Le Quotidien du 26 août 2021 : Avocats

[A la une] « Il avait un grain. C’est ce qui faisait son charme... » Les hommages se multiplient après le décès de Jean-Yves Moyart, dit « Maître Mô »

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par Vincent Vantighem, Grand Reporter à 20 Minutes

le 21 Juillet 2021

Une blague sur l’usine Carambar. Une remarque sur la météo. Et un coup de gueule contre les mesures pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Ce sont les derniers messages postés par « Maître Mô », fin janvier. Aussi célèbre sur Twitter que dans les cours d’assises, l’avocat Jean-Yves Moyart, est décédé samedi 20 février, à l’âge de 53 ans, des suites d’un cancer. Alors que ses obsèques sont prévues ce jour, à Lille, Lexbase Avocats a demandé à ceux qui avaient croisé sa route de raconter un souvenir, une anecdote. Magistrats, avocats, journalistes… Tous lui rendent hommage.

Ludovic Leroy, avocat au barreau de Lyon, son ancien collaborateur à Lille.

« On s’est connu sur Twitter. Puis on s’est vu. Et finalement, un jour, il m’a proposé de venir travailler dans son cabinet. J’ai cru qu’il déconnait. Mais il m’a envoyé un mail. Un mail d’amour professionnel ! Un mail comme je n’avais jamais lu et que jamais je ne ferai lire !

À l’époque, j’étais avocat à Chartres. Il fallait donc que je déménage à Lille. C’est lui qui a trouvé mon appart. Comme j’étais loin, il a fait les démarches. Il faisait des visites et il m’envoyait les photos. Je me souviens d’une photo de lui dans la baignoire… Il a trouvé un appartement à 200 mètres de son logement. Non pas pour me fliquer. Mais parce qu’il s’était dit que je ne connaissais personne dans cette ville et qu’il serait donc là, auprès de moi, en cas de besoin. Voilà, pour moi, ça résume qui était Jean-Yves.

C’était un mec en or. Je ne l’ai jamais vu être méchant. Jamais. Un jour, il a publié une photo de mes baskets dégueulasses sur Twitter. C’était une blague mais certains ont commencé à m’insulter. Il était mortifié. Il s’en voulait beaucoup.

Et puis Jean-Yves, c’était un patron à part. Il prenait l’instruction très au sérieux. On allait au restaurant et on revenait prendre le café au cabinet. On s’installait dans la cour et il faisait une “masterclass”. L’instruction. La garde à vue. La comparution immédiate. Tout y passait.

Et d’un coup, il se mettait à bricoler au cabinet. Il me disait de l’accompagner au magasin de bricolage. On faisait de la peinture ou autre chose, on s’aérait la tête. Et cette pause était salutaire pour les dossiers…

Avec ce cabinet, il avait créé quelque chose d’intemporel. Quelque chose à lui. C’était un grand couillon. C’était un mec bien. C’était une perle... »

Eric Maurel, procureur de la République de Nîmes, ancien avocat général à la cour d’appel de Saint-Omer.

« Je me souviens de l’affaire Denis Waxin. Cet homme était accusé d’avoir violé six enfants et d’en avoir tué trois d’entre eux. Il répondait également d’actes de tortures et de barbarie. On le soupçonnait aussi d’avoir commis des actes de cannibalisme post-mortem. Cette affaire était juste horrible. C’était comme dans le film Seven… Il avait été condamné à la réclusion à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 30 ans.

À trois jours de son procès en appel, son avocat se désiste. On était vendredi. La présidente ne voulait pas renvoyer le procès. Elle a appelé le Bâtonnier qui a désigné Jean-Yves Moyart pour le défendre. C’était un tout jeune avocat, avec un ou deux ans de barre derrière lui. Il découvre donc que le dossier fait 40 000 cotes. Il ne connaît rien et le procès démarre le lundi.

