La lettre juridique n°529 du 30 mai 2013 : Consommation

[Projet, proposition, rapport législatif] Projet de loi consommation : une pleine boîte à outils ?

Réf. : Projet de loi relatif à la consommation n° 1015, présenté par le ministre de l'Economie et le ministre en charge de la Consommation et de l'Economie sociale et solidaire

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par Malo Depincé, Maître de conférences HDR à la Faculté de droit de Montpellier, Directeur du Master II consommation et concurrence (MC2), Directeur adjoint de l'UMR 5815 Dynamiques du droit, Avocat au barreau de Montpellier

le 30 Mai 2013

Commet protéger le consommateur ? Comment assurer cette protection dans les faits et au-delà des simples proclamations de prérogatives nouvelles ? Comment le faire dans un contexte économique particulièrement difficile, de crise, sans nuire aux entreprises et à la croissance ? Comment dans cette perspective intégrer les demandes diverses et variées de tous les opérateurs économiques, entreprises, associations de consommateurs, élus, etc., qui entendent se saisir de la loi pour y faire inscrire leurs souhaits particuliers ? Apporter des réponses à toutes ces questions n'est pas chose aisée. C'est à cet exercice périlleux que s'est livré le ministre délégué à la Consommation et à l'Economie sociale et solidaire, dans le projet de loi qu'il a présenté en Conseil des ministres le 2 mai 2013 et qui sera discuté sur le bureau de l'Assemblée le 24 juin prochain. S'agit-il d'une "boîte à outils", plus ou moins bien rangée ou bien d'un ensemble cohérent et potentiellement efficace ? Il faut bien évidemment rappeler la nouveauté qui consiste à assurer l'effectivité du droit de la consommation, à travers la question de ses sanctions et de l'indemnisation des consommateurs (I). Le reste du texte est plus hétéroclite, comprenant un ensemble de mesures distinctes qui font véritablement figure, encore une fois de "boîte à outils substantiels" (II). I - L'effectivité du droit de la consommation

Proclamer des droits est une action importante, première et nécessaire pour assurer les intérêts des consommateurs. Il ne faut pas néanmoins oublier de garantir l'effectivité de ces droits pour le consommateur. En l'espèce, le projet de loi semble le plus abouti de tous les projets d'ordre processuel qui ont pu jusqu'à présent être présentés. Il opère deux constats, enfin, serait-on tenté de dire. Les consommateurs lésés par une pratique commerciale sont rarement indemnisés de leur préjudice et les sanctions pénales de ces pratiques sont peu souvent prononcées. Il propose donc l'instauration d'une "action de groupe à la française" (le ministre a bien insisté sur cette particularité, pour éviter tout sentiment d'importation directe et complète du mécanisme nord américain avec ses défauts, cf. Colloque, Les 20 ans du Code de la consommation, DGCCRF, Bercy, 27 mai 2013, à paraître) et un renforcement considérable des pouvoirs de police administrative des agents en charge de l'application des dispositions du Code de la consommation.

L'action de groupe. Voici le quatrième projet ou proposition de loi, toutes tendances politiques confondues, depuis qu'une annonce avait été faite début 2005 par le Président Chirac. Jamais, néanmoins, un projet n'avait été aussi avancé, ni, semble-t-il, n'avait obtenu autant de soutiens (la majorité à l'Assemblée n'y est plus réticente, les associations de consommateurs s'y sont montrées favorables et les représentants des entreprises ont fini par cesser leur politique d'opposition systématique à un tel projet pour préférer y apporter des amendements). L'adoption du texte constituerait, indépendamment des réserves qui seront formulées ci-après, une avancée considérable en droit de la consommation. L'enjeu est d'assurer l'efficacité du droit de la consommation, en précisant au préalable que l'effet peut être plus ou moins fort selon le type d'action de groupe choisi. S'il est admis que la nouveauté, fondamentale, consiste à introduire un recours collectif sans qu'il soit au préalable nécessaire à l'initiateur de l'action de présenter un mandat de chaque consommateur lésé, la question demeure de l'objectif assigné à ce nouveau type d'action (sur les recours collectifs déjà existants, cf. J. Calais Auloy et H. Temple, Droit de la consommation, 7ème éd., Dalloz 2010). La première conception de l'action de groupe consiste à l'envisager comme une pure action en indemnisation d'un préjudice qui a pour objet d'assurer une indemnisation au plus grand nombre. L'indemnisation est alors collective, son résultat la somme des réparations individuelles. Encore faut-il, pour être indemnisé, et pour que les professionnels en faute soient tenus au paiement d'une indemnisation que chaque consommateur en fasse expressément la demande. A quoi bon, diront certains, car si le préjudice individuel est très faible, peu de consommateurs agissent.

