La lettre juridique n°894 du 10 février 2022 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] Le réputé non écrit partiel : la Cour de cassation enfonce le clou

Réf. : Cass. civ. 3, 12 janvier 2022, n° 21-11.169, FS-B N° Lexbase : A01987I8

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N0376BZX

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par Alain Confino et Jean-Philippe Confino, avocats associés à la cour d’appel de Paris

le 09 Février 2022

Mots-clés : bail commercial • indexation à sens unique • réputé non écrit • fondement légal • divisibilité

La clause d'indexation qui prévoit que l'indexation ne s'effectuera qu’en cas de variation à la hausse de l’indice de référence ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier mais contrevient aux dispositions de l'article L. 145-39 du Code de commerce et doit dès lors être réputée non écrite par application de l'article L. 145-15 du même code.

Mais une telle clause ne peut être réputée non écrite en son entier au seul motif que l’intention du bailleur était d’en faire, sans distinction entre ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, ce motif étant impropre à caractériser l’indivisibilité alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.


 

« Seule la stipulation qui crée la distorsion prohibée par la loi est réputée non écrite » : c’est par cette formule, ciselée comme une règle du Code civil, que la troisième chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 29 novembre 2018, avait fixé sa nouvelle ligne sur la sanction des clauses d’indexation de baux commerciaux partiellement contraires à des dispositions légales impératives [1].

Auparavant, une clause d’indexation stipulant un plancher ou une variation « à sens unique », ou créant une distorsion lors de la première indexation, était généralement gommée en son entier par les juges du fond, solution que la même troisième chambre avait approuvée dans son désormais célèbre arrêt du 14 janvier 2016 [2], à l’occasion d’une clause qui prévoyait une première indexation calculée sur un an pour un loyer qui avait pris effet sept mois auparavant.

Depuis lors, plusieurs arrêts ont réitéré cette formule, ancrant ainsi solidement la solution de principe dans le droit positif [3], au grand soulagement des bailleurs.

Mais ce calibrage plus précis de la sanction soulevait encore deux questions d’importance.

D’abord, en présence d’une clause d’indexation excluant toute réciprocité de variation, le fondement légal de la sanction du réputé non écrit, même partiel, demeurait incertain : se trouvait-il dans l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier N° Lexbase : L5471ICM ou dans les articles L. 145-39 N° Lexbase : L5037I3X et L. 145-15 N° Lexbase : L5032I3R du Code de commerce ?

L’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 12 janvier 2022 [4] (apporte à cette première interrogation une réponse qui confirme une solution déjà affirmée par la même chambre le 30 juin 2021 (I).

Ensuite, l’on se souvient que, le 14 janvier 2016, la Haute juridiction avait approuvé une cour d’appel d’avoir jugé que la clause d’indexation excluant un ajustement du loyer à la baisse devait être réputée non écrite en son entier, dès lors qu’elle avait retenu, dans le cadre de son appréciation souveraine, le caractère essentiel d’une telle exclusion. Mais, à la lecture des deux derniers arrêts précités du 30 juin 2021, l’on pouvait s’interroger sur un possible abandon de ce dernier critère [5].

L’arrêt du 12 janvier 2022 apporte à cet égard une clarification très importante : une clause prévoyant un jeu de l’indexation uniquement à la hausse ne peut être réputée non écrite en son entier au seul motif que l’intention du bailleur était de lui conférer, sans distinction de ses différentes parties, un caractère essentiel et déterminant, un tel motif étant impropre à caractériser l’indivisibilité de la clause (II).

I. Le fondement légal de la sanction de la stipulation écartant la réciprocité de variation

Dans son arrêt du 14 janvier 2016, la troisième chambre avait jugé « qu'est nulle une clause d'indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu'à la hausse », et approuvait la cour d’appel d’avoir retenu « que le propre d'une clause d'échelle mobile était de faire varier à la hausse et à la baisse et que la clause figurant au bail, écartant toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l'indexation ».

Ce faisant, la Cour de cassation répondait au moyen du bailleur qui soutenait qu’une telle clause n’était pas contraire à l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier – fondement que l’arrêt frappé de pourvoi avait précisément retenu. Mais le pourvoi était rejeté sans visa d’aucun texte, bien que le site de la Cour de cassation mentionne que le « texte appliqué » était bien l’article L. 112-1…

Les hauts magistrats avaient-ils alors entendu affirmer l’existence d’un principe général du droit lié à la nature même de toute clause d’indexation dont l’essence, « le propre » comme l’exprimait déjà en 1958 un arrêt de la cour d’appel de Pau [6], serait de faire varier automatiquement le loyer, à la hausse comme à la baisse ?

