Lexbase Droit privé - Archive n°505 du 15 novembre 2012 : Justice

[Evénement] Le procès accusatoire en Italie : pour et contre d'un modèle de justice en évolution - Compte-rendu de la réunion de la Commission ouverte Italie du barreau de Paris

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par Anne-Laure Blouet-Patin, Directrice de la rédaction

le 15 Novembre 2012

La Commission ouverte Italie du barreau de Paris tenait, le 24 septembre 2012, sous la responsabilité de Maître Martina Barcaroli, avocat aux barreaux de Paris et de Rome, sa troisième réunion ayant pour thème "Le procès accusatoire en Italie : pour et contre d'un modèle de justice en évolution", animée par cette dernière ainsi que par le Professeur Gaetano Pecorella, avocat et membre du Parlement italien, et Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, président de la 12ème chambre correctionnelle. Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver le compte-rendu de cette réunion. A titre liminaire Martina Barcaroli a précisé que la France et l'Italie sont deux pays similaires dans leur système juridique mais qui ont fait deux choix complètement différents avec des résultats tout autant différents.

Le Professeur Gaetano Pecorella a rappelé que, jusqu'en 1988, les systèmes français et italiens, concernant le procès pénal, étaient similaires. A compter de cette date, l'Italie a opté pour adopter un système de type accusatoire. Ce choix est devenu irréversible car la loi constitutionnelle du 23 novembre 1999 a inscrit le principe de procès équitable à l'article 111 de la Constitution italienne.

Cette réforme a été surtout portée par le monde académique et les avocats pour trois raisons.

La première tenait dans la nécessité de mettre en adéquation le procès italien avec la législation européenne. La deuxième entendait renforcer le principe de la protection des droits de la défense car dans le procès du type inquisitoire la preuve est formée en dehors du contradictoire. Et enfin, la troisième raison tenait au principe de rationalité car c'est dans la dialectique que l'on peut se rapprocher de la vérité et la dialectique est une méthode plus opportune.

Les règles fondamentales du procès accusatoire sont les suivantes :

- séparation totale entre la phase de l'enquête et la phase du procès et cela implique que les preuves soient recueillies pendant le procès et pas pendant l'enquête ;
- les éléments que le parquet a recueilli pendant l'enquête n'ont qu'une finalité : classer sans suite ou poursuivre ;
- le juge pendant la phase de l'enquête préliminaire a une seule fonction de garantie pour la personne qui est mise en examen et le juge va évaluer s'il y a les éléments pour continuer la procédure.

A ces trois principes, le Professeur Pecorella note deux exceptions :

- la preuve recueillie par le Parquet peut être utilisée dans la phase judiciaire seulement si elle est irrepétible ;
- et l'incident probatoire.

Selon lui, l'un des grands problèmes du système accusatoire italien tient dans la longueur des délais et dans la durée excessive de la procédure. A cet égard, plusieurs solutions ont été envisagées. L'instauration d'une sorte de "plea bargaining" (plaider-coupable) qui est un accord entre le parquet et l'accusé. La procédure abrégée il s'agit d'une procédure contradictoire devant le juge.

En général pour avoir une opinion positive de ce modèle il faut s'appuyer sur deux principes fondamentaux :

- la mise en oeuvre et reconnaissance pleine du droit à la défense ;
- et le fait d'avoir adopté une méthode rationnelle la dialectique.

Les problèmes soulevés par le Professeur Pecorella ont deux raisons à leur origine. La première c'est que l'Italie se dote d'une législation en matière de prescription qui est considérée comme trop courte et ne permettrait pas d'arriver à cette possibilité de plea bargaining à l'américaine, surtout pour des actions pénales liées à des délits moins graves. La seconde raison réside dans le fait que le système juridique ne s'est pas complètement adapté au modèle accusatoire. En effet, le professeur Peccorela y voit deux écueils :

- d'une part, le procès se base sur le principe du caractère obligatoire de l'action pénale et cela implique que toutes les actions pénales aboutissent à un procès et donc un nombre de procédure important. Il serait mieux de pouvoir appliquer le principe de l'opportunité des poursuites ;
- d'autre part, il n'y a pas de vraies séparations "de carrières" entre le Parquet et le juge.

Et ces deux facteurs ne font pas en sorte que le modèle italien accusatoire soit effectivement adapté à la situation juridique du pays.

Et de conclure que cela implique une situation paradoxale où l'Italie se dote d'une bonne procédure pénale mais qui donne de mauvais résultats.

Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, président de la 12ème chambre correctionnelle, est revenu sur les raisons des différences entre les deux systèmes de procédure. Il ne faut pas oublier que l'Italie a subi un régime fasciste pendant très longtemps, puisque Mussolini est arrivé au pouvoir en 1922 et qu'il en est parti en 1943. Et 20 ans de dictature fasciste conduit nécessairement à des réactions fortes, et, en tous cas, à la volonté de rompre avec tout ce qui ressemble à de la dictature, y compris dans le système judiciaire. Ainsi, la Constitution de 1948 en Italie comporte de nombreux points relatifs au fonctionnement de la justice. Et Serge Portelli de citer par exemple la volonté très forte de l'indépendance et de l'autonomie des juges. En Italie, la revendication de l'autonomie ou de l'indépendance du Parquet est très ancienne et elle est totalement inscrite dans le refus de ce qu'a été le parquet pendant la période fasciste. Dès lors, il ne faut pas s'étonner si, en Italie, le procureur de la République est une institution première. L'une des différences majeures entre la France et l'Italie, est que les procureurs sont réellement indépendants, et qu'il n'y a pas cette hiérarchie qui existe en France entre le procureur, le procureur général, le ministère de la Justice en passant plus ou moins par la Cour de cassation. C'est ce qui explique pourquoi le système accusatoire, même imparfait, a été possible en Italie.

