Réf. : Règlements du 17 décembre 2012 n° 1257/2012 (N° Lexbase : L9779IUQ) et n° 1260/2012 (N° Lexbase : L9780IUR) et projet d'accord
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 18 Janvier 2013
Le second objectif est d'améliorer la sécurité juridique et de réduire les coûts liés aux litiges. Les brevets pour des inventions ayant une valeur élevée sur le marché font souvent l'objet de litiges. Or, l'absence d'un système unique de règlement des litiges entraîne des procès parallèles dans divers pays, avec parfois des résultats différents. A l'heure actuelle, entre 146 et 311 cas de litiges liés aux brevets sont dupliqués chaque année dans les Etats membres de l'UE. En 2013, le nombre de cas dupliqués devrait atteindre entre 202 et 431.
I - La protection par un brevet unitaire
Les grandes lignes du fonctionnement actuel. La Convention sur la délivrance de brevets européens du 5 octobre 1973, également appelée Convention sur le brevet européen ou CBE, et connue sous le nom de "Convention de Munich", a établi une procédure centralisée pour l'octroi des brevets européens. Cette procédure est utilisée pour traiter une demande de brevet unique en anglais, en français ou en allemand, qui sont les trois langues officielles de l'Office européen des brevets (OEB), un organe non communautaire. Toutefois, un brevet émis par l'OEB doit être validé dans l'ensemble des pays où la protection est souhaitée. La procédure de validation entraîne des coûts élevés, en particulier pour les services de traduction, et rend la protection du brevet en Europe treize fois plus onéreuse qu'aux Etats-Unis.
Principales caractéristiques des Règlements relatifs à une protection par brevet unitaire. Le brevet européen à effet unitaire ("brevet unitaire") constituera une option supplémentaire pour les utilisateurs, en sus des brevets nationaux et européens existants. Il s'agira donc d'un brevet européen délivré par l'OEB au titre de la CBE, auquel sera conféré après la délivrance un effet unitaire sur le territoire des 25 Etats participants, à la demande du titulaire du brevet. L'OEB a tenu à préciser que le brevet unitaire n'affectera pas son travail quotidien en matière de recherche, d'examen et de délivrance. Il assurera toutefois certaines tâches supplémentaires, par exemple l'administration des demandes des titulaires de brevets souhaitant obtenir un effet unitaire, la collecte, la gestion et la répartition des taxes annuelles afférentes aux brevets unitaires, ainsi que la tenue d'un registre des brevets unitaires qui contiendra des informations relatives à la situation juridique comme les licences, les transferts, la limitation, la révocation ou l'extinction (cf. site internet de l'OEB).
Ainsi, il est prévu que le brevet européen délivré avec le même jeu de revendications pour tous les Etats membres participants se voit conférer un effet unitaire dans les Etats membres participants, à la condition que son effet unitaire ait été enregistré dans le registre de la protection unitaire conférée par un brevet (Règlement n° 1257/2012, art. 3). Il prendra effet dans tous Etats membres participants le jour de la publication par l'OEB de la mention de la délivrance du brevet européen dans le bulletin européen des brevets (Règlement n° 1257/2012, art. 4). Il confère donc à son titulaire le droit d'empêcher tout tiers de commettre des actes contre lesquels ce brevet assure une protection sur l'ensemble du territoire des Etats membres participants dans lesquels il a un effet unitaire, sous réserve des limitations applicables (Règlement n° 1257/2012, art. 5). En outre, en tant qu'objet de propriété, le brevet européen à effet unitaire est assimilé dans son intégralité et dans tous les Etats membres participants à un brevet national de l'Etat membre participant dans lequel ce brevet a un effet unitaire et où, conformément au registre européen des brevets le demandeur avait son domicile ou son principal établissement à la date du dépôt de la demande de brevet européen ou, à défaut le demandeur avait un établissement à la date du dépôt de la demande de brevet européen (Règlement n° 1257/2012, art. 6).
S'agissant des modalités de traduction du brevet unitaire, il a été décidé d'appliquer le régime linguistique de l'OEB, qui a fait ses preuves et qui repose sur trois langues officielles, à savoir l'allemand, l'anglais et le français. Après la délivrance du brevet européen, aucune traduction manuelle ne sera plus requise si le titulaire du brevet opte pour un brevet unitaire (Règlement n° 1260/2012, art. 3); une traduction automatique de grande qualité sera disponible à des fins d'information. L'article 4 du Règlement n° 1260/2012 prévoit, néanmoins, des obligations de traductions en cas de litiges supportées par le titulaire du brevet.