On s’aperçoit alors que Jean-Yves Moyart effectue un réel travail d’accompagnement de son client. Il nous fait comprendre au cours de l’audience qu’il se passe quelque chose. On ne sait pas quoi. Mais il se passe quelque chose. On laisse l’avocat faire.

Et à la fin des débats, alors que l’accusé n’avait jamais reconnu les faits, on l’entend briser le silence d’une toute petite voix. « Pardon, pardon, pardon ». Deux ou trois fois, je ne sais plus… C’était un mec plutôt costaud mais il avait une toute petite voix. Mezzo-voce... Et dans ce silence absolu, elle claque comme un coup de tonnerre. La présidente suspend l’audience. Deux mamans des petites victimes se dirigent vers l’accusé qui a torturé leurs enfants et finissent par le remercier…

Vu les faits, je requiers la peine maximale : perpétuité assortie de 30 ans de sûreté. Et Jean-Yves Moyart se met à plaider en défense. C’est la plus belle, la plus grandiose, la plus fabuleuse plaidoirie que j’ai jamais entendue. Et j’ai plus de 250 procès d’assises derrière moi. Elle était empreinte d’humanité et d’humanisme. Elle devrait être enseignée dans toutes les écoles d’avocats. Tout le monde pleurait. La salle, les parties civiles, la cour. Même l’avocat général que j’étais.

Au final, Denis Waxin a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de… 29 ans. C’était un vrai signal donné au travail de Maître Mô. Ce jour-là, dans cette cour d’assises, il a donné du sens aux trois semaines de procès que nous venions de vivre... ».

Eric Morain, avocat au barreau de Paris.

« Je suis assez bouleversé de voir toutes les réactions que cela a entraînées. On est en train de compiler tous ces hommages pour pouvoir les donner à ses enfants… Si on lui avait annoncé ça, il n’y aurait pas cru. Il y a un côté “Santo Subito [1]”dans tout ça…

Quand je vois la foultitude d’anecdotes… Il aurait détesté ça. Enfin non ! Il aurait dit qu’il détestait mais il aurait aimé. Quand un avocat meurt, on parle de ses dossiers. Mais pas Jean-Yves. Personne n’a parlé de ses affaires. Tout le monde a parlé de son humanité.

C’est le premier avocat de Twitter qui disparaît. C’était le mec avec qui on avait envie d’être copain. Il était sur les réseaux sociaux pour parler de Justice. Mais il l’incarnait. Il faisait preuve d’humour. Il avait beaucoup d’autodérision. Il parlait de la taille de ses oreilles comme de sa peur de plaider. Il portait tout ça en lui. Et ça va nous manquer... ».

Guillaume Didier, magistrat en disponibilité, directeur du cabinet Vae Solis.

« De 1998 à 2001, j’ai travaillé à Douai. Comme juge d’instruction au tribunal de grande instance, président de chambre correctionnelle et assesseur à la cour d’assises. Et j’ai côtoyé Jean-Yves Moyart dans ces trois cadres.

À l’époque, dans le Nord, deux pénalistes tenaient le haut du pavé : Frank Berton et Eric Dupond-Moretti. C’étaient déjà des ténors du barreau. Mais derrière eux, on voyait quelques jeunes prêts à prendre la relève. Et Jean-Yves Moyart en faisait partie. Il n’avait pas trente ans. Mais il était déjà identifié comme un grand pénaliste.

Je découvre un peu aujourd’hui son côté gouailleur, fêtard. Moi, j’ai connu un avocat extrêmement concentré, travailleur et très respectueux des magistrats. Nous avions le même âge. Mais jamais il ne m’aurait appelé par mon prénom. C’était du “Monsieur le Juge”.

Jean-Yves Moyart était un pénaliste pur et dur. Ses clients, c’était grand banditisme ou trafic de stupéfiants. On avait l’impression qu’ils ne pouvaient pas s’offrir les services de Frank Berton ou d’Eric Dupond-Moretti alors ils se tournaient vers lui. Et je peux vous dire qu’ils étaient servis. Il bossait, connaissait ses dossiers par cœur. Et il faisait toujours preuve de beaucoup d’humanité.

