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par Oualid Gadhoum, Professeur à la Faculté de droit de Sfax (Tunisie)
le 09 Novembre 2022
Connue dans presque tous les systèmes fiscaux, la fraude fiscale est «un phénomène qu’on décrit plus facilement qu’on le définit» [1]. Si, dans la plupart des pays, le législateur admet et organise l’évasion fiscale, il réprime la fraude fiscale en tant qu’ «acte intentionnel de la part du contribuable décidé à contourner la loi pour éluder le paiement du prélèvement» [2].
Pourtant, la frontière entre les deux phénomènes n’est pas toujours précise. Alors que l’évasion fiscale consiste en l’utilisation habile des dispositions de la loi fiscale sous forme d’avantages fiscaux ou d’options fiscales pour un paiement minimum d’impôt, la fraude est pour certains, une violation directe et volontaire de la loi fiscale. Pour d’autres, qui adoptent une thèse restrictive, il n’y a fraude que si deux éléments au moins sont requis dans l’acte frauduleux [3], l’un matériel et l’autre moral.
Le premier, évidemment essentiel, suppose qu’il y a fraude par exemple si la forme juridique d’une société n’est qu’une façade construite en vue d’éluder l’impôt, ou si les opérations accomplies, licites en elles-mêmes, sont destinées à faire échec à la loi.
Pour le deuxième, la notion de fraude ne peut être retenue s’il fait défaut ou si l’erreur, l’insuffisance ou l’omission a été commise de bonne foi. Sans doute, le contribuable pourra encourir une pénalité fiscale, mais celle-ci ne sera plus fiable que si sa bonne foi n’est pas reconnue [4].
Deux approches différentes de la fraude fiscale sont généralement possibles. Une synthétique, à travers laquelle la fraude est définie de manière assez générale, et l’autre analytique en vertu de laquelle les infractions sont relatives à certains impôts et décrites d’une manière précise [5].
Si la première approche ne semble pas assez respectueuse du principe de légalité des délits et des peines, elle permet «au législateur de faire sanctionner des délits qui lui étaient impossible de définir avec précision» [6]. En effet, la fraude fiscale recouvre des phénomènes socioéconomiques et techniques très hétérogènes susceptibles d’évoluer sensiblement grâce à l’imagination des contribuables [7]. C’est ainsi que le souci de tout législateur «est de définir les infractions relatives à la fraude de manière à pouvoir prendre en considération non seulement les techniques actuelles mais aussi celles à venir» [8].
Si la fraude fiscale est présentée en droit tunisien comme un délit général [9], les faits constitutifs de l’infraction, encourant la peine maximale de trois ans d’emprisonnement, sont limitativement énumérés dans l’article 101 du CDPF.
La première série correspond à «l’abus de droit» dans ses deux aspects, par simulation juridique et par fraude à la loi, non sanctionné fiscalement mais réprimé pénalement. La deuxième correspond à l’accomplissement par le contribuable d’opérations emportant de biens à autrui dans le but de soustraire à ses dettes fiscales. La troisième série de faits correspond à la majoration de crédit de TVA ou la minoration du chiffre d’affaires dans le but de diminuer l’impôt. C’est dire que le législateur tunisien parait opter pour une approche analytique réduite de la fraude à travers l’article 101 du CDPF, mais il s’est aussitôt trouvé obligé, à la lecture des autres dispositions du CDPF, de l’enrichir continuellement par des nouvelles incriminations spécifiques [10].
La personne morale est, quant à elle, un «groupement doté, sous certaines conditions, d’une personnalité juridique plus ou moins complète» [11]. La personnalité morale est donc ce procédé de technique juridique destiné à faciliter la vie et l’activité des groupements en leur reconnaissant une certaine autonomie par rapport à leurs membres [12]. D’ailleurs, on peut lire dans l’article 4 du Code des sociétés commerciales que «toute société commerciale donne naissance à une personne morale indépendante de la personne de chacun des associés à partir de la date de son immatriculation au registre de commerce, à l’exception de la société en participation» [13]. Ledit article confirme la tendance du législateur à analyser la personnalité morale comme une fiction et non une réalité. D’une part, l’immatriculation est nécessaire, de sorte que seules les sociétés immatriculées accèdent à la personnalité. D’autre part, l’immatriculation est suffisante de sorte qu’une société unipersonnelle constitue elle aussi une personne, en dépit de l’absence de tout groupement.
