être observées de manière plus attentives. Entre avril et octobre 2022, ce n’est pas moins de quatre sanctions qui ont été prononcées en matière d’assurances [3], les autres décisions de la commission des sanctions touchant à la partie bancaire [4], notamment la dernière en date du 1er décembre 2022 eu égard à des carences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (Caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Languedoc) [5]. Par comparaison, en 2021, de même qu’en 2020 et en 2019, deux décisions seulement concernaient l’assurance [6] sur une douzaine de décisions, le secteur bancaire faisant ainsi l’objet de l’attention prédominante.

A. Les manquements graves en matière de contrats d’assurances-vie en déshérence

Trois assureurs ont été sanctionnés – d’un blâme et de sanctions pécuniaires – par la Commission des sanctions de l’ACPR au cours du premier semestre de l’année 2022. Une résistance à l’application de la réglementation – issue de la loi « Eckert » [7]  relative aux contrats d’assurance-vie en déshérence et visant à rendre efficient le paiement de la garantie – fut ainsi mise en lumière [8].

Mars 2022 - Sanction de huit millions d’euros à l’encontre de MUTEX. Une sanction pécuniaire de huit millions d’euros a été prononcée à l’encontre de MUTEX en début d’année. L’ACPR a relevé que « Les manquements aux obligations d’information sont graves, notamment quand ils ne permettent pas aux adhérents des contrats de savoir que les prestations auxquelles ils ont droit peuvent être liquidées [et que] Mutex ne pouvait ignorer l’importance de l’obligation que lui imposait la loi de se doter de dispositifs efficaces en matière de déshérence » [9].

Mai 2022 - Sanction d’un million d’euros à l’encontre de MGEN Vie. Pour des faits qui ne semblaient pourtant pas traduire une plus faible gravité que dans l’affaire précédente et qui interpellent eu égard à la communication régulière sur ses valeurs mutualistes [10], la mutuelle MGEN Vie a fait l’objet, le 12 mai 2022, d’une sanction financière d’un million d’euros infligée par la Commission des sanctions de l’ACPR [11]. Cette peine est très fortement minorée par rapport à celle de cinq millions d’euros que préconisait pourtant, compte tenu de la longue persistance dans le temps de pratiques contra legem, le représentant du Collège de supervision. L’ACPR avait pourtant annoncé, en 2014, les critères retenus pour expliquer la proportionnalité des sanctions prononcées [12]. Les trois éléments pris en compte sont habituellement, en ce qui concerne essentiellement le montant de la sanction pécuniaire, la particulière gravité des manquements commis, l’insuffisance des mesures correctives adoptées et l’impossibilité d’avoir connaissance des capacités financières des personnes sanctionnées [13]. Une voie médiane existe toutefois – qui éviterait de sanctionner la mutualité des adhérents assumant in fine concrètement la peine financière par la très probable augmentation, par report de la sanction initiale, des cotisations d’assurance – consistant, dans un contexte de forte centralisation décisionnelle de la MGEN, à suspendre temporairement, voire à démettre d’office, un ou plusieurs de ses dirigeants. À cet effet, le silence des textes n’étant pas forcément un frein [14], la doctrine de l’ACPR n’impose pas de rechercher « si une “faute détachable” de l’exercice de ses fonctions peut lui être reprochée ou si le comportement qui lui est reproché résultait d’une intention de ne pas respecter les obligations applicables à sa profession » [15].

Relevons que, parmi de multiples griefs ressortant des opérations de contrôle, outre les conflits d’intérêts majeurs [16], « MGEN Vie ne mettait pas en œuvre les modalités spécifiques d’information des adhérents de la garantie PID sur les modalités et les conséquences de la désignation de bénéficiaires prévues par la loi (grief 1) ; qu’elle n’a pas totalement respecté les obligations liées à la mise en place des dispositifs AGIRA, pour les contrats dont la gestion était déléguée et, jusqu’en 2017, pour les contrats « frais funéraires » (grief 2) ; que, dans un certain nombre de dossiers, ses diligences pour rechercher les bénéficiaires des garanties étaient encore, à la date du contrôle, insuffisantes (première partie du grief 3) ; que, dans un certain nombre d’autres dossiers, la prestation PID a été versée à la MGEN à la suite de diverses erreurs ou alors que, dans certains cas, elle aurait dû être intégrée à la succession, dans d’autres cas, l’absence de bénéficiaires de rang supérieur à la MGEN n’était pas suffisamment établie, dans d’autres cas encore, l’établissement avait, du fait d’une analyse juridique erronée, exclu par principe que des légataires universels puissent être regardés comme des héritiers (troisième partie du grief 3) ; qu’enfin, elle procédait à des prélèvements indus sur les capitaux décès en cas de cotisations impayées (grief 4) » [17].