C’est bien ce message que la même chambre a fait passer lorsque, le 8 juillet 2021, saisie d’une demande de renvoi au Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 145-39 en ce qu’il porterait, en s’opposant à la validité d’une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse, une atteinte non justifiée au principe de liberté contractuelle garanti par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, elle a déclaré la question irrecevable comme ne tendant « qu’à contester le principe jurisprudentiel selon lequel le propre d’une clause d’échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation fausse le jeu normal de l’indexation » et citait pour source de ce principe… l’arrêt du 14 janvier 2016 [7].

Il existe donc bien un principe jurisprudentiel à valeur générale, pas nécessairement rattaché au Code monétaire et financier. Pour preuve, avant même la loi n° 77-1457 du 29 décembre 1977 dont l’article 10 deviendra l’actuel L. 112-1, et même avant les ordonnances des 30 décembre 1958 et 4 février 1959, « les tribunaux annulèrent aussi les clauses rédigées expressément en prévision de la dépréciation du franc, en particulier dans les cas suivants : a) défaut de réciprocité dans le jeu de la clause stipulée : si la clause laisse la dette à un montant minimum invariable et prévoit seulement la possibilité de son augmentation » [8].

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, par l’arrêt quelquefois cité du 15 novembre 1950, avait condamné l’indexation comportant un plancher, au motif « qu’en excluant la réciprocité, la clause litigieuse n’avait d’autre but que de prémunir le bailleur contre la dépréciation possible de la monnaie et de faire, par là, échec, d’une façon détournée, à la loi sur le cours forcé » [9].

N’avait-elle pas alors implicitement déduit de la nature même du mécanisme d’échelle mobile l’existence d’un principe de réciprocité (s’ajoutant à la règle d’automaticité) ?

C’est pourtant un autre fondement que la Cour de cassation avait choisi dans son arrêt du 30 juin 2021 [10].

Statuant sur une clause d’indexation ne jouant qu’à la hausse, la Haute juridiction approuvait la cour d’appel de Reims d’avoir jugé que cette clause encourait la sanction du réputé non écrit, mais substituait au fondement retenu par les juges du fond, à savoir l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, celui des articles L. 145-15 et L.  145-39 du Code de commerce. Cet arrêt ajoutait, pour la première fois semble-t-il, qu’une telle clause « ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier », mais est en revanche contraire à l’article L. 145-39 du Code de commerce, de sorte qu’elle encourt la sanction du réputé non écrit sur le seul fondement de l’article L. 145-15 du Code du commerce.

C’est ce que confirme l’arrêt du 12 janvier 2022, qui énonce également que « le propre d'une clause d'échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l'indexation ».

Une solution aux effets potentiels indésirables…

En considérant que l’indexation sans réciprocité « ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier », la troisième chambre civile écarte donc de l’emprise de ce texte les clauses d’indexation à sens unique qui seraient contenues, comme le texte le précise, dans tout contrat à exécution successive, « et notamment dans les baux et locations de toute nature ».

Il est vrai que la réciprocité de la variation ne découle pas directement de la lettre de l’article L. 112-1, dont l’alinéa 2 n’interdit que les clauses « prévoyant la prise en compte d'une période de variation de l'indice supérieure à la durée s'écoulant entre chaque révision », autrement dit une « distorsion ».

Mais, en détachant ainsi le fondement de la sanction de ces clauses du texte général pour le cantonner dans le droit spécial des baux commerciaux, la Cour suprême ouvre ainsi indirectement la porte à l’admission de clauses d’indexation à sens unique dans les autres baux : baux commerciaux non soumis au statut, baux dérogatoires, baux professionnels, baux d’habitation, baux à construction, etc.. 

La solution se révèle excessivement dangereuse pour tous les preneurs qui concluent de tels baux, et plus largement pour tous les bénéficiaires d’un contrat à exécution successive, autre qu’un bail soumis aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce, dans lequel une indexation à sens unique du prix de la prestation pourrait être ainsi prévue.

Il ne s’agit pas là que d’une vue de l’esprit.

