Le Quotidien du 29 avril 2022 : Actualité judiciaire

[A la une] Trois questions pour comprendre la condamnation de Coline Berry pour diffamation

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par Vincent Vantighem

le 28 Avril 2022

Du statut de plaignante dans une affaire de viols à celui de prévenue pour « diffamation »… Coline Berry a été condamnée, jeudi 14 avril, par le tribunal judiciaire d’Aurillac (Cantal). Elle a été reconnue coupable d’avoir porté « une atteinte à l’honneur » de Jeane Manson, l’ancienne compagne de l’acteur Richard Berry.

Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter un peu plus d’un an en arrière. En janvier 2021, très exactement. À l’époque, Coline Berry annonce, dans les colonnes du Monde, qu’elle vient de déposer une plainte pour « viols sur mineurs » et « agressions sexuelles » à l’encontre de son père.

Dans le grand quotidien du soir, elle décrit alors les abus sexuels que son père lui aurait imposés, entre ses 6 et ses 10 ans, alors qu’elle n’était encore qu’une enfant. Soit entre 1982 et 1986. Elle explique alors qu’elle devait rejoindre le lit conjugal que son père partageait alors avec Jeane Manson, une chanteuse américaine, pour participer à de sordides ébats sexuels. Sur la base de ces accusations, le parquet de Paris décide d’ouvrir une enquête préliminaire et confie, alors, les investigations à la Brigade de protection des mineurs (BPM). En parallèle, Jeane Manson attaque, de son côté, Coline Berry en diffamation.

Mais, alors que l’enquête sur le fond du dossier est toujours en cours à Paris, le tribunal judiciaire d’Aurillac a donc décidé d’examiner la plainte en diffamation et, finalement, de condamner Coline Berry a 2 000 euros d’amende. Au surplus, la fille de l’acteur doit verser 20 000 euros de dommages et intérêts à Jeane Manson ainsi que 5 000 euros, au titre des frais de justice. Un jugement qui a suscité beaucoup de réactions dans le microcosme judiciaire. De nombreux observateurs se sont en effet étonnés que le tribunal d’Aurillac juge du caractère diffamatoire des accusations portées par Coline Berry, alors même que celles-ci n’ont pas encore été tranchées par la justice. Lexbase s’est procuré ce jugement de 31 pages afin de répondre aux questions soulevées.

  • Pour quelles raisons Coline Berry a-t-elle été reconnue coupable par le tribunal d’Aurillac ?

En matière de diffamation, il existe deux faits justificatifs spéciaux : la vérité et la bonne foi. Pour convaincre le tribunal, Coline Berry aurait donc dû, dans un premier temps, démontrer que les faits d’inceste qu’elle a dénoncés sont « la vérité, de manière parfaite et complète ». Impossible selon le tribunal d’Aurillac : « Les nombreuses attestations produites (de personnes qui n’étaient pas présentes lors des agressions sexuelles supposées) ne suffisent pas à démontrer la vérité », expliquent les magistrats dans ce jugement de 31 pages au total. Il aurait en outre fallu respecter la très complexe procédure dite de l’offre de preuve de la vérité du fait diffamatoire.

Coline Berry aurait également pu être relaxée en démontrant qu’elle était de bonne foi, en portant de telles accusations contre son père et son ex-compagne, Jeane Manson. Pour cela, la justice exige que les propos concernent un « motif légitime d’expression », fassent l’objet d’une « enquête sérieuse » et soient portés avec « prudence » et sans « animosité personnelle ». C’est ce dernier point qui pose problème à Coline Berry selon le tribunal d’Aurillac.

« Le contexte démontre une animosité de la part de [Coline Berry] à l’égard de son père. (…) En allant au-delà du doute raisonnable, le tribunal a l’intime conviction qu’il existe [également] une animosité évidente de Coline Berry à l’égard de Jeane Manson, animosité qui a en outre été démontrée lors de l’audience au regard des échanges entre les deux protagonistes. » En raison de cette « animosité », le tribunal a donc considéré que Coline Berry ne pouvait pas être relaxée.