Et puis, c’était un très grand plaideur. Il était grand. Il était beau. Il avait une gueule. Et cela compte aux assises pour convaincre les jurés et les magistrats. Il ne laissait personne indifférent par sa présence. Quand on voyait son nom sur un dossier, on savait qu’on allait avoir une grande défense.

Je n’ai pas vraiment connu Maître Mô sur Twitter. J’ai connu Jean-Yves Moyart et c’était un très grand pénaliste ».

Pascal Rouiller, avocat au barreau d’Angers, organisateur des Confluences pénales.

« Chaque année, à Angers, j’organise les Confluences pénales de l’Ouest. Une espèce de séminaire qui mêle des policiers, des gendarmes, des parquetiers, des juges, des journalistes…

En 2018, je découvre Jean-Yves Moyart via les réseaux sociaux. Je l’appelle et l’invite à intervenir durant le colloque. Il décline car il est occupé, aux mêmes dates, par un procès aux assises. Mais au bout de dix secondes au téléphone, il me tutoie et le contact est établi.

L’année d’après, nouvelle invitation. Et cette fois-là, il vient. Mais il ignore alors que le séminaire qui se tient sur deux jours, le jeudi et vendredi, propose toujours une soirée mémorable le jeudi soir… Du genre qui peut nous emmener dans les rues d’Angers à 4 heures du matin alors que le séminaire reprend à 9 heures…

Or, à 9 heures, c’est justement lui qui est censé intervenir. Il prend la parole et commence par expliquer qu’il comprend pourquoi tous ses copains avocats sont intervenus la veille… Et puis, là, il nous livre une prestation énorme, une prise de parole sérieuse, documentée... Il intervenait sur le secret professionnel. En dix minutes, il l’a défendu en racontant notamment qu’il avait, jeune avocat, rompu son secret une fois par mégarde en parlant avec la femme d’un client. Il lui avait révélé sans s’en rendre compte que son mari était passé aux aveux. Le lendemain, la femme faisait une tentative de suicide…

Je peux vous dire que nous étions tous fatigués de la fête mais que personne n’a décroché. Ce jour-là, il a été exceptionnel »[2].

Eric Dussart, grand reporter à La Voix du Nord.

« Quand j’ai appris sa mort, la première chose à laquelle j’ai pensé, c’est son bureau. J’en ai vu des bureaux d’avocats dans ma carrière. Mais le sien était unique. D’ailleurs, ce n’était pas un bureau d’avocat, c’était la caverne d’Ali Baba. Il faut s’imaginer des bandes dessinées partout. Il en avait plus de 2 000. Il laissait dépasser de sa bibliothèque celles qu’il n’avait pas encore eu le temps de lire. Et puis des figurines partout. Et des lithographies au mur. Des reproductions de Tintin ou d’autres que je ne connais pas forcément. Jean-Yves était quelqu’un d’extrêmement cultivé.

Il y avait aussi une reproduction de la cuisine des Tontons flingueurs. Aux murs, des étagères sur lesquelles il avait disposé plein d’objets, plein de choses. Je me souviens lui avoir demandé comment ses clients réagissaient quand ils découvraient son bureau pour la première fois. Il m’avait dit qu’il assumait, que c’était lui. Jean-Yves Moyart avait un grain. C’est ce qui faisait son charme ».

 

[1] « Santo Subito » est une expression italienne signifiant littéralement « Saint tout de suite ». Elle est utilisée par les catholiques pour demander la canonisation immédiate d’une personne juste après sa mort.

[2] À (ré)écouter sur Lexradio, Confluences Pénales "Justice/Secret(s)" - édition 2019 : 5ème table ronde "Secret judiciaire".

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