Mai 2022 - Sanction de trois millions d’euros à l’encontre de NATIXIS INTEREPARGNE. Le 30 mai 2022, l’ACPR a condamné la société NATIXIS INTEREPAGNE au paiement de trois millions d’euros en raison de manquements « qui résultent aussi bien d’erreurs d’analyse juridique que de carences opérationnelles et d’une insuffisance du contrôle interne, traduis[ant] une adaptation insuffisante et tardive de l’établissement aux exigences de la loi Eckert » [18].

B. Les obligations d’information et de conseil bafouées par des intermédiaires en assurance usant du démarchage téléphonique

Octobre 2022 - Interdiction d’exercer pendant sept ans d’un intermédiaire en assurance (Résurgence Assurances : ex-Viva Conseil) pour non-respect des obligations d’information et de conseil. Peu de temps après que la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée, pour la première fois, sur l’application de la Directive (UE) 2016/97 (dite « DDA) N° Lexbase : L3623KYT pour retenir une conception large d’intermédiaire d’assurance [19], par une décision du 17 octobre 2022, la Commission des sanctions de l’ACPR prononce une interdiction d’exercer pour une durée de sept ans pour la société et pour son dirigeant de fait-associé majoritaire, et de cinq ans pour sa dirigeante de droit [20], et inflige une sanction pécuniaire de 20 000 euros aux premiers et de 10 000 euros à la dernière, par une décision publiée sous forme nominative pendant la durée des interdictions d’exercer, puis sous une forme non nominative [21]. Simple exemplarité ou exemplarité à géométrie variable ? Il paraît plus facile de s’attaquer aux petits poissons qu’aux gros, comme le laissent penser l’absence de sanction à l’égard des dirigeants dans les décisions précédemment rappelées.

En l’espèce, « alors qu’un décret d’application de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux vient de paraître (décret n° 2022-1313 du 13 octobre 2022 relatif à l’encadrement des jours, horaires et fréquence des appels téléphoniques à des fins de prospection commerciale non-sollicitée N° Lexbase : L5828MEL), la Commission des sanctions de l’ACPR fait preuve de fermeté à l’égard de certaines pratiques de vente à distance de produits d’assurance » [22]. Elle motive le prononcé d’une sanction en insistant sur le fait que « l’information et le conseil constituent le cœur même de l’activité d’intermédiation en assurance et [que] les obligations imposées par le législateur ont pour but de protéger les clients contre les risques d’abus de la part des distributeurs de produits d’assurance : manquer gravement aux obligations en matière d’information et de conseil, c’est méconnaître totalement les exigences d’une telle profession ». Selon elle, de tels manquement sont « susceptibles de préjudicier gravement aux personnes prospectées […] surtout lorsqu’elles sont, du fait de leur âge ou de leur situation, vulnérables ». Elle ajoute que « ce qui vaut pour l’activité d’intermédiation exercée selon les modalités qu’avait choisies Viva Conseil (vente à distance) vaut aussi bien pour toutes les autres modalités d’intermédiation en assurance : les obligations sont, en substance, les mêmes, leur méconnaissance est susceptible d’entraîner les mêmes conséquences ».

