La lettre juridique n°923 du 10 novembre 2022 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] La SCI, un outil de transmission mais pas que …

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 18 octobre 2022, n° 462497, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A89158PU

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par Fabien Durbin, Expert-comptable mémorialiste, Cabinet SYREC - Florent Oliver, Docteur en droit, chercheur associé au Centre d’Études Fiscales et Financières (UR 891) – AMU, élève-avocat

le 08 Novembre 2022

Mots-clés : SCI • patrimoine • immobilier • associés • déficit foncier

Il était communément admis qu’une société civile immobilière (SCI) trouvait son intérêt principalement en matière d’opérations de construction, de commercialisation, de gestion d’immeubles mais aussi de transmission. Elle permet en outre de faciliter la gestion d’un patrimoine immobilier tout en protégeant le patrimoine personnel de ses associés. La décision rendue par le Conseil d’État le 18 octobre 2022 pourrait apporter à la SCI un intérêt nouveau : l’attribution intégrale du déficit foncier au profit d’un associé.


 

En l’espèce, le capital social d’une SCI familiale est détenu par les parents [1] à hauteur de 0,5 % chacun, les 99 % restants étant répartis entre les cinq enfants. La SCI soumise au régime des sociétés de personnes relève de l’article 8 du CGI N° Lexbase : L1176ITQ, les associés sont ainsi soumis personnellement à l’impôt sur le revenu en proportion de leurs droits sociaux. L’article 238 II bis K du CGI N° Lexbase : L3844KWB dispose que la part de bénéfice de chaque associé est déterminée et imposée en tenant compte de l’activité et du montant des recettes de la société.

 La société a clôturé son bilan durant plusieurs années par des pertes. Les délibérations d’assemblées générales extraordinaires des 30 décembre 2014, 28 décembre 2015 et 30 décembre 2016 ont décidé d’attribuer la totalité des déficits fonciers des années 2014 à 2016 aux parents qui à eux deux ne représentent qu’1% du capital social. Lors de leurs déclarations d’impôt sur le revenu, ces pertes se sont muent en déficit foncier venant alléger significativement l’impôt [2].

L’administration fiscale a alors considéré que l’affectation des déficits devait correspondre à la proportion des parts détenues dans le capital. Dès lors, attribuer l’intégralité des pertes au couple détenant 1 % du capital devait être considéré comme violant le pacte social. L’administration fiscale a contesté l’attribution de la totalité des pertes à un ou plusieurs associés, sous couvert qu’il s’agissait de clauses léonines en vertu de l’article 1844-1 du Code civil N° Lexbase : L2021ABH et ce, malgré le fait que trois assemblées générales avaient valablement délibérée en dérogation du pacte social. Par ces motifs, à l’initiative de l’administration fiscale en contestation de la déductibilité d’une partie de la fraction des déficits fonciers de la SCI immobilière au regard de l’article 8 du Code général des impôts ; les associés minoritaires (les parents) de la société civile immobilière, ont fait l’objet d’une rectification d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, pour les exercices 2014, 2015 et 2016, assortis d’intérêts de retard et de pénalités.

Après un rejet de leur réclamation préalable, les requérants ont demandé la décharge au Tribunal administratif de Paris [3], lequel a rejeté leurs prétentions par jugement du 29 juin 2020. Après avoir interjeté appel, la cour administrative d’appel de Paris a annulé ce jugement en donnant raison aux époux [4]. Le Ministre de l’Économie s’est alors pourvu en cassation.

Par une décision du 18 octobre 2022, le Conseil d’État s’est prononcé sur la validité des décisions prises lors d’assemblées générales extraordinaires d’une SCI attribuant aux parents la totalité des pertes enregistrées par la société pour les exercices clos en 2014, 2015 et 2016.

En outre, le Conseil d’État a considéré, en confirmant l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, que de telles dispositions prises lors d’assemblées générales extraordinaires ne constituaient pas des clauses léonines réputées non écrites en ne dérogeant que de manière ponctuelle au pacte social.

Le Conseil d’État ouvre-t-il dès lors le champ des avantages fiscaux de la SCI ?

Les juges du Palais-Royal ont, d’une part, reconnu l’indépendance entre la répartition du capital et l’attribution du résultat de la SCI (I) et, d’autre part, ouvert la SCI à de potentiels atouts jusque-là non exploités (II).

I. La décorrélation entre la répartition du capital et l’attribution des pertes de l’exercice

A. Le principe : la corrélation de l’actionnariat et de l’affectation des résultats

Le pourvoi du Ministre soulève trois moyens, dont un surabondant qui sera écarté. Les deux premiers soulèvent des questions quant à l’interprétation de l’article 1844-1, du Code civil qui dispose que « La part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social […], le tout sauf clause contraire ». La loi ouvre ainsi la voie à une décorrélation entre la répartition du capital et la répartition des bénéfices ou des pertes et par là, une asymétrie possible entre les associés. Dès lors, par une décision des associés ou par des dispositions statutaires la détention du capital pourrait ne pas suivre la distribution ou l’attribution des résultats. En soumettant aux assemblées générales de 2014 à 2016 l’affectation intégrale des déficits, les parents ont ainsi considéré que par dérogation, ils pouvaient modifier la répartition statutairement admise. La question d’une décision d’assemblée prévoyant une affectation différente du pacte social post établissement d’une liasse fiscale attribuant une quote-part de résultat prévu statutairement demeure. Qu’en est-il de l’interprétation de cette dichotomie par l’administration fiscale ? Pour écarter toutes suspicions, il conviendrait de faire délibérer l’assemblée générale sur la répartition du résultat avant le dépôt de la liasse fiscale.