C’est en effet en ce sens que, statuant à l’occasion d’une affaire opposant à des établissements financiers une commune qui avait souscrit des prêts comportant des indexations uniquement à la hausse, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a récemment jugé qu’« aucune disposition légale ou réglementaire, ni aucun principe jurisprudentiel, n'interdit aux parties à un contrat de prêt de prévoir une clause d'indexation du taux d'intérêt excluant la réciprocité de la variation de ce taux et, lorsque le contrat stipule le paiement d'intérêts à un taux variable, de convenir que, quelle que soit l'évolution des paramètres de calcul de ce taux, celui-ci demeurera supérieur à un plancher, inférieur à un plafond ou compris entre de telles limites » [11]. En matière de prêt, d’ailleurs, la Cour de cassation avait déjà jugé le 27 juin 1957 que « l'ordre public n'exige pas, dans le prêt d'argent, une protection des emprunteurs contre la libre acceptation du risque d'une majoration de la somme à rembourser, destinée à conserver à celle-ci le pouvoir d'achat de la somme prêtée, par rapport au coût d'une denrée » [12].

Pourtant, accepter le risque de majoration d’une somme n’implique pas à une renonciation à se prévaloir d’une éventuelle baisse de cette somme par le jeu d’une indexation normale.

Malgré cette évidence, pour la Chambre commerciale, il n’existe, pour un prêt d’argent, aucun principe jurisprudentiel qui interdise une clause d’indexation excluant la réciprocité de la variation, alors que pour la troisième chambre civile, ce principe existe pour un bail…

Mais alors, si le principe affirmé par les arrêts des 14 janvier 2016 et 12 janvier 2022 existe indépendamment de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier, deux questions se posent : pourquoi devrait-il être nécessairement rattaché à un autre texte ? Et, s’il doit l’être, l’article L. 145-39du Code de commerce  est-il le meilleur fondement ?

La réponse à la première question se trouve sans doute dans la nature même de la sanction. Rappelons que seule la loi, et non le juge, peut édicter le réputé non écrit : la Cour de cassation, par un arrêt du 23 janvier 2008, avait énoncé qu'il n'appartient pas à une cour d'appel de réputer non écrite une clause frappée de nullité pour la soustraire à la prescription biennale [13]. Lorsque la loi ne précise pas la nature de la sanction, le juge n’a pas le pouvoir de décider qu’une clause est réputée non écrite plutôt qu’exposée à la nullité.

Il faut donc bien rattacher la sanction à un texte.

Si ce n’est pas à l’article L. 112-1, doit-elle l’être à l’article L. 145-39 ?

Rappelons que ce texte prévoit que « si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ».

Force est de constater qu’il ne ressort pas de la lettre de cet article une interdiction de la clause d’échelle mobile excluant toute réciprocité (ou imposant un plancher). C’est donc par un raisonnement indirect en deux temps que la Cour de cassation condamne une telle clause au visa de l’article L. 145-39.

D’abord, dès lors que la variation du loyer qui ouvre droit à une demande de révision légale doit, selon le texte, résulter du « jeu de cette clause », ce jeu doit être libre et non faussé ; or, précisément, la neutralisation de toute baisse de l’indice « fausse le jeu normal de l’indexation ». C’est indiscutable.

Ensuite, l’indexation étant ainsi faussée, la clause aurait « pour effet », au regard de l’article L. 145-15, de faire échec au mécanisme de révision légale puisque « la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d’atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu’il résulterait de l’évolution réelle de l’indice ».

 À ce moment du raisonnement, l’on est tenté de recourir à une calculette pour vérifier la logique « mathématique ».

Que doit-on entendre par « a pour effet de modifier le délai » ?

Dans une conjoncture de hausse historiquement constante sur la durée d’un bail, la stipulation litigieuse n’aurait-elle pas pour effet d’abréger le délai ? En effet, en « oubliant » les baisses, le seuil d’un quart de variation du loyer pourrait être atteint plus vite et permettre donc plus tôt le déclenchement par le preneur ou le bailleur de la révision légale, qui peut ainsi au final s’en trouver plus accessible !

Si les baisses de l’indice sont ainsi neutralisées et si seules les hausses sont prises en compte, le loyer ne cessera donc d’augmenter. Dès lors, au lieu d’une évolution en dents de scie qui retarderait l’atteinte du seuil de variation de 25 %, c’est une évolution linéaire à la hausse qui pourrait permettre plus rapidement d’atteindre ce seuil ! Sauf à ce que l’on démontre que la révision légale soit ainsi empêchée par une neutralisation de baisses constantes de l’indice qui, sur la durée d’un bail, aboutiraient à une baisse de loyer de plus d’un quart (hypothèse fort intéressante mais qui ne s’est jamais produite dans l’histoire économique), c’est toujours l’inverse qui se produit dans une conjoncture de hausse systématique des indices sur un moyen ou long terme. Dès lors, on ne peut que constater que le raisonnement mathématique des juges du fond, approuvé par la Cour de cassation, n’est nullement convaincant.

