La lettre juridique n°923 du 10 novembre 2022 : Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Personne morale étrangère et délai de déclaration de créance

Réf. : Cass. com., 26 octobre 2022, n° 20-22.416, FS-B N° Lexbase : A00948RW

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N3187BZ3

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 09 Novembre 2022

Mots-clés : déclaration de créance • délai • allongement au profit du créancier demeurant à l’étranger • appréciation de l'extranéité • lieu où se trouve la personne ayant le pouvoir de déclarer la créance

La personne ayant le pouvoir de déclarer la créance de la société créancière, qui ne se trouve pas au sein de son établissement en France mais à son siège social à l'étranger, subit la contrainte résultant de son éloignement. Par conséquent, la société créancière demeurant hors du territoire de la France métropolitaine doit bénéficier de l'allongement du délai de déclaration de créance prévu à l'article R. 622-24, alinéa 2, du Code de commerce.


 

Les arrêts intéressant la question de l’allongement du délai de déclaration de créance du créancier demeurant à l’étranger ne sont pas légion. D’autant plus intéressante est donc cette décision de la Cour de cassation du 26 octobre 2022, au demeurant appelée à la publication au Bulletin.

En l’espèce, le 12 juillet 2006, la société Citibank International PLC, aux droits de laquelle vient la société Citibank Europe PLC (la société Citibank), a consenti un prêt à la société Findi d'un montant principal de 61 900 000 euros, remboursable in fine le 16 juillet 2011. Le même jour, la société Findi a consenti à une SCI un prêt de 41 958 999,69 euros afin de refinancer son compte courant d'associé et a cédé à la société Fire la totalité des parts sociales qu'elle venait d'acquérir et la créance de refinancement détenue à l'égard de la SCI ainsi que les garanties les accompagnant. Une partie du prix de cession a été stipulée payable à la date d'échéance finale du prêt Citibank.

Le 26 juin 2007, la société Citibank a cédé par voie de titrisation sa créance au titre du prêt consenti à la société Findi le 12 juillet 2006 au fonds commun de créance Europrop, devenu FCT Europrop (le FCT), ainsi que l'intégralité des sûretés et privilèges attachés à cette créance.

Par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 12 juillet 2011, publié au Bodacc le 27 juillet suivant, la société Findi a été mise en procédure de sauvegarde, la société [O] [N] étant désignée mandataire judiciaire. Un plan de sauvegarde a été arrêté le 28 juin 2012 dont la durée a été prolongée jusqu'au 28 juin 2020.

Le 26 septembre 2011, le FCT a déclaré au passif de la société Findi une créance privilégiée de 61 900 000 euros en principal, outre intérêts, au titre du prêt. Puis, le 18 novembre 2011, le FCT a assigné la société Citibank aux fins de résolution du contrat de cession du prêt à son profit et de réparation du préjudice subi. Un arrêt du 6 février 2019 a prononcé la résolution judiciaire de l'acte de cession de créances et des annexes conclu entre la société Citibank et le FCT. Le 25 novembre 2011, la société Citibank a également déclaré au passif de la société Findi une créance « éventuelle » identique à celle déclarée par le FCT, qui a été contestée.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si une personne morale ayant son siège social à l’étranger, mais ayant un établissement en France, pouvait bénéficier de l’allongement du délai de déclaration de créance dont bénéficient les créanciers demeurant à l’étranger. Cela revenait donc à s’intéresser à cette notion de créancier demeurant à l’étranger en présence d’une personne morale ayant un établissement en France.

La 13ème chambre de la cour d’appel de Versailles avait jugé, le 3 novembre 2020 [1], que le créancier anglais était bien un créancier demeurant à l’étranger. Fallait-il faire droit au pourvoi en cassation en considérant que « le lieu où demeure une société est la France si celle-ci y dispose d'un établissement ayant une activité en lien avec le litige », ce qui était incontestablement le cas en l’espèce ?

La Cour de cassation va rejeter le pourvoi et retenir qu’ « il résulte qu'à la date de la publication du jugement d'ouverture de la procédure de sauvegarde, la personne de la société Citibank ayant le pouvoir de déclarer sa créance, qu'elle fût le représentant légal ou un délégataire de celui-ci, ne se trouvait pas au sein de son établissement en France mais à son siège social à l'étranger, de sorte qu'elle subissait la contrainte résultant de son éloignement, la cour d'appel a pu déduire, par un arrêt motivé et sans se contredire, que la société Citibank, créancière demeurant hors du territoire de la France métropolitaine, devait bénéficier de l'allongement du délai de déclaration de créance prévu à l'article R. 622-24, alinéa 2, du Code de commerce N° Lexbase : L6120I33 ».

