Lexbase Droit privé - Archive n°529 du 30 mai 2013 : Droit rural

[Jurisprudence] Conditions de la poursuite du bail par le descendant du preneur décédé

Réf. : Cass. civ. 3, 24 avril 2013, n° 12-14.579, FS-P+B (N° Lexbase : A6963KCU)

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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR à la Faculté de Droit de Nancy (Université de Lorraine, Institut François Gény, EA 7301, Nancy), Présidente de l'AFDR Section Lorraine

le 22 Septembre 2017

Le temps qui passe ne suffit pas toujours pour entériner certaines situations de fait et conditions de droit. Ainsi, des consorts ont donné à bail à ferme pour une durée de dix-huit ans une parcelle de terre à un couple en qualité de co-preneurs solidaires. Ayant atteint l'âge de la retraite retenu en matière d'assurance vieillesse des exploitants agricoles, les bailleurs ont fait délivrer congé sur le fondement de l'article L. 416-1 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L0874HP3) afin de mettre fin au bail. Le preneurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en contestation du congé délivré et en sollicitant l'autorisation de céder le bail à leurs fils. Le mari est décédé en cours d'instance. Intervenant au cours de l'instance, le fils a également demandé que le tribunal constate que, faute de congé délivré dans les six mois de son père, le bail s'était renouvelé à son profit. Par ailleurs, l'épouse et son fils prétendent avoir régulièrement exécuté leurs obligations nées du bail, et que nonobstant la double activité du fils, ce dernier dispose du temps nécessaire à la bonne exploitation des terres louées, qu'il dispose de la capacité agricole et qu'il n'est pas soumis à autorisation du contrôle des structures. En outre, les conditions requises par l'article L. 411-34 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L6362HH4) sont remplies. A l'opposé, les bailleurs soutiennent que les époux n'avaient pas été des preneurs de bonne foi dès lors qu'ayant mis à disposition les terres louées à une société exploitante, ils ne les avaient pas informés de la retraite du mari ainsi que de son retrait de la personne morale. En outre, ils ajoutent que le fils n'a ni la capacité, ni l'expérience professionnelle requise par la loi. Par ailleurs, son activité professionnelle à temps plein à une distance importante des biens loués ne lui permettrait pas une exploitation effective des parcelles litigieuses et ce, d'autant plus qu'il exerce également une activité équestre. La cour d'appel (1) rejette dans un premier temps l'argument des bailleurs fondé sur la mauvaise foi des preneurs. Elle rappelle qu'en application de l'article L. 411-34, alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime, toute modification dans la dénomination sociale de la société doit être portée à la connaissance du bailleur, qu'en l'occurrence les preneurs ne démontrent pas avoir accompli cette formalité. A l'opposé, en cas de départ en retraite de l'un des co-preneurs mariés conformément à l'article L. 411-46, alinéa 2, dudit code, le bail est poursuivi par le conjoint (2). Ainsi, la cour considère que les manquements ne sont pas d'une gravité suffisante pour priver les preneurs de la faculté de céder leur bail dès lors que ces derniers n'ont aucune conséquence sur les garanties dont bénéficient les bailleurs. Le coeur du débat ne repose pas sur cette obligation d'information, évoquée seulement devant les juges du fond.

La problématique dans cette affaire, porte sur la cession du bail au fils des co-preneurs au travers des conditions légales auxquelles doit répondre le candidat cessionnaire du bail ainsi que sur le droit légal de résiliation dont dispose le bailleur en cas de décès du preneur. Sur ce dernier point, la Cour de cassation précise que "l'absence d'exercice par le bailleur de son droit légal de résiliation" est indifférente pour apprécier si le fils remplit les conditions requises pour la continuation du bail. En cas de décès du preneur, le bailleur dispose d'un délai de six mois, en application de l'alinéa 3 de l'article L. 411-34 précité, pour demander la résiliation du bail en l'absence de conjoint ou d'ayant-droit réunissant les conditions légales. En effet, cette disposition est applicable dès lors que personne ne peut prétendre à la poursuite du bail ; or, le litige portait essentiellement sur la question de savoir si le fils remplissait, ou non, les conditions légales pour poursuivre ce contrat. Par conséquent, les plaideurs n'étaient pas encore arrivés, dans le déroulement de leur conflit, à la question de savoir s'il y avait ou non absence de personne ayant qualité pour la continuation du bail. Afin de poursuivre ce dernier, le fils doit être en mesure de se consacrer personnellement à l'exploitation de parcelles louées (I). Il doit également répondre aux exigences du contrôle des structures (II).