La Commission des sanctions a estimé fondé l’ensemble des griefs notifiés à la société par le Collège de supervision. Il s’agit, d’une part, du défaut de remise, en temps utile [23] (comme l’exigent les articles L.  222-6 du Code de la consommation N° Lexbase : L1550K7K et L. 112-2 du Code des assurances N° Lexbase : L3935LKX), de l’information précontractuelle sur support durable (en violation des articles L. 112-2 du Code des assurances et L. 222-6, al. 1er du Code de la consommation applicables à la fourniture à distance d’opérations d’assurance à un consommateur en vertu de l’article L. 112-2-1, I, 1° du Code des assurances N° Lexbase : L7820IZN) et, d’autre part, de l’inexactitude et de l’insuffisance des informations communiquées relatives à l’intermédiaire d’assurance (C. assur.,  art. L. 521-2 N° Lexbase : L3972LKC, I et II, R. 521-1, I N° Lexbase : L5496LKR et R. 521-1 N° Lexbase : L5495LKQ) et des informations précontractuelles devant être fournies oralement sur le fonctionnement du contrat, son contenu et les droits du client [24] (C. assur., art. L. 112-2-1, III N° Lexbase : L7820IZN et R. 112-4 N° Lexbase : L4099MEK), enfin, de divers manquements au devoir de conseil (C. assur., art. L. 521-4 N° Lexbase : L3970LKA et L. 521-6 N° Lexbase : L3968LK8 : comme l’utilisation, dans la fiche d’information et de conseil, de phrases-types non complétées par des informations propres aux clients ou encore de la non-indication des raisons motivant la proposition de contrat).

II. L’opération de délestage du contentieux des pertes d’exploitations AXA par la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 1er décembre 2022, 4 arrêts, n° 21-15.392 N° Lexbase : A45218WD, n° 21-19.341 N° Lexbase : A45408W3, n° 21-19.342 N° Lexbase : A54888W8, et n° 21-19.343 N° Lexbase : A54858W3, FS-B+R)

Les quatre arrêts rendus le 1er décembre 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation concernant la prise en charge par les assureurs des pertes d’exploitation subies par les restaurateurs en raison de la fermeture administrative de leurs établissement pendant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 étaient attendus. Ils s’avèrent malheureusement fort décevants en pratique, et surprenants – pour ne pas dire discutables – en théorie au regard, tant du droit commun des contrats que du droit spécial du contrat d’assurance.

On s’attendait pourtant à ce que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation cherche à trouver une solution empreinte d’analyse économique du droit, après le tapage nocturne et diurne opéré dans les médias par certains acteurs de l’assurance lors de la dernière crise sanitaire. Rappelons les discours de faillites en série annoncées... Mais que nenni ! Une minutieuse analyse des chiffres annuels du secteur de l’assurance depuis dix ans, en particulier à la lumière des rapports de l’ACPR, a pourtant permis de mettre en lumière que « l’année 2021 est, d’abord, une année record à bien des égards et permet de constater que, si crise il y a eu, cette dernière est désormais loin derrière nous. Mis en perspective avec le rapport de 2020, ensuite, il semblerait que le secteur de l’assurance n’ait été finalement que peu affecté (au stade macro-économique encore une fois) par la crise sanitaire. Enfin, bien loin d’une image de secteur en crise, l’analyse comparée des rapports publiés depuis 2010 par l’ACPR montre que, dans une perspective de plus long terme, le secteur de l’assurance semble pris dans une spirale de croissance quasi-continue » [25]. Dès lors, si l’économie de l’assurance est à son mieux, pourquoi rendre une telle décision, étonnamment favorable à l’assureur AXA ?

Rappelons que l’assurance perte d’exploitation a pour objectif de « garantir l’entreprise pour les pertes subies suite à la réduction du chiffre d’affaires, les manques à gagner et paralysies [26]. Par une sorte de fiction, cette assurance a pour fonction d’effacer la période d’interruption de l’activité de l’entreprise » [27]. La garantie des pertes d’exploitation subies lors de la pandémie de Covid-19 a donné lieu à un abondant contentieux. Les solutions fluctuantes retenues par les juges du fond [28] ont été source d’une profonde incertitude, tant pour les assurés que pour les assureurs [29]. L’intervention de la Cour de cassation sur le sujet est donc importante, particulièrement concernant le contrat AXA litigieux, souscrit par plusieurs milliers de restaurateurs, hôteliers, ou encore gérants de club de sports ayant subi des fermetures administratives similaires.

