Réf. : Cass. soc., 15 décembre 2021, n° 15-24.990, FS-B (N° Lexbase : A17487GT)
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par Marie Le Guerroué
le 05 Janvier 2022
► La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que ne soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait.
Faits et procédure. Deux avocats avaient été engagés par une société d’avocats. Ils avaient saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats afin qu’il statue en matière prud'homale sur une demande de résiliation judiciaire de leur contrat de travail et de diverses demandes se rapportant à leur exécution et leur rupture. La société forme un pourvoi en cassation à l’encontre des arrêts précédemment rendus par la cour d’appel de Douai (CA Douai, 18 mai 2015, n° 14/06594 N° Lexbase : A3408NI3).
Moyen. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser diverses sommes à titre de rappel de salaire, congés payés afférents, dommages-intérêts au titre de la contrepartie en repos, de prononcer la résiliation judiciaire des contrats de travail et de le condamner à payer les rémunérations dues jusqu'au terme du contrat, le solde de l'indemnité de licenciement compris, ainsi que des indemnités compensatrice du préavis et les congés payés afférents, conventionnelle de licenciement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, au titre du manquement aux règles de procédure du licenciement et au titre de l'article 700 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1253IZG), alors que les parties au contrat de travail peuvent, lorsque la convention collective le prévoit et que la profession exercée ne permet pas de connaître le nombre d'heures effectuées, convenir d'une rémunération annuelle forfaitaire couvrant l'intégralité des heures de travail. En l'espèce, l'article 4.1 de la convention collective du 17 février 1995 des cabinets d'avocats (avocats salariés) prévoit que l'indépendance de l'avocat dans l'exercice de sa profession a pour conséquence la liberté dans la détermination de son temps de travail, notamment dans les dépassements individuels de l'horaire collectif du cabinet, justifiés par l'accomplissement des tâches qui lui sont confiées. De ce fait, sa rémunération constitue un forfait. Dans chaque cas individuel, il doit être tenu compte de l'importance de cette sujétion pour la détermination des salaires effectifs. L'article 6 du contrat de travail des salariés indiquait que cette rémunération a été convenue en tenant compte de la nature de l'activité professionnelle de la société d’avocats et notamment des sujétions imposées par la clientèle, de la liberté dont le salarié dispose dans l'organisation de son travail ainsi que des responsabilités dont il reconnaît avoir pleine connaissance et précisait que compte tenu de ces modalités, la présente rémunération a un caractère global et forfaitaire. Ainsi définie, la rémunération couvre tous les aspects de l'exercice de l'activité, quel que soit le temps qui y est consacré, notamment les temps passés aux déplacements, aux études, aux documentations, à la formation…. Pour l’employeur, en jugeant que cette clause ne pouvait constituer une convention de forfait licite, la cour d'appel a violé l'article 4.1 de la convention collective concernée, ensemble l'article 19-III de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ).
Réponse de la Cour. La seule fixation d'une rémunération forfaitaire, sans que ne soit déterminé le nombre d'heures supplémentaires inclus dans cette rémunération, ne permet pas de caractériser une convention de forfait. Ayant, tant par motifs propres qu'adoptés, constaté que les conventions de forfait de rémunération ne précisaient pas le nombre d'heures supplémentaires inclus dans la rémunération, la cour d'appel en a donc, selon la Haute juridiction, exactement déduit que les parties ne pouvaient avoir valablement conclu une telle convention. Le moyen n'est donc, selon la Cour, pas fondé.
En cause d’appel. Pour condamner l'employeur à verser aux salariés une somme au titre du manquement aux règles du licenciement, les arrêts retiennent qu'en ce qui concerne l'indemnité pour manquement aux règles de la procédure de licenciement, la résiliation judiciaire du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Après avoir rappelé les termes de l'article L. 1235-2 du Code du travail (N° Lexbase : L1316LTW), les arrêts ajoutent que lorsque le licenciement est sans cause réelle ni sérieuse, l'article L. 1235-3 du même code (N° Lexbase : L1442LKM) ne prévoit pour le salarié qu'une indemnité globale qui ne peut être inférieure à six mois de salaire, que l'article L. 1235-5 de ce code (N° Lexbase : L8063LGQ) réintroduit les dispositions relatives aux irrégularités de procédure prévues à l'article L. 1235-2 en cas de licenciement sans cause réelle ni sérieuse, mais seulement pour le licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté ou opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés. Constatant que l'effectif de la société était inférieur à onze salariés et estimant que le manquement aux règles de procédure était établi, les arrêts en déduisent que les demandes sont fondées.
Réponse de la Cour de cassation. La Haute juridiction rend sa décision au visa des articles L. 1235-2 du Code du travail dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 (N° Lexbase : L6578LH4) et 1184 du Code civil (N° Lexbase : L0894KZ7) dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (N° Lexbase : L4857KYK). Aux termes du premier de ces textes, si le licenciement d'un salarié survient sans que la procédure requise ait été observée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge impose à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire. Il résulte de ces dispositions que l'indemnité prévue par ce texte ne peut être allouée que lorsque le contrat de travail a été rompu par un licenciement. Dès lors, pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors que les contrats de travail avaient été rompus par une décision de résiliation judiciaire et non par un licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
La Cour rejette par conséquent les pourvois incidents mais casse et annule, au titre du manquement aux règles de procédure du licenciement, les arrêts rendus le 18 mai 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Douai.
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