Si un appel est interjeté, la cour devra revenir sur cette appréciation, mais aussi se demander si la condamnation n’a pas porté à Coline Berry une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression, appréciée dans le contexte de la libération de la parole des victimes d’agressions sexuelles.

  • Pourquoi le tribunal d’Aurillac n’a-t-il pas attendu le résultat de l’enquête de la Brigade des mineurs avant d’examiner cette affaire ?

Comment peut-on juger du caractère diffamatoire d’accusations alors que celles-ci n’ont pas encore été tranchées par la justice ? Dès le début du procès, le 1er avril, les avocats de Coline Berry et du Monde avaient alerté sur le fait qu’il était, selon eux, impossible de juger Coline Berry pour diffamation alors même que les accusations d’incestes qu’elle porte font toujours l’objet d’une enquête. Ils réclamaient donc un sursis à statuer. Autrement dit que le tribunal d’Aurillac patiente avant d’examiner ce dossier.

La défense de Coline Berry a d’ailleurs présenté une question prioritaire de constitutionnalité à ce sujet devant le tribunal correctionnel. Cette QPC portait sur l’article 35 de la loi de 1881, au terme duquel la vérité des faits diffamatoire peut toujours être prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée. Dans cette dernière hypothèse et plus généralement lorsque la preuve de la vérité du fait diffamatoire est légalement prohibée il sera obligatoirement sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation lorsque le fait imputé aura fait l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public ou d’une plainte de la partie du prévenu.

L’article 35 prévoit très spécifiquement que lorsque les propos dénoncés portent sur des faits d’agression sexuelle sur mineur la preuve de la vérité des faits peut être apportée. Dans ce cas, le sursis à statuer ne sera plus obligatoire.

La QPC présentée soutenait que les dispositions de l’article 35 de la loi de 1881 provoqueraient une « rupture d’égalité non nécessaire, ni proportionnée », le prévenu en diffamation ayant dénoncé des faits de violences sexuelles sur mineurs, pour lesquels une procédure pénale serait en cours, ne pouvant bénéficier du sursis à statuer alors que celui-ci est obligatoire pour touts les autres faits de la vie privée. La QPC soulignait également qu’il existait un risque d’atteinte au principe de sécurité juridique dès lors qu’en l’absence de sursis à statuer, deux décisions contradictoires pouvaient être rendues. Enfin, le Conseil de Coline Berry avançait que les dispositions en cause portaient atteinte au secret de l’enquête et de l’instruction.

Le tribunal correctionnel refusera de transmettre la QPC estimant notamment que la différence de traitement voulu par le législateur se justifie par une différence de situations, qu’il n’existe pas de risque de contrariété puisque, affirme-t-il « les faits d’inceste et autres agressions sexuelles sont prescrits et ne seront jamais jugés » et, d’autre part, «  toutes les juridictions sont parfaitement aptes à faire la différence entre une affaire de diffamation et une affaire d’agression sexuelle ». S’agissant de l’atteinte au secret de l’enquête, le tribunal rappelle qu’elle est permise par le droit de la presse. Enfin, la juridiction justifie l’absence de sursis à statuer en matière de « crimes sexuels » (sans préciser que les dispositions concernent les faits commis sur mineurs) par le fait que cela reviendrait à « bloquer une procédure de diffamation » ce qui constituerait « une atteinte profonde au droit de la défense de la personne diffamée qui va devoir attendre qu’une autre affaire pénale, qui n’a quasiment pas de limite dans le temps, soit tranchée pour voir ses propres droits reconnus ».

Après avoir répondu à cette QPC, les juges de première instance rejettent la demande de sursis à statuer présentée par la défense de Coline Berry. S’appuyant sur l’article 35 de la loi de 1881 et notamment son alinéa 5, le tribunal d’Aurillac a estimé qu’il n’avait aucune raison d’attendre : « Aucune poursuite n’a été engagée par le parquet [pour les faits d’incestes], d’autant que […] toutes les parties conviennent que les faits dénoncés seraient prescrits. Dès lors, ce moyen permet de rejeter le sursis à statuer sollicité », écrivent-ils dans le jugement.

On peut s’étonner de cette motivation dès lors que le tribunal l’a rappelé lui-même « aux termes du 5e alinéa de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881, le sursis est obligatoire lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées sur requête du ministère public ou sur plainte du prévenu si la preuve de la vérité diffamatoire est prohibée, ou encore lorsque le fait imputé concerne la vie privée, sauf s’il s’agit de [agressions sexuelles sur mineur] ». En l’espèce, par la nature des faits dénoncés, le sursis à statuer était facultatif et l’opportunité de le prononcer appartenait aux juges lesquels devaient estimer s’ils étaient, ou non, en mesure de former leur décision. Le tribunal le rappelle d’ailleurs par lui-même plus loin en affirmant « le sursis facultatif relève du pouvoir souverain des juges du fond […] en outre, il importe peu qu’une enquête pénale soit en cours pour les faits [dénoncés] ».

Au passage, et après avoir rappelé à cinq reprises que les faits dénoncés par Coline Berry, seraient prescrits, il est surprenant de lire des magistrats prédire le futur (en se contredisant par ailleurs) : « « les faits d’inceste et autres agressions sexuelles sont prescrits et ne seront jamais jugés […] Il faut ici rappeler que la décision qui sera prise n’aura aucune conséquence sur l’enquête préliminaire en cours au parquet de Paris. Il est bien évident que si [les faits n’étaient pas considérés comme prescrits], les magistrats en charge d’une affaire criminelle sauraient écarter un jugement correctionnel de diffamation qui doit se cantonner à ce seul aspect des choses, même si, et là est toute la complexité de l’affaire, il existe un certain lien entre les deux procédures […] il faudrait un jugement de condamnation de Mme Manson pour agression sexuelle à l’encontre de Mme Berry Rojtman, jugement qui n’est évidement pas présent et ne le sera certainement pas après l’enquête en cours au parquet de Paris dans la mesure où les faits sont prescrits ».

On rappellera à toutes fins utiles qu’il n’est aujourd’hui plus interdit d’apporter la vérité d’un fait constituant une infraction prescrite.

  • Pourquoi Jeane Manson a-t-elle touché 20 000 euros de dommages et intérêts ?

Outre l’amende de 2 000 euros et les frais de justice de son adversaire de 5 000 euros, Coline Berry a également été condamnée à verser 20 000 euros de dommages et intérêts à Jeane Manson. Un montant qui a suscité beaucoup de questions.

Le tribunal d’Aurillac tente de s’en expliquer dans son jugement. « Il est indubitable que Jeane Manson est une personnalité publique, qu’elle est toujours présente sur la scène médiatique et culturelle, même si c’est avec moins d’intensité que par le passé, écrivent-ils dans leur jugement. Dès lors, il est indéniable que les diffamations en cause lui ont causé un préjudice moral qu’il faut réparer. Même s’il est difficile de mesurer un tel préjudice dans la mesure où on ne parvient pas à appréhender totalement et avec précision les manques à gagner d’une artiste dont l’image est essentielle à l’exercice de son métier. » Pour rappel, la chanteuse américaine avait réclamé, lors de l’audience, 250 000 euros de dommages et intérêts.

Pour aller plus loin :

  • E. Raschel, ÉTUDE : Les justifications en droit de la presse, La justification de la diffamation, la vérité du fait diffamatoire, Les règles procédurales, in Droit de la presse, Lexbase N° Lexbase : E6402Z8M.
  • E. Raschel, ÉTUDE : Les justifications en droit de la presse, La justification de la diffamation, la vérité du fait diffamatoire, Les règles substantielles, in Droit de la presse, Lexbase N° Lexbase : E6401Z8L.

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