Il est vrai que toutes les polices ne sont pas identiques [30] : l’assurance des pertes d’exploitation est celle du « sur-mesure » contractuel, qui y est « sans doute plus marqué que pour les autres garanties » [31]. Selon l’ACPR, « les conséquences d’un événement aussi exceptionnel que la pandémie actuelle ne sont, en règle générale, pas couvertes par les contrats en vigueur. Ainsi, la mise en œuvre de la garantie « pertes d’exploitation » est exclue pour 93 % des assurés au titre des contrats analysés » [32]. Ceci résulte, d’abord, souvent de la nécessité qu’une autre garantie puisse être mobilisée, l’assurance des pertes d’exploitation étant très majoritairement conçue « comme une extension de garantie, destinée à prendre en charge les suites d’un sinistre lui-même indemnisé » [33]. En effet, « les assureurs distinguent les dommages immatériels, économiques ou financiers, consécutifs à des dommages matériels ou corporels garantis, et les dommages immatériels purs ». S’agissant de ces derniers, « les assureurs ne les garantissent qu’avec réticence et souvent moyennant une surprime dans les assurances des entreprises » [34]. Ensuite, la garantie des pertes d’exploitation n’est, dans tous les cas, due qu’à la suite d’un évènement couvert par le contrat d’assurance souscrit. Tout dépend ici des stipulations contractuelles, certains contrats ne couvrant que les pertes consécutives à un évènement accidentel ou d’origine malveillante (et non les fermetures administratives). Enfin, aucune clause ne doit avoir prévu d’exclusion de garantie susceptible d’être invoquée par l’assureur pour refuser sa garantie. C’est sur ce point que l’essentiel du contentieux s’est focalisé, notamment concernant le contrat AXA soumis à la Cour de cassation le 1er décembre 2022.

En l’espèce, plusieurs restaurateurs avaient souscrit une extension de garantie concernant les pertes d’exploitation. AXA a refusé sa garantie en se prévalant d’une clause excluant de la garantie « les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». Les assurés l’ont donc assigné en justice, tentant d’obtenir la nullité de la clause d’exclusion de garantie pour non-respect des strictes conditions posées par le code des assurances. La validité des clauses d’exclusion de garantie suppose en effet, d’une part, qu’elles figurent en caractères très apparents dans la police (C. assur., art. L. 112-4, al. 3 N° Lexbase : L0055AAB) et, d’autre part, qu’elles soient tout à la fois formelles et limitées (C. assur., art. L. 113-1, al. 1 N° Lexbase : L0060AAH).

La cour d’appel d’Aix-en-Provence (dans une décision du 25 février 2021 et trois du 20 mai 2021) [35] a fait droit à leur demande, considérant que la clause devait être réputée non écrite en application de l’article 1170 du Code civil N° Lexbase : L0876KZH et de l’article L. 113-1 du Code des assurances N° Lexbase : L0060AAH. Elle retient en effet, d’une part, que la clause est imprécise en l’absence de définition contractuelle des termes « épidémie », « maladie contagieuse » et « intoxication » nécessitant dès lors d’interpréter ces notions et, d’autre part, que « l’exclusion ainsi définie n’est nullement limitée puisqu’elle vise : – tout autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, – faisant l’objet d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique, – sur un territoire particulièrement vaste, puisque dépassant le simple cadre d’un village ou d’une ville. L’application pure et simple de cette clause d’exclusion aboutirait donc à ne pas garantir l’assuré des pertes d’exploitation subies en raison de la fermeture administrative de son restaurant pour épidémie de coronavirus, et donc, à priver de sa substance l’obligation essentielle de garantie » [36].

Suivant l’argumentation de l’assureur, demandeur au pourvoi, la deuxième chambre civile casse la décision des juges du fond pour violation de l’article L. 113-1 du Code des assurances, la clause étant bien, selon elle, formelle et limitée.

Elle commence par rappeler, au visa de cet article, qu’une « clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation » (pt. 12). Il est en effet de jurisprudence constante que, pour être formelle, une clause d’exclusion doit, tout à la fois, être claire et précise. Sa clarté suppose qu’elle puisse être aisément comprise, ce qui n’est pas le cas lorsque son ambiguïté nécessite une interprétation par le juge [37]. La précision de la clause requiert une définition circonscrite des situations dans lesquelles la garantie est exclue. Toute imprécision conduit la Cour de cassation à l’écarter, notamment lorsque « la clause excluant la garantie […] ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées » [38]. La deuxième chambre civile affirme, en l’espèce,  que « la circonstance particulière de réalisation du risque privant l’assuré du bénéfice de la garantie n'était pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » était sans incidence sur la compréhension, par l'assuré, des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait » (pt. 15).