En droit fiscal tunisien, il existe deux régimes fiscaux distincts d’imposition des bénéfices fiscaux. Le premier est qualifié par la doctrine de régime d’«opacité fiscale» à la lumière duquel la société est traitée comme un contribuable à part entière. Elle dispose d’une «personnalité fiscale» distincte de la personnalité des associés qui la composent.
Le second régime est qualifié par la doctrine [14] de régime de «transparence fiscale» dans lequel les bénéfices dégagés par la société sont imposés non pas au nom de la société mais au nom des associés. La société n’est pas traitée comme un contribuable. Elle ne dispose pas de «la personnalité fiscale», bien qu’elle soit dotée, en droit privé, de la personnalité morale [15].
Dans le souci d’une répression adaptée à la délinquance pour fraude fiscale, le droit pénal fiscal ne manque pas de marquer son particularisme à travers une consécration plus ou moins enchevêtrée, voire, embrouillée, de la responsabilité pénale des personnes morales (I). En partageant la responsabilité entre la personne morale et ses dirigeants et en choisissant de poursuivre pénalement ces derniers comme palliatif, le droit pénal fiscal ne fait que scléroser la sanction pour les personnes morales (II).
I - L’embrouillement
L’absence d’un texte de portée générale qui consacre la responsabilité pénale des personnes morales en droit tunisien a laissé échapper ces dernières à la sanction. Sa consécration implicite, voire indirecte, en matière fiscale (A), ne facilite pas la reconnaissance des auteurs, des complices et des responsables de second plan (B).
A - Dans la consécration de la responsabilité pénale
Malgré le fait qu’il existe des exceptions de plus en plus nombreuses au principe de l’irresponsabilité pénale des personnes morales [16], l’absence d’un texte de portée générale qui consacre la responsabilité pénale des personnes morales en droit tunisien, à l’instar du droit comparé, relève de l’ineptie juridique [17].
D’ailleurs, la non reconnaissance de la responsabilité pénale des personnes morales est semble-t-il l’une des raisons qui a laissé les pouvoirs publics préférer s’engager dans la voie de l’action publique visant des individus plutôt que des groupements puisque ces derniers sont mus par la volonté des personnes physiques.
En droit tunisien, la consécration de la responsabilité pénale de la personne morale en matière fiscale est implicite parce qu’elle ne découle pas directement des textes d’incrimination de la fraude, notamment l’article 101 du CDPF, mais d’une lecture combinée de ce dernier et de l’article 107 dudit Code qui prévoit que «les peines d’emprisonnement, prévues par les articles 92, 94, 97, 98 et 101 du présent Code, s’appliquent pour les personnes morales, personnellement à leurs présidents, mandataires, directeurs ou toute autre personne ayant la qualité de représenter l’être moral et dont la responsabilité dans les faits commis est établie».
Le Code des droits et des procédures fiscaux ne donne aucune définition de la personne responsable pénalement de la fraude fiscale. La formule large «toute personne», employée par l’article 101 dudit Code marque incontestablement, comparativement à la législation antérieure, plus particulièrement l’article 83 du CIR, aujourd’hui abrogé, une extension des personnes responsables sans pour autant permettre leur détermination précise et explicite [18].
La définition des infractions fiscales pénales, la détermination des sanctions encourues et la procédure de constatation et de poursuite des infractions sont le fruit du concours des règles pénales spéciales prévues par les textes fiscaux et des règles pénales générales essentiellement prévues par le Code pénal et le Code de procédure pénale.
Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, dans ses anciennes dispositions l’article 83 du CIR, exigeait la soumission au régime réel pour l’application des sanctions pénales. Dans un objectif d’équité et de justice fiscale une telle discrimination entre les personnes soumises au régime réel pouvant être poursuivies pénalement et celles soumises au régime forfaitaire immunisées de la responsabilité pénale a été remise en cause par l’article 101 du CDPF. L’idée était de restaurer l’égalité des contribuables devant la loi pénale.
B - Dans la reconnaissance des responsables de l’infraction
En Tunisie, et par application des principes de la responsabilité pénale tels qu’ils sont prévus en droit pénal général, la responsabilité pénale s’étend, comme en droit comparé, tant aux auteurs principaux ou acteurs directs, ainsi qu’aux complices, acteurs indirects ou responsables de second plan.
L’auteur de l’infraction n’a pas été défini par le législateur. En l’absence d’une définition légale, la doctrine le défini comme étant «la personne qui a pris part d’une façon principale et directe à l’exécution matérielle de l’infraction» [19].