Ainsi, loin de « faire échec » à l’article L. 145-39, l’indexation à sens unique à la hausse pourrait, pratiquement, avoir l’effet de le rendre plus rapidement applicable…

Certains objecteront qu’en présence d’une clause qui interdit toute baisse, lorsque l’indice évolue en dents de scie, l’on ne doit évidemment appliquer les hausses sur le loyer que lorsque celles-ci sont supérieures aux baisses, sauf à appliquer de façon frauduleuse l’indexation et à fausser complètement son jeu. De sorte qu’en l’absence d’une telle fraude, l’application d’une clause à sens unique n’a pas pour effet d’accélérer la hausse de l’indice.

Mais alors, l’affirmation selon laquelle « la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d’atteinte du seuil de variation du quart » décidément ne convainc pas. Et l’on en revient à l’affirmation selon laquelle l’exclusion de réciprocité « ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier » :  il est permis d’en douter alors que le jeu automatique de l’indexation est effectivement faussé dès lors qu’en maintenant un loyer à son montant atteint l’année N-1 par la neutralisation d’une baisse indiciaire l’année N, l’indexation de l’année N+1 entraînera bien nécessairement une augmentation sur deux ans du loyer en vigueur artificiellement maintenu. C’est ce que la Cour de cassation avait admis encore récemment en jugeant qu’était contraire aux dispositions de l'article L. 112-1 du Code monétaire et financier la stipulation d’un plancher dans une clause d’indexation [14].

Ne serait-il pas plus clair, au final, de revenir à un principe jurisprudentiel à valeur générale d’interdiction des indexations à sens unique, fondé sur une interprétation de l’article L. 112-1 ?

En l’état, la Cour de cassation a donc choisi d’appliquer à ces indexations la sanction de l’article L. 145-15, applicable aux baux en cours et sans qu’un délai de prescription soit opposable [15].

II. L’indivisibilité de la clause ne découle pas de ce qu’elle a été stipulée « essentielle et déterminante »

Dans l’affaire tranchée par l’arrêt commenté, un preneur avait assigné son bailleur en annulation d’une clause d’indexation qui précisait en son deuxième alinéa que le loyer ne pourrait pas varier à la baisse, et en son dernier alinéa que la clause constituait une condition essentielle et déterminante dont la non-application partielle ou totale pourrait autoriser le bailleur à demander la résiliation du bail. Il demandait donc logiquement, la restitution des sommes payées au titre de celle-ci et le remboursement d'honoraires et de divers frais.

La cour d’appel de Versailles avait fait droit à cette demande sur le fondement de l’article L. 112-1 du Code monétaire et financier [16].

Saisie par le bailleur qui contestait la contrariété de la clause tant à l’article L. 112-1 qu’à l’article L. 145-39 du Code de commerce, la Cour de cassation, en réponse à l’un des moyens du pourvoi, a approuvé les juges d’appel d’avoir jugé la clause illicite, mais, on vient de le voir, sur le seul fondement de l’article L. 145-39.

Mais, sur un autre moyen, la troisième chambre casse l’arrêt des juges versaillais par une motivation aussi brève qu’incisive :

« Pour réputer la clause d'indexation non écrite en son entier, l'arrêt retient que l'intention du bailleur était d'en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l'indivisibilité de celles-ci et empêchant d'opérer un choix entre elles pour n'en conserver que certaines.

« En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ».

L’hésitation que permettait encore la lecture de l’arrêt précité du 30 juin 2021 [17]n’est donc plus de mise : la Cour de cassation a entendu décorréler nettement l’indivisibilité de la clause et la stipulation de son essentialité.

Dans son arrêt du 29 novembre 2018, la Cour de cassation n’avait pas assorti de conditions la possibilité de cantonner la sanction du réputé non écrit à telle ou telle partie de la clause d’indexation.

C’est le commentaire [18] de cet arrêt publié par la Cour de cassation sur son site, qui précisait que cette règle était soumise à la réunion de trois conditions :

- la stipulation créant la distorsion doit pouvoir être isolée, sans que la cohérence du reste de la clause soit atteinte ;

- cette stipulation ne doit pas être essentielle à l’expression de la volonté des parties de soumettre le loyer à une indexation ;

- l’effacement de ce qui est seulement illicite doit répondre à l’objectif d’équilibre et de stabilité monétaire poursuivi par le législateur au travers de la loi n° 77-1457 du 29 décembre 1977.