Serge Portelli rappelle que la France a failli prendre le modèle accusatoire italien avec le projet de supprimer le juge d'instruction -rapport Léger- qui a été évité avec un changement de majorité aux dernières élections.

Le fait que cette réforme n'ait pas vue le jour tient, pour Serge Portelli, dans le statut du procureur de la république qui, en France, n'est pas indépendant. Même la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé que le procureur de la République en France ne peut pas être considéré comme une autorité judiciaire indépendante (CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06 N° Lexbase : A7244GKI). Le projet et le rapport Léger ont été enterrés progressivement et, aujourd'hui, le juge d'instruction existe toujours et le système français est un peu inquisitoire, un peu accusatoire.

Le système italien, c'est, pour Serge Portelli, l'idée de l'audience. Il faudrait imaginer une audience où le dossier est fermé. On ne lit pas la procédure, on part de zéro ou presque. Et la preuve, en tout cas celle que le juge va pouvoir prendre en considération pour juger, cette preuve ne peut se former, ne peut exister, ne peut se constituer qu'à l'audience. Mais c'est même "trop beau", parce que, en fait, les italiens n'y arrivent pas... Les juges (judicante) s'inspirent, au final, quand même un peu de la procédure qui existait avant. Et, s'ils s'en inspirent un peu trop ou même qu'un peu, cela est peut-être dû au fait que les deux corps -les juges debout et assis ou requérants ou jugeants- ne sont pas vraiment séparés, voilà. Donc il y a une sorte de connivence, de complicité, d'unité du corps qui fait qu'il n'est pas possible d'aller jusqu'au bout de cet idéal du procès accusatoire tel que le veut la loi en Italie. L'idée de l'audience en France, comme ailleurs, l'idée telle qu'elle résulte du procès équitable, c'est effectivement que la preuve arrive à l'audience. Et le fait que la preuve doive se constituer à l'audience n'est pas propre au procès accusatoire. Des règles de procédures précises en France devraient le permettre. Et Serge Portelli de constater que le procès français est loin d'être parfait.

Une autre différence capitale entre les deux systèmes réside dans la prescription. Pour un problème de droit, les juges en Italie considèrent que la date qui doit être prise en considération pour la prescription c'est la date de la commission du délit et non pas, comme aujourd'hui en France, pour certaines infractions, la date de la découverte du délit. En même temps, en Italie, les délais de prescription sont beaucoup plus longs et ils ne sont pas calculés de la même façon. Ils sont en fait proportionnels à la durée de la peine prévue pour chaque délit, ce qui est curieux. Mais cela peut donner des durées de prescription assez longues, de 10 - 15 ans. Tout est très différent de le prescription française qui est donc de 3 ans ou 10 ans. Et en plus, en France, à chaque acte de poursuite ou d'instruction, la prescription repart à zéro, alors qu'en Italie elle repart mais pour un petit délai. Ainsi, la prescription en Italie joue un rôle majeur dans le fonctionnement même de la justice. Elle joue un rôle majeur qui a été très important dans les affaires politico financières. Serge Portelli explique qu'il est difficile de parler de la justice en Italie sans parler des années de plomb, sans parler des maxi-procès contre la mafia, sans parler des affaires de corruptions, sans parler de Berlusconi, sans parler de Mani Pulite. Et de rappeler qu'en 1992-1993, l'Italie a connu des poursuites très importantes contre des hommes politiques très hauts placés et contre un certain nombre de chefs d'entreprises, encore, très importants. Le monde politique et le monde économique ont été décimé. Mais il insiste pour nuancer son propos : en fait, l'immense majorité, la grande majorité des affaires Mani Pulite s'est terminée par des prescriptions. On estime que 80 % des poursuites qui ont été exercées à l'époque se sont terminées comme ça.

Le bon avocat en Italie c'est celui qui sait faire durer le procès jusqu'à ce que cela s'arrête, jusqu'à ce que les faits se prescrivent et c'est celui aussi qui arrive à faire voter les bonnes lois pour que les procès s'arrêtent. Serge Portelli conclue, en citant un magistrat italien, qu'"il est plus facile d'obtenir une relaxe au parlement que dans l'enceinte d'un tribunal" !

Maître Martina Barcaroli suggère qu'il semblerait, à la lumière du débat, que la France se dote d'un système inquisitorial dans un modèle judiciaire accusatoire et que l'Italie, au contraire, se dote d'un système accusatoire dans un modèle judiciaire inquisitoriale ! Maitre Barcaroli a conclu la séance en remerciant les intervenants et le public nombreux et a donné rendez-vous à la prochaine rencontre de la Commission Italie qui se tiendra le 26 octobre sur le thème de la fraude sportive.

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