Le Quotidien du 8 août 2022 : Fiscalité immobilière

[Focus] Agriculteur et immeuble non affecté au bilan : attention au risque de redressement des revenus fonciers !

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par Jérôme Mazeres, Fiscaliste - Diplômé en gestion de patrimoine, Les fourmis du patrimoine

le 05 Août 2022

Mots-clés : bénéfices agricoles • revenus fonciers • théorie du bilan

Il est assez fréquent en pratique de constater qu’au bilan d’une exploitation agricole figure des bâtiments. Quand il s’agit de bâtiments agricoles, en règle générale l’agriculteur et son conseil ne se posent pas nécessairement de questions.

Quand il s’agit de biens non affectés, l’exploitant est plus vigilant, notamment depuis le 1er janvier 2012.

En effet, depuis le 1er janvier 2012, les charges et les produits non affectés doivent faire l’objet d’un retraitement au niveau des bénéfices agricoles, afin d’être imposés dans la catégorie des revenus fonciers.

Cependant, cette approche centrée sur la théorie du bilan a tendance à occulter les règles spécifiques régissant les bénéfices agricoles.


 

I. Le principe d’inscription obligatoire au bilan des biens immobiliers affectés 

L’imposition des revenus dans la catégorie des bénéfices agricoles nécessite d’être prudent. En effet, même si l’article 72 du Code général des impôts N° Lexbase : L0055IKA pose le principe de l’application des règles des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) aux bénéfices agricoles (BA), il n’en reste pas moins, que sur certains aspects, les BA disposent de règles qui leur sont propres.

Il en est notamment ainsi concernant l’inscription des actifs immobiliers.

L’article 38 sexdecies D, I à l’annexe III du CGI N° Lexbase : L0285IGN dispose :

« Les immeubles bâtis ou non bâtis appartenant à l'exploitant et utilisés pour les besoins de l'exploitation sont obligatoirement inscrits à l'actif du bilan.

Toutefois, l'exploitant peut demander de conserver les terres dans son patrimoine privé. Cette option s'applique à la totalité des terres dont l'exploitant est propriétaire ou qu'il acquiert pendant la durée de l'exercice. Elle est reconduite tacitement pour l'exercice suivant, sauf renonciation expresse de l'exploitant. L'option ou la renonciation à cette option doit être jointe à la déclaration des résultats de l'exercice auquel elle s'applique.

La maison d'habitation dont l'exploitant est propriétaire peut être inscrite à l'actif sous réserve qu'elle fasse partie de l'exploitation et qu'elle ne présente pas le caractère d'une maison de maître ».

Le principe est le suivant : les bâtiments et terres agricoles sont par principe inscrits au bilan de l’exploitation.

Il existe une faculté d’option concernant les terres. En effet, l’exploitant peut opter pour leur maintien dans le patrimoine privé.

Attention, il s’agit d’une option expresse [1]. Il n’est donc pas possible de considérer qu’une absence d’inscription vaut option [2].

Il est impératif en pratique de vérifier le choix opéré par l’exploitant.

En effet, en l’absence d’option, les terres doivent être inscrites au bilan. Elles sont donc soumises aux bénéfices agricoles. Cela implique notamment, une absence d’amortissement des terres, et le cas échéant, en cas de reventes de celles-ci, l’application du régime des plus-values professionnelles.

En revanche, si les terres sont hors bilan en raison d’une option, le régime des plus-values immobilières privées s’applique sur la cession des terres. Il convient ici de rappeler qu’il est possible pour l’exploitant agricole, dans cette situation de déduire au niveau des bénéfices agricoles le montant du loyer normal, sous réserve de l’imposer en tant que revenus fonciers [3].

Cependant, il n’est pas rare de constater en pratique que des immeubles sont hors bilan, sans que l’exploitant soit en capacité de justifier de l’exercice d’une option, qui, on le rappelle, se proroge tacitement.

Il n’est pas rare de constater dans les dossiers que malheureusement, plusieurs années après, les exploitants sont dans l’incapacité de justifier de l’exercice de cette fameuse option.

Dès lors, il s’agit d’une erreur comptable [4] qui peut donner lieu à des redressements directement au niveau de l’exploitation agricole.

En effet, les loyers passés en charge peuvent ainsi être rejetés et donner lieu à une réintégration dans le bénéfice agricole imposable. Cette situation est également susceptible d’induire des conséquences sur le droit à déduction au niveau de la TVA.

L’un des points les plus sensibles concerne celui relatif aux immeubles non affectés.