Dans son arrêt du 30 juin 2021 (n° 19-23.038), la Cour de cassation s’est référée, ainsi que l’y invitait le demandeur au pourvoi, à l’article 1217 du Code civil N° Lexbase : L1319ABH (dans sa rédaction antérieure à la réforme du droit des contrats), aux termes duquel : « l’obligation est divisible ou indivisible selon qu’elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l’exécution, est ou n’est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle ».

Outre qu’il est permis de s’interroger sur la pertinence d’un tel visa, dans la mesure où ce texte vise l'indivisibilité de l'obligation, c'est-à-dire une situation dans laquelle une obligation a plusieurs créanciers ou plusieurs débiteurs (comme dans l’actuel article 1320 du Code civil N° Lexbase : L0977KZ9 issu de l’ordonnance du 10 février 2016), il faut rappeler que l’article 1217 du Code civil vise deux types de divisibilité :

- la divisibilité matérielle, notion qui permet de « découper », de manière formelle, en plusieurs parties une obligation ou, ici, une clause ;

- la divisibilité intellectuelle, notion qui renvoie à l’intention des parties, la divisibilité d’une clause pouvant alors être appréciée à la lumière du caractère essentiel et déterminant que les parties ont entendu donner à la stipulation illicite.

Derrière cette notion de divisibilité, l’on retrouverait ainsi les deux critères cumulatifs posés par le commentaire par la Haute juridiction elle-même de son arrêt du 29 novembre 2018 :

- celui d’une stipulation pouvant être matériellement isolée du reste de la clause, et effacée sans que la cohérence du reste de la clause soit atteinte ; et

- celui de l’absence de caractère essentiel et déterminant de ladite stipulation (i.e. de la seule stipulation illicite, et non de la clause d’indexation en son entier).

La solution, à l’avenir, consistera alors à rechercher et à caractériser l’intention des parties de conférer précisément à la stipulation illicite un caractère essentiel et déterminant, autrement que par la simple utilisation d’une formule appliquée à l’ensemble de la clause comme on la rencontre dans la plupart des baux.

La Lettre de la chambre de février 2022 [19], présentant l’arrêt du 12 janvier 2022, livre de nouveau, de façon assez originale, un « guide » pour les juges du fond :

« Sans remettre en cause l'appréciation souveraine du juge du fond, la solution retenue impose donc à ce dernier de rechercher si, de manière objective, la stipulation contraire à l'article L. 145-39 du Code de commerce peut ou non être retranchée de la clause sans porter atteinte à la cohérence de celle-ci et au jeu normal de l'indexation ».

Plus encore, elle donne un éclairage très intéressant sur l’enjeu économique de la question : « Cette question revêt un intérêt économique majeur. Dans la première hypothèse, le bailleur ne sera en effet tenu qu'à restitution des sommes perçues au titre de l'indexation irrégulière. Dans la seconde, la restitution portera, dans la limite de la prescription de l'action en répétition de l'indu, sur la totalité des sommes versées par le preneur au titre de l'indexation. Au surplus, l'indexation étant censée n'avoir jamais existé, le loyer restera pour l'avenir figé à son montant initial ».

Cette dernière phrase appelle deux observations incidentes :

- la première, d’ordre presque sociologique, et même prophylactique : en attirant ainsi tout spécialement l’attention des juges du fond sur la portée pratique des décisions qu’ils prennent en cette matière, la Cour de cassation semble vouloir les mettre en garde contre les conséquences macro-économiques de leurs jugements ;

- la seconde plus juridique : bien qu’il ne s’agisse que d’un bref éclairage par la troisième chambre de son propre arrêt, lequel n’a pas eu à se prononcer sur ce point, l’affirmation selon laquelle un effacement intégral de la clause aurait pour effet de ramener le loyer à son montant initial contredit frontalement un arrêt de la même chambre en date du 6 juillet 2017 qui avait jugé « que par l'effet de la prescription, la locataire ne pouvait contester le jeu de l'indexation plus de cinq ans avant sa demande et que la créance de restitution ne pouvait être calculée sur la base du loyer initial mais devait l'être sur celle du loyer acquitté à la date du point de départ de la prescription » [20], et avait cassé un arrêt de la cour d'appel de Paris qui avait considéré que les restitutions devaient être calculées sur la base du loyer initial… Cet éclairage incident donné par la Lettre est-il annonciateur d’un prochain revirement de jurisprudence ? Un revirement prévisible tant l’arrêt du 6 juillet 2017 semblait se heurter à la logique juridique.