B. La clause léonine écartée

Étymologiquement « semblable au lion » ou « part du lion » [5], la clause léonine incarne la clause abusive venant rompre l’équité entre les associés en créant un déséquilibre injustifié. Le droit des sociétés identifie deux clauses réputées non écrites car inéquitables : l’exclusion d’un associé aux pertes ou l’anéantissement du droit au bénéfice d’un associé.

En l’espèce, la limite vient au second alinéa de l’article 1844-1 du Code civil qui indique que cette dérogation au pacte social est réputée non écrite [6]. Il s’agit là du fondement de l’accusation de clause léonine à laquelle s’attache l’administration pour fonder sa rectification à l’encontre des époux bénéficiaires de l’intégralité des déficits de la société. Effectivement, l’administration a interprété cette situation comme favorable aux parents qui avaient utilisé la SCI comme un outil de transmission mais aussi, au gré d’une ingénierie fort avantageuse, comme un outil de réduction de leur imposition. Les juges du Palais-Royal ont estimé qu’une dérogation ponctuelle au pacte social, sans incidence sur la contribution aux pertes ne pouvait être qualifiée d’abusive ouvrant la porte à d’autres interrogations.

II. Une décision élargissant l’intérêt fiscal de la SCI pour les associés  

A. La dérogation « ponctuelle », une notion sibylline

Le Ministre reproche au jugement d’appel d’avoir retenu la « ponctualité » pour écarter la qualification de clause léonine. Il considère en outre que les décisions prises durant trois années n’avaient plus rien de « ponctuelles ». Pourtant les dispositions du Code civil visées ne permettent pas de définir ce qu’il faut entendre par « ponctuel ».

Les juges du Conseil d’État ont ainsi validé la possibilité pour un actionnaire minoritaire de déduire ponctuellement, en l’espère sur trois ans, l’intégralité des déficits. Toutefois la notion reste indéfinie, alors qu’une durée plus longue, ponctuelle au regard de la durée de la société, pourrait être envisagée. La décision du Conseil d’État ne fait dès lors ouvrir plus de portes qu’apporter de précisions. 

Par ailleurs l’interprétation de l’article 1844-1 du Code civil emporte plusieurs conséquences analogues. Le juge a validé l’attribution intégrale des pertes à un couple d’associés minoritaire. Dès lors, peut-on par symétrie considérer qu’il en est de même pour l’attribution de l'intégralité du bénéfice ? Pour l’exclusion de l’intégralité du profit ? Pour l’exonération de l’intégralité des pertes ?

La jurisprudence civile a jugé que dans une situation plus favorable, que certains associés d’une SNC pouvaient renoncer à leur part de bénéfices [7]. Le juge du Conseil d’État a ainsi rejoint de bonne grâce son homologue en reconnaissant l’indépendance entre actionnariat et répartition du résultat.

 

B .L’attribution inégale des déficits, une libéralité déguisée ?

L’attribution intégrale d’un déficit foncier permet dans certains cas des économies d’impôt considérables laissant la place à une ingénierie fiscale profitable. Dès lors, en cédant ce déficit, le bénéficiaire jouit d’un avantage fiscal sur les autres associés. Pourrait-on considérer qu’il incarne une libéralité [8] ? Sur le plan fiscal il n’en est rien mais sous l’angle civiliste le doute est permis. Néanmoins le caractère ponctuel pourrait faire échec à cette conception alors que cette mise à disposition de ses droits en matière fiscale est limitée à trois exercices dans le cas d’espèce. Jouir d’une créance fiscale devient économiquement un avantage indéniable pour l’associé bénéficiaire au détriment des autres.

Par cette décision audacieuse le Conseil d’État a produit un double effet : une interprétation restrictive de la clause léonine mais aussi l’ouverture à d’autres hypothèses menant à une certaine insécurité juridique. S’il faut ajouter l’intérêt fiscal de la SCI à l’avantage en terme de transmission, cet atout est pour l’heure limité dans le temps. L’avenir dira si cette position sera pérenne ou si elle n’est que transitoire vers un élargissement de l’attribution des déficits d'une société civile.
 

[1] Formant un seul foyer fiscal.

[2] Le plafond de déficit déductible est fixé à 10 700 euros par an ou à 15 300 euros pour les immeubles relevant des dispositifs « Cosse », « Perissol ».

[3] TA Paris, 29 juin 2020, n° 1903810/2-2.

[4] CAA Paris, 26 janvier 2022, n° 20PA01989 N° Lexbase : A16417ZS.

[5] Dictionnaire CNRTL (en ligne).

[6] L’article 1844-1 alinéa 2 du Code civil dispose que « Toutefois, la stipulation attribuant à un associé la totalité du profit procuré par la société ou l'exonérant de la totalité des pertes, celle excluant un associé totalement du profit ou mettant à sa charge la totalité des pertes sont réputées non écrites ».

[7] Cass. com., 13 février 1996, n° 93-21.140 N° Lexbase : A9491AB7, n° 94-12.225 N° Lexbase : A5011ACL, Bull. 1996 IV n° 53. Voir aussi Cass. civ. 3, 18 avril 2019, n° 18-11.881, F-D N° Lexbase : A5975Y98.

[8] C. civ., art. 893 N° Lexbase : L0034HPX.

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