I - L'exigence de l'exploitation personnelle du bien loué

Cette exigence découle des circonstances particulières de la présente affaire. En effet, les co-preneurs ont mis le bien loué à disposition d'une société exploitante. Dans ce cas, en application de l'article L. 411-2 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L0329HPU), le statut du fermage ne s'applique pas aux biens mis à la disposition d'une société par une personne qui participe effectivement à l'exploitation de celle-ci. Autrement formulé, la convention de mise à disposition n'est pas assimilée à un bail rural à condition que l'associé participe effectivement à l'exploitation des biens loués par le preneur, personne physique (3). Dans la présente affaire, ce point n'a pas été discuté devant la Cour de cassation, mais seulement au cours de la procédure, et tout spécialement lors de l'appel.

C'est ainsi que la cour d'appel d'Amiens (4), dans son arrêt du 29 novembre 2011, a rappelé que le demandeur en autorisation de cession de bail ou le cessionnaire éventuel, doit démontrer qu'il sera en mesure de se consacrer personnellement à l'exploitation du bien loué "sans limiter son activité à la direction et à la surveillance de celle-ci, mais en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente", conformément à la jurisprudence applicable en la matière. En effet, la Cour de cassation indique que le preneur qui met le bien loué à disposition d'une société à objet principalement agricole dont il est associé, reste titulaire du bail, et à l'obligation de continuer à se consacrer à sa mise en valeur en participant aux travaux de façon effective et permanente (5).

Dans la présente affaire, le fils est pluriactif car il exerce la profession d'aiguilleur du ciel en qualité de technicien de l'aviation civile et est associé d'une première EARL exploitant une surface d'un peu plus de 39 hectares et ayant une activité équestre annexe, ainsi que d'une seconde EARL mettant en valeur environ 96 hectares. Celle-ci est située à une douzaine de kilomètres de la parcelle faisant l'objet du bail litigieux. En outre, il ressort que ce dernier perçoit une rémunération sous forme de salaire d'environ 51 500 euros par an et qu'il exerce sa profession non agricole à temps complet. Son poste de travail est situé à une distance comprise entre soixante et soixante-dix kilomètres de son domicile et des terres exploitées par les personnes morales dont il est associé. Pour la cour d'appel, le type de profession exercée (nécessitant une concentration considérable et source d'une tension nerveuse importante), sa durée, et le temps nécessaire aux trajets professionnels quotidiens, ainsi que l'importance des surfaces agricoles mise en valeur en qualité d'associé de deux sociétés agricoles (environ 135 hectares) et la diversification des activités (cultures et activités équestres) apparaissent incompatibles avec une exploitation personnelle, effective et permanente garantissant aux bailleurs une mise en valeur satisfaisante des biens, objet du bail litigieux. Par conséquent, les juges du fond ont considéré que la condition de l'exploitation effective et permanente du demandeur n'était pas remplie.

Les preneurs n'ont pas formulé de critiques et l'appréciation de cette condition relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges. Eu égard aux caractéristiques des activités professionnelles du fils des locataires, il est intéressant de noter la démarche des juges du fond qui tiennent compte de données contraintes pour apprécier l'exploitation effective et permanente du demandeur, en quelque sorte en reconstituant son emploi du temps professionnel et en tenant compte des déplacements effectués par ce dernier. Mais cette condition n'était pas suffisante à elle-seule pour pouvoir prétendre à la continuation du bail, il faut que le demandeur ait répondu aux exigences de la réglementation du contrôle des structures.

II - La nécessité d'avoir l'autorisation d'exploiter

En effet, le preneur ou, du moins, le candidat à la continuation du bail doit avoir l'autorisation d'exploiter (6). Cette exigence légale ne figure pas dans le régime juridique du fermage mais elle est énoncée aux articles L. 331-1 (N° Lexbase : L6543HHS) et suivants du Code rural et de la pêche maritime et plus spécialement du "volumineux" article L. 331-2 (N° Lexbase : L3130IT4).

Dans la présente affaire, le demandeur n'exploite pas en nom propre mais en qualité d'associé exploitant d'une société agricole. Par conséquent, en application de l'article L. 331-2, I, 3° dudit code, lorsque le demandeur est une société exploitante, la condition d'expérience professionnelle requise par cette réglementation est appréciée au travers de la personne physique des associés exploitants. La composition des sociétés, EARL, pour lesquelles le demandeur a la qualité d'associé exploitant n'est pas précisée mais il ne semble pas qu'il y ait d'autres associés ayant cette qualité, ce qui explique pourquoi l'autorisation d'exploiter est envisagée uniquement au travers du fils. La Cour de cassation a récemment rappelé que, lorsque les biens loués sont mis à disposition d'une société exploitante, les ayants droit du preneur décédé ayant la qualité d'associé exploitant dans cette structure n'ont pas besoin de requérir cette autorisation, dès lors que la société en est titulaire (7).