Appliquée à la matière fiscale, c’est le contribuable lui-même, débiteur des impôts auxquels il s’est soustrait frauduleusement par l’utilisation d’un procédé de simulation par exemple, qui est considéré comme auteur principal du délit. C’est la personne qui souscrit des déclarations inexactes contenant une dissimulation volontaire des sommes imposables sans qu’il soit nécessaire que cette personne ait été elle-même propriétaire de tous les biens ayant encouru à la production des sommes dissimulées [20].
S’agissant de la complicité, le CDPF a gardé le silence quant à l’incrimination de cette dernière. Elle demeure donc punissable par application du droit pénal général, plus précisément les articles 32, 33, 34 et 35 du Code pénal ayant une portée générale et s’appliquant à toutes les infractions.
Le recours au droit commun ne permet pas, par application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, l’incrimination de la personne morale en tant que complice. De surcroît, la reconnaissance de la responsabilité pénale en matière fiscale constitue une exception au droit commun et ne peut être interprétée d’une manière extensive d’autant plus que le législateur a gardé le silence en ce qui concerne les complices.
Gouverné en principe par la théorie de l’unité de l’infraction [21], le droit pénal général fait de l’acte de complicité un acte accessoire, nécessairement rattaché à un acte principal, forcément une personne physique, à laquelle il emprunte en quelque sorte le caractère délictueux. Il n’existe pas de complicité punissable sans infraction principale [22], laquelle est une condition d’existence. D’ailleurs, pour être punissable, la complicité nécessite, par application du droit commun, outre la commission d’une infraction principale, l’existence d’un élément matériel et d’un élément moral. Il faut que la participation commise par l’auteur principal soit volontaire et consciente et prenant l’une des formes de complicité énumérées dans l’article 32 du Code pénal. Mais la particularité en droit fiscal consiste dans le fait que le législateur a érigé certains actes de complicité en des délits distincts.
II - La sclérose
De l’avis de la doctrine [23], la responsabilité des personnes morales en droit tunisien est un faux semblant (A). Il en est de même en droit fiscal malgré son particularisme, voire, son réalisme. Le choix d’une poursuite pénale des personnes physiques comme palliatif aux poursuites pénales des personnes morales sclérose la sanction encourue et la limite aux dirigeants de ladite personne morale (B).
A - Le faux semblant
En Tunisie, même si l’article 107 du CDPF marque une innovation non seulement par rapport à la législation pénale fiscale antérieure, notamment les anciennes dispositions de l’article 83 du CIR et par rapport au droit pénal général qui reste attaché au principe de l’irresponsabilité pénale des personnes morales, en traduisant la volonté du législateur de toucher le plus grand nombre de personnes pouvant concourir à la violation des obligations fiscales vu le caractère dangereux et la délinquance des personnes morales en matière de fraude fiscale, la réalité et la pratique est tout à fait autre.
En effet, le législateur tunisien n’a pas institué un mécanisme d’imputation direct des faits délictueux à une personne morale. La condition d’imputabilité d’une infraction à une personne morale suppose, aux termes des articles 101 et 107 du CDPF, la nécessité d’établir l’existence d’une infraction commise par une personne physique pour le compte d’une personne morale.
Il incombe à l’administration fiscale, après avoir vérifié la qualité de l’organe ou représentant de l’être moral, de caractériser, sous le contrôle du juge pénal, tous les éléments, tant matériels que moraux, de l’infraction commise par la personne physique dont la personne morale emprunte ensuite la criminalité. Le juge est tenu d’apprécier si la personne désignée par l’administration fiscale exerçait effectivement la direction au moment des faits litigieux.
En droit français, le Code pénal prévoit dans son article 121-2 que «les personnes morales […] sont responsables pénalement […] des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants» sans exclure la possibilité de sanctionner les personnes physiques puisque le dernier alinéa de l’article 121-2 dispose également que «la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3».
Malgré ces dispositions claires, l’analyse de l’état du droit et de la pratique conduit à envisager la situation des personnes morales d’une manière particulière. Le constat est que les personnes morales, reconnues personnellement responsables, y compris en matière fiscale, n’ont presque jamais été tenues responsables quant à la mise en jeu de ladite responsabilité. «L’analyse des banques de données jurisprudentielles ne relève aucune décision portant condamnation d’une personne morale pour le délit de fraude fiscale visé à l’article 1741 du CGI, voire les délits prévus par l’article 1743 du même Code» [24].