La seconde conception consiste, en revanche, à l'envisager comme une véritable action en sanction d'un comportement illégal, une arme de dissuasion. Il s'agirait alors d'obtenir la ponction de l'intégralité du surprofit réalisé par le professionnel du fait du comportement illégal, peu important de savoir si les victimes ont toutes souhaité agir ou non. L'essentiel est que le profit "illicite" soit retiré au professionnel indélicat (c'est ce profit que le droit canadien par exemple qualifie de "reliquat"). Cette ponction complète est la mieux à même d'assurer l'effectivité du droit de la consommation puisque le professionnel n'a plus intérêt à y contrevenir si tout le profit qui en a résulté lui est retiré (sans compter les amendes civiles, sanctions pénales etc. toujours envisageables). Le modèle choisi par le projet français est le premier, ce qui peut paraître regrettable.

Comment l'action est-elle organisée sur un plan processuel ? Il convient de ne pas oublier qu'une telle action peut compter des milliers d'acteurs, en théorie jusqu'à 60 millions de consommateurs s'il s'agit d'une pratique anticoncurrentielle (une entente en l'occurrence) entre tous les opérateurs du secteur. Le mécanisme, sans que l'on connaisse encore le dispositif réglementaire qui l'accompagnera, est assez simple. Le juge saisi (un tribunal spécialisé ou l'Autorité de la concurrence, voire la Commission européenne si le fait générateur du préjudice est une pratique anticoncurrentielle) devra établir le principe de l'indemnisation, en reconnaissant le manquement du professionnel et en déterminant "les critères de rattachement au groupe" (en d'autres termes les qualités des consommateurs lésés par la pratique). L'indemnisation, puisque le projet de loi cantonne la procédure aux seuls préjudices matériels, sera nécessairement forfaitaire, établie par le juge pour un consommateur type, indépendamment des dommages singuliers que pourrait subir chacun. Pour prendre un exemple, à supposer des trains en retard et une action à l'encontre du prestataire à l'origine de ces retards : l'indemnisation sera identique pour tous ceux qui auront souffert de ce retard, sans que la procédure permette d'indemniser les préjudices indirects, comme par exemple l'impossibilité de ce fait de se présenter à un examen. Pour ce type de dommage, seule une procédure individuelle permettrait l'indemnisation d'un préjudice singulier.

Le juge enjoint ensuite au professionnel d'informer tous les consommateurs concernés de leur droit à indemnisation. Il pourrait, en outre, condamner le professionnel à verser une somme globale à l'association requérante qui serait ensuite chargée de la répartir entre victimes (les associations s'inquiètent déjà de cette charge de travail et de l'absence de soutien financier prévu) ou bien charger directement le professionnel de le faire. Dans ces deux hypothèses, le professionnel conservera les sommes non réclamées (l'identification et l'affectation du reliquat à un tiers est donc indubitablement écartée, cf. supra). Il reste à préciser que la décision n'aurait autorité de la chose jugée qu'à l'égard des consommateurs qui auraient été indemnisés dans le cadre de cette action, laissant alors le professionnel incertain quant aux conséquences financières de sa pratique jusqu'à l'épuisement des délais de prescription.

Au-delà de l'action de groupe, une plus grande efficacité est également recherchée grâce au renforcement des pouvoirs de l'administration.

Le projet prévoit, en premier lieu, une efficacité erga omnes du prononcé du caractère abusif d'une clause, autorisant désormais les associations de consommateurs qui auront saisi le juge d'enjoindre au professionnel de retirer la clause de tous les contrats identiques en cours conclus avec d'autres consommateurs, voire de les informer de cette situation. La DGCCRF pourra être amenée à contrôler le respect d'une telle décision.

Outre des pouvoirs élargis au contrôle du respect du Code des assurances, au Code de la mutualité ou encore au Code de la sécurité sociale, la DGCCRF sera habilitée à contrôler le respect par les opérateurs économiques des injonctions prononcées par la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) (projet de loi, art. 25 à 28). Mais, sans pouvoir ici prétendre à l'exhaustivité de la description de la boîte à outils, ce sont surtout les nouvelles sanctions du droit de la consommation qui prêtent aux plus importants commentaires. La DGCCRF serait en premier lieu habilitée à prononcer des sanctions "administratives" en remplacement de certaines sanctions de nature pénale pour accélérer le processus de condamnation des contrevenants (projet de loi, art. 53 et 60 à 63). Il faut dire qu'avec le développement des procédures transactionnelles menées par l'administration, le tribunal pénal était de moins en moins souvent sollicité. Les contraventions les plus simples pourront désormais faire simplement l'objet de sanctions administratives : manquements aux obligations d'information générale ou spéciales, aux règles de publicité des prix, des méthodes de ventes (soldes, ventes au déballage, etc.), droits des passagers de transports aériens, etc.. En cas de contestation, le contentieux passerait de la compétence du juge pénal à celle du juge administratif, considéré comme moins débordé actuellement par ses dossiers. Les sanctions pénales des délits les plus graves seront renforcées, le Gouvernement ayant parfaitement compris que les sanctions actuelles, non réévaluées depuis longtemps, n'étaient plus dissuasives (notamment lorsque le profit illicite était sans commune mesure avec le risque de condamnation pénale). A titre d'exemple, pour le délit de tromperie, le plafond de l'amende pour les personnes physiques passerait de 37 500 à 300 000 euros. S'inspirant du dispositif applicable à la publicité trompeuse, le projet prévoit, en outre, d'accorder au juge la possibilité d'aller au-delà et de prononcer une amende pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires du contrevenant (solution étendue aux ventes pyramidales, à l'abus de faiblesse, à l'exportation de denrées alimentaires dangereuses pour la santé, de détention de denrées alimentaires ou de médicaments falsifiés).