Elle poursuit en rappelant, toujours au visa de l’article L. 113-1 du Code des assurances, qu’une « clause d'exclusion n'est pas limitée lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire ». Il s’agit encore là d’une solution classique : depuis 1987 [39], le caractère « limité » de la clause d’exclusion est érigé en condition autonome de validité par la Cour de cassation. Le juge saisi est tenu de vérifier que la clause ne vide pas la garantie de sa substance [40] en vérifiant « l’étendue de la garantie subsistant après application de la clause litigieuse » [41]. Pourtant, là encore, la deuxième chambre civile consacre la validité de la clause stipulée dans le contrat d’AXA. Elle affirme que « la garantie couvrait le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance » (pt 22).

L’analyse de la deuxième chambre civile sur ces différents points ne peut que surprendre en l’espèce, au regard de la sévérité de sa jurisprudence antérieure relative aux clauses d’exclusion de garantie. Il est difficile de ne pas voir dans ces décisions un vaste exercice de déjudiciarisation pour la Haute juridiction, se résumant en une opération de délestage du contentieux des pertes d’exploitation. Une telle déjudiciarisation devrait, toutefois, n’être que de courte durée, du moins pour les juridictions du fond, car le contentieux sera certainement seulement déplacé à l’encontre des intermédiaires d’assurance, lesquels se voient et se verront nécessairement reprocher des manquements à leurs obligations d’information et de conseil, pour avoir failli dans leur devoir de mise en garde en ne prévenant pas leurs clients des restrictions des garanties proposées…

 

[1] ACPR, Rapport annuel 2021, spéc. p. 12 et s.

[2] T. de Ravel d’Esclapon, « Le contrôle de l’ACPR », in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 92.

[3] ACPR, Commission des sanctions, 30 mars 2022, n° 2021-02, MUTEX SA ; 12 mai 2022, n° 2020-10, MGEN Vie ; 30 mai 2022, n° 2021-03, NATIXIS INTEREPAGNE ; 17 octobre 2022, n° 2021-04 Résurgence Assurances (ex-Viva Conseil).

[4] Cf. ex multi X. Delpech, Dalloz actualité, 28 mars et 22 avril 2022.

[6] Décision de la Commission des sanctions n° 2020-09 du 30 novembre 2021 à l’égard de la société MMA IARD SA (organisme d’assurance - gel des avoirs) ; Décision de la Commission des sanctions n° 2020-03 du 29 avril 2021 à égard de la société Cardif Assurance Vie (entreprise d’assurance – lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme).

[7] K. Bühler-Bonafini, « Les assurances-vie », in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 592 : « La loi impose à l’assureur de s’informer au moins chaque année du décès de l’assuré, et, en cas de décès dont il a pris connaissance, de rechercher le bénéficiaire du contrat (C. assur., art. L. 132-8, in fine N° Lexbase : L6141H9C). Pour compléter ce dispositif, la loi permet à toute personne de demander à un ou plusieurs organismes professionnels représentatifs habilités, à être informée de l’existence d’une stipulation effectuée à son bénéfice par une police souscrite par une personne physique dont elle apporte la preuve du décès (C. assur., art. L 132-9 N° Lexbase : L7215IC9). L’organisme transmet alors cette demande dans les quinze jours aux entreprises agréées pour exercer les opérations d’assurance dépendant de la durée de la vie humaine. Lorsque la personne concernée est effectivement désignée dans une police en qualité de bénéficiaire ces entreprises disposent alors d’un délai d’un mois pour l’informer de l’existence d’un capital ou d’une rente payables à son bénéfice ».

[8] S. Acedo, Une mutuelle sanctionnée par l’ACPR, L’Argus de l’assurance.com, 17 mai 2022 [en ligne] ; M. Calvo, Contrats en déshérence : l’ACPR sanctionne à nouveau, L’Argus de l’assurance.com 7 juin 2022 [en ligne].

[9] ACPR, Commission des sanctions, 30 mars 2022, procédure n° 2021-02, MUTEX SA, n° 32.

[10] MGEN, groupe VYV, Dossier de presse 2022, p. 18, [en ligne] : « Le Groupe VYV élabore une stratégie commune, pilotée au niveau de l’Union mutualiste de Groupe (UMG). Une stratégie dans laquelle les mutuelles conservent leur identité et leur lien de proximité et de confiance avec leurs adhérents [nous soulignons], tout en bénéficiant des ressources du Groupe »

[11] ACPR, Commission des sanctions, 12 mai 2022, procédure n° 2020-10, MGEN Vie. – Cf. R. Bigot et A. Cayol, Commission des sanctions de l’ACPR : des sanctions à géométrie variable en assurance, Dalloz actualité, 4 juillet 2022.