Même si le principe est celui de la responsabilité pénale des personnes morales, y compris en matière fiscale, l’irresponsabilité paraît être la règle en matière de fraude fiscale en France. Jusque-là, aucune personne morale n’a fait l’objet d’une condamnation pour fraude fiscale depuis l’évolution du Code pénal français.
La question qui se pose consiste à savoir si les autorités publiques ont réagi ainsi à cause du caractère peu dissuasif des sanctions prévues pour les personnes morales, ou tout simplement à cause de la possibilité déjà offerte à l’administration de poursuivre les personnes morales sur le terrain d’autres fondements juridiques, lesquels sont alors spécifiques à certains impôts ? Est-ce par exemple à cause de la mobilité des personnes morales, lesquelles peuvent facilement déguerpir d’autant plus que le risque social, attaché aux emplois, peut être mis en rapport avec l’intérêt social lié à l’action publique ?
C’est ainsi par exemple que lors des poursuites judiciaires engagées contre la compagnie «RAYANAIR» pour travail dissimulé, un des représentants de la compagnie avait indiqué en mai 2010 que «si le parquet nous poursuit devant les tribunaux, nous fermerons la base et tant pis pour les emplois et les passagers» [25] ?
B - Le palliatif
L’imputabilité de l’infraction à des personnes physiques ne pose pas de problèmes particuliers surtout lorsqu’ils ont commis eux-mêmes la fraude [26]. C’est dans le cadre d’une personne morale que des difficultés peuvent surgir. «On imagine mal une personne morale manifester une intention d’agir, sauf à se placer au niveau de ses organes ou représentants qui, s’ils sont eux-mêmes constitués sous la forme d’une personne morale, ont également des organes ou représentants. En somme, la responsabilité d’une personne morale impose nécessairement le comportement fautif d’une personne physique agissant pour son compte» [27].
C’est ainsi que la responsabilité pénale des personnes morales présente la particularité d’être à la fois indirecte et personnelle. Elle peut être qualifiée de «responsabilité du fait personnel par représentation» [28]. La nécessité de l’intervention d’une personne physique fait de la responsabilité pénale de la personne morale une responsabilité indirecte ou comme l’a qualifié la doctrine une responsabilité «par ricochet», «d’emprunt», «par procuration», ou «subséquente» dans la mesure où elle ne peut être mise en cause que par le truchement d’une personne physique [29]. C’est dire que la responsabilité pénale d’une personne morale est le décalque, le reflet exact de la responsabilité pénale de la personne physique qui la représente [30].
En introduisant la responsabilité pénale de la personne morale, le législateur n’a pas cherché à exclure la responsabilité du dirigeant mais plutôt l’affaiblir. Il retient une double responsabilité à la fois celle de la personne morale mais aussi celle de la personne physique. Cette dernière engage sa responsabilité pénale au nom de la personne morale qu’il représente et il est personnellement passible des peines d’emprisonnement édictées par l’article 101 du CDPF ou par les autres textes d’incrimination. Quant à l’amende, elle reste à la charge de la personne morale.
D’ailleurs, la loi oblige de poursuivre les deux et non l’option pour l’une ou pour l’autre. Il s’agit d’une responsabilité cumulative de la personne morale ainsi que de son représentant. Il s’agit entre autres d’une incrimination simultanée qui implique que l’infraction commise par la personne morale coïncide avec celle des personnes physiques ou qu’elles sont étroitement liées. Au lieu de vouloir imputer entièrement la responsabilité pénale de façon totalement impersonnelle à la personne morale, le législateur fiscal prévoit un partage personnalisé de responsabilité collective entre la personne morale et son représentant.
En prévoyant un tel partage de responsabilité pénale, le législateur fiscal déroge au droit pénal général puisqu’en principe la responsabilité pénale, à la différence de la responsabilité civile, ne se prête guère au partage, ni sur le plan de l’incrimination ni sur celui de la sanction. En effet, sur le plan de l’incrimination, on ne peut parler que d’auteur, coauteur, complice ou instigateur et sur le plan de la sanction, la peine encourue n’est pas susceptible de partage entre plusieurs personnes. Le poids d’une condamnation pénale n’est pas réparti sur les divers responsables à proportion de leur nombre et de la contribution partielle qu’il aurait pu respectivement apporter à la réalisation de l’infraction. Lorsque l’infraction se trouve insuffisamment caractérisée pour ce qui concerne chacun d’eux, personne n’est en définitive responsable pénalement [31].