II - Le contenu du droit de la consommation

Toute une série de mesures est prise, dont plusieurs avaient été envisagées par le précédent Gouvernement qui n'avait pas pu les mettre en oeuvre, et le ministère a opportunément choisi de poursuivre les réformes engagées. Le projet prévoit, en premier lieu, de donner une définition du consommateur (projet de loi, art.3), solution qui ne devrait pas cependant faire évoluer le droit positif puisque cette définition est celle de la jurisprudence. En outre, l'article 3 ne vise absolument pas la notion de "non-professionnel", de sorte que les hésitations jurisprudentielles relatives à l'application de certaines dispositions du Code de la consommation aux personnes morales devraient demeurer.

Pour adapter le code aux évolutions du droit communautaire (et notamment aux décisions les plus récentes de la CJUE), l'article 28 prévoit que le juge devra désormais relever d'office le caractère abusif d'une clause contenue dans un contrat de consommation (aujourd'hui, il ne s'agit que d'une faculté pour le juge). L'appréciation du caractère déloyal d'une pratique commerciale (essentiellement une publicité) devra être appréciée in concreto, ce que la jurisprudence avait déjà mis en oeuvre. Concrètement, une décision devra déterminer l'existence d'une pratique trompeuse en justifiant des circonstances concrètes entourant la pratique, notamment pour tenir compte des spécificités du mode de communication employé et de l'intégralité des informations transmises au consommateur.

Le code reprendra désormais les solutions posées par le Règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008 dit "Rome I" (N° Lexbase : L7493IAR) : le consommateur ne pourra être privé des dispositions impératives de protection de son pays de résidence. Le consommateur pourra donc opposer sa loi nationale au professionnel étranger. Cette disposition sera désormais inscrite dans le code, le consommateur en sera bien mieux informé.

Le projet entend en un autre domaine devancer les projets de l'Union européenne. Les articles 23 et 24 du projet envisagent une valorisation des produits artisanaux locaux non-alimentaires. Il crée des "indications géographiques nationales pour les produits manufacturés". En outre, les collectivités territoriales pourront désormais s'opposer à l'enregistrement de marques reprenant leur nom, dans un but évident de protection à la fois des artisans présents sur le territoire de cette collectivité et des intérêts des consommateurs qui pourraient être trompés par des produits manufacturés en un autre lieu que celui désigné par la marque.

Toujours au titre des mesures diverses, le projet entend lutter contre la multi-assurance en accordant au consommateur qui souscrirait (par accessoire à l'achat d'un produit ou à la souscription d'un service) une nouvelle garantie un droit de renonciation anticipée dans un délai de 14 jours à compter de la signature du nouveau contrat. Pour lutter, dans les contrats de vente, contre la conviction du consommateur qu'il bénéficie exclusivement de la garantie contractuelle (au bon vouloir donc du professionnel), le projet renforce encore l'obligation d'information du professionnel. En outre, le délai de présomption de non-conformité du produit vendu imposé par la Directive 1999/44 du 25 mai 1999 (N° Lexbase : L0050AWR) passerait de 6 à 12 mois pour permettre pendant ce délai la réparation ou le remplacement du bien. Toujours au titre des mesures diverses, le professionnel serait à compter de la réforme tenu de livrer le consommateur au plus tard 30 jours à compter de la commande. Dans les foires et salon, pour lesquelles le consommateur imagine souvent à tort bénéficier d'un délai de rétractation, le professionnel devra désormais exposer clairement au consommateur l'absence de ce droit. Comme chacun sait, dans les ventes à distance et par démarchage, le délai identique aux deux hypothèses, sera désormais de 14 jours (l'interdiction de recevoir paiement, en cas de démarchage serait, elle, maintenue à 7 jours).

Enfin, et surtout pour conclure, on rappellera que l'article 73 du projet prévoit l'habilitation du Gouvernement à procéder par voie d'ordonnance pour une refonte (évidemment à droit constant) du Code de la consommation. L'ambition, qu'il faut l'approuver, est celle d'une clarification de la construction du code et d'harmonisation des pouvoirs d'enquête. Le projet de loi n'est donc que la phase initiale d'une réforme plus ambitieuse et plus longue.

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