Durant une période transitoire -tant que le système de traduction automatique ne sera pas tout à fait opérationnel-, le titulaire du brevet devra fournir une traduction intégrale du fascicule du brevet européen. Celle-ci sera fournie en anglais si la langue de la procédure devant l'OEB est l'allemand ou le français, ou dans une langue officielle d'un Etat membre de l'UE si la langue de la procédure est l'anglais. Le titulaire du brevet devra déposer cette traduction avec la demande d'effet unitaire (Règlement n° 1260/2012, art. 6).
Pour les demandeurs qui ont leur domicile ou leur siège dans un Etat membre de l'UE n'ayant pas comme langue officielle l'une des trois langues de l'OEB et qui obtiennent un brevet européen à effet unitaire, un système de remboursement supplémentaire sera en outre introduit pour les coûts de traduction de leur demande dans la langue de la procédure devant l'OEB. Ce système de compensation sera administré par l'OEB (Règlement n° 1260/2012, art. 5, 1°). Afin de contribuer à cette réduction des coût qui est, rappelons le, l'un des principaux objectifs de cette nouvelle réglementation, le Parlement européen a modifié la proposition pour y inclure un système d'indemnisation pour les coûts de traduction, en vue de rembourser les frais de traduction aux PME, aux organisations non lucratives et aux universités qui introduisent une demande de brevet dans une langue différente des trois langues officielles Règlement n° 1260/2012, art. 5, 2°).
Les détails de la procédure de demande et de validation d'un brevet unitaire, le montant des taxes annuelles et la clé de répartition applicable pour l'attribution des taxes aux Etats participants seront proposés par le comité restreint du Conseil d'administration de l'Organisation européenne des brevets.
Ce nouveau système permettrait selon la Commission une économie substantielle. En effet, aujourd'hui, un brevet européen émis par l'OEB assurant une protection dans les 27 Etats membres de l'UE peut coûter jusqu'à 36 000 euros, incluant au maximum 23 000 euros pour les seuls frais de traduction. Selon la Commission européenne, le nouveau brevet unitaire coûterait un minimum de 4 725 euros, une fois que les nouvelles règles seront totalement mises en oeuvre, et un maximum de 6 425 euros. Les coûts de traduction seront compris entre 680 euros et 2380 euros "seulement".
On notera, par ailleurs, que le "paquet sur le brevet unitaire" ne change pas les règles sur l'octroi des brevets, mais seulement l'étendue géographique de la protection juridique d'un brevet, une fois celui-ci octroyé. Dès lors, les logiciels ne pourront pas être brevetés conformément aux nouvelles règles.
II - Un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets
A l'heure actuelle, les juridictions et administrations nationales des Etats parties à la CBE sont seules compétentes pour statuer sur la contrefaçon et la validité des brevets européens. En pratique, cette situation occasionne un certain nombre de problèmes (coûts élevés, risque de décisions divergentes, insécurité juridique) lorsque le titulaire d'un brevet souhaite faire respecter un brevet européen -ou lorsqu'un tiers demande la révocation d'un brevet européen- dans plusieurs pays. Le "tourisme judiciaire" ("forum shopping") est également inévitable, les parties cherchant à profiter des différences concernant l'interprétation, par les juridictions nationales, du droit européen des brevets harmonisé, le droit procédural, les délais de traitement (qui varient selon les juridictions "lentes" ou "rapides") et le montant des dommages-intérêts accordés.
L'accord relatif à une juridiction unifiée en matière de brevets entend répondre à ces problèmes en créant une juridiction du brevet spécialisée ("juridiction unifiée en matière de brevets"), ayant compétence exclusive pour régler les litiges liés aux brevets européens et aux brevets européens à effet unitaire (brevets unitaires). La juridiction unifiée en matière de brevets comprendra un tribunal de première instance, une cour d'appel et un greffe. Le tribunal de première instance disposera d'une division centrale (avec un siège à Paris et deux sections à Londres et Munich) ainsi que de plusieurs divisions locales et régionales dans les Etats membres parties à l'accord. La cour d'appel aura son siège à Luxembourg. L'accord devrait être ouvert aux signatures le 18 février 2013. Il devra ensuite être ratifié par au moins treize Etats membres contractants, dont l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni, pour entrer en vigueur.
En guise de conclusion de cette rapide présentation nous nous permettrons de citer les propos de Bernhard Rapkay (S&D, DE), député européen responsable de la législation sur la mise en place d'un système de protection par brevet unitaire : la propriété intellectuelle ne doit pas s'arrêter aux frontières. La mise en place du brevet de l'UE a été longue et difficile, mais finalement cela en a valu la peine".
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