En condamnant la personne morale à des peines pécuniaires, le CDPF pourrait aboutir à des résultats réalistes d’autant plus que la personne morale s’avère généralement plus solvable que ses représentants en matière de sanctions pécuniaires. Mieux, sa responsabilité pénale peut être engagée, comme le prévoit l’article 107 du CDPF, par «toute personne ayant qualité de représenter l’être moral». Une telle formule assez large permet d’étendre exagérément la responsabilité pénale des personnes morales des faits commis aussi bien par les dirigeants de droit que ceux commis par les dirigeants de fait.
Conclusion
Même si le législateur tunisien n’a pas encore saisi l’occasion pour abandonner le principe de l’irresponsabilité pénale de la personne morale en faveur de sa responsabilité, il serait, à notre humble avis, vain de la reconnaitre, comme l’a fait le législateur français, sans la mettre en jeu et sans la mettre en exergue [32].
Certes, on pourrait comprendre le partage de la responsabilité pénale entre la personne morale et son dirigeant, voire, la poursuite pénale des personnes physiques comme un palliatif aux poursuites pénales des personnes morales, mais aller, à l’instar du droit français, jusqu’à la déresponsabilisation des personnes morales en matière de fraude fiscale malgré une consécration claire de ladite responsabilité par les textes, ne ferait augurer de succès l’abandon du principe de l’irresponsabilité pénale de la personne morale d’autant plus que la responsabilité pénale des personnes physiques n’est pas effective sur le plan pratique en raison de la diversité des portes de sortie de ladite responsabilité, notamment, par le recours à la transaction. Pour une fois, le texte doit suivre le contexte et non le contraire.
[1] Voir N. Baccouche, Rapport introductif, colloque sur La fraude fiscale, RTF, n° 16, 2011, p. 10.
[2] Il y a une différence entre la fraude fiscale et l’évasion fiscale. La fraude est une évasion fiscale illégale. C’est un comportement délictuel délibéré qui se traduit par des irrégularités intentionnelles dont le but n’est autre que de se soustraire au paiement des impositions normalement dues. Elle se distingue également de l’optimisation fiscale, désormais préférée à l’évasion, laquelle est parfois évocatrice de comportement frauduleux. L’optimisation consiste à tirer profit des possibilités offertes par la loi, en profitant, le cas échéant, de ses failles, pour réduire les impôts dus. Cependant, la distinction entre les deux est problématique puisque l’optimisation peut devenir un abus de droit dès lors que le montage n’a pas d’assise économique et son seul but est de réduire l’impôt normalement dû. Voir N. Baccouche, Rapport introductif, colloque sur La fraude fiscale, op. cit., p. 10.
L’expression «évasion fiscale internationale», bien que consacrée par l’usage, est ambiguë car elle recouvre tous les procédés, même illégaux, employés pour échapper à l’impôt. C’est une pudeur de langage qui relèverait d’une analyse de psychologie sociale, à moins qu’il ne s’agisse que d’un glissement sémantique provenant de l’expression anglaise «taxevasion» qui désigne la fraude fiscale par opposition à la «taxavoidance» qui signifie évasion fiscale légale. A propos de l’évasion fiscale, les formules ne manquent d’ailleurs pas. Certains auteurs parlent aussi d’«évitement fiscal». L. Mehl, P. Beltrame, Techniques, politiques et institutions fiscales comparées, 2ème éd., refondue, PUF, 1984, p. 587.
Voir aussi Ch. Robbez-Masson, La notion d’évasion fiscale en droit interne français, LGDJ, 1990.
[3] L. Mehl, P. Beltrame, Techniques, politiques et institutions fiscales comparées, op. cit., p. 587.
[4] L. Mehl, P. Beltrame, Techniques, politiques et institutions fiscales comparées, op. cit., p. 587.
[5] L. Vapaille, De la définition des sanctions fiscales pénales, in Les sanctions pénales fiscales, l’Harmattan, 2007, p. 42.
[6] Th. Lambert, La place des sanctions pénales dans le dispositif général de lutte contre la fraude fiscale, LPA, 30 avril 1999, n° 86, p. 7.
[7] A. Ktata, Le paiement de l’impôt en droit tunisien, Thèse publiée avec le concours de la fondation Hanns Seidel, 2019, p. 178.
[8] L. Vapaille, De la définition des sanctions fiscales pénales, in Les sanctions pénales fiscales, op. cit., p. 42.
[9] Dans le CDPF, la section IV est réservée aux «sanctions fiscales pénales en matière de fraude fiscale». Cette section ne comporte qu’un seul article à savoir l’article 101 du CDPF.
