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par Vincent Vantighem
le 25 Novembre 2022
Est-ce le procès de l’état de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), considérée comme l’une des pires d’Europe ? Ou celui d’un pacte de corruption entre trois riches détenus et un ancien directeur de détention ? Quatre personnes sont jugées, depuis mardi 8 novembre, par le tribunal judiciaire de Créteil. Les trois premières ne sont autres que trois anciens prisonniers, dont l’ex-homme d’affaires Arnaud Mimran, l’une des figures de « l’arnaque à la taxe carbone ». Elles sont soupçonnées d’avoir rémunéré le quatrième prévenu pour obtenir des faveurs alors qu’elles étaient en détention. Les faveurs en question ? Des téléphones portables en cellule, des douches et des parloirs plus fréquents. Et surtout, surtout, moins de fouilles…
Aujourd’hui âgé de 53 ans, l’ancien chef de la division 3 de la prison de Fresnes, Khalid El Khal, est en effet soupçonné d’avoir touché des pots-de-vin en échange d’avantages en nature accordés aux trois détenus. Pour l’accusation, cela ne fait pas un pli. Les remises d’enveloppes ont été accréditées par des écoutes et certains témoins lors de l’enquête. Mais pour sa défense, il ne s’agit que de « rumeurs » et « d’inepties juridiques ». Selon une source proche de l’enquête, l’examen de son train de vie montre qu’il ne dépensait que « très peu d’argent [issu de son compte bancaire] lors de vacances dans des endroits huppés », laissant entendre qu’il disposait de liquidités à disposition. Une affirmation qui fait hurler Philippe Ohayon, son avocat : « On parle d’un séjour de quelques jours à Cannes (Alpes-Maritimes) en demi-pension. C’est-à-dire qu’on lui reproche d’avoir payé ses déjeuners en liquide ! »
« Le jeu, c’est d’avoir des choses qu’on ne peut pas avoir… »
Le problème pour lui, c’est qu’il n’y a pas que ça dans le dossier. Il y a surtout les déclarations d’un de ses coprévenus. Fabrice Touil, autre membre de « l’arnaque à la taxe carbone », a reconnu, en audition, lui avoir remis environ 5 000 euros en liquide, une fois qu’il avait recouvré la liberté. Difficile de faire autrement, la voiture dans laquelle la remise d’argent a eu lieu était sonorisée par les enquêteurs… Selon l’accusation, « l’objectif annoncé par [cet échange] était de poursuivre le schéma de corruption déjà mis en place », notamment pour s’assurer de bonnes conditions de détention en cas de nouvelle incarcération. Voire en cas d’interpellation de son frère visé, lui aussi, par un mandat d’arrêt.
Considéré comme un corrupteur, Arnaud Mimran va devoir, lui aussi, se défendre d’avoir « acheté » des avantages. Condamné à plusieurs reprises, il aurait, toujours selon l’accusation, réussi à obtenir son transfert à la prison du Havre (Seine-Maritime) grâce à ce système. Il conteste les faits. Mais il devra aussi se justifier de cette phrase énigmatique lâchée lors de l’instruction : « Le jeu, quand on est détenu, c’est d’avoir des choses qu’on ne peut pas avoir… »
Pas de quoi embêter son avocat, Jean-Marc Fedida. « Le procès doit avoir le mérite pour le tribunal de Créteil de prendre la mesure du caractère inhumain et dégradant des conditions de détention à la maison d’arrêt de Fresnes », explique-t-il, sans cacher sa volonté de porter le débat sur un autre aspect que celui de la seule corruption.
L’égalité de traitement entre détenus a été rompue, selon les juges d’instruction
Mais les juges d’instruction ne sont pas du genre à manquer de discernement. « S’il n’est pas ignoré que l’indignité des conditions de détentions à Fresnes a plusieurs fois été soulevée […], il n’en demeure pas moins que les trois détenus ont contribué à rompre l’égalité de traitement dont doivent bénéficier les détenus », indiquent-ils dans leur ordonnance de renvoi.
Et ils n’écrivent pas cela au hasard. L’enquête avait, en effet, débuté en février 2017 après un signalement de l’administration pénitentiaire qui s’appuyait, elle-même, sur une note de l’ancienne Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Adeline Hazan. Celle-ci a bataillé, durant des années, pour dénoncer les conditions dégradantes de certains établissements pénitentiaires de France. Mais, dans ce cas précis, sa note alertait sur… un possible système de corruption et de traitement de faveur derrière les barreaux. Le procès doit durer trois jours.
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