[12] ACPR, Commission des sanctions, 19 décembre 2014, procédure n° 2014-01, Allianz vie.

[13] J. Bigot (dir.), Traité de droit des assurances, t. 2, La distribution d’assurance, LGDJ, 3e éd., 2020, nos 129 et s..

[14] Comp. O. Dexant-de-Bailliencourt, Pour une consécration légale de la faute séparable des fonctions du dirigeant. Proposition d’ajout au projet de réforme de la responsabilité civile, D. 2019, p. 144.

[15] ACPR, Commission des sanctions, 17 octobre 2022, procédure n° 2021-04, Résurgence Assurances (ex-Viva Conseil).

[16] La clause-type des contrats PID désignait la MGEN comme bénéficiaire de dernier rang des prestations décès, alors qu’elle est en charge de la gestion des garanties d’assurance vie, notamment de la recherche des bénéficiaires… Jusqu’au 1er septembre 2015, la clause-type de la garantie PID était ainsi rédigée: « À défaut de désignation expresse, les prestations sont versées : / - au conjoint survivant non séparé de corps par jugement définitif passé en force de chose jugée, / - à défaut, au pacsé de l’assuré, / - à défaut, au concubin notoire de l’assuré, / - à défaut, et par parts égales, aux enfants de l’assuré, nés ou à naître, vivants ou représentés, / - à défaut, et par parts égales, aux ascendants au 1er degré de l’assuré, / - à défaut, à la MGEN ». La mention « à défaut, et par parts égales, aux héritiers de l’assuré » n’a été insérée avant la mention de la MGEN qu’à compter du 1er septembre 2015 (pt 23).

[17] ACPR, Commission des sanctions, 12 mai 2022, procédure n° 2020-10, MGEN Vie, pt 35.

[18] ACPR, Commission des sanctions, 30 mai 2022, procédure n° 2021-03, NATIXIS INTEREPARGNE, n° 39.

[19] CJUE, 29 septembre 2022, aff. C-633/20 N° Lexbase : A09968MT. – Cf. Interview de P.-G. Marly par F. Delambily, Quand la CJUE se penche sur la distribution d’assurance, 30 novembre 2022, newsassurancespro.com [en ligne].

[20] Cf. C. mon. fin., art. L. 612-41 N° Lexbase : L4087LKL.

[21] ACPR, Commission des sanctions, 17 octobre 2022, procédure n° 2021-04, Résurgence Assurances (ex-Viva Conseil).

[22] V. Tournaire, Sanction par l’ACPR d’un intermédiaire en assurance pour non-respect des obligations d’information et de conseil, Dalloz actualité, 14 novembre 2022.

[23] La Commission des sanctions relève que les documents informatifs étaient « transmis pendant la conversation entre le téléopérateur et le prospect, qui [durait] jusqu’à la souscription, de sorte que le client n[e disposait] d’aucun délai pour prendre connaissance de l’information reçue » et que « le téléopérateur ne s’assurait pas auprès du prospect de la bonne réception des documents précontractuels, ne l’invitait pas à en prendre connaissance et ne les parcourait pas avec lui ».

[24] Cf. sur cette obligation d’information et de conseil du distributeur d’assurance : B. Beignier et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, LGDJ, 4e éd., 2021, n° 124.