II. Le cas particulier de la maison de maître et de la maison de l’exploitant 

A. La maison de maître

La lettre de l’article 38 sexdecies D à l’annexe III du Code général des impôts empêche d’inscrire au bilan de l’exploitation agricole les maisons de maître. Ces dernières doivent nécessairement demeurer hors bilan.

Qu’est-ce qu’une maison de maître ? Il s’agit d’immeubles qui ne sont pas directement utilisés pour les besoins de l’exploitation agricole et qui revêtent, de par leurs dimensions et leur disposition intérieure, un caractère nettement résidentiel [5]. La jurisprudence permet d’illustrer cette notion.

À titre d’exemple, des châteaux du XIXe siècle avec dépendance par le jardin, ou des châteaux des XIIIe, XVe et XVIIIe siècles comprenant un corps principal et des pavillons, ont pu être qualifiés de maisons de maître [6].

On comprend ainsi qu’il s’agit de demeures d’une certaine importance.

Certains exploitants agricoles peuvent ainsi tenter d’inscrire leurs maisons de maître au bilan afin de déduire l’ensemble des charges grevant celles-ci au niveau des bénéfices agricoles, dont les amortissements. Il convient ici de rappeler qu’en pratique, l’amortissement des maisons d’habitation est effectué sur une durée approximative de quarante ans, soit environ 2,5 % de taux d’amortissement [7].

L’article 38 sexdecies D du Code général des impôts pose ici une sorte de principe de non-affectation. Il n’est dès lors pas possible de déduire des charges portant sur de telles habitations. Dès lors, c’est l’ensemble des dépenses de réparation, la taxe foncière, l’annuité d’amortissement, ou d’éventuels frais de mandataire portant sur ce bien qui se retrouveront remis en cause.

En outre, dans l’hypothèse où de telles habitations seraient données en location à des tiers, les produits doivent être extournés du bénéfice agricole imposable, pour être imposés dans la catégorie des revenus fonciers.

B. La maison de l’exploitant

Concernant la maison de l’exploitant agricole, il est possible de l’inscrire au bilan. Cependant, plusieurs conditions cumulatives doivent être remplies [8] :

  • la maison doit faire partie de l'exploitation, ce qui implique notamment qu'elle soit située dans l'enceinte même de la ferme ou attenante à celle-ci ;
  • elle ne doit pas présenter le caractère d'une maison de maître.

Au regard de la rédaction de la doctrine administrative, il y a donc deux situations :

  • soit, la maison d’habitation, qui n’est pas une maison de maître est dans l’enceinte de l’exploitation, et auquel cas, il est possible de l’inscrire au bilan ;
  • soit, la maison d’habitation, qui n’est pas une maison de maître est en dehors de l’enceinte de l’exploitation, et auquel cas, il n’est a priori pas possible de l’inscrire au bilan.

Si la doctrine limite le principe de liberté d’affectation, il convient de relever que la jurisprudence peu parfois apparaître contraire.

À titre d’exemple, il a été jugé qu’un agriculteur de Gironde, celui-ci disposant d’appartements dans le 6e arrondissement parisien, ne pouvait pas les inscrire au bilan de son exploitation.

Pour autant, d’autres arrêts [9] ont pu consacrer le principe de liberté d’affectation, malgré l’application de l’article 38 sexdecies D à l’annexe III du Code général des impôts.

On retrouve ici, les mêmes risques de redressement qu’évoqués précédemment, à savoir un rejet de charges sur l’exploitation et la déduction extra-comptables des produits de location. Bien évidemment ceux-ci seront soumis à l’application du régime des revenus fonciers.

Ici, il convient de relever que les services vérificateurs peuvent ainsi retrouver le système de qualification des dépenses de travaux propres aux revenus fonciers. On rappellera que les dépenses d’agrandissement, construction ou reconstruction ne sont pas déductibles. Si ces dépenses pouvaient bénéficier d’un amortissement dans le cadre des bénéfices agricoles, au niveau des revenus fonciers celles-ci ne pourront dès lors plus constituer une charge déductible. L’impact au niveau de la fiscalité courante peut être important.

Certes, ces dépenses retrouveront une utilité fiscale dans le cadre du calcul de la plus-value immobilière privée, lors de la cession du bien.

III. L’articulation avec la théorie du bilan (CGI, art. 155)

En cas de redressement en la matière, il se pose nécessairement la question de l’articulation du mécanisme de l’article 38 sexdecies D à l’annexe III du Code général des impôts avec l’article 155 du même Code.

