La lettre juridique n°522 du 4 avril 2013 : Éditorial

Justice et opéra : de l'horreur de la mort à la mort en horreur

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


La capitale des Gaules n'a pas son pareil pour éveiller et entretenir nos consciences. Depuis quatre ans déjà, l'Université Jean Moulin Lyon 3 et le barreau de Lyon, en partenariat avec les éditions juridiques Lexbase, proposent, à tous, les Rencontres Droit Justice et Cinéma, avec un succès grandissant. L'alliance du septième art avec des sujets aussi graves et lourds que l'instant criminel, la crise ou la faillite de l'Etat, avec leurs lots d'incuries et d'impérities du droit ou de la justice, permet d'appréhender la matière juridique sous un prisme critique et social comme il est nécessaire, parfois, de le faire.

En 2012, les débats succédant aux films projetés ont abordé des questions juridiques des plus clivantes : la télévision a-t-elle tous les droits ? La protection de l'enfance, un enjeu de société ? Les réseaux sociaux sur internet, des entreprises comme les autres ? Quand VIH et sexualité riment avec discrimination ! Le crédit à la consommation, un système qui frôle l'illégalité, etc.. Cette année encore, le climat économique et social a obligé tout un chacun, et les acteurs du monde cinématographique eux-mêmes, à s'interroger sur les questions juridiques les plus inattendues : la class action, est-elle un outil efficace pour les citoyens ? Existe-t-il un tabou de la criminalité sexuelle chez les mineurs ? Y a-t'il une instrumentalisation de la justice par le politique ? Ou encore des sujets pudiques et sensibles comme l'incarcération des femmes.

Je me souviendrai, longtemps, des Rencontres de 2011, sous le haut patronage de Robert Badinter. Ces Rencontres ont donné lieu, en ouverture, à une conférence sur le thème "L'instant criminel au cinéma". Plus que n'importe quel autre art, le cinéma nous plonge, en effet, dans l'intimité du crime, nous rend témoin de l'horreur, de cet instant où tout bascule. La question est, alors, celle des fins d'une telle représentation : témoignage ? Dénonciation ? Glorification ou vile satisfaction du voyeurisme du spectateur ? "Le cinéma n'est que l'expression actuelle d'un phénomène. Le 11 octobre 1789, on a jugé pour la première fois un criminel en public. Les dames envoyaient leurs valets retenir leurs places. A partir de ce moment-là, la fascination du spectacle judiciaire n'a jamais cessé [...]. Il s'agit de la fascination pour la face secrète, la face cachée de l'être humain", professait alors l'ancien ministre.

Mais, à la suite de Beccaria, l'abolitionniste de la peine de mort est un "récidiviste". A l'image de ces Académiciens qui avouent écrire toujours le même livre, car ils sont fascinés par l'amour, la vie, la joie et la mort, il ne suffisait plus à l'ancien Président du Conseil constitutionnel de parcourir le monde et d'expliquer en quoi et pourquoi la peine de mort devait être proscrite des sociétés modernes. Il est de ceux qui pensent que le message doit être véhiculé sur toutes les ondes, que l'abolition doit être entonnée sur toutes les portées ; et qu'il n'est pas un art qui doive en réchapper.

Alors, du 27 mars au 14 avril 2013, l'Opéra de Lyon propose Claude, sur un livret de Robert Badinter d'après Victor Hugo et une musique de Thierry Escaich. Claude est inspiré du Claude Gueux de l'exilé de Guernesey, l'un des premiers textes de l'auteur, ouvertement contre la peine de mort. Le pitch est saisissant : Claude est un ouvrier de la Croix-Rousse, qui mène une vie laborieuse et heureuse avec sa compagne et sa petite fille. Pour elles, pour lui, il refuse la misère à laquelle le condamne son patron, qui licencie ses ouvriers pour mettre des machines anglaises à leur place, nouvelle technologie de l'époque. On ne délocalisait pas alors, on dépersonnalisait. Claude, avec tant d'autres canuts, prend son fusil et court aux barricades. Condamné à sept ans de réclusion, il est enfermé à la prison atelier de Clairvaux. Son amour du métier et sa haine de l'injustice, font de lui un personnage charismatique pour les détenus de Clairvaux ; le directeur de la prison veut le briser, le séparant par exemple de son ami le plus précieux, Albin. Enchaînement de l'injustice et de la violence : Claude tue le directeur. Il sera lui-même guillotiné. Cette histoire, basée sur des faits réels de la première moitié du XIXème siècle, s'inscrit dans celle du "meurtre judiciaire" rampant sur le terreau de l'injustice sociale, de la misère et de l'abus de pouvoir. D'Eugène Sue à Victor Hugo, en passant par Lamartine, la guillotine est le pendant de "l'exploitation de l'homme par l'homme". Et, en ces temps difficiles de crise sociale conjuguée à une crise économique et financière violente, il n'est pas vain de dénoncer, encore, la sauvagerie de la peine de mort, alliée du droit.

Certes, il est à craindre que pour susciter l'adhésion, le Claude de Badinter provoque la même empathie que le Claude Gueux hugolien. La peine de mort nous paraît d'autant plus violente, sauvage et inappropriée dans une démocratie, que le sort du héros romanesque est des plus injustes : non qu'il n'ait pas commis ce crime vil sur un homme sans défense, mais qu'à son crime né du désespoir et de la négation même de son humanité ne peut répondre un autre crime inhumain auréolé du sceau de la Justice. En séparant Claude de son ami Albin, allégorie de la pureté et de l'innocence, le directeur de la prison a provoqué sa propre mort, ne laissant le condamné qu'à son sort de bête, un homme déchu. Au-delà d'une critique en règle de la peine de mort, c'est l'univers carcéral qui est décrié, tout entier, hier comme aujourd'hui. Les conditions de détention font, toujours, l'objet de toutes les critiques et condamnations, pour la salubrité et l'exiguïté des lieux ; mais plus encore, désormais la prison, lieu virtuel de réhabilitation, passe pour une école réelle de la récidive criminelle.

Enfin, la prison serait une zone de non-droit. Pour nous alarmer, le Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale organise à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, les 11 et 12 avril 2013, un colloque sur le droit du travail en prison, partant d'un constat sévère et préoccupant : un véritable déni de droits pour les détenus travailleurs.

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