De plus, le contrôle des structures pose des critères supplémentaires lorsque le demandeur est un pluriactif, comme dans la présente affaire, c'est-à-dire qu'il exerce une autre profession corrélativement avec une activité agricole en qualité d'exploitant. En effet, l'associé exploitant qui remplit déjà les conditions requises pour la capacité professionnelle agricole, doit demander l'autorisation du contrôle des structures pour l'agrandissement de son exploitation lorsque les revenus extra-agricoles de son foyer fiscal excèdent 3120 fois le montant horaire du salaire minimum de croissance (SMIC). Dans ce cas, il convient de prendre en compte, les revenus nets imposables au titre de l'année précédant celle de la demande d'autorisation d'exploiter. En outre, le montant du SMIC à prendre en compte est celui en vigueur au 31 décembre de la même année.

Ainsi, la cour d'appel a relevé que le fils n'est pas titulaire de l'un des diplômes agricoles conférant la capacité agricole, visés à l'article R. 331-1-1° du Code rural et de la pêche maritime. Par conséquent, il doit établir avoir réalisé une activité agricole pendant cinq ans pour suppléer à cette absence de diplôme. Dans ce cas, il doit prouver qu'il bénéficie de cinq ans d'expérience professionnelle acquise au cours des quinze dernières années précédant l'opération pour laquelle l'autorisation du contrôle des structures est nécessaire, sur une surface au moins égale à la moitié de l'unité de référence définie à l'article L. 312-5 dudit code (N° Lexbase : L3122AED) en qualité d'exploitant, d'aide familial, d'associé d'exploitation, de salarié agricole ou de collaborateur d'exploitation (8), conformément aux dispositions de l'article R. 331-1-2° de ce code. Or, le fils devait démontrer remplir cette condition à la date d'effet du congé, soit au 11 novembre 2010. Autrement dit, il devait justifier d'une activité professionnelle agricole dans les conditions précitées, réalisées depuis le 11 novembre 1995 (depuis moins de quinze ans). En réalité, il était inscrit en qualité de chef d'exploitation depuis le 25 janvier 2007, et à l'appui d'une attestation établie par la Mutualité sociale agricole (MSA), il a été salarié agricole pendant une durée maximale de six mois. La cour précise que le demandeur, au jour de la clôture des débats démontrait avoir eu une activité de 56 mois et 18 jours, c'est-à-dire d'une durée inférieure à celle requise par le contrôle des structures. Par conséquent, le demandeur ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir prétendre obtenir l'autorisation administrative nécessaire pour pouvoir exploiter les parcelles, objet du bail litigieux.

N'ayant pas l'autorisation du contrôle des structures, les juges du fond ont considéré que la demande du fils des preneurs, tendant à la continuation du bail rural, devait être rejetée. Pour critiquer cette décision, ce dernier prétend, dans son pourvoi, que cette autorisation n'était pas nécessaire, car il avait le droit de poursuivre le bail par le seul effet de l'absence de toute action des bailleurs pour s'y opposer dans les six mois du décès de l'un des co-preneurs. La Cour de cassation rejette cette analyse, en rappelant que le droit légal de résiliation des bailleurs est indifférent au regard des exigences imposées par la réglementation du contrôle des structures. Ainsi, le demandeur à la continuation du bailleur doit impérativement être en situation régulière au regard de cette réglementation pour pouvoir prétendre poursuivre le bail en application de l'article L. 411-34 du Code rural et de la pêche maritime.


(1) CA Amiens, 29 novembre 2011, n° 10/04034 (N° Lexbase : A1461H3I).
(2) S. Crevel, Les couples dans le statut du fermage, RDRur., janvier 2013, Colloque 5.
(3) F. Roussel, La mise à disposition de biens par un propriétaire exploitant au profit d'une société, RDRur., 2008, Dossier 25.
(4) CA Amiens, ch. éco., 29 novembre 2011, préc..
(5) Cass. civ. 3, 3 février 2010, n° 09-11.528, FS-P+B (N° Lexbase : A6149ER8), JCP éd. N, 2010, 1180, note J.-J. Barbièri et 1249, F. Roussel.
(6) C. rur., art. L. 331-6 (N° Lexbase : L6546HHW). Cass. civ. 3, 2 octobre 2002, n° 01-03.607, FS-P+B (N° Lexbase : A9100AZ3), Bull. civ. III, n° 195, Rev. Loyers, 2003, p. 27, note B. Peignot ; JCP éd. N, 2004, p. 721-722, note D. Brelet ; AJDI, 2003, p. 360, note J. Plazy ; Cass. civ. 3, 22 janvier 2003, n° 01-13.968, FS-D (N° Lexbase : A7317A4R) ; Cass. civ. 3, 6 janvier 2009, n° 07-15.468, F-D (N° Lexbase : A1532ECQ).
(7) Cass. civ. 3, 3 octobre 2012, n° 11-19.686 (N° Lexbase : A9756ITI), Annales des Loyers, 2012, p. 2788-2790, obs. A Cerati-Gautier, Rev. Loyers, 2012, p. 476-479, note B. Peignot, RD rur., novembre 2012, p. 36-37, obs. S. Crevel.
(8) C. rur., art L. 321-5 (N° Lexbase : L3589IMU).

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