L’article 155 du Code général des impôts N° Lexbase : L6174LU9 consacre la suppression partielle de la théorie du bilan.

« Les résultats tirés de l’exploitation non professionnelle de ces biens (produits, charges et résultat de leur cession) sont extournés des bénéfices imposables de l’entreprise pour être imposés dans leur cédule d’imposition conformément à la nature de ces biens » [10]

Il est possible de contester un éventuel redressement sur ce fondement en faisant application de la tolérance [11] de 5 % ou 10 %.

À ce titre la doctrine administrative précise : « par exception, les résultats des activités non professionnelles, c'est-à-dire ceux ne pouvant être considérés comme relevant de l'activité exercée à titre professionnel, restent tout de même pris en compte dans le bénéfice professionnel lorsque les produits y afférents ont un caractère marginal (CGI, art. 155, II-3).

Le caractère marginal est établi lorsque les produits afférents à un bien non utilisé pour l’activité professionnelle n’excèdent pas 5 % de l’ensemble des produits de l’exercice, ou 10 % de ces produits si la condition de 5 % était satisfaite au titre de l’exercice précédent ».

Il convient de rappeler que cette tolérance est devenue une option. Pour les exercices clos avant le 1er janvier 2017, ce régime s’appliquait de plein droit. La modalité d’option n’a jamais été précisée par les services de l’administration fiscale. Il peut exister un peu de discussion sur ce point.

On comprend que l’articulation entre la théorie du bilan et l’article 38 sexdecies D à l’annexe III du Code général des impôts revêt une importance capitale pour obtenir le dégrèvement total ou partiel du redressement.

En effet, le service vérificateur peut avoir intérêt à démontrer que les biens relèvent de la mesure d’exclusion d’inscription à l’actif de l’article 38 sexdecies D à l’annexe III du Code général des impôts. Dès lors, il ne devrait pas y avoir lieu de s’interroger sur l’application de la tolérance de 5 %.

À l’inverse, le contribuable aura tout intérêt à démontrer que sa situation n’est pas visée par les mesures d’interdiction de l’article 38 sexdecies D à l’annexe III du Code général des impôts. Dans ce cas, s’il est possible d’inscrire le bien immobilier au bilan, pour autant, cela ne signifie pas qu’il est affecté à l’activité professionnelle. Si tel n’est pas le cas, il faudra utiliser la tolérance de 5 %, afin de démontrer que les recettes locatives représentent moins de 5 % de l’ensemble des produits de l’exercice.

À l’issue d’une telle démonstration et sous réserve de l’option pour la tolérance, les revenus locatifs pourront continuer à être imposés au sein des bénéfices agricoles.

En synthèse et plus concrètement, les maisons de maître ne pouvant pas être inscrites au bilan, elles ne devraient pas pouvoir bénéficier de la mesure de tolérance. Dès lors, les charges et les produits portant sur ce type de biens immobiliers sont susceptibles d’être extournés des bénéfices agricoles pour être imposés dans les revenus fonciers. Il en est de même des maisons de l’exploitant ne faisant pas partie de l’exploitation.

Pour les maisons de l’exploitant faisant partie de l’exploitation, il est possible de les inscrire. Dans l’hypothèse où elles ne seraient pas affectées à l’activité, il devrait logiquement être possible de se défendre sur le fondement de la tolérance de 5 %, sous réserve d’en faire option, afin d’éviter ou limiter un éventuel redressement.

 

[1] BOI-BA-BASE-20-10-20 n° 110 N° Lexbase : X7349ALR.

[2] CE, 8°-9° ssr., 17 mai 1991, n° 68211 N° Lexbase : A9062AQP.

[3] CE, 3°-8° ssr., 29 septembre 2011, n° 340247 N° Lexbase : A1530HYC.

[4] CE, 6°-8° ssr., 15 décembre 1982, n° 25106 N° Lexbase : A1029ALP.

[5] CE, 7°-9° ssr., 22 décembre 1969, n° 74951 N° Lexbase : A5598B8T.

[6] TA Rennes, 13 décembre 2001, n° 97-241.

[7] CE, 7°-8° ssr., 31 juillet 1992 n° 42280 N° Lexbase : A7281AR4.

[8] BOI-BA-BASE-20-10-20 n° 180.

[9] CAA Nantes, 12 novembre 2007, n° 06NT00933 N° Lexbase : A4936D39 : RJF, 4/08, n° 439.

[10] BOI-BIC-BASE-90, n° 1 N° Lexbase : X1818AMB.

[11] BOI-BIC-BASE-90 n° 240.

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