[10] A. Ktata, Le paiement de l’impôt en droit tunisien, Thèse, op. cit., p. 178.
[11] G. Cornu, Vocabulaire juridique, paris, PUF, 6ème éd., 2004, p. 666.
[12] J. Hamel, La personnalité morale et ses limites, Dalloz, 1949, chronique, p. 141.
[13] Il faut lire registre national des entreprises et non registre de commerce après la promulgation de la loi n° 2018-52 du 29 octobre 2018.
[14] M. Cozian, F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, 2011-2012, 35ème éd., Litec, p. 262.
[15] Voir l’article 4 du Code de l’impôt sur le revenu des personnes physiques et de l’impôt sur les sociétés. Voir aussi l’article 45 du même Code.
En France, on parle de sociétés transparentes, semi-transparentes, translucides et opaques.
[16] Cette émergence de cas de responsabilité pénale de la personne morale se manifeste dans plusieurs branches du droit :
- Droit commercial et droit des sociétés commerciales : article 263 du CSC- article 412 du Code de commerce…
- Droit de l’environnement : l’article 8 de la loi n° 88-91 du 2 août 1988 instituant l’ANPE…
- Droit du travail : article 239 du Code du travail…
[17] Différentes législations reconnaissent le principe général de la responsabilité pénale. Si les Pays-Bas et le Royaume-Uni l’ont admis depuis longtemps, la France n’a admis le principe qu’en 1994. La Belgique l’a admis en 1999, l’Italie en 2001, le Luxembourg et l’Espagne en 2010.
En Tunisie, l’avant-projet du Code pénal qui vise à modifier le livre 1er du Code pénal du 9 juillet 1913 dans sa version arabe du 31 mai 2018 consacre dans l’article 19 le principe général de responsabilité pénale des personnes morales. Voir I. Said, La responsabilité pénale des personnes morales - Lecture de l’avant-projet du Code pénal, in La réforme du Code pénal tunisien - lecture croisée de l’avant-projet du livre I du Code pénal, Nirvana, 2019, p. 197 et s.
[18] S. Koubaa, La simulation en droit fiscal tunisien, Thèse, 2015-2016, p. 251.
[19] G. Stefani, G. Bouloc, B. Levasseur, Droit pénal général, Dalloz, 19ème éd., Paris, 2005, n° 305.
[20] Cass. crim., 13 mai 1975, Bull., n° 124, p. 340. Cité par G. Tixier et Ph. Derouin, Droit pénal de la fiscalité, Dalloz, 1989, p. 39.
[21] F. Desportes, F. Le Gunehec, Le nouveau droit pénal, T. 1, Droit pénal général, Economica, 7ème éd., Paris, 2000, p. 484 ; J. Carbonnier, Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du Code pénal, JCP, 1952, I, doctrine, p. 1034.
[22] Hormis le cas des infractions intéressant la sûreté intérieure ou extérieure de l’Etat, même si le crime n’a pas été commis, l’aide et l’assistance sont punissables conformément aux dispositions du Code pénal (article 32-3 du Code pénal).
[23] Voir A. Omrane, Cours sur le droit des sociétés, Faculté de Droit de Sfax, non publié, 2017-2018.
[24] L. Ayrault, Critère intentionnel et répression de la fraude fiscale : réflexions autour de l’irresponsabilité pénale en matière fiscale, op. cit., p. 384.
[25] Le monde.fr, 20 mai 2010.
[26] L’article 54 de la loi de Finances pour 2016 a étendu les sanctions pénales aux dirigeants de fait des personnes morales ayant assuré de façon effective sa direction.
[27] L. Ayrault, Critère intentionnel et répression de la fraude fiscale : réflexions autour de l’irresponsabilité pénale en matière fiscale, op. cit., p. 384.
[28] F. Desportes et F. Le Gunehec, Le nouveau droit pénal, op. cit., p. 525.
[29] F. Desportes et F. Le Gunehec, Le nouveau droit pénal, op. cit., p. 525.
[30] Voir, la Thèse de S. Koubaa, La simulation en droit fiscal tunisien, op. cit., p. 254.
[31] E. Picard, Les personnes morales de droit public, actes du colloque sur «La responsabilité pénale des personnes morales», Rev. soc., 1993, p. 266.
[32] L’avant-projet du Code pénal qui vise à modifier le livre 1er du Code pénal du 9 juillet 1913 dans sa version arabe du 31 mai 2018 consacre dans l’article 19 le principe général de responsabilité pénale des personnes morales.
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