Dans l’immédiat, en tout cas, l’arrêt commenté va encore contribuer à réduire très sensiblement le contentieux des clauses d’indexation [21].

Et ce n’est pas là le moindre de son intérêt.


[1] Cass. civ. 3, 29 novembre 2018, n° 17-23.058, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9158YNI, A.-L. Collomp, C. Corbel, L. Jariel et V. Georget, Dalloz, 2019, 1358 ; J.-P. Blatter, AJDI, 2019. 531 ; S. Regnault, JCP E, 2019 n° 33, 1167.

[2]  Cass. civ. 3, 14 janvier 2016, n° 14-24.681, FS-P+B N° Lexbase : A9444N38.

[3] Cass. civ. 3, 6 février 2020, n° 18-24.599, FS-P+B+I N° Lexbase : A39713DG – Cass. civ. 3, 11 mars 2021, n° 20-12.345, F-D N° Lexbase : A01044LG – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, F-P+B N° Lexbase : A20224YK – Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 20-11.685, F-D N° Lexbase : A20244YM.

[4] P. Gaiardo, Dalloz Actualité, 1er février 2022 ; B. Brignon, JCP E, 2022, à paraître.

[5] A. Confino, Clause d’indexation d’un bail commercial : l’évolution de la jurisprudence sur le réputé non écrit, ElNet, Veille permanente, Droit des Affaires, 30 juillet 2021 ; B. Brignon, Clause d'indexation réputée partiellement non écrite, JCP E, n° 39, 30 septembre 2021, 1428.

[6] CA Pau, 10 juillet 1958, Gaz. Pal., 1958, 2, jur., p. 207.

[7] Cass. civ. 3, 8 juillet 2021, n° 20-17.691 QPC, FS-D N° Lexbase : A62134YR.

[8] G. Malignac, La réglementation des indexations, Journal de la société statistique de Paris, tome 119, n° 2 (1978), p. 141.

[9]  D., 1951 p. 21 ; Y. Rouquet, Portée de la clause d’échelle mobile prévue uniquement à la hausse, Dalloz Actualité, 19 février 2010 ; Ph .-H. Brault, Sur l’aménagement conventionnel de la clause d’échelle mobile, Loyers et copr., 2010, chron. n° 2.

[10] Cass. civ. 3, 30 juin  2021, n° 19-23.038, FP-B+, préc..

[11] Cass. com., 4 novembre 2021, n° 20-11.099, FS-B N° Lexbase : A07077BS, J. Lasserre Capdeville, Lexbase Affaires, novembre 2021, n° 695 N° Lexbase : N9402BYU.

[12] Cité par G. Malignac, op. cit., p. 142.

[13] Cass. civ. 3, 23 janvier 2008, n° 06-19.129, FS-P+B+I N° Lexbase : A0926D43, D., 2008, 349, obs. Y. Rouquet ; RTD civ., 2008, 292, obs. B. Fages ; A. Confino, Le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi du 18 juin 2014, AJDI, 2015 p. 407.

[14] Cass. civ. 3, 11 mars 2021, n° 20-12.345, F-D N° Lexbase : A01044LG.

[15] Cass. civ. 3, 19 novembre 2020, n° 19-20.405, FS-P+B+I N° Lexbase : A9460347.

[16] CA Versailles, 5 novembre 2020, n° 19/01229 N° Lexbase : A839533C.

[17] Cass. civ. 3, 30 juin 2021, n° 19-23.038, F-P-B+I, préc..

[18] BICC n° 899 du 1er avril 2019, note n° 324 [en ligne].

[19] Lettre de la troisième chambre civile de la Cour de cassation n° 6, Février 2022 [en ligne].

[20] Cass. civ. 3, n° 16-16.426, F-P+B N° Lexbase : A8337WLD.

[21]  M.-L. Besson, L’éternel contentieux sur les clauses d’indexation dans les baux commerciaux, Lexbase Affaires, juillet 2021, n° 685 N° Lexbase : N8425BYP ; A. Confino, Clause d’indexation d’un bail commercial : l’évolution de la jurisprudence sur le réputé non écrit, Newsletter Éditions Législatives Droit des affaires du 30 juillet 2021 ; B. Brignon, Clause d'indexation réputée partiellement non écrite, JCP E, n° 39, 30 septembre 2021, 1428.

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