[25] J. Delayen, Rapport de l’ACPR sur le secteur de l’assurance en 2021 : vous avez dit crise ? Mais quelle crise ?, Dalloz actualité, 25 novembre 2022 : « Il ressort du rapport annuel de l’ACPR sur les chiffres du marché de l’assurance 2021 que le secteur se porte pour le mieux. La crise sanitaire de 2020 ne l’a finalement que très peu affecté. Une mise en perspective sur un temps plus long révèle même une tendance de fond : celle de la croissance continue du secteur. Cela permet de relativiser la portée de certains discours quant à la fragilité des acteurs de l’assurance. On sait que la crise de la covid-19 a conduit les assureurs à agiter de nouveau « l’épouvantail du risque de faillite sériel des compagnies » afin de créer « un tapage médiatique » (R. Bigot, Le caractère inassurable du risque pandémique : une « allégation fantaisiste » d’AXA, Dalloz actualité, 28 mai 2020) dans le but de « récolter davantage de primes à l’avenir » et de faire pression sur le législateur afin de « laisser à la solidarité́ nationale la prise en charge du risque le plus lourd » (R. Bigot et C. Rodet, Les enjeux de la pandémie sur l’assurance, in A. Cayol et R. Bigot [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 54). Ce discours doit être mis à l’épreuve, ce qui implique un « regard postérieur, accompagné du recul nécessaire » (op. cit., p. 56). C’est ce à quoi pourrait justement contribuer, au moins sur un plan macro-économique, la publication récente du nouveau rapport annuel de l’ACPR sur l’activité de la banque et de l’assurance en 2021, en ce qu’il dresse le bilan des lendemains de la crise sanitaire ».

[26] Cass. civ. 2, 6 février 2020, n° 18-25.377, F-D N° Lexbase : A93433DE : « La clause selon laquelle sont exclues ‘les pertes indirectes de quelque nature que ce soit, manque à gagner et paralysies’ définit expressément ce qui relève du préjudice de pertes d'exploitation ».

[27] B. Beignier, et S. Ben Hadj Yahia, Droit des assurances, LGDJ, Lextenso, 4e éd., 2021, no 991.

[28] A. Zaroui, Covid-19 et pertes d’exploitations : analyses des premiers jugement rendus au fond, Editions législatives, 25 septembre 2020 ; V. Morales, La garantie pertes d’exploitation des restaurateurs en temps de covid-19 : tour de table des premières décisions !, Lexbase Droit privé, n° 840, 15 octobre 2020 (N° Lexbase : N4918BYS).

[29] R. Bigot, A. Cayol et A. Charpentier, Risque de pandémie, pertes d’exploitation et incertitudes des garanties assurantielles, RCA 16 juin 2022, p. 13.

[30] Sur la diversité des clauses susceptibles d’être stipulées en ce domaine, voir M. Mignot, Covid-19 et clauses du contrat d'assurance, RGDA novembre 2021, p. 8.

[31] M. Robineau, L’assurance des pertes d’exploitation, in R. Bigot et A. Cayol (dir.), Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 332.

[32] ACPR, Garantie « pertes d’exploitation » : l’état des lieux de l’ACPR, Communiqué de presse, 23 juin 2020 [en ligne].

[33] M. Robineau, L’assurance des pertes d’exploitation, précité. 

[34] Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, Dalloz, 14e éd., 2017, n° 703, p. 501.

[35] CA Aix-en-Provence, 25 février 2021, n° 20/10357 N° Lexbase : A21574IQ et CA Aix-en-Provence, 20 mai 2021, n° 20/10358 N° Lexbase : A35714S3, n° 20/13305 N° Lexbase : A42144SU et n° 20/08317 N° Lexbase : A43504SW.

[36] CA Aix-en-Provence, ch. 1-4, 25 février 2021, n° 20/10357, préc., Dalloz actualité 11 mars 2021, obs. S. Andjechairi-Tribillac ; RGDA mars 2021, p. 1, obs. J. Kullmann ; Lexbase Droit privé, n° 861 du 8 avril 2021, Chronique de droit des assurances, par R. Bigot et A. Cayol N° Lexbase : N7115BY8).

[37] Cass. civ. 1, 22 mai 2001, n° 99-10.849, publié au bulletin N° Lexbase : A5004ATI.

[38] Cass. civ. 2, 6 octobre 2011, n° 10-10.001, F-P+B N° Lexbase : A6120HYC.

[39] Cass. civ. 1, 18 février 1987.

[40] Cass. civ. 2, 9 février 2012, n° 10-31.057, FS-P+B N° Lexbase : A3500ICM. Également dégagée en droit commun des contrats par la jurisprudence concernant les clauses limitatives de responsabilité (Cass. com., 22 octobre 1996, n° 93-18.632 N° Lexbase : A2343ABE), une telle solution a été consacrée et généralisée par l’ordonnance du 10 février 2016 (C. civ., art. 1170 N° Lexbase : L0876KZH).

[41] Cass. civ. 1, 9 mars 2004, n° 00-21.974, F-D N° Lexbase : A4798DBC.

newsid:483666

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.