Nous ne nous intéresserons ici qu’au moyen du pourvoi principal.

Comme l’avait fait la cour d’appel de Versailles, la Cour de cassation va apprécier la notion de créancier demeurant à l’étranger en écartant certains éléments. Tout d’abord, la Cour de cassation ne va pas se focaliser sur le seul positionnement du siège social. La solution s’impose. En effet, l’allongement du délai de déclaration de créance ne profite pas au créancier étranger, mais au créancier qui demeure à l’étranger.

Ensuite, comme l’avait fait la cour d’appel, la Cour de cassation va partir de la finalité de l’allongement du délai de déclaration de créance. Cet allongement du délai de déclaration de créance, nous enseigne la Cour de cassation, dans un arrêt de sa Chambre commerciale du 13 juillet 2010 [2], est prévu par un texte (à l’époque de l'article 66, alinéa 1er, du décret du 27 décembre 1985 et aujourd’hui l’article R. 622-24, alinéa 2, du Code de commerce), qui édicte un régime dont la seule finalité est de compenser au profit du créancier domicilié hors de la France métropolitaine la contrainte résultant de l'éloignement.

Le créancier qui demeure à l’étranger est par principe considéré comme étant désavantagé par rapport au créancier demeurant en France.

En matière de déclaration de créance, cette contrainte évoquée par la Cour de cassation a une triple origine. De première part, le créancier demeurant à l’étranger est géographiquement éloigné. De deuxième part, ce créancier peut ne pas maîtriser la langue française. De troisième part, ce créancier ne peut être présumé connaître parfaitement le droit français. La présomption selon laquelle nul n’est censé ignorer la loi française ne peut évidemment concerner que les personnes demeurant en France. 

Pour ces trois raisons, il est légitime que le créancier demeurant à l’étranger ne soit pas traité comme le créancier demeurant en France. Et c’est pourquoi la loi présume de manière irréfragable, au regard de l’obligation de traitement identique de tous les créanciers demeurant à l’étranger, que ce créancier doit avoir un délai plus long pour déclarer sa créance que s’il demeurait en France, la contrainte étant plus grande pour lui que pour le créancier demeurant en France. Comme en matière d’allongement en raison des distances, tel qu’il est posé par l’article 643 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6758LEZ, il est ici question de « l’expression d’une égalité des armes permettant le respect du droit à un procès équitable » [3].

L’on comprend alors pourquoi la seule façon d’apprécier si le créancier, personne morale, demeure à l’étranger est de se demander si la personne physique qui a la charge de déclarer la créance, demeure en France ou à l’étranger. Si elle demeure à l’étranger, elle subit bien la contrainte évoquée par la Cour de cassation et mérite donc la protection instituée par les textes, qui prend la forme d’un allongement de deux mois du délai de déclaration de créance, portant ainsi ce délai de deux à quatre mois.

Or, en l’espèce, le dirigeant social investi du pouvoir de déclarer les créances était en Angleterre. Il n’était pas en France. Peu importait dès lors le fait que la société créancière ait eu en France un établissement et que son représentant en France ait été informé de l’ouverture de la procédure collective.

On ne peut qu’approuver la solution de la Cour de cassation, ayant une vision incarnée de la personne morale, et non une vision éthérée, en n’oubliant pas qu’une personne morale a une infirmité et qu’elle n’existe qu’au travers de ses organes, personnes physiques. Nul n’a jamais mangé avec une personne morale.

Il est donc logique d’apprécier en la seule personne de celui ayant le pouvoir de déclarer la créance s’il méritait la protection instaurée au profit du créancier demeurant à l’étranger. Il n’en aurait été autrement que si, en France, une personne avait, par délégation, reçu le pouvoir de déclarer la créance, car cette personne n’aurait alors subi aucune contrainte liée à son éloignement.

 

[1] CA Versailles, 3 novembre 2020, n° 19/06944 N° Lexbase : A406333U

[2] Cass. com., 13 juillet 2010, n° 09-13.103, FS-P+B N° Lexbase : A6761E48, D., 2010, 1865, note A. Lienhard ; Gaz. Pal. entr. diff., 15-16 octobre 2010, p. 33, note E. Le Corre-Broly ; LPA, 20 décembre 2010, n° 252, p. 6, note A.-F. Zattara-Gros ; JCP E, 2010, 1744, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll., 2011, comm. 37, p. 44, note F. Legrand et M.-N. Legrand ; Leden, 2010/8, p. 2, obs. I. Parachkevova ; E. Le Corre-Broly, in Chron., Lexbase Droit privé, septembre 2010, n° 408 N° Lexbase : N0555BQM).

[3] C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayet et S. Guinchard, Procédure civile, Précis Dalloz , 34ème éd., 2018, n° 1042.

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