Le Quotidien du 21 avril 2022 : Licenciement

[Brèves] Licenciement d’un animateur de télévision à la suite d’une plaisanterie sexiste vs liberté d'expression

Réf. : Cass. soc., 20 avril 2022, n° 20-10.852, FS-B N° Lexbase : A08737UU

Lecture: 4 min

N1249BZB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Licenciement d’un animateur de télévision à la suite d’une plaisanterie sexiste vs liberté d'expression. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/83768690-commente-dans-la-rubrique-b-licenciement-b-titre-nbsp-i-licenciement-dun-animateur-de-television-a-l
Copier

par Charlotte Moronval

le 21 Avril 2022

► Le licenciement d’un animateur de télévision ayant fait une « blague » sexiste est, au regard de divers facteurs, une sanction proportionnée qui ne porte pas une atteinte excessive à la liberté d'expression garantie à un salarié.

Faits et procédure. Un salarié d’une société de production audiovisuelle, pour laquelle il animait un jeu télévisé, est licencié. Dans cette émission, l’animateur mettait en compétition des couples à l’épreuve de questions posées sur leur vie amoureuse.

Le contrat de travail de l’animateur l’engageait à respecter la charte de la chaîne de télévision en charge de diffuser le programme : cette charte lui imposait de ne pas tenir de propos de haine ou de mépris à raison du sexe et de ne pas valoriser les violences sexistes, quels que soient les médias dans lesquels il apparaîtrait.

En 2017, cet animateur, qui était aussi humoriste, était l’invité d’une émission diffusée sur une autre chaîne, pour faire la promotion de son dernier spectacle. À la fin de ce programme, il lui a été proposé de faire une ultime plaisanterie, qu’il a formulée en ces termes :

« Comme c’est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c’qu’on dit à une femme qu’a déjà les deux yeux au beurre noir ?  Elle est terrible celle-là ! - On lui dit plus rien on vient déjà d’lui expliquer deux fois ! ».

Cette « blague » a fait naître une vive polémique.

Quelques jours plus tard, au cours de l’enregistrement d’épisodes du jeu dont il était l’animateur, l’intéressé a fait allusion aux critiques que lui valait sa plaisanterie et y a ajouté des propos de même nature. La société de production audiovisuelle licencie l’animateur pour faute grave.

Le conseil des prud’hommes puis la cour d’appel jugent que ce licenciement était justifié. Cette dernière retient notamment que :

  • l’animateur salarié a tenu des propos sexistes à l’antenne alors que plusieurs événements récemment médiatisés venaient rappeler la nécessité d’une lutte contre les violences domestiques et les discriminations à raison du sexe (affaire Weinstein, libération de la parole des femmes sur les réseaux sociaux avec les mouvements « #MeToo » et « #BalanceTonPorc », annonce par le Président de la République de mesures visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles) ;
  • dans l’émission de télévision dont il était l’invité, l’humoriste a tenu des propos sexistes qu’il présentait comme relevant de la « blague », mais à la toute fin du programme, sans qu’il soit encore possible de les mettre à distance. Les jours suivants, sur le tournage de son propre jeu télévisé, l’animateur s’est montré satisfait de la polémique, tout en tenant, à plusieurs reprises, des propos misogynes et injurieux à l’égard des candidates.

L’animateur forme un pourvoi en cassation.

La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi.

Rappel. La liberté d’expression est protégée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen N° Lexbase : L1358A98 et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme N° Lexbase : L1357A97. Elle s’applique dans la relation de travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation juge depuis de nombreuses années que, sauf abus, le salarié jouit de sa liberté d’expression dans l’entreprise et en dehors de celle-ci.

Cette liberté peut faire l’objet de restrictions justifiées par la nature des tâches à accomplir. Mais ces restrictions doivent être proportionnées au but recherché.

Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, un juge saisi d’un licenciement fondé sur les propos tenus par un salarié doit vérifier :

  • que la possibilité pour l’employeur de s’ingérer dans la liberté d’expression est prévue par la loi ;
  • que cette limitation de la liberté d’expression poursuit un but légitime ;
  • que le licenciement est nécessaire et proportionné au but légitime poursuivi par l’employeur.

De l’ensemble des éléments évoqués ci-dessus, la cour d'appel, qui a fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, a exactement déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.

Pour aller plus loin : v. ÉTUDE : La cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif personnel, Les abus de la liberté d'expression, in Droit du travail, Lexbase N° Lexbase : E3312ZPD